Chapitre 6

Pas un seul des jours qui suivit je ne pus dormir convenablement.

Cauchemar après cauchemar, je me réveillais en sursaut, en sueur et suppliante, toutes les deux heures. Je me couchais avec la boule au ventre, et passais mes journées à somnoler à cause de la fatigue accumulée.

Après presque 2 semaines à ce rythme, me plongeant dans un état de zombification de plus en plus avancé, je me suis laissée convaincre par Cassiopée de prendre quelques somnifères légers.

J'aurais voulu pouvoir éviter, ayant un très mauvais passif avec ces pilules, mais je n'avais plus le choix.

Après ça, petit à petit, je suis allée un peu mieux (bien que toujours dans un état de fatigue prolongé), mais parfois un cauchemar plus violent que les autres, me réveillait brutalement.

Quand cela arrivait, j'ouvrais les yeux dans la quasi-obscurité, déboussolée. Les draps dans mon dos trempés par ma sueur, me collant à la peau, je n'entendais plus que mon coeur battant le rythme trop vite à mes oreilles. Quand, après une minute ou deux à serrer et dé-serrer les poings en me forçant à calmer mes tremblements pour prendre des grandes respirations, je pouvais enfin me concentrer sur mon entourage, je vérifiais alors que je n'avais pas réveillé Cassiopée qui dormait la plupart du temps paisiblement à ma droite. Je pouvais ensuite m'asseoir, relever mes cheveux et laisser l'air froid aérer mon dos poisseux, et essuyer ma nuque et mon front.

Mes paupières étaient lourdes, j'avais l'impression que la peau de mon visage me tirait, et se creusait sous mes yeux. Je me concentrais sur la respiration de Cassiopée pour chasser les images loin de moi.

Parfois je restais comme ça une heure ou deux heure entière avant de réussir à retrouver un semblant de sommeil. Parfois je n'y arrivais pas du tout et je devais me lever, ou aller dans mon atelier pour me changer les idées.

Un soir comme celui-là, après avoir tourné en rond quelques heures dans l'appartement désert et silencieux, comme un lion en cage, j'ai décidé de prendre mon manteau et sortir.

Le froid me découragea un moment, et j'ai refermé la porte avant de m'asseoir sur le palier. Mais l'ennui et la solitude étaient trop forts, et j'ai rouvert la porte pour sortir vers le chalet de SPA.

Heureusement, les lampadaires restaient allumés toute la nuit, alors il ne fut pas trop difficile de traverser les quelques dizaines de mètres jusqu'au bâtiment.

L'odeur d'huile essentielle d'eucalyptus m'envahit aussitôt alors que je poussai les battants. Un léger réconfort me traversa.

L'humidité de l'air, son silence qui semblait (pour une fois), à sa place, pas comme dans mon appartement, où dans les cuisines, me paraissait un refuge.

Je me suis glissée dans une tenue plus appropriée à la baignade et je me suis dirigée vers les bassins.

Au moment où je suis entrée, mon regard croisa celui d'une personne.

La chevelure qui avait un peu perdu de son bleu originel, mais toujours reconnaissable, de Violaine dépassait d'un bain fumant. Elle réagit simplement :

- Oh.

J'ai répondu avec un maigre sourire.

- Violaine.

- Lyslas.

- Un petit bain de minuit ?

- Il est déjà 5 heures du matin.

Je me suis souvenue un moment de l'animosité et du stress de notre dernière rencontre dans la même pièce, de ma chute ridicule, et puis de ses confidences suivantes.

En m'approchant j'ai remarqué plusieurs bouteilles sur le bord du bassin. J'ai jeté un regard étonné à Violaine, je croyais qu'elle avait arrêté. Elle remarqua mon regard et se justifia embarrassé :

- Ça va, j'ai pas trop bu, je suis pas saoule.

Sur les 3 bouteilles présentes, une seule était vide, et Violaine n'était pas visiblement pompette, ni dans ses gestes ni dans ses mots.

- Il faudrait mieux s'en tenir là.

Dis-je en désignant les bouteilles. Elle répliqua :

- Hm sûrement.

Le silence retomba et je me suis contentée de m'enfoncer à mon tour dans le bassin.

La chaleur me détendit légèrement. Légèrement.

Violaine finit par rompre le silence.

- Dis Lyslas.

Sa voix était étranglée. J'ai tourné la tête vers elle. Elle continua :

- On se fait confiance maintenant non ?

Je l'ai dévisagé avec un peu d'étonnement. J'ai répondu :

- Oui... Je crois ?

- J'ai l'impression qu'on est tous seuls ici. On est pas un vrai groupe. Il n'y a que toi qui a un semblant de lien avec tout le monde.

