Chapitre 7 (3)
Quand j'étais revenue à moi, les autres m'avaient couvés, m'avaient couverts de paroles douces et réconfortantes. La profusion d'attention m'avait un peu donné le tourni, mais d'une certaine façon, cela m'avait empêché de m'enfoncer dans mes propres pensées. J'ai appris que j'étais resté dans un état proche de la mort pendant deux semaines entières.
Nikolaï en particulier, qui prenait pourtant déjà énormément soin de moi, avait redoublé d'attention. Il avait passé les 2 semaines à mon chevet, à changer les bandages, surveiller ma fièvre, essuyer mes larmes au milieu de mes cauchemars délirants. Il m'avait lavé à l'eau tiède, brossé mes cheveux emmêlés, empêché de me mordre moi-même ou de me mutiler d'autres façons pendant des crises de violence ou apparemment j'hurlais à plein poumons.
J'avais remarqué qu'il sentait l'alcool désinfectant, et qu'il se lavait sans arrêt les mains. Je crois qu'il pensait que c'était lui qui m'avait filé une injection en changeant mes bandages. Je le voyais aux pourtours mauves sous ses paupières, et le regard fuyant de culpabilité lorsqu'on évoquait ma rechute. Peut-être étais-ce le cas mais je n'aurais pas pu lui en vouloir même s'il avait essayé de m'ouvrir la gorge avec un couteau.
Le fait de retrouver un peu de clarté d'esprit, et un peu de sommeil aussi, avait amélioré mon état. J'ai repris des forces et j'ai recommencé à manger, même si je restais terriblement faible.
Tout ce que j'avais vu dans mes délires n'étais de toute façon que des reflets de mes pensées réprimées depuis toujours. Rien de très nouveau, même si la tuerie les avait fortement exacerbés.
Peu m'importait. J'avais du mal à donner de l'importance aux choses m'entourant. En particulier celles qui me concernaient. La douce insensibilisation revenait de plus en plus souvent ses derniers temps.
Non, un autre de nos problèmes dont je n'avais pas eu conscience dans ma convalescence était le nouveau froid qui avait pris d'assaut la station maintenant que Monokuma ne nous fournissait plus en énergie.
Chez Nikolaï, avec la cheminée et bien abritée du vent, ça allait bien. Mais ce dernier devait partir seul dans la forêt, descendre plusieurs kilomètres pour trouver la lisière de la forêt, et couper du bois, puis le faire sécher dans son atelier, le débiter en petit bout et fournir les autres avec.
Parfois même se rendre chez eux pour allumer leur feu. Le tout en étant de retour pour le dîner et prendre soin de moi. Pendant ma crise il avait utilisé le bois de d'autres chalets abandonnés, mais apparemment le vernis et les vents et la neige qui les battaient le rendait complexe à sécher et utiliser.
À cause de mon état, Remington, Violaine et Royale étaient restés ensemble, dans un autre chalet, mais maintenant que j'étais sortie d'affaire, il semblait inutile de gâcher l'énergie de Nikolaï en allumant 2 feux alors qu'un suffisait. Nous nous étions tous alors réunis chez Nikolaï.
Violaine faisait un effort pour dissimuler ses soucis de boissons maintenant que nous étions en "collocation", mais elle craquait régulièrement. Remington, se rongeait les ongles, jusqu'au sang, pour compenser sa tendance au grignotage, alors que les ressources s'amenuisaient.
Nous ressemblions à 5 naufragés dans une tempête, luttant pour leurs derniers instants dans un bateau à la dérive.
Je n'avais pas le cœur à les décourager, alors quand Violaine ou Remington parlait du futur, de leur plan, du fait de sortir, je ne participais pas à la conversation. Je m'enfonçais un peu plus dans ma couverture, et je me laissais bercer par le vent dehors et le crépitement du feu.
Nous dormions tous dans le salon. Le feu n'amenait pas assez de chaleur jusqu'au fond du chalet où se trouvait la chambre de Nikolaï, et personne ne voulait gâcher du bois à faire un plus gros feu. On avait ramené le matelas et celui de Violaine et de Remington et on dormait tous là. Royale avait tendance à s'isoler dans la cuisine, qui bénéficiait suffisamment de la cheminée mais lui donnait l'intimité dont elle avait besoin.
Le moment le plus dur de la journée était quand il fallait aller dîner avec Monokuma. Aller dans le chalet vide et plus froid que les réfrigérateurs, et s'asseoir devant une table d'aliments froids voire congelés, à réchauffer l'un après l'autre au minuscule réchaud (qui avait l'air un peu plus sur le point de rendre l'âme à chaque diner), nous pompait notre énergie. La plupart du temps, nous venions faire acte de présence, puis nous cachions les plats gelés dans nos poches pour les faire cuire dans la cheminée.
Un jour, Violaine revint avec un sachet de Marshmallow
- On a qu'à faire comme un feu de camp, ça pourrait être cool ! Je savais pas qu'il restait des trucs du genre dans la réserve !
