Chapitre 5 (5)



La nuit était tombée, le vent soufflait, hurlant à mes oreilles et balayant des nuages de neige fine et gelée sur mon visage. Où est-ce qu'Anoushka aurait pu aller ? Chez elle probablement, mais j'avais du mal à me repérer, les chalets autour du sien étaient tous plongés dans l'obscurité.

J'ai tenter d'atteindre le chalet principal, puis je l'ai longé, une main nue contre le bois rugueux et froid.

Une fois que j'ai un peu dépassé, la porte, je me suis tournée vers la gauche, j'ai marché jusqu'à atteindre le chalet désert d'Anjali. J'ai réprimé un frisson et j'ai dépassé l'endroit en continuant vers la gauche jusqu'à toucher le chalet d'Anoushka.

Il avait beau être éteint, je ne m'y fiais pas. Je connaissais assez bien la ramoneuse pour savoir qu'elle n'était pas dérangée par le fait de rester parfois pour de long moment dans le noir.

J'ai tourné autour du bâtiment pour trouver la porte et j'ai frappé. Je ne savais même pas ce que j'allais lui dire, mais je refusais de la laisser seule dans ces conditions. Je devais lui montrer qu'elle comptait pour moi, que Mizuki avait tort.

Après un long moment à frapper, sans réponse, j'ai crus qu'elle n'était pas là, et que je m'étais trompée. Mais alors que j'étais sur le point de faire demi-tour, j'ai entendu un léger grincement et j'ai vu le visage d'Anoushka, hésitant, dans l'entrebâillement.

Pendant quelques secondes, on s'est contenté de se regarder l'une l'autre en silence. J'avais peur qu'elle referme la porte si je disais un mot de travers.

Mais au lieu de ça, elle m'ouvrit la porte plus grand pour m'inviter à entrer. À l'intérieur, un petit feu, presque mort, éclairait très faiblement la pièce. Sur le canapé une couverture en boule et un mug sur la table.

Elle n'attendit pas pour aller se replonger sous sa couette, toujours dans le silence le plus complet, à peine brisé par un petit crépitement venant de la cheminée.

J'ai inspiré profondément. Maintenant était le moment de trouver quoi dire. Seulement des phrases bateaux me vinrent en tête. Finalement, j'ai lâché, presque un peu brutalement :

- Pardon Anoushka, pardon d'être une idiote qui ne sait pas ce qu'elle veut, d'être une hypocrite qui ne n'ose pas dire les choses de manquer de mot et de caractère et de te faire ça.

Elle sortie les mains de sa couette pour attraper sa tasse d'un geste lent, dont elle sirota une longue gorgée avant de répondre.

- Ne te blâme pas autant. Je suis une grande fille et je sais ce que je fais.

L'anxiété me poussa à tordre les mains, exactement comme Cassiopée le faisant un instant auparavant devant moi. Anoushka reprit soudain :

- Je ne sais pas pourquoi tu es là Lyslas. Si tu voulais t'excuser tu aurais pu le faire au diner tout à l'heure.

Elle avait une expression indifférente et calme, et je me suis demandée une seconde si j'avais eu tort. Le gêne me monta un peu au visage, mais soudain je remarquai quelque chose. Un peu caché sous les coussins à sa droite dépassait un petit triangle blanc. Je me suis mordue l'intérieur de la joue.

- Je sais que tu essaies toujours de faire comme si tout allait bien, mais je sais que tout ne va pas bien, tu caches tes failles, mais ce que t'as dis Mizuki, ça n'était pas des insultes en l'air, elles viennent d'une part de vérité n'est-ce pas ? Elles t'ont vraiment fait mal.

Elle soutint fièrement mon regard une seconde, son petit visage pointue dévoré par ses yeux noirs toujours aussi solitaire et digne. Mais j'ai sentis la fêlure dans ses iris quand j'ai repris.

- Elle a tort, Anoushka.

Elle fronça un peu ses sourcils fins en essayant de garder tant mieux que mal son air assurée malgré les craquelures qui s'y formaient.

- Tort ? Alors tu vas me dire que ma mère n'a pas essayé de se débarrasser de moi par tous les moyens possible, que tous ces familles d'accueil ne m'ont pas rendu comme un vieux chien agressif de la spa dont personne ne veut ? Tu vas me dire que tu n'as pas choisis Cassiopée ?

J'ai sentis un pic de douleur me traverser, et j'ai voulu m'approcher mais elle m'arrêta :

- Stop. Si tu as quelque chose à dire, dis-le, si tu n'as rien à ajouter, tu peux y aller.

- Arrête Anoushka il y a tellement de manière d'aimer les gens, aucune ne se vaut plus qu'une autre-

- Tu as dit ce que tu avais à dire tu peux y aller maintenant.

Elle se replia sous sa couette. J'ai serré les mâchoires et en ignorant ses derniers mots je me suis avancée jusqu'au canapé d'un coup, puis j'ai envoyé volé le coussin sous lequel elle avait caché ses mouchoir. Elle se leva brutalement et s'avança vers moi pour appuyer un doigt fin sur mon plexus solaire avant de siffler.

- Ne remue pas le couteau dans la plaie, tu n'as pas besoin de m'humilier plus.

- Mais tu ne comprend pas je ne suis pas là pour « t'humilier » je veux te prouver que tu comptes pour moi Anoushka ! Arrête de faire mine que tu t'en fiches ! Tu sais combien j'ai eu d'amie comme toi dans ma vie ? Tu sais combien de personnes comptent autant que toi pour moi ?

