Chapitre 5 (8)
- Est-ce que tu veux encore du punch ?
J'ai décliné la proposition de Violaine, qui se servait son 3 verres. La « fête » avait commencé depuis 20min, mais il y avait encore des absents. Monokuma nous avait finalement annoncé que nous avions autant de temps que nous voulions pour arriver, chose qu'il ne nous avait pas dit à Cassiopée et moi pour une raison étrange, mais qu'apparemment il avait dit aux autres, et que ce qui comptait était la durée de notre présence à la fête, minimum 1h.
Une pauvre musique un peu démodée résonnait dans la pièce balayé par des lumières censée nous attirer sur la piste de dance.
Cassiopée se balançait au rythme de la musique sur sa chaise à côté de moi, peut-être dans une piètre tentative de simuler le début d'un enthousiasme pour la fête.
Il manquait tout de même Mizuki, bien sûr, mais aussi Nikolaï, Anoushka et Royale.
Seul Violaine, Remington et Léo étaient là avec moi. J'ai tourné mon regard vers ces deux derniers. Léo était habillé de façon très classique, mais propre, et bien rasé. Remington lui, était très différent de d'habitude, loin de ces tuniques et tee-shirt larges avec une tenue assez osé et complexe.
- Chips ?
Demanda encore Violaine. J'ai secoué la tête de gauche à droite, mais Cassiopée à ma gauche tendit la main :
- Oui s'il te plait !
Je m'étais rarement sentis aussi peu à ma place, et c'est dire me connaissant. Cassiopée Violaine et moi étions assise côte à côte sur des chaises en bordure de la piste de dance, à côté d'une table maigrement fournie en bols de chips et de punch.
En face, Léo et Remington, à côté d'une autre table du même genre, discutaient de près. Remington nous avait dit avoir pris une décision, mais sans préciser laquelle. À les voir, je crois avoir trouvé la réponse.
J'ai poussé un soupir, puis j'ai jeté un regard las vers l'horloge... encore 35 minutes à attendre avant de retourner chez moi, à vivre jour après jour dans l'espoir que quelque chose change, à ignorer que rien ne changeait, et que nous étions de moins en moins nombreux.
Soudain la porte s'ouvrit, faisant entrer un vent froid et la lumière faiblissante du dehors.
À mon grand soulagement, c'était Royale. Je ne m'attendais honnêtement pas à la voir entrer, mais cela leva un poids de mes épaules. Je me suis excusée auprès de Violaine et Cassiopée, et je me suis levée à la rencontre de l'ultime croupière.
Elle était vêtue comme d'habitude. Étant morte aux yeux de Monokuma, elle n'avait pas reçu de tenue de fête. De toute façon elle n'en avait pas besoin. Elle avait revêtue un de ses costumes brillant, peint ses ongles en noirs, étalé sur ses paupières des paillettes roses fuchsia et refait son tatouage au henné (une information que Cassiopée m'avait donné) sur sa joue en brun foncé.
- Salut Royale.
Elle se tourna vers moi puis plaqua sa main sur ma bouche dans un seul geste avant de me dire :
- Chut, attention.
J'ai froncé les sourcils et elle me chuchota comme explication, en libérant ma bouche :
- Vous pouvez largement parler de moi comme si je n'étais pas là, mais me parler directement... est... risqué par rapport à Monokuma.
J'étais un peu confuse.
- Comment ça, je... je croyais que c'était sans risque, que tu étais mort à ses yeux...
- Je crois qu'il lutte à chaque instant pour agir contre ce pour quoi il est fait. Autant l'aider un peu. Ne t'adresse pas à moi directement. S'il te plaît.
J'ai déglutit, inquiète et je lui ai demandé à voix basse.
- Alors comment je dois m'adresser à toi ?
Elle jeta un regard à gauche, puis à droite. Me fit un grand sourire, et enroula son bras dans le mien avant de m'attirer dans un coin. De l'autre côté de la piste de dance, je sentais le regard interrogateur de Cassiopée. Violaine était trop concentrée sur le punch et les chips, et Léo et Remington étaient entre eux.
