Chapitre 6 (7)
TW : discours assez négatif/pessimiste/suicidaire
Je l'ai repoussé par réflexe, et je me suis reculée contre le mur derrière moi. Un bref instant j'ai entre-aperçu son expression paniquée puis j'ai fermé les yeux très fort, et j'ai appuyé mes poings fermés contre mes paupières jusqu'à ce qu'un kaléidoscope imaginaire s'y forme.
Je ne voulais pas lire son visage, y décrypter toutes les émotions, et comprendre les minuscules changements et étapes par lesquelles son esprit passait. Je luttais déjà trop pour comprendre les miennes, pour ne pas m'y noyer.
Il fallait que ça sorte, il fallait que je laisse tout sortir, alors j'ai presque crié, essoufflée avant d'avoir dit quoi que ce soit :
- C'était toi ?!
Elle ne poussa qu'un minuscule bruit étouffé, un léger "huff" comme on prend un coup de poing dans le ventre. Mais ce coup de poing là était plus métaphorique. Un petit souffle creux qui se finissait en un son aigu et plaintif qui voulait tout dire, et j'ai senti sa main frôler mon bras. Du revers de la main j'ai chassé la sienne et un claquement sec retentit quand j'ai frappé sa paume.
Ma respiration était lourde et hachurée. J'ai soudain ouvert les yeux et je me suis jeté en avant. Je l'ai agrippé par les épaules, trop fort, avant de lui dire encore une fois, plus fort encore :
- POURQUOI ?
Ça n'était même pas la colère dans ma voix, c'était le désespoir que j'entendis. Elle était comme pétrifiée, son visage immobile et choqué. Soudain elle recula brutalement, échappant à mes mains et partit en courant de la pièce.
Je me suis levée et je suis partie à sa poursuite, ma cheville me poignardant de douleur à chaque pas, comme si j'avais un couteau à la place du pied dont le manche frapperait le sol et la lame se planterait dans ma chaire, marquant le rythme de ma course, cruelle, inlassable, éternelle.
Dans le salon j'ai à peine eu le temps de voir une ombre s'échapper, et la porte grande ouverte faire entrer le froid dans la pièce. Je n'ai pas hésité une seconde, et sans prendre de manteau ou même enfiler des chaussures je suis sortie à mon tour.
Elle était déjà hors de vue, mais la neige avait marqué ses empreintes et je ne la laisserai pas s'enfuir comme ça. Pas comme Anoushka.
Malgré ma peau qui tirait sous mes bandages prête à se fissurer, et ma mauvaise cheville, je me suis lancé sur ses traces. J'ai vite aperçu sa silhouette sortie de la station, s'élançant vers le vide, sa chevelure défaite claquant derrière elle.
Je n'aurais jamais cru qu'elle pouvait courir si vite, ou bien c'était moi qui était terriblement lente de ma course d'estropiée.
- CASSIOPÉE !
J'ai hurlé contre le vent. Elle a jeté un bref coup d'œil derrière son épaule, et ce moment de déconcentration l'empêcha de regarder où elle mettait les pieds. Elle trébucha et s'effondra dans la neige qui nous arrivait au tibia.
Le froid me faisait horriblement mal mais je commençais à avoir l'habitude d'ignorer la douleur et je continuai sans perdre de temps.
Elle se releva dans la précipitation et repartit de plus belle mais j'avais rattrapé mon retard et elle n'était plus qu'un mètre ou deux devant moi..
Je savais qu'elle me sèmerait vite, alors dans un élan, j'ai tendu mon bras, puis tout mon corps, et j'ai attrapé une poignée de cheveux. Sa tête partit en arrière en même temps que je la retenais en arrière, pliant sa nuque et offrant son visage au ciel.
Dans le même temps elle poussa une exclamation douloureuse, et l'instant d'après nous étions au sol, enfoncées dans un tapis gelé de neige écrasée. Je me suis redressée pour me mettre à quatre pattes au-dessus d'elle, que ma chevelure tombant de part en part de son visage.
