Chapitre 6 (3)
Un petit morceau de glace traversa l'air, projeté par un pied renfrogné, et s'écrasa dans la neige épaisse à l'extérieur de notre zone de passage sans un bruit. Cassiopée n'avait visiblement pas bien dormi la nuit dernière, et malgré ses tentatives de le cacher je le voyais comme le nez au milieu de la figure. Son front délicat était froissé par les pensées désagréables, il y avait une lueur trouble dans ses yeux couleurs forêt.
Je lui avait déjà demandé plusieurs fois si elle allait bien, mais chaque fois que je posais la question, elle forçait un sourire innocent sur son visage et m'assurait que oui. Je ne l'a croyais bien évidemment pas mais elle ne semblait pas vouloir m'en parler.
Elle avait plus qu'assez de raisons pour cauchemarder, comme moi qui pouvait difficilement fermer les yeux sans être réveillée en sursaut quelques heures plus tard, mais c'était bien plus marquée que jusqu'ici depuis quelque temps.
Nous revenions depuis le chalet de restauration, et en faisant le tour de la station pour retourner dans mon chalet, j'ai posé mes yeux sur une bâtisse reconnaissable, et une idée me traversa l'esprit.
J'ai dans le même mouvement dit à Cassiopée :
- Je commence à manquer de vêtements, tu veux bien m'accompagner ?
C'était faux, j'avais largement assez de vêtements, enfin surtout dans la mesure où je n'y accordais qu'une si faible importance que je pouvais garder les mêmes pendant des années, mais je savais comme Cassiopée aimait la mode. Elle m'avait expliqué son engouement : les couleurs, les tissus, les formes, la façon dont cela changeait complètement ce qui se dégage de quelqu'un, la transformation possible, le choix d'être qui on veut pour un moment.
J'ai vu un éclat d'intérêt dans ses yeux. J'avais touché juste.
Je lui ai donné un petit coup de coude complice en lui glissant comme une confidence :
- Je te laisserais me choisir des tenues.
Elle sourit, sincèrement cette fois :
- Et tu les porteras vraiment ?
J'ai mis une main sur le coeur, l'air faussement affectée :
- Depuis quand est-ce que je ne fais pas confiance à ton sens de la mode ?
Elle rit et me poussa :
- J'ai du te forcer à mettre ce que je t'ai choisis la dernière fois !
- Et quelle résistance acharnée je t'ai opposé !
j'ai dit, mon ton dégoulinant d'ironie.
- Tu n'as cédé que parce qu'on allait être en retard au dîner.
- Si je te donne ce que tu veux sans un peu de résistance tu vas te lasser de moi !
Elle rit encore et me pris automatiquement la main, comme elle le faisait souvent maintenant.
- Comment est-ce que je pourrais me lasser de toi, idiote.
J'ai senti un nœud se former dans mon estomac. Je ne sais si c'était une immense gratitude ou l'angoisse et la honte que je sentais monter. Peu importe combien de fois elle me le disait, c'était comme si je ne pouvais jamais m'en débarrasser. Je savais que je ne lui poserais problème, que je lui ferais du mal, qu'elle serait mieux sans moi.
Sentant peut-être mes pensées sombres, elle serra plus fort ma main, et m'entraîna vers le chalet. Je n'y étais revenu qu'une demi-douzaine de fois, toujours avec Cassiopée, et presque toujours de son initiative.
Le chalet était beaucoup plus coloré que les autres, tapissé de lignes entières de vêtements pendant à des cintres. Il n'y avait pas un coin qui ne présente pas des pulls, des pantalons, des robes, des chaussures, etc
Même si je ne m'étais jamais particulièrement sentie à l'aise dans ce genre d'endroit, je me suis sentie légèrement apaisée.
Cassiopée s'élança directement entre les allée, parcourant les tenues, cherchant les nouveautés. Sans qu'on sache trop comment, chaque fois que le garde-manger était renouvelé, les autres infrastructures aussi. Les robots faisaient tout, généralement quand on dormait. Mais même moi qui les avaient surpris quelques fois, je ne savais pas d'où ils tiraient leurs ressources. Il semblait parfois venir directement du bas de la montagne. Un endroit inaccessible pour nous.