- C'est pas très nourrissant donc on y a pas touché.
- Alors faisons-le maintenant !
Elle s'était décidée, allant jusqu'à accompagner Nikolaï chercher le bois pour être sûr que les réserves seraient suffisantes.
Elle était revenu les bras pleins de bâton, la tête pleine de givre, avec les lèvres bleues, des échardes pleins les doigts, en jurant qu'une fois tout ça finis elle ne reposerait jamais le pied sur une foutu montagne et qu'elle ouvrirait son salon de tatouage à hawaï.
On avait bouilli les bâtons, et puis on avait préparé des grillades et plantés les marshmallows sur des piques. Traditionnellement (d'après Violaine), il aurait fallu se raconter des histoires d'horreur, mais (toujours selon les dires de Violaine), ça serait trop déprimant, donc on ferait le contre-pied en se racontant des histoires heureuses et drôles.
Royale argumenta que ça risquait d'encore plus nous déprimer, mais les autres (c'est à dire Nikolaï et Remington) se rangèrent du côté de Violaine. Moi je n'ai rien dit, mais ils s'estiment déjà contents que je manifeste assez d'intérêt pour tourner la tête vers celui qui parle et que je mange ce qu'on me donne.
Violaine nous raconta comment elle avait commencé le tatouage. Elle ne savait rien faire à l'école, contrairement à son frère qui ne faisait pas beaucoup d'effort mais se débrouillait toujours bien (car d'après elle "ce bâtard a pris tous les neurones et m'en a pas laissé"). Elle passait le temps en dessinant dans ses cahiers. Le jour où elle était partie faire son premier piercing (un paris stupide perdu), elle avait adoré le salon du tatoueur perceur. Et c'était partit comme ça.
Remington nous expliqua ensuite que son père avant lui était déjà serrurier, et que peu importe que ça n'était pas un métier très mis en valeur, où palpitant, sa passion pour les choses fermées l'avant entraîné sur la même voix. Sa curiosité et le plaisir de ne jamais être totalement bloqué par les portes et les cadenas étaient trop forts.
les conversations continuèrent, sans que j'entende vraiment tout, somnolente que j'étais. J'ai tout de même fait l'effort de raconter en quelques phrases comment j'avais commencé mon ultime. Un amour de la musique et un manque d'argent pour m'acheter un violon moi-même, mêlé à de la curiosité et un hobbie pour le bricolage.
Quelques heures plus tard, tout le monde finit par s'endormir. Enfin presque. Comme d'habitude, bien qu'épuisée, je ne dormais jamais vraiment, ou du moins jamais profondément.
Je me suis tortillée un peu, cherchant une position un peu plus confortable où mes croûtes en cicatrisation me grattaient moins (c'était vraiment la chose la plus désagréable maintenant que la douleur était presque partie). J'ai poussé un long soupir en abandonnant l'idée d'une nuit de sommeil réparateur, comme d'habitude.... Une voix répondit à mon souffle fatigué :
- C'est comme la dernière fois.
C'était Nikolaï.
- Quand on a regardé tous les films.
- Violaine ronfle quand même moins.
J'ai trouvé à répondre dans un chuchotement éraillé.
Un léger souffle m'indiqua un rire un peu retenu. J'ai ajouté d'un ton plus sombre :
- Et puis on est moins nombreux.
Cette fois un silence me répondit. Je me suis excusée :
- Désolée.
- Ne t'excuse pas.
Facile à dire quand on est pas celui qui se consume de culpabilité un peu plus à chaque... Non c'était injuste de ma part, lui aussi portait ses regrets et ses hontes.
Soudain Nikolaï me demanda d'une voix très douce :
- Qu'est-ce qui s'est passé dans la forêt ?
Tout mon corps s'est tendu alors que j'ai senti mon esprit faire un mouvement de rejet pour repousser la question très loin, mais je ne pouvais pas m'empêcher de me questionner "comment est-ce qu'il savait pour la forêt ?"
Voyant l'interrogation dans mes yeux, il expliqua doucement :
- Tu parlais beaucoup dans ton délire.
J'ai détourné les yeux pour regarder par la fenêtre. Que savait-il ? Qu'est-ce que j'avais dit ? Les volets n'avaient pas été fermés, et le ciel dégagé ce soir là laissait voir le ciel noir d'encre, et quelques faibles étoiles, noyées dans la lumière laiteuse d'une lune pleine.
Nikolaï se taisait et attendait. Cassiopée, ou Anoushka, avait toujours ajouté des "tu n'es pas obligé de répondre" ou des "ce n'est rien oublie ma question" après les questions du genre, me laissant une porte de sortie pour changer de sujet. Bien qu'il ne me force à rien, Nikolaï ne me laissait pas de quoi fuir le récit.
Mais en avais-je envie ? Il était temps que j'en parle, à n'importe qui mais quelqu'un. C'était nécessaire. Il fallait percer l'abcès.
J'ai ouvert la bouche mais rien ne sortit.