J'ai voulu crier mais je n'avais même plus assez d'air pour que j'y mette la moindre force, alors ce qui sortit vu presque si faible que les syllabes ne s'y entendait quasiment pas :
- Pourquoi Cassiopée ?
Elle fixa ses beaux yeux sur un point au-dessus d'elle, évitant mon regard. Le sien n'était pas vide, au contraire, il était hanté par une infinités de choses qui m'étaient inaccessibles. Elle regardait loin, très loin, et elle murmura :
- Parce qu'il est plus important que la Terre entière et que toutes les autres planètes de l'univers et que tous les êtres vivants du cosmos.
Une larme roula sur sa tempe.
- Je n'ai pas de petit frère Lyslas j'ai un fils.
J'ai ouvert la bouche, prise de cours, incapable de répondre.
- Et mon mari est en train de le tuer.
Elle me poussa, mais avec douceur, et je me suis assise, la laissant se redresser. Elle me dit doucement, soudain résignée :
- Il faut que j'aille le sauver. C'est mon enfant, mon trésor, mon bébé. Il a 3 ans, il compte sur moi, il doit penser que sa maman l'a abandonné, il ne doit pas comprendre, il doit avoir peur tout seul avec lui si grand si méchant et si haineux qui hurle et le frappe, il doit m'appeler dans le noir quand il est perdu, dans ses cauchemars, je dois le sauver même si je dois tout sacrifier pour ça.
Une autre larme glissa le long de sa joue et sa main se leva et vint se poser sur ma joue avec la légèreté d'une plume.
- Même toi.
Je n'avais plus de mot. J'ai juste étendu les bras et je l'ai serré aussi fort que physiquement possible contre moi. Elle se laissa faire sans bouger et on s'est bercé l'une l'autre comme ça pendant plusieurs heures, moi les yeux perdus et elle pleurant tout ce qu'il lui restait.
On ne parla pas plus, il n'y avait rien d'autre à dire. Après un moment je me suis mise à chantonner, la même mélodie qu'elle m'avait elle-même chanté lorsque c'était moi qui était à sa place. Celle qu'elle avait inventée pour son fils.
Ce qu'avait fait Cassiopée, ça ne releva pas du domaine de la logique, de la raison, ou même de la morale. Elle ne s'était pas posé ces questions, elle ne s'était pas demandé "est-ce que vraiment la bonne chose à faire". Elle l'avait fait et c'est tout. Parce qu'elle n'était faite que de cet amour brutal et viscéral qui la possédait comme un marionnettiste contre lequel elle ne pouvait rien et n'essayait même pas de lutter.
Elle sacrifierait tout pour son enfant, parce que c'est tout.
Pas de seconde pensée ou d'hésitation ou de compromis. Elle souffrirait autant qu'il l'est possible et elle deviendrait le pire monstre que cette planète porte s'il le faut, mais elle sauverait son enfant.
Elle ne me regardait plus alors au bout d'un moment j'ai relevé sa tête en poussant doucement sous son menton, et avant d'avoir le temps de vraiment réfléchir à mes mots je lui promis :
- Je vais mentir.
Elle ouvrit les yeux si rond que malgré la situation c'en était presque comique. J'avais beau avoir parlé d'instinct, je savais que c'était vrai, et que ma décision était prise. Alors j'ai continué :
- Je vais les convaincre que c'est Remington. Ils me font confiance.
Elle ouvrit la bouche pour dire quelque chose, peut-être protester dans un élan morale, puis comme si elle comprenait que c'était peut-être sa seule solution pour sortir de là, et que si elle refusait elle mourrait et probablement et son fils avec, elle dit :
- Merci.