Je fus tirée de mes pensées par Cassiopée qui commençait à me montrer différentes tenues. Je tentais de lui donner une opinion un peu travaillée mais en toute honnêteté je n'avais aucune idée de quelle couleur lui allait le mieux.
Soudain, elle avança le bras pour mettre la robe contre moi, et pris une expression réflexive. Ah oui, j'avais accepté de porter ce qu'elle voulait. J'ai retenu un soupir, me forçant à rester ouverte d'esprit.
Au moins ça ne serait jamais pire que la tenue que monokuma m'avait forcé à porter pour la fête.
Le souvenir d'Anoushka vint me frapper au ventre par surprise. Cassiopée s'exclama d'un coup me coupant dans ma pensée :
- Non, cette robe ne t'irait pas, la coupe ne te met pas du tout en valeur ! Mais je sais à qui elle irait parfaitement...
J'ai froncé les sourcils, ma façon de lui faire comprendre que je ne comprenais pas. Elle me fit un clin d'œil, passa la robe sur son avant bras, et continua comme si de rien n'était.
Elle se choisit deux ou trois trucs, qui de toute manière je le savais lui irait parfaitement. Puis elle me lança une chemise et un veston.
- C'est pas pour les hommes ça ? Enfin je veux dire, pas que ça soit réservé aux hommes, mais au niveau de la "coupe" tout ça...
- Non c'est spécifiquement désigné pour les gens afab, ça t'ira très bien, fais-moi confiance.
J'ai haussé une épaules. Au moins ça couvrait bien, et je pouvais porter un pantalon avec, ça m'allait. Elle avait probablement choisi ça pour m'épargner un peu. Avec elle, mes humeurs débordaient sans que je les cache ou les retienne.
Elle était en train de caresser le tissu d'une longue jupe en velour, quand elle me confia soudainement :
- Je ne peux pas en parler, mais ce que m'a montré Monokuma, l'autre jour...
Je me suis crispée au souvenir de la tombe de mon père. J'avais l'impression de porter tant de chagrin en moi que son deuil s'était fait de façon presque automatique pour moi.
Une mort de plus. Un regret à ajouter à la collection. Un paquet de souvenirs à enfouir avec les autres.
Un peu de honte à cette idée me traversa, mais c'était anodin dans mon quotidien de culpabilité.
Cassiopée continua, la voix un peu fébrile :
- Si je ne sors pas d'ici...
Je l'ai interrompu en la serrant contre moi.
- On sortira d'ici.
Elle se laissa aller, et repris différemment :
- Si on sort d'ici...Tu resteras avec moi, hein ?
Évidemment.
Elle répéta en chuchotant "évidemment". C'était comme si elle ne croyait pas vraiment.
- ... Tu resteras avec moi longtemps ?
- Bien sûr.
- Longtemps comment ?
C'était la première fois qu'elle demandait ce genre de chose, alors j'ai répondu sans être certaine que c'était ce qu'elle voulait comme réponse :
- Autant que tu le voudras.
- Quand je serais vieille ? ...Quand je serais fatiguée et laide ?
Ah, c'était donc à ce propos. J'ai pris ses épaules pour l'éloigner un peu, et la regarder dans les yeux.
- Tu penses que je ne m'intéresse qu'à ton physique ?
J'ai inclina un peu la tête vers son épaule gauche, détournant le regard, comme une aveu, tout en protestant faiblement :
- Non mais...
- Il y a bien plus que ton visage, c'est possible d'aimer quelqu'un pour autre chose que son apparence Cassiopée. Regarde moi, je suis déjà fatiguée et laide, et alors ? Il y a des gens qui m'apprécient ici.
