Chapitre 6 (4)

(NdA : coucou ! Chapitre pas rigolo ! J'ai mis une petite musique déprimante avec pour l'ambiance complète. Attention aux TW, je sais pas trop lesquels mettre exactement, mais vous connaissez les tueries, tout ne va pas bien, il y a de la mort de la dépression ci-dessous)





Encore 6 jours passèrent, dans une sorte d'oubli, presque de transe. Un brouillard volontaire de déni. Et, dans une terrible ironie, j'étais heureuse. Je crois.

Les jours se ressemblaient un peu, dans notre minuscule cocon gelé comme directement rattaché au ciel. Nos provisions diminuaient aussi. Un peu trop vite.

Même si nous ignorions volontairement notre sort, parfois, un bref moment de lucidité nous replongeait dans la détresse.

Hier matin Cassiopée m'avait trouvé, frigorifiée, assise par terre à la lisière de nos chalets, absorbée dans mes souvenirs d'Anoushka, de la neige, nos soirées, nos expéditions, son corps désarticulé, le sang gelé sur sa peau exsangue. J'avais dissociée de la réalité et je n'avais pas senti ma température chuter. Elle m'avait forcé à prendre un bain brûlant au SPA après ça.

Malgré son air joyeux, parfois c'était à Cassiopée d'être engloutie par l'angoisse. Je la surprenais les yeux vides, un sourire faux et figé au visage, à n'avoir rien écouté et répondre à côté des questions. Elle ne voulait pas en parler. Je n'avais pas réussi à la faire parler, mais je ne voulais pas la forcer.

Mais entre chacun de ces moments d'égarement, nous vivions au jour le jour, presque... libres. Enfin, "libre"...

J'étais perdue dans ses pensées, quand mon pied glissa sur une plaque de glace. Une douleur aiguë remonta ma jambe et j'ai grimacé de douleur en poussant un cri.

- Lyslas ! Est-ce que ça va ?!

- Oui, c'est rien, j'ai juste perdu l'équilibre.

Cassiopée me rattrapa immédiatement avant que je ne tombe encore. Ma cheville blessée, qui guérissait tranquillement, me faisait toujours mal. Chaque petit faux mouvement retardait le rétablissement, et cette fois-ci je ne m'étais pas loupé.

- Tu es sûre ? Tu devrais vraiment prendre une deuxième béquille. Ton égo ne t'apportera que des problèmes.

j'ai rit un peu.

- Ce n'est pas pour l'égo, promis. C'est juste que...

Elle me regarda en silence, l'air prête à écouter, alors j'ai osé avouer.

- Être en béquille, ça me renvoie à un mauvais souvenir, et ça me fait me sentir misérable. Je n'y arrive pas, ça me donne envie de suffoquer.

J'ai déglutit, m'attendant à plus de questions. Je voulais lui en parler. De tout ça. Mais j'étais bloquée. J'aurais pu, du, mais je n'arrêtais pas de me dire : "c'est encore trop tôt, j'ai besoin de temps". C'était un mensonge, cela faisait des mois et des mois. Je ne me l'avouais que timidement, mais j'aimais Cassiopée plus que je ne l'avais jamais dans ma vie. Ou en tout cas différemment.

Et malgré tout, je ne pouvais pas. Les mots ne sortaient pas. Chaque phrase se coinçait dans ma gorge, les souvenirs remontaient comme des larmes, j'avais l'impression d'y être à nouveau, je devais repousser tout ça, et changer de sujet pour ne pas m'y noyer.

Mais Cassiopée n'insista pas. Elle me sourit, comprenant que je faisais référence à "ça", et même si je sentais sa curiosité, elle savait ce que je vivais. À la place, elle passa mon bras sur ses épaules pour me soutenir et rouspéta :

- Avoue que c'est plutôt pour m'utiliser comme béquille remplaçante !

j'ai ris et simulé une faiblesse exagérée, elle fit mine de se plaindre tout en me ramener au chalet. Elle me soutint jusqu'à chez nous, et elle m'allongea dans le canapé. J'ai sourit et lui ébouriffai les cheveux, un petit plaisir coupable car je savais que juste après, comme un chat qui se lèche compulsivement après qu'on le caresse dans le mauvais sens, ses doigts agiles reviendrait tout remettre en place proprement.