J'ai souri, et fermé les yeux. Je savais très bien à quel point cette décision était horrible, ce n'était pas juste me sacrifier moi, mais aussi les autres. Pourtant j'en avais assez moi aussi de faire preuve de logique, de raison, de "il faut sauver le maximum de gens" de "il faut prendre les bonnes décisions".
Au diable les bonnes décisions, au diable ce rôle de bonne personne, parfaite, qui ne fait jamais rien de méchante ou égocentrique, qui ne plonge jamais du côté obscur et tient bon face au désespoir. J'étais déjà une épave de toute manière.
Alors voilà tant pis, je ne serais plus la bonne protagoniste qui fait ce qu'elle devrait faire, je serais une horrible personne, faible de volonté, qui cède à ce que les Monokumas veulent de nous, mais je choisissais de sauver Cassiopée. Finis le temps de subir en silence dans la peur et le deuil.
j'ai demandé doucement à Cassiopée :
- Je vais avoir besoin de détails pour accuser Remington efficacement...
Elle resta en silence quelques secondes, se débarrassant peut-être encore de ses dernières miettes de scrupules.
- Les bidons étaient dans le chalet de vêtements, il y ont été mis pendant le dîner. J'étais allée voir Monokuma dans le chalet de spectacle, je voulais des nouvelles de mon fils, il me l'a montré, c'est là que j'ai sus que je ne pouvais plus attendre, je l'ai supplié de m'aider et il m'a donné un code et la localisation des bidons. Quand tu t'es endormi j'y suis allée... et tu connais la suite.
J'ai finalement posé la question qui me tournait dans la tête :
- Pourquoi moi ?
Cassiopée laissa échapper un bref rire, un son amer sans une once de joie.
- Parce que je savais que tu me découvrirais. Et je ne voulais pas que tu saches ce que j'allais faire, tuer quelqu'un. Je voulais t'épargner ça. M'épargner ça.
J'ai gardé le silence un moment, avant de lui faire remarquer :
- Tu sais que brûler vif est dans le top des morts les plus atroces en compétition serrée avec la noyade ? Et honnêtement je peux confirmer d'expérience que ça doit effectivement l'être.
Elle releva la tête, d'un air un peu choquée. Et puis, réalisant l'ironie profonde pour elle de s'offusquer de ça, et pour moi de soulever ce fait d'un ton anecdotique à ma presque-meutrière, on a toutes les deux éclaté de rire. Peut-être qu'on perdait la tête, qu'on était devenu folles. Mais qu'est-ce que la folie voulait dire dans notre situation ? Tout était fou ici. Quand il n'y a plus de rien de normal pour comparer, on ne peut plus classifier les choses.
- Je n'aurais pas pu le faire à main nues... alors...
J'ai caressé sa tête comme un petit chat en lui indiquant d'un ton presque rabroueur :
- Si tu avais vraiment réfléchi tu aurais pu me faire faire une overdose de somnifères. Moins douloureux, moins dangereux, et les gens ne t'auraient pas plus soupçonné. Tu aurais pu aussi tuer quelqu'un d'autre et faire de moi ta complice, ou tout simplement me faire porter le chapeau en manipulant les preuves, les cachant chez moi, etc, c'était un meurtre très maladroite.
- Est-ce que tu es vraiment en train de me faire la leçon ?
J'ai haussé une épaule.
- Je vais mourir d'ici quelques heures, je peux bien dire ce que je veux.
Elle se blottit de nouveau contre moi.
- Merci.
Ce merci contenait tous les "pardons" du monde, mais elle savait que si elle avait dit pardon ça aurait sonné creux. Merci était la seule chose qui lui restait à dire.
Moi je me sentais beaucoup trop légère à l'idée de ce qui m'attendait. Je me demandais soudain pourquoi on en faisait tout un plat. Pourquoi cette tuerie était si pleine de larmes et de trahison. Au fond, pourquoi ne pas laisser le meurtrier s'enfuir, celui qui avait le plus d'envie de vivre et de se libérer. Il suffit de voter pour la mauvaise personne, et de laisser l'un d'entre nous partir.