Elle rougit. J'ai compris une seconde plus tard que j'avais indirectement dit que je l'aimais et ce fut à moi de rougir. Mais elle ne s'attarda sur ce morceau de ma phrase pour rétorquer d'une voix faible et hésitante :
- C'est plus facile à dire quand "être belle" n'est pas ta qualité tout en haut sur la liste, devant toutes les autres. Toi tes qualités sont plus grandes que ta beauté, moi, toutes les qualités que j'ai sont pâle en comparaison de mon physique. On t'aime peu importe à quoi tu ressembles parce que tu as tout le reste de tes qualités derrière, moi mes qualités sont cachées et atténuées par le vernis par dessus, les gens voient ça, bien avant tout le reste, et ils n'ont plus l'attention pour me connaître plus que ça. Si nous n'étions pas coincées ici, tu n'auras jamais pensée à moi comme autre chose que "celle qui est super jolie".
Ça n'était même pas une exagération de sa part. Peu importe à quel point elle était gentille, courageuse, patiente, généreuse, attentionnée, sa beauté marquait en premier, comme un coup de poids immédiat, à couper le souffle. Il fallait passer du temps avec elle pour voir le reste. J'ai maladroitement tenter de la rassurer :
- Et bien... moi j'ai appris à te connaître plus, maintenant je vois tes qualités derrière.
Elle sourit d'un air un peu triste :
- Désolée de t'avoir embêté avec ça, je te fais confiance.
Je me suis demandée ce qu'elle avait pu voir pour avoir peur de ça, soudainement. Nous n'avions quasiment plus parler de ça depuis.... depuis notre première conversation à vrai dire.
Soudain elle retrouva un peu de son enthousiasme et s'exclama :
- Et si on apportait cette robe au supermodèle ?
Elle agita la robe fourreau décolletée rouge carmin.
- Si tu essaies de faire porter ça à Violaine, on aura le coupable du prochain procès plus facilement que prévu. La scène de meurtre risque d'être publique et sanglante.
Heureusement, Cassiopée éclata de rire malgré ma blague douteuse.
- Non je ne suis pas suicidaire. On a prendre une victime plus docile.
Sans poser plus de question, je l'ai suivis, et j'ai assez vite compris vers où elle nous amenait. Le chalet de Remington.
J'ai haussé un sourcil, un peu perplexe sur le choix du modèle. Cassiopée rangea la robe dans son sac pour dissimuler le piège. Puis elle toqua à la porte.
Les yeux bicolores de Remington émergèrent de derrière la porte. L'air un peu fatiguée, comme s'il venait de se réveiller, alors que nous étions en début d'après-midi.
Pas de commentaire sur ce qui avait pu l'épuiser autant la veille, et après quelques courtoisies échangées, il nous fit entrer, en profitant pour ouvrir ses volets et se servir un thé.
Et puis Cassiopée commença
- Je voulais savoir si on pouvait tester quelques trucs sur toi. C'est pour convaincre Lyslas. Elle a besoin de le voir pour l'accepter.
Il ne parut pas comprendre, et s'assit à côté de nous en répondant :
- Bien sûr, de quoi est-ce qu'il s'agit ?
Une fois la confirmation bien entendue, Cassiopée, un grand sourire satisfait au visage, révéla le piège en sortant la robe et une palette de maquillage. Elle sortit aussi une paire de chaussures à talons que je n'avais même pas remarqué au début.
- Tu es la personne la plus proche en termes de taille de Lyslas ici. Tu veux bien enfiler ça ?
Elle avait annoncé ça sur le ton le plus innocent du monde. Je n'ai pas pu retenir un sourire.
Remington fixa 2 secondes la robe en silence, puis à notre grande joie, se laissa prendre au jeu sans rouspéter. Il répliqua, avec un grand sourire.
- Mais bien sûr, pas de soucis, tout pour ces demoiselles.
Il s'éloigna quelques minutes et revint habillé comme une femme fatale. Avec ses cheveux qui avaient bien poussé depuis notre arrivée et lui arrivaient en dessous ses épaules, et ses traits assez fins, il n'y avait que sa silhouette qui trahissait quoi que ce soit de masculins chez lui.
Il s'approcha, très à l'aise pour quelqu'un en talons aiguilles, et s'assit également à côté de nous, reprenant sa tasse de thé et croisant les jambes dans le même mouvement.
- Autre chose ?
Il repoussa derrière son épaule une grosse mèche de cheveux. Cassiopée commença à mettre en place son matériel de maquillage :
- Je peux ?