J'avais du mal à comprendre, j'avais l'impression que tout le monde se parlait un peu au dîner... était-ce à ce point. Elle reprit :

- Au final, à chaque meurtre, on est prêt à s'accuser les uns les autres, on se fait pas confiance. Léo reste avec Remington, toi avec Cassiopée, Royale et Nikolaï ne parlent et font confiance qu'à toi... Moi aussi d'ailleurs, je ne parle et ne fait confiance qu'à toi ici...

Sa confiance me surprit, mais au fond, me toucha.

Toutefois sa réflexion cachait une idée beaucoup moins rassurante. Elle avait raison. Nous n'étions pas un vrai groupe. Il n'y avait aucun sentiment de soutien, de solidarité. À chaque mort, les plus attachés à la victime souffraient en silence, les autres étaient trop soulagés que ça ne soit pas eux pour vraiment pleurer.

La peur et le désir de survivre était plus fort qu'une quelconque camaraderie.

Évidement que ça ne s'arrêtait pas, quand il n'y a pas de vrais liens pour nous dissuader, ou nous faire tenir bon.

Violaine rit soudain, un rire amer et faible :

- Tu te rend compte que ça fait plus d'une demie-année qu'on est tous enfermés dans un complexe qui se traverse en 5 minutes à pied et que je n'ai aucune idée de si Nikolaï a des frères et soeurs, où est né Léo, ou quel est l'anniversaire de Cassiopée ?

Elle s'enfonça encore un peu dans son bain. J'ai hésité un moment sur quelle réponse lui donner, puis j'ai finit par lui répondre doucement :

- Nikolaï est enfant unique, mais il a 3 cousines et 2 cousins à qui il rend visite une fois par an. Il s'entend assez bien avec certains des villageois à qui il rend visite une fois par semaine, le samedi. Léo est née à Paris, sa mère visitait juste son frère mais elle a accouché un peu en avance, il a grandit à Lyon. Cassiopée est née le 29 septembre. On l'a fêté chez elle, juste nous deux, on avait essayé de faire des macarons, mais ça a échoué, alors j'ai fait des cookies.

Elle se tourna vers moi avec une expression que je n'étais pas certaine de comprendre. J'ai ajouté :

- Autre chose que tu voudrais savoir ?

Elle sembla partagée entre deux émotions. Un léger sourire sur les lèvres mais de la tristesse dans les yeux.

- À... à quoi bon ?

J'ai penché la tête avec curiosité, qu'entendait-elle par là ?

- On va probablement tous mourir ici. Il n'y aucune sortie, aucun secours ne viendra, et les règles ne changeront pas. Je ne veux tuer personne. Soit je serais assassinée, soit on échouera à l'un des prochains procès.

Elle s'enfonça un peu plus dans le bain bouillonnant.

- Je suis désolée, je suis trop négative.

Des larmes firent briller le bord de ses paupières. Plus le temps passait, plus je réalisais à quel point malgré ses airs, Violaine était l'une des plus sensible d'entre nous. Pas étonnant qu'elle se soit entichée de Mélanie et de son aura de calme et de confiance. Elle ajouta :

- Ils me manquent...

Je maudis encore mon incapacité à réconforter les gens. Je me suis rapprochée un peu, pour coller mon épaule contre la sienne dans une pauvre tentative de lien avant de lui dire :

- Moi aussi. Ils me manquent.

Violaine renifla et précisa la voix un peu nouée :

- Sauf Min-ho. Lui il peut rester mort. Et Mike aussi.

J'ai souri. La situation était glauque, mais je l'ai comprenais parfaitement.

- Ça aurait été mieux s'ils étaient tués entre eux. On aurait du essayer de les mettre en couple, comme ça Mike l'aurait tuer en criant au satanisme.

Violaine rit un peu. Puis elle se balança un peu pour pousser mon épaule dans un geste confidentiel :

- Eh, tu me promets qu'on se laisse pas tomber hein ? Même s'il reste que nous deux ?

Encore des sombres perspectives, mais quelque chose de rassurant là dedans.

- Promis.

Elle sourit de plus belle, retrouvant un peu de son masque assurée et rentre-dedans.

- Moi aussi je dors mal alors je viens ici... environ un matin sur trois. Si tu veux me rejoindre plus souvent, n'hésite pas.

On est resté quelques heures, jusqu'à ce que nous ayons les doigts complètement fripés. Puis j'ai rejoint mon chalet, où Cassiopée dormait encore. Je me suis glissée à côté d'elle et j'ai enfoncé mon visage dans la masse de ses cheveux étalés sur les draps.

Ce ne fut que pour quelques heures, mais cette fois-ci j'ai dormis sans cauchemars.

Mais une partie de mon esprit n'oublia pas ce que Violaine m'avait dit. Nous n'étions pas unis, nous n'étions pas un groupe d'amis. Que, pour une raison étrange, j'ai réussi à me lier aux autres, ne devrait pas me faire oublier la réalité des choses.