Au moins prendre soin de moi l'occuperai pour l'après-midi. Je l'ai laissé faire, assez contente d'être dorlotée, malgré la légère inquiétude du temps que prendrait encore ma blessure à guérir.

Quand il fut temps d'aller se coucher, Cassiopée me rejoint (c'était une habitude maintenant). Elle se glissa à ma droite, cala un oreiller contre moi et s'y poletona. J'ai laissé ma tête te poser contre la sienne.

Installées ici, perdues dans notre refuge et prison, je ne savais pas si j'avais peur, ou si, pour la première fois depuis mes 9 ans, je me sentais en sécurité.

Avant que mon esprit ne bascule au pays de Morphée, ma dernière pensée à le traverser fut que notre enlèvement avait peut-être en lui une étincelle de bénédiction, car elle m'avait offert la femme qui s'endormait entre mes bras, et des amis en faisant de même tout autour de moi.

L'instant d'après, je brûlais.

Tout brûlait. Les murs, le sol, les meubles. J'ai essayé de respirer mais l'air était bouillant, l'oxygène rare. J'ai roulé vers la droite, cherchant désespérément Cassiopée. Mes bras se referment sur du vide. j'ai cherché, d'un grand geste inutile, mais toujours rien. Elle n'était pas là. Pourquoi mon corps était si lourd ?

Je ne comprenais pas. Mes yeux prirent plusieurs secondes à distinguer l'autre côté du lit, vide et les flammes m'entourant.

J'ai tenté de l'appeler, mais je n'avais pas assez d'air dans les poumons.

Mes mains se refermèrent par réflexe autour de mon cou alors que j'explosais dans une quinte de toux atroces. Un bruit étrange, très aigu, parvint à mes oreilles comme un bruit de sifflet, j'ai pris un moment à comprendre que c'était ma respiration qui produisait ce son. J'arrivais à peine à bouger. Pourquoi mon corps était si lourd ?

Des larmes débordaient de mes yeux, mais n'avaient pas le temps de les sentir rouler sur mes joues, elle s'évaporaient trop vite. Ou peut-être tombaient-elle directement au sol sans passer par mon visage, car je n'étais plus sûr d'où était le sol et le plafond et de quel côté la gravité tirait les choses.

Ma tête me tournait. Il fallait que je sorte. Cassiopée n'était pas là. Où était-elle. J'allais mourir. Il fallait que je sorte. Est-ce que Cassiopée était dehors ?

J'ai roulé vers la gauche, et j'ai chuté lourdement au sol. Ma tête heurta violemment le meuble au passage, jetant une pluie d'étoiles filantes dans mon champ de vision. J'ai fait le vœu silencieux de sortir de ce cauchemar. Quand les étincelles s'estompèrent de ma vue, une boîte de pillule roula sur le parquet sous mes yeux. Mes somnifères. C'est pour ça que mon corps était si lourd.

J'ai tenté de me redresser sur un coude. Quelque chose de poisseux avait coulé sur mon bras,et j'ai tiré sur ces derniers pour me traîner de quelques centimètres misérables vers la sortie. J'étais déjà épuisée par l'effort. Mon crâne saignait, mais le sang était presque frais sur ma peau cuisante. Les flammes s'approchaient trop de mes pieds, je sentais ma peau brûler, se cloquer, j'étais dans une fournaise, j'étais en enfer.

Où est Cassiopée ?

Il y avait sûrement une centaine d'explications possibles pour justifier son absence. Peu importe à quel point tirées par les cheveux, j'aurais pu en inventer autant que je le voulais, et pourtant, au milieu des flammes, avec cette question gravée dans mon esprit comme sur un disque rayé, qui la retournait, encore et encore, et encore, une seule réponse me vint :

Elle voulait me tuer. Cassiopée a allumé cet incendie et m'y avait abandonné.-

- NON !

Mon cri sonna tel quel, à mes oreilles alors que je luttais pour sortir ces pensées de mon cerveau sous-oxygéné et intoxiqué. Mais en vérité, ce qui sorti était probablement un murmure étranglé.

Un sanglot, un autre, encore un, me privèrent encore un peu d'air, me ratatinèrent encore un peu sur moi-même. J'ai tiré sur mes coudes encore pour avancer d'un pauvre centimètre. Puis j'ai plié mes genoux pour les rabattre sous moi, et essayer misérablement de me mettre à 4 pattes.