Il hocha de la tête, et elle s'approcha, commençant à appliquer les poudres colorées. Je l'ai regardé en silence, c'était apaisant de la voir concentrée sur quelque chose qu'elle aimait autant.
Quand elle eu fini, Remington avait un eyeshadow rouge, rouge et ocre, et un rouge à lèvre carmin. Elle s'attaqua alors à ses cheveux. Sans les attacher, elle parvint à leur donner une forme plus sophistiquée.
Il se regarda dans le miroir en rigolant, mais j'ai bien remarqué qu'il semblait tout de même impressionnée. Ça lui allait relativement bien.
Cassiopée ne lui laissa pas le temps de répondre un blague :
- Et si on allait rendre visite à Léo ?
Remington se retourna d'un air paniqué, ses joues s'accordant à son maquillage :
- Certainement pas !
- Quoi tu as honte ? Tu trouves qu'être habillé en femme c'est embarrassant ?
- Non ! Mais c'est juste que...enfin voilà
- Oui bon tu n'as pas d'argument quoi, allons-y !
Elle me jeta un regard complice, et un éclat de rire m'échappa, comment avoir l'air d'un ange et d'un diable en même temps en 1 étape : être Cassiopée.
Elle ouvrit grand la porte et je sortis en première.
Remington, l'air d'avoir eu une illumination rétorqua :
- Je ne peux pas sortir dans cette tenue, je vais attraper froid !
Cassiopée attrapa son manteau de fourrure blanche qu'elle avait posé sur le porte-manteau et lui posa sur les épaules.
- Ça devrait aller pour 3 minutes de marche. En plus, les chemins sont bien nettoyés aujourd'hui.
Un dernier moment d'hésitation, puis le rouge aux joues et un sourire à peine dissimulé aux lèvres, il soupira et sortit lui aussi. C'était une vision assez singulière, moi, habillé comme mon habituel sac à patate, Cassiopée dans un outfit crème et turquoise, et Remington dans son ensemble rouge sang et provocateur.
Sur le chemin, j'ai aperçu une tête un peu éberlué de Nikolaï au loin qui retournait à son chalet avec du bois dans un sac, à qui je fis un signe de tête sans pouvoir retenir un grand sourire amusé.
Cette situation était vraiment n'importe quoi, mais cela me divertissait un peu du reste.
Notre étrange procession est très vite arrivée au chalet de Léo. Ce dernier nous ouvrit, une tasse de café à la main. Derrière lui, on pouvait voir sa table basse recouverte de cartes et de livres ouverts.
Il regarda d'abord Cassiopée, puis leva un peu les yeux et tomba sur la vision de Remington. Il cracha d'un coup sa gorgée de café en aspergeant un peu l'ultime coiffeuse au passage, puis se mis à tousser à grand renfort. Son visage rougit immédiatement pour rejoindre la couleur de celui de Remington.
Cassiopée et moi on a simplement rit, un rire léger et légèrement moqueur mais sans méchanceté. C'était plutôt mignon à voir, et ça ne blessait personne. Remington se justifia l'air embarrassé, mais content de sa réaction :
- Elles m'ont piégé !
Léo bredouilla quelque chose d'incompréhensible pour seule réponse, et comme il remarqua que le serrurier grelottait de froid, il se poussa pour nous inviter à entrer.
S'en suivit une séance de discussion un peu lunaire, où Léo pour cacher l'effet de son "ami" sur lui, se lança dans une explication de ce sur quoi il travaillait. C'était plutôt intéressant au point qu'à un moment j'oubliai complètement la situation. Je me surpris à poser des questions et demander des approfondissements. Au final, ce qui était au début une blague finit par une leçon de Léo à moi. Remington et Cassiopée ne semblaient écouter que distraitement.
Quand nous avons quitter le chalet, elle et moi (sans les deux tourtereaux, ils avaient surement des choses à se dire), elle attrapa mon bras, se pencha vers moi et me sourit :
- Tu sembles toujours passionnée par tout. C'est beau à voir.
Je n'ai rien trouvé à répondre à cela, mais malgré le froid dans mes doigts j'ai sentis mon coeur se réchauffer, juste un peu.
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