Chapitre 6 (2)
- Oh non pas de l'horreur
- Pourquoi pas ? C'est un classique "Massacre à la tronçonneuse".
- On vit déjà dans un film d'horreur pourquoi tu veux en rajouter une couche ?
J'étais affalée dans un pouf, enroulée dans un couverture avec Cassiopée, ma jambe toujours souffrante posée sur une table basse, à observer Royale en train de défendre sa proposition de film gore, pendant qu'un Léo indigné agitait avec ferveur "Les chroniques de Bridget Jones".
- Léo n'a pas tort, on devrait en profiter pour regarder quelque chose de léger.
Royale haussa les épaules.
- Soit.
Violaine proposa :
- Et pourquoi pas un peu de fantasy ? "Le seigneur des anneaux" ?
Nikolaï leva la main. On s'est tourné vers lui et il explicita :
- Je vote pour "le seigneur des anneaux".
Royale proposa :
- "Le silence des agneaux" ?
- NON.
On avait tous répondu ensemble.
- Okay, okay...
- On a aussi "pirate des caraïbes" ?
Cassiopée venait de le proposer. Cette fois c'est Remington qui a levé la main pour voter.
- Bon personne n'est d'accord alors...
Les visages se tournèrent vers moi. J'ai poussé un long soupir. Vraiment ? À moi de choisir ? Je ne voulais pas décevoir qui que ce soit. Soit je favorise un groupe, soit je choisis encore autre chose au risque que personne ne soit content. J'ai attrapé la pile restante et j'ai regardé les titres. Puis j'ai finit par annoncer :
- "Kung fu panda" ce sera.
Aucune grosse protestation. Il fut donc conclu qu'on regarderait les kung fu panda.
on avait tiré le plus grand draps qu'on ait trouvé sur un mur du fond, après avoir bougé une étagère et enlevé 3 cadres. Puis on avait installé toute sorte de fauteuils, canapés et coussins autour. Tout le monde avait accepté, même Royale qu'il avait fallu que je traque après le dîner.
J'étais collé à Cassiopée dans le même pouffe avec un plaid partagé, sans trop de gêne puisque de toute façon ça faisait des semaines qu'on se lâchait pas d'une semelle.
La nouveauté était la façon dont Remington et Léo s'affichait la main de l'un dans l'autre, et une jambe passé sur celle de son voisin.
Royale était assise sur son fauteuil comme sur un trône, en costard impeccable et maquillé comme toujours. S'il n'y avait eu que moi, peut-être se serait-elle détendu un peu, mis un peu plus à l'aise, peut-être enlevé sa veste à paillette ou détaché sa queue de cheval serrée. Mais impossible pour elle de poser le masque avec autant de gens à qui elle n'accordait sa confiance.
Je ne la voyais pas très souvent ces derniers temps. Elle paraissait profondément plongée dans ses recherches, et je ne pouvais pas m'empêcher de ressentir un brin d'inquiétude en voyant ses joues un peu creusées et son teint pâle. Bien qu'elle ne fasse comme si de rien n'était, elle encaissait encore la fatigue de sa "résurrection".
Nikolaï s'était installé un peu à ma droite, et Violaine s'était installée à même le sol, généreusement accompagnée de coussins et oreillers (et de pop corn poisseux).
Je ne regardais que distraitement le film trop préoccupée par mes pensées.
Pour une fois nous étions tous réunis, et pourtant chacun de notre côté, sans se parler.
Je repensais aux mots de Violaine "à quoi bon". La formule me hantait. Quand on commençait à accepter cette idée, s'en suivait une sorte de cercle vicieux. À quoi se faire des amis, à quoi bon prendre soin de sa santé, à quoi bon essayer de rester positif, en prolongeant sa logique, à bon juste survivre ?
Cassiopée prit soudain ma main en riant devant un moment du film, elle tourna en même temps la tête vers moi. J'ai souris, à la fois par réflexe et parce qu'il n'y avait pas moyen de s'en empêcher devant un sourire comme le sien.
J'ai laissé tomber ma tête sur son épaule, et j'ai tenté de chasser les mauvaises pensées.
À quoi bon gâcher ses derniers moments avec du pessimisme ?
On est passé au deuxième film. Il fallut faire taire un peu Violaine qui avait du mal à garder sa langue dans sa poche et qui voulait commenter chaque scène, et faire une pause toilette avant le dernier film.