Je ne veux pas mourir.

Mais vouloir n'avait jamais servi à rien.

Et puis, voulais-je vraiment vivre alors que Cassiopée m'avait trahie ? NON.

- non.

Ma protestation mentale était un refus de la question, mais mon filet de voix sonnait plus comme une réponse fatiguée.

Roulée en boule sur un sol brûlant, et entourée par les flammes, j'ai sentis le dilemme me paralyser :

Me laisser mourir ou me battre encore un peu ?

Bien sûr, ce serait douloureux, mais je n'avais plus peur de souffrir. Ce qui m'attendait dehors n'avait rien d'enviable, la mort me faisait peur, mais ce qui m'attendait si je survivais encore plus. J'avais trop peur de savoir Cassiopée morte ou coupable, j'avais trop peur d'affronter le reste de notre emprisonnement, avec les ressources qui s'amenuisaient jour après jour, un meurtre finiraient pas se produire. Si je mourrais ici, ça ferait une bouche à nourrir de moins. Si je mourrais ici, je serais enfin en paix. Si je mourrais je ne serais plus rien du tout, je ne pourrais pas le regretter, je ne pourrais pas être triste, ou fatiguée, ou effrayée. Si je mourrais...

Si je mourrais est-ce que les autres seraient tristes, et fatigués, et effrayés ?

Le monde bascula encore autour de moi. À travers les fentes de mes yeux mi-clos, j'ai vu les flammes se tordre et s'entremêler, je les ai contemplé comme au ralenti.

J'avais cessé de lutter, mais quelque chose me bougea encore, me souleva du sol, m'emmena loin du lit qui partait en flamme. Les murs du couloir, une flamme qui me lécha la joue, tout faisait mal, je ne voulais rien comprendre, je voulais en finir. Mais pas trop vite. Il me semblait que je méritais de souffrir encore un peu avant de partir.

- LYSLAS TIENS BON

Une voix. Forte pour couvrir le bruit de l'incendie. Une voix masculine. Je la connaissais. La voix de Léo. Les informations m'arrivaient les unes après les autres, très lentement.

Un mouvement fit tomber ma tête sur le côté. J'ai vu un bras, au dessus une épaule, au dessus des cheveux bruns foncés et court. Léo.

Le canapé. J'étais dans le salon. Qu'est-ce que je faisais dans le salon.

Ma tête roula encore. Un carré d'obscurité. La porte. La sortie.

Léo me portait vers la sortie.

Quelques mètres.

Encore le chaos, un craquement énorme résonna comme le tonnerre, et une avalanche de flammes suivies. Puis un choc violent. J'étais de nouveau au sol. Un poids sur ma jambe me compressait. J'ai essayé de bouger encore un peu. Léo, Léo était là. Je pouvais mourir mais pas Léo.

J'ai cherché avec toute l'énergie qu'il me restait, fouillant le sol couvert de cendre un bout de quelque chose d'humain. J'ai enfin trouvé des doigts, et une main, que j'ai serré autant que possible, que j'ai tiré vers moi. Mais la main ne bougea pas d'un iota. J'étais trop faible.

J'ai entendu plus de voix, des cris, des pleurs.

Un courant d'air froid me frôla la joue comme une caresse, la caresse la plus douloureuse de ma vie.

La porte était juste là, à deux mètres. Je ne voulais pas lâcher la main de Léo. Il avait perdu connaissance, il fallait que je le tire avec moi. Il était venu me chercher. Mes pensées étaient aussi engourdis que mon corps mais je comprenais avec une horreur sans nom ce qui se passait. Il était venu me chercher, il était venu me tirer de l'enfer, il était venu dans les flammes pour m'en sortir. Il fallait qu'il sorte avec moi. Je ne voyais plus rien, je sentais juste cette main inerte, et un tourbillon de lumière et de chaleur qui se refermait toujours plus autour de moi.

Des bras m'attrapèrent sous les aisselles, me tirèrent du sol, m'arrachant à la main. Un cri voulu sortir de ma poitrine, mais seulement un sanglot s'en échappa.

Une seconde après j'étais dans la neige, et la nuit, et le froid, qui mordit ma chair brûlée plus violemment que les flammes, j'aurais voulu arracher chaque centimètres de mon épiderme martyrisé. Je me suis débattue avec toute la force qu'il me restait, j'ai tenté d'hurler, mais je ne pouvais rien faire, je ne pouvais rien faire.