Je ne savais pas comment commencer.
Le silence se prolongea. Encore.
Encore.
Et encore.
je fixais le plafond, les étoiles, les autres endormis. Je n'arrivais pas à rassembler assez de mots pour commencer, mais Nikolaï ne disait rien. Il attendait juste. J'entendais au rythme de son souffle qu'il ne s'était pas endormi.
Presque 10 minutes de pure silence plus tard, j'ai enfin commencé :
- J'avais 9 ans. Je suis allée faire des courses avec ma mère.
J'ai fait une pause, les premiers mots passés, le reste fut un petit peu plus simple.
- Je m'en souviens mal. Il avait beaucoup de monde, ma mère s'est retournée pour retirer de l'argent au distributeur.
J'ai encore bloqué d'un coup. Ce passage était difficile. Il me fallut un moment pour reprendre :
- Quelqu'un m'a attrapé le bras et m'a tiré très fort, m'a soulevé du sol. Je n'ai pas compris ce qui se passait. J'ai fini par comprendre que j'étais en danger mais c'était déjà trop tard. C'est arrivé trop vite. Ils m'ont bâillonné les yeux et la bouche et m'ont attaché les mains avec du stoch.
Encore une pause pour reprendre mon souffle et me calmer.
- J'étais dans un véhicule. Une sorte de camion. Ils y avaient d'autres enfants qui pleuraient autour de moi. Parfois ils nous faisaient sortir pour nous changer de camion.
Petite pause. Silence. Un nuage vint cacher la lune et assombrit la pièce.
- À chaque fois ça ne durait que quelques secondes, mais je savais que ce qui m'attendait au bout du trajet était bien pire, alors à un moment, quand j'ai sentis les mains me lâcher une seconde...
J'ai eu besoin de déglutir et respirant lentement pour faire ralentir mon coeur qui s'était mis à tambouriner comme si j'y étais de nouveau.
- Je suis partie en courant. Je suis partie dans le sens contraire de leur voix. J'ai percuté un arbre et j'ai compris que j'arrivais dans une forêt. J'avais toujours un bandeau, crié m'aurais essoufflé pour rien, et il y avait un bruit de voiture, de camion et des hommes qui criait, alors j'ai juste couru, en me prenant des arbres, jusqu'à ce que je roule dans une pente et que je trouve par hasard un trou dans un arbre. J'y suis resté jusqu'à ce que je réalise que si je ne trouvais pas à boire j'allais mourir. J'ai trouvé de l'eau, et j'ai continué de me cacher et de fuire tous les bruits que j'entendais car je ne savais pas si ces gens me voulaient du mal ou pas. à un moment je me suis évanouie. On a fini par me retrouver.
J'ai encore pris plusieurs inspirations de repos pour terminer le récit.
- Apparemment des gens m'avaient vu dans la forêt, mes kidnappeurs n'avaient pas cherché trop longtemps de peur de se faire choper et la plupart des gens que j'avais entendu étaient là pour me sortir d'affaire. J'étais à des centaines de kilomètres de chez moi, et j'étais restée 9 jours dans cette forêt. Après ma mère s'en est trop voulu et mon père lui en voulu aussi, et je n'allais pas bien, et ils se sont disputés à ce sujet, jusqu'à ce qu'ils se séparent et que mon père jugent que rester dans l'endroit où j'avais subis mon traumatisme était mauvais alors on a déménagé très loin. Le reste tu connais.
Un long silence suivit. Soudain le feu ne me paraissait plus assez fort, et j'ai frissonné. Nikolaï a fait un mouvement dans le noir et s'est rapproché, et tendu le bras en signe d'invitation. Je suis venue coller mon dos contre lui et j'ai fermé les yeux. Je l'ai écouté s'endormir, je me suis concentrée sur mes 5 sens pour ne pas trop penser. Ne pas paniquer.
Après avoir tout fait sortir j'avais l'impression d'être au bord de la crise, et en même temps plus libre et soulagée que je n'avais été depuis longtemps.
J'ai repensé à Cassiopée. À quel point sa propre vie avait du être difficile. Puis avec un peu d'hésitation j'ai pensé à Anoushka, et à ce qu'elle avait du elle-même traverser.
Pourquoi un simple évènement m'avait laissé dans cet état. Pourquoi est-ce que je n'étais pas juste allée mieux, vécue une vie un peu plus normal ?
Soudain je me suis demandée si mon ultime lui-même n'était pas un symptôme de mon mal être. J'avais toujours considéré mes capacités comme un talent que j'avais développé pour compenser, pour aller mieux, mais que j'aurais toujours eu quelque soit le déroulé des évènements.
Mais au final, c'était probablement l'inverse. Je m'étais compulsivement entraînée et devenue douée parce que je n'étais plus équilibrée. J'avais poli mes talents à l'extrême parce qu'il n'y avait plus de mesure dans ma vie. Et j'ai maudit mon talent dans l'obscurité jusqu'au lever du jour.
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