Il était déjà vraiment tard, et presque tout le monde s'était endormi avant la fin de la saga.
La plupart était restée sur place. Léo et Remington endormis sur le canapé, Cassiopée à côté de moi, même Royale n'avait pas résisté. Je pense très sincèrement que de sa part, c'était le signe d'un épuisement avancé, car jamais sinon elle ne se serait endormie de façon aussi vulnérable.
Au final il ne restait d'éveillé que Violaine, Nikolaï et moi.
Quand les crédits défilèrent, on s'est regardé les uns les autres, l'air de se demander ce qu'on devait faire maintenant, ne pouvant pas parler à voix haute au risque de réveiller les autres.
J'ai retiré un bras de sous ma couette pour leur faire signe de laisser les autres dormir.
Violaine tenta de nous faire comprendre quelque chose - sans succès parce que ses mouvements étaient franchement inefficaces - et finit par chuchoter :
- Je vais dormir ici aussi, avec tout le monde. Bonne nuit !
J'ai hoché la tête. Franchement pas envie de retourner seule dans mon chalet, et pas question de déplacer Cassiopée de toute façon. Je pensais que Violaine prendrait au moins la peine de se relever pour migrer dans un canapé, mais elle se rallongea sur le sol directement.
Je serais bien restée telle que j'étais, mais malheureusement mon bras commençait à me tirer, et la position de ma jambe bloquée commençait à tirer sur mon genoux.
Petit à petit, je me suis décalée pour sortir sans réveiller Cassiopée. J'ai réussi à sortir du pouf sans réveiller l'endormie à grand mal et je suis allée rejoindre Nikolaï sur le canapé.
Il me chuchota :
- Je peux te laisser le canapé.
- Non ça va merci. Je vais prendre un fauteuil plus loin.
J'allais me lever pour faire ce que je venais de dire, mais il posa une main sur mon avant-bras pour m'empêcher de bouger, ce qui vu mon état était assez, puis il se leva.
- Non tu dors mal, je vais chercher le fauteuil.
Visiblement tout le monde était au courant de mes insomnies. S'ils ne m'avaient pas croisé à l'aube en train de errer dans la station, mes cernes le leur disaient déjà assez. J'ai songé à insister, mais j'étais trop las pour le faire. Il s'est éloigné et je me suis allongée (avec la grâce d'une baleine sautant au dessus de l'eau) sur le canapé.
J'ai fixé la quasi obscurité à laquelle mes yeux s'étaient habitués, et les quelques silhouettes endormies autour de moi. Il en manquait déjà tellement. Je me suis demandée qui serait le prochain. Lequel quitterait le tableau en premier. Peut-être moi.
Un mouvement dans mon champ de vision me fis tourner la tête vers Nikolaï qui était revenu, le fauteuil entre ses bras comme s'il ne pesait rien. En y pensant j'aurais probablement peiné à traîner le fauteuil par terre si j'avais voulu le ramener...
Il l'installa juste un peu à droite du fauteuil, le côté où j'avais posé ma tête sur un coussin contre l'accoudoir.
Je savais déjà que je serais la dernière éveillée ici. Violaine s'était endormie en 2 minutes top-chrono, comme il était facile de le deviner à sa respiration ample ou la décontraction de ses épaules. Nikolaï n'avait pas l'air d'avoir le moindre soucis à s'endormir, d'ici 1h maximum il serait lui aussi au pays des rêves, ou des cauchemars, qui sait.
Moi, avec un peu de chance, dans 3 ou 4 heures je parviendrais à faire une sieste. J'ai entendu Nikolaï s'installer, pendant que je fixais le plafond, et les énormes poutres soutenant la structure au-dessus de nos têtes. Que se passerait-il si tout s'effondrait ?
Une impression étrange me tira de mes contemplations. J'étais observée. J'ai renversé encore un peu la tête vers l'arrière en direction de Nikolaï. En effet, il me regardait. En remarquant que je l'avais surpris, il demanda :
- À quoi est-ce que tu penses tout le temps ?
J'ai haussé les sourcils. Il enchaîna sans me laisser le temps de répondre :
- Je sais que tu as tout le temps la tête remplie de pensées à chaque instant. Ça se voit.
j'ai poussé un soupir. Ma tête pleine de pensées... à quoi est-ce que je pensais tout le temps ?