Quelques jours passèrent, pendant lesquels j'ai ressassé ces pensées en boucle.

Jusqu'à qu'un matin, Cassiopée déboule chez moi avec un grand sourire sur le visage.

- J'ai trouvé des DVDs !

J'ai haussé les sourcils prise de cours. Elle s'approcha sa pile de boite en plastique plate à la main.

- On pourrait en regarder avec les autres ! Il doit bien y avoir un vieux lecteur DVD quelque part, c'est pas si vieux quand même.

- S'il y en a un, c'est soit dans le chalet de spectacle, soit dans le chalet principal.

Elle ne se départit pas d'un brin de son enthousiasme et me tira vers l'extérieur.

- Allons vérifier maintenant !

Après une courte recherche, il s'avéra qu'il y avait bien un lecteur DVD et un vieux vidéo projecteur dans la salle de spectacle. Cassiopée était à genoux sur la scène, en train d'observer comme connecter les deux pour projeter les images sur un draps tirés au fond de la scène.

J'étais debout à côté d'elle.

Au fond, à moitié dans l'ombre d'une coulisse, l'œil rouge de Monokuma ne nous quittait pas. Il était immobile et silencieux, comme en veille... Mais pourtant c'était bien nous qu'il fixait. Bien que Cassiopée en fasse abstraction, moi je ne pouvais pas. Un vague malaise ne me quittait pas. Je sentais le regard scrutateur et insondable sur mon dos.

- Il nous vaudrait peut-être une télévision non ? Ou un ordinateur peut-être ? Je ne sais pas comment ça marche, j'avais un lecteur dvd mais je n'ai jamais utilisé de vidéo projecteur...

Je l'écoutais à peine, perdue dans mes pensées et dans la présence dérangeante de notre geôlier.

- Lyslas ?

- Pardon, tu disais ?

Je me suis penchée pour écouter ses questions. Je ne savais pas comment tout ça marchait moi non plus.

- On devrait demander à quelqu'un d'autre.

- Oui, certainement.

Cassiopée était déjà sur pied, prête à quitter la pièce avec ses chargements sous le bras. En sortant je lui ai chuchoté :

- Ça ne te dérange pas du tout ?

- De quoi ?

- La présence de Monokuma.

Elle baissa les yeux vers le sol, l'air hésitante. Puis elle répondit finalement :

- J'ai l'habitude de vivre surveillée. Avec le danger silencieusement dans un coin de la pièce. J'ai appris à faire abstraction. Ça fait partie du décor.

En comprenant ce à quoi elle faisait référence je n'ai pas insisté. Cette conversation n'aurait fait que retourner l'horreur comme de la vase au fond d'un point d'eau stagnante. Comme la vidéo que Monokuma n'avait fait que retourner mes souvenirs et les traumas avec.

- Bon on demande à qui ?

J'ai réfléchi, qui serait le plus à même d'y connaître quelque chose en informatique ?

- Peut-être Remington ? Ou Léo ?

- Bon direction chez Remington.

Une fois arrivée devant le chalet, on a frappé, et attendu. La porte pris du temps à s'ouvrir, et c'est le visage de Léo qui apparut. J'ai souris par réflexe. Évidemment. Il parut à peine embarrassé.

- Oui ? Qu'est-ce qu'il y a ?

Cassiopée tendit le projecteur devant elle.

- Vous savez vous servir de ça ?

Il se pencha un peu, attrapa l'appareil et nous informa :

- Hm je devrais trouver, pourquoi ?

Elle sortit les DVDs de sous son bras :

- On a trouvé des DVDs, on voulait faire un movie night, peut-être, si les gens le veulent.

Remington apparut alors derrière l'épaule de Léo, les cheveux un peu ébouriffés.

- Movie night ?

- Pourquoi pas ?

- Qui viendra ?

- Vous êtes les premiers qu'on met au courant.

Léo placé le projecteur sous son bras et nous fit savoir :

- Je vais savoir utiliser ça. Où vous vouliez l'organiser ?

- Soit le chalet de spectacle, soit le principal...

Remington fit remarquer :

- Il n'y a pas de mur assez grand pour projeter un film dans le chalet principal.

Je me suis crispée à l'idée de passer la soirée dans la même pièce que Monokuma. Mais Cassiopée répondue aussitôt :

- Il suffira de mettre un grand drap blanc, Monokuma est tout le temps dans le chalet de spectacle et je ne suis pas sûre qu'il accepterait de partir pour nous faire plaisir.

J'ai remercié intérieurement Cassiopée. Sur ce il fut conclut qu'on trouverait un moyen de le faire dans le chalet principal. Et que elle et moi étions chargée d'aller recruter les autres. Rendez-vous ce soir après le dîner.

En espérant qu'un nouveau rassemblement ne se déroulerait pas comme le dernier...


Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top