Royale m'amena au bord de la scène en bois. Elle se hissa sur le bord et s'assit, puis me tendit la main pour m'aider à en faire de même. Derrière nous les rideaux rouges étaient à moitié tirés. Nous étions juste en dehors de l'espace éclairé par les spots lumineux. Et aussi en dehors de l'ouïe de Monokuma.
Royale s'étira et dit :
- Monokuma est vraiment nul en organisation de fête, dommage que ça soit l'ultime de personne ici.
J'ai recentré la conversation sur le sujet.
- Comment suis-je censé te parler si je ne veux pas prendre de risque.
Royale resta silencieuse. Elle se pencha en arrière jusqu'à allonger le haut de son corps sur le bois, les jambes balançant toujours dans le vide. Elle resta ainsi, l'air songeur. Je me suis encore fait la remarque je ne savais pas grand-chose sur elle, pourtant je me sentais toujours apaisée par sa présence.
Cette pensée me surprit. Elle était imprévisible, et incompréhensible, pourtant elle me rassurait. C'était une contradiction un peu étrange. Comme elle ne répondait toujours pas j'ai reprit :
- Royale ?
- Nyx.
Je n'ai pas compris immédiatement. Elle fit rouler sa tête sur le bois pour la tourner vers moi.
- Tu peux m'appeler Nyx.
Je suis restée sans voix quelques seconde. J'imagine que c'était son vrai nom... Ni Heli, ni Royale. Je pouvais sentir l'importance, la gravité de cette révélation pour elle. C'était un geste qui visiblement avait énormément de poids. C'était se montrer un peu vulnérable face à moi, et dieu sait que Royale haïssait se montrer vulnérable.
- Mais pas devant les autres hein. Devant Monokuma c'est bon mais... pas les autres.
J'ai hésité une seconde avant d'oser lui demander doucement :
- Pourquoi pas devant les autres ?
Elle détourna encore le regard pour fixer de plus bel le plafond.
- Mon nom c'est mon secret.
Elle n'ajouta rien mais c'était suffisant.
- C'est toi qui l'a choisis ou c'est... ton père ?
- Ni l'un ni l'autre en fait. Un gamin bicolore un peu triste me la donné il y a quelques années. J'aimais bien alors j'ai gardé.
Je n'ai pas relevé cette nouvelle bizarrerie. Que serait Royale -Nyx- sans son excentricité ? Elle reprit d'un ton plus léger :
- Est-ce que tout va bien, tu as l'air sinistre.
J'ai fixé les yeux sur ma cheville en tripotant ma béquille.
- Cette fête me donne des frissons. Et j'ai mal à la cheville.
- Tu t'es pris une balle.
J'ai rigolé :
- Naaan vraiment ? J'avais pas remarqué.
J'ai alors croisé le regard de Monokuma de l'autre côté de la pièce. Un nouveau frisson sinistre me parcourue. Je me suis raclée la gorge et sans regarder Royale, j'ai dit :
- Je-je vais te laisser je crois, on devrait peut-être carrément éviter de se parler en face de Monokuma.
Royale se redressa sur ses coudes, réfléchit un moment puis me répondu :
- Hm, peut-être oui... profite de cette incroyable fête !
Je suis descendue de mon mieux de l'estrade en appuyant lourdement sur ma béquille, et j'ai jeté un dernier regard à la croupière et ses yeux roses lourdement maquillé.
- À plus tard... Nyx.
Elle me sourit, et je suis allée rejoindre Cassiopée et Violaine, mais sur le chemin, j'ai percuté Léo qui bondit en avant pour tenter d'empêcher son verre de s'écraser au sol. Il en renversa au passage sur ma chaussure.
- Oh pardon Lyslas !