Pourquoi, pourquoi, pourquoi moi, pourquoi encore moi ?

Mes ongles griffèrent ma peau et en décollèrent des bouts entiers, avant que deux grandes mains ferment ne les bloquent contre lui comme une camisole. Des voix que je n'arrivaient même plus à reconnaître se mélangèrent :

- Lyslas calme-toi !

- Lyslas arrête !

- Qu'est-ce qu'il lui arrive ?

- Lyslas !

Et mon nom encore et encore. Et puis soudain :

- Où est Léo ?

cette fois je reconnu sans mal Remington. Sa voix était déformée par la panique.

- Où est Léo ? Nikolaï où est Léo ?

Avant qu'il ne lui réponde, j'ai senti une paire de main, celle de Remington, s'emparer de mes épaules comme des serres et me demander d'un ton pressant, désespéré :

- Lyslas où est Léo ?

J'ai distingué des yeux vairons rendus fiévreux de peur. Nikolaï le sépara de moi l'instant d'après. D'autre lui demandèrent de se calmer, ce qui ne fit que lui faire perdre plus de son calme. Nikolaï me lâcha soudain, sa silhouette qui me protégeait de la lumière disparut, me laissant aveuglée une fois de plus.

Une mèche de cheveux tomba sur mon visage, et quelqu'un me chuchota avec empressement :

- Ça va aller, ça va aller, ça va aller.

- ...Cassiopée.

- Oui, oui c'est moi, Lyslas, ça va aller, tu es sortie, ça va aller.

Tu es sortie. Non. On m'a sortie. Un autre cri éclata derrière elle :

- Attend Remington non !

- Laissez-moi ! LAISSEZ-MOI !

Puis encore plus de cris et de protestations.

- LÂCHE MOI NIKOLAÏ !

- Remington arrête ! C'est trop tard ! C'est finis !

Les craquements s'enchainaient, le chalet s'effondrait sous l'assaut les flammes.

- LÂCHEZ-MOI !

Cassiopée chuchota dans une litanie : "ça va aller, ça va aller, ça va aller", mais c'était plus se rassurer elle-même que pour moi.

Les cris en arrière-plan se calmèrent. Nikolaï revint vers nous, bouchant encore la lumière.

- Est-ce qu'elle se griffe encore ?

- Non elle ne bouge plus... Pourquoi elle ne bouge plus ?

- Est-ce qu'elle a dit quelque chose ?

- Mon nom, depuis elle ne bouge plus...

Un silence d'une seconde suivie avant la prochaine question, contenue en un seul mot murmuré avec horreur :

- ...Léo ?

Je n'entendit aucune réponse. La main de Cassiopée vint chasser une mèche de cheveux fumante de mon front, mais sa peau frôlant la mienne me tortura.

J'ai compris dans ma confusion que Léo n'était pas sortie du chalet. Qu'il en sortirait jamais. J'ai ouvert grand la bouche, sans que rien n'en sorte. J'agonisais.

Mes pensées d'il y a un instant me revinrent toutes d'un coup. Pourquoi Cassiopée n'avait pas été à mes côtés ? Pourquoi était-elle là, en un seul morceau, sans aucune brûlure, alors que Léo avait payé ma faiblesse au prix de sa vie ?

Quand elle voulu me promettre ça irait, que tout se passerait bien, comme elle le faisait à chaque fois que quelque chose n'allait pas et que les choses ne passaient pas bien, j'ai roulé hors de ses bras, le plus loin possible d'elle. Je ne pouvais pas faire mine que tout irait bien, je ne pouvais pas ignorer la situation, je ne pouvais pas tout enfermer sous quelques sourires et mettre le chagrin très loin au fond de mon crâne et ne jamais repenser aux morts.

J'ai trouvé un autre bras, que j'ai agrippé comme un bouée dans l'ouragan.

- Lyslas ? Qu'est-ce qu'il lui arrive !

- Je ne sais pas...Je ne sais pas...

C'était le bras de Nikolaï. J'ai enfoncé mes doigts dans celui-ci, je me suis appuyée dans sa direction jusqu'à trouver un bout de ventre. Je voulais y disparaître. Je voulais disparaître.

Et j'ai perdu connaissance.

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top