Je ne comprenais pas pourquoi les gens s'accrochaient autant à la vie. On meurt tous au final. Maintenant ou dans 50 ans peu m'importait.
Soudain j'ai eu une pensée pour Min-ho. Je l'avais haïs pour ce qu'il avait fait, mais à cet instant je n'avais plus de colère ou de rancœur envers lui. Il ne nous connaissait presque pas, il voulait juste vivre et retrouver sa famille, ses sœurs, sa grand-mère malade, ses meilleurs amis, sa vie.
il avait pris une décision forte et extrême, cruelle, froide, mais regardez où vouloir sauver tout le monde et ne tuer personne nous avait mené ? Une poignée de survivants traumatisés.
Anoushka.
Je repensais à elle, et mon estomac se tordit. Je devrais en penser de même pour elle. Pas une tueuse en série avide de sang mais une jeune femme désespérée et-
Non. Je pouvais essayer de m'en convaincre, encore maintenant, mais Anoushka avait décapité quelqu'un, elle n'avait pas pris la peine de cacher son meurtre. Elle l'avait fait comme par ennui, elle n'avait aucun remord dans les yeux quand elle m'avait dit au revoir. Anoushka c'était différent.
Cassiopée, elle, sortirait. Elle porterait le souvenir de chacun d'entre nous, elle emporterait un bout de notre existence avec elle, et nos morts seront gravées à la reconnaissance dans son cœur chaque fois qu'elle regarderait son fils indemne.
Le froid commençait à brûler mes brûlures et j'étais dans un état assez pitoyable comme ça pour ne pas attraper un froid en plus. On est donc rentrée se mettre au chaud et on a attendu l'heure du procès en se serrant l'une contre l'autre.
Quand il fut temps, on s'est changé, et j'ai aidé Cassiopée à faire un petit sac, juste au cas où.
On s'est tenu la main sur le trajet en direction du chalet de spectacle.
Nous étions probablement dans les dernières, jouant un peu avec le feu au niveau des horaires. Monokuma nous regarda passer silencieusement quand nous sommes entré dans la salle dont il gardait l'entrée. Son oeil unique se posa sur moi comme s'il savait déjà ce qui c'était passé, et allait se passer.
Y avait-il un drone qui nous avait observés ? Possible, dans l'action du moment, je n'aurais rien remarqué
Je ne sais pas trop, je lui adressais un petit signe de tête. Une sorte d'au revoir ? Dans tous les cas, il me rendit le geste, à ma plus grande surprise. D'une certaine manière, c'était un signe de reconnaissance d'une victime-bourreau à une future victime-bourreau.
On se plaça chacun devant notre pupitre. La disposition était presque ridicule, le cercle paraissait bien trop grande, avec plus de pupitres vides que de remplis, et les survivants dispatchés de manière inégale, illogique.
Nikolaï le plus proche de moi, à ma gauche et Royale (face à un pupitre éteint puisqu'elle était toujours officiellement morte), directement à sa gauche, en face, Cassiopée, et un peu entre ceux là, Remington et Violaine, côte à côte. Personne sur tout la moitié à ma droite. Léo étant l'absence la plus récente de cette portion du cercle.
Monokuma nous rejoint, traversa la salle, et vint se poster sur son propre perchoir, dans le coin le plus éloigné de moi, lui donnant un angle parfait pour me fixer et que je le fixe en retour.
J'ai serré les mâchoires, et pris une grande inspiration. C'était le moment crucial. Le dernier procès. Celui où j'entrainais tout le monde dans ma chute.
C'était comme si c'était la seule issue possible à ce jeu tordu.
Je me sentais.... paisible. Un peu stressée par le jeu d'acteur dont j'allais devoir faire preuve, mais paisible.
Ma décision était prise. Plus qu'à la mettre en pratique.
J'étais prête. Time to die.
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