Il avait visiblement, tout comme Violaine, légèrement abusé du punch. Finalement ça n'aurait pas été plus mal qu'il renverse tout son verre sur mes pieds. Je lui ai demandé, craignant que l'alcool ne soit un moyen de compenser :
- Tout se passe bien pour vous deux ?
Il rougit (bien qu'en vérité il était déjà un peu rouge) et détourna le regard.
- Ou-ouais pas mal... ça pourrait être pire.
J'ai hésité à lui poser une question sur ce que Remington avait bien pu dire au juste, mais il le fit spontanément.
- Je ne sais pas ce que tu es allée raconter à Remington mais, merci.
J'ai sourit légèrement. Au moins deux personnes ici se sentaient bien, c'était déjà ça. J'allais reprendre mon chemin, mais je crois que sa boisson avait un peu délié sa langue, et qu'en plus il avait besoin de se confier, alors il continua.
- Mais je stress un peu maintenant, j'ai l'impression d'être en pleine épreuve pour juger de s'y j'en suis vraiment digne ou pas. Remington ne m'a pas vraiment donné de décision durable, juste... une période d'essai. J'ai peur de ne pas être à la hauteur, j'ai vraiment l'impression de ne pas être à la hauteur, je ne suis pas à la hauteur...
J'ai soupiré et j'ai pris son verre de ses mains.
- Déjà je crois que tu n'as pas besoin de ça.
Il protesta un peu et essaya de me le reprendre, alors sans y penser j'ai gobé d'un trait ce qu'il restait de son verre, et je lui aie rendu le gobelet vide qu'il fixa d'un air dépité.
- Je t'assure que ça ne t'aide pas.
Il se frotta la nuque.
- Je ne sais pas quoi lui proposer, j'ai peur d'être à cours de sujet de conversation qui ne soient pas glauques.
La musique changea à se moment, devenant plus lente et plus douce, et la lumière passa de rose à bleu sombre. L'idée sortit de ma bouche au même moment qu'elle me traversa le crâne.
- Invite-le à danser ?
Il me regarda avec des yeux de merlan frit comme si je venais de dire la plus grosse idiotie de l'univers.
- Quoi ?!
- Je crois que tu ne m'as jamais vu danser, je suis nullissime, je danse tellement mal que je mériterais d'aller en prison pour oser infliger cette vision à des gens.
- C'est pas grave, c'est pas comme s'il y avait quelqu'un pour vous juger et je suis sûre qu'il sera content quand même.
Il hésita mais repoussa l'idée.
- Non, non serait les seuls on aurait l'air ridicules...
J'ai poussé un soupir de lassitude. Comment se faisait-il qu'on vive dans la crainte de ce que les autres pensent de nous à ce point ? Le genre de personne qui juge quelqu'un pour s'amuser et être libre n'était qu'un idiot, un jaloux. Je voyais la chape de cette crainte sur les épaules de Léo, pesante pénible, j'avais ma propre chape du même genre.
- On pourrait mourir demain, est-ce que c'est vraiment utile de s'en préoccuper ?
- Parce que tu le feras toi ? Tu irais inviter Cassiopée à danser là ?
J'ai vu ça comme une invitation, un signe à me débarrasser de ma crainte. Oui je pense que j'allais vraiment le faire, ne serais-ce que pour le plaisir de lui montrer ce qu'il manquait. De me sentir un moins encombrée par trop de pensées et de préoccupations.
- Ah je suis bête, ta cheville, j'avais oublié.
Mais j'avais déjà pris ma décision. Je me suis dirigée vers Cassiopée qui releva immédiatement la tête pour me regarder avec... avec attente, avec.... Espoir.
J'ai réalisé que Cassiopée me regardait toujours comme ça. Et je me suis demandée si c'est ce que je représentais pour elle. Une porte de sortie, un nouveau futur, un espoir de jours de meilleurs.
Je n'ai pas approfondi cette pensée et je lui ai offert ma main.
Elle la regarda comme si elle ne voulait pas croire que je l'invitais à danser sérieusement.