- Je me demande ce que les autres pensent.... Je m'interroge sur ce que j'ai fais, ce que je fais et ce que je dois faire.... Je me dis "pourquoi" à chaque décision que je prends, ou que les autres prennent... C'est à peu près ça...
- Ça à l'air fatiguant.
J'ai relevé le menton pour le regarder. La tête à l'envers il n'avait plus autant l'air d'un géant.
- Et toi, tu ne penses pas à toutes ces choses ? À quoi tu penses alors.
Il resta silencieux un petit moment, je l'ai entendu changer de position sur le fauteuil, avant qu'il ne réponde. Sa voix, même murmurée, était un grondement grave, une vibration solide et assurée comme un arbre aux racines profondes.
- Je pense à quel point certaines choses sont belles, et tristes. Et je me demande ce qui pourrait aider ces choses. Je ne pense pas tant que ça. Je ne suis pas très intelligent.
- C'est faux, tu as beaucoup de... de subtilité.
J'ai senti qu'il n'avait pas vraiment compris. Ou bien n'était pas convaincu par le compliment.
- Les idiots sont toujours sûrs d'eux, ils pensent qu'ils ont raison et qu'ils sont très intelligents. Ils n'ont aucune subtilité. Peu importe à quel point ils ont tort. Et ils n'apprennent rien.
Il ne répondit pas, l'air de réfléchir à mes paroles. Le silence de la pièce était à peine rompu par les quelques ronflements de certains de nos camarades endormis (je ne dénoncerais personne).
- On a pas tant parlé que ça hein Nikolaï ?
- Je ne suis pas très doué pour parler aux gens.
- Arrête de te décrire avec ce que tu n'es pas.
Il remua encore sur son fauteuil, peut-être un peu poussé hors de sa zone de confort par notre conversation;
- Tu trouves qu'on a pas assez parlé ?
J'ai haussé les épaules. Est-ce que bien le cas ? Je n'avais pas l'impression d'avoir besoin de parler avec Nikolaï. On se contentait de se croiser de temps en temps, de s'échanger un regard de temps en temps. Inexplicablement, c'était comme si j'avais immédiatement établit une forme de complicité entre lui et moi.
- Non, c'est reposant. Avec toi je n'ai pas besoin de penser à tout ce que je fais et dis.
J'ai presque entendu son sourire.
- Alors c'est parfait.
- Est-ce que tu te sens seul parfois ? Je veux dire... ici, avec les autres ?
Il pris le temps de peser ses mots. et puis il expliqua doucement :
- Non. Je ne me sens pas seul. Même quand je suis seul, je ne me sens jamais seul. Je ne souffre pas de la solitude. Mais je n'aime pas voir les autres en souffrir autour de moi. Et toi Lyslas, tu as beau être entourée par tout le monde, tu as toujours l'air de te sentir seul. Comme si une partie de toi n'était jamais là avec nous. Tu as l'air enfermée dans ta tête et tu regardes le monde à travers la fenêtre de tes yeux.
C'était rare que Nikolaï parle aussi longtemps d'un coup. C'était rare qu'il utilisent des images comme ça aussi. Et pour dire quoi ?
Le genre de vérité qu'on connait mais qu'on ignore volontairement.
- Je ne me souviens plus de la dernière fois où je ne me suis pas sentie seule. C'est devenu tellement normal... Ça ruine toute mes relations avec les autres. Je préfère me dire que je me sens comme ça parce qu'il n'y a personne autour plutôt que de regarder Cassiopée dans les yeux et me demander ce qui ne tourne pas rond chez moi pour que d'une manière où d'une autre je me sente encore seule quand elle me tient la main.
Il ne me répondit pas. Il savait probablement que moi et les mots de réconfort, ça ne collait pas. J'en avait tellement entendu, encore et encore et encore, après l'accident, maintenant ils sonnent tous creux.
Un mouvement dans le coin de mon champ de vision me fit tourner la tête. Et puis une main rugueuse et chaud se posa sur ma main, que j'avais replié contre moi.
Dans un élan, j'ai attrapé sa main et j'ai appuyé ma joue contre elle. Elle couvrait tout le côté droit de mon visage. J'avais besoin de me sentir protégée à cet instant. L'angoisse et la peur avec laquelle je vivais... J'avais beau faire comme si ça allait, elle ne me quittait jamais vraiment.
On est resté en silence comme ça, jusqu'à ce que, à ma grande surprise, je m'endorme en première.
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