- Mais je croyais que tu détestais ça...
- On va donner un coup de pouce à Léo.
Elle regarda ce dernier derrière mon épaule, qui m'aurait bien arrêté, mais qui était trop curieux de voir ce que j'allais faire.
- Il a besoin d'un modèle.
J'ai expliqué. Elle me regarda, me sourit, et se leva, prit ma main et on s'est dirigé vers le centre de la piste de danse.
Je ne savais pas mieux danser que Léo, croyez-moi. Mais et alors ?
Notre « danse » constituait surtout en Cassiopée qui sautillait autour de moi en me tenant les mains un grand sourire sur les lèvres, et de moi, remuant vaguement les épaules pas très en rythme en tentant de garder mon équilibre sur une seule cheville.
Mais visiblement ce fut assez puisque au bon d'une ou deux chansons, Léo et Remington nous rejoignirent. Je leur ai jeté un coup d'oeil et j'ai du retenir un rire.
Okay peut-être que je dansais mieux que Léo finalement. Heureusement que Remington semblait bien gérer cette activité et le guider à peu près convenablement.
Monokuma nous regardait depuis son coin, et j'ai croisé son regard fixe. J'aurais presque crut y voir un remerciement, mais c'était certainement mon imagination.
La fête morose et sinistre qui avait si mal commencé se passait finalement plutôt bien. Une chanson françaises un peu plus dansante ambiance années 80 succéda à la ballade tranquille.
Aux première notes, Violaine posa son gobelet et se jeta sur la piste pour nous rejoindre. Elle manqua de me renverser et agrippa Léo et Remington et se mit à déclamer les paroles en bougeant énergiquement. Je n'ai rien compris mais Cassiopée éclata de rire et ça me suffit.
Au son du rire de Cassiopée, Violaine jeta son dévolu sur nous pour tenter de faire de même qu'avec Léo et Remington, ce qui ne fonctionna pas extraordinairement bien, car elle glissa dans une flaque de punch renversé et s'écrasa par terre.
J'ai retenu un rire et je me suis avancée vers elle pour l'aider à se relever. Elle agrippa ma main et j'ai vu mon erreur dans ses yeux un peu trop brillant. Elle referma sa prise sur mon poignet et éclata d'un rire machiavélique :
- Eheheheheh je ne te lâche plus !
Elle se remit depuis sans mon aide mais aussi sans lâcher ma main, et me souleva du sol pour me porter en tourbillonnant autour d'elle. J'ai à peine retenu un cri de peur, malgré tout un peu amusée.
Au moins d'un moment Violaine me reposa et s'élança vers Cassiopée. Cette dernière poussa un couinement de souris et s'enfuit, mais son premier cri fut très vite remplacé par des gloussements. Violaine l'a rattrapa en un instant, passa ses bras autour de sa taille et la fit décoller du sol encore plus facilement qu'avec moi.
Je les ai regarder sans un mot, complètement débordé par les vagues contradictoires qui me traversaient. Mon inquiétude, mes regrets, mes hontes se mélangeaient avec la joie, le rire, l'amour que la situation insufflait en moi.
J'en aurait presque eut la tête qui tourne. Cassiopée de nouveau au sol, elle m'attrapa les mains et recommença à tourner avec moi, la musique était un peu plus forte, un peu plus rapide. La lumière tamisée mais colorée floutait le décor.
Un bref instant j'ai oublié où j'étais, j'ai oublié les problèmes, les deuils, la peur, le cul-de-sac dans lequel nous étions, et j'ai tourné, tourné, tourné avec les yeux verts émeraudes de Cassiopée pour seul repère, pour seul phare.
Et puis la porte s'est ouverte en coup de vent. Le crépuscule sanglant s'engouffra dans la pièce, étouffant les spots roses et bleus, le froid vint glacer la sueur sur nos peaux la musique se tut.
Et le monde éclata en morceaux.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top