Elle rétorqua dans un sanglot :

- Au moins une personne de plus que pour moi.

Je n'ai pas sut quoi répondre, elle enchaîna d'un ton amer :

- Laisse tomber, je ne fais pas « mine » que tout vas bien, je vais bien, je suis une survivante et je survivrais encore longtemps avec ou sans toi. Un chagrin n'a jamais tué personne. Certainement pas moi.

Elle me tourna le dos et ramassa sa couverture qui était tombée au sol.

- Maintenant j'aimerais un peu de tranquillité, s'il te plaît.

Je me suis passée une main un peu tremblante dans les cheveux, puis j'ai serré le poing. J'allais tenter de réparer ça, de comprendre, lui faire comprendre. Elle leva sa main fine dans ma direction pour me couper et conclut d'un ton sans appel :

- Si tu veux vraiment faire quelque chose pour moi, laisse moi, j'ai vraiment besoin de paix en ce moment même.

J'ai laissé mes épaules retomber. Je n'allais qu'empirer la situation. Si je voulais lui en reparler, je devrais le faire plus tard. En plus, l'heure du dîner approchait, et nous ne pouvions pas nous permettre d'arriver en retard.

- ... À tout à l'heure alors...

Ma phrase était presque une question, elle répondit d'un ton léger, habituel :

- À plus tard.

J'ai soupiré et je suis ressortis. Le froid m'enveloppa immédiatement et me coupa le souffle une seconde. Je suis retournée jusqu'à mon chalet où Cassiopée n'était plus, probablement partie se préparer elle aussi. J'ai mis un deuxième manteau sur mes épaules, et je me suis rendue dans le chalet de restauration le coeur lourd.

Tout le monde y était, sauf Royale, Anoushka et Mizuki. Violaine avait un œil au beurre noir en formation, et Léo avait un coton taché dans la narine. Ils avaient du en venir aux mains. L'humeur était lourde, très peu propice à la fête qui se profilait. Finalement cette dernière m'inquiétait beaucoup plus que prévue.

Une migraine pointait le bout de son nez entre mes sourcils et un sentiment de rage et d'impuissance pulsait dans ma poitrine. Peut-être que si j'avais été là j'aurais pu empêcher la dispute, ou au moins emmener Anoushka loin de tout ça, calmer Royale, ou même encore prendre sur moi les foudres de Mizuki, n'importe quoi qui mène à une situation différente.

Après des mois dans cet endroit de malheur ma patience envers moi-même et, je l'admet, envers les autres, se faisait de plus en plus fine.

Anoushka arriva et s'installa sans un mot, comme si tout allait parfaitement bien. Cassiopée me jeta un petit regard inquiet, mais la ramoneuse ne fit preuve d'aucune agressivité ou ressentiment.

Royale, comme à son habitude, arriva sur le fil. Et Monokuma s'installa à sa place et nous scanna de son unique œil rouge pour vérifier notre présence.

Mais il y avait un problème.

Il manquait Mizuki.

Quand nous l'avons tous remarqué, un silence de plomb nous traversa. Personne n'osa dire ce qu'on craignait tous. La punition...

Monokuma annonça de sa voix creuse :

- On dirait que nous avons un absent.

J'ai prié tous les dieux en lesquels je ne croyais même pas que Royale, pour une fois dans son improbable vie, se soit trompée sur quelque chose, et que la punition ne soit pas la mort, mais le Cyclope brisa vite mes espoirs :

- Les petits rebelles désobéissants seront sévèrement punis, l'élimination totale du jeu est de cours.

Les petits drones qui bourdonnaient toujours autour de lui s'élevèrent soudain, et se tournèrent vers la porte.

J'ai visualisé leurs canons se braquer sur Mizuki et l'abattre sans lui laisser la moindre chance, c'est probablement ce qu'elle cherchait après tout. Si elle ne pouvait pousser personne au meurtre, elle n'avait qu'à pousser Monokuma à le faire, il chipoterait moins, lui.

Et puis après tout, c'était elle notre élément perturbateur, c'était de sa faute si nous nous battions, si Violaine avait un coquard et que Anoushka était si blessée et froide. Elle était méchante, colérique, cynique et semait la zizanie.

Qui la pleurerait ici ?

Mais j'ai repensé à la Mizuki me mettait des coups de cuillère sur la tête en cuisinant sa soupe qui avait sauvé la vie de Cassiopée, à ses maigres sourire en me voyant essayer d'éplucher un oignon avec un épluche-patate avant de me traiter d'idiote. La vraie Mizuki. Celle qui se cachait tout en dessous de sa douleur et de ses blessures mal cicatricées.

Peu importe si souvent elle était méchante et blessante. Elle ne méritait pas ça.


Une rage profonde me prit aux tripes, remontant jusqu'à mon cerveaux comme des bulles crèvent la surface de l'océan depuis les abîmes.

J'en avais plus que ras le bol d'être lâche, misérable, d'encore et toujours me rendre un peu plus minable et peureuse en m'enfermant en boucle dans l'idée que j'étais insignifiante et maladroite.

Non seulement j'étais observatrice, mais aussi intelligente, et maintenant - et je comptais le prouver- j'étais courageuse.

Je n'étais plus une fillette de 9 ans traumatisée, j'étais plus que ça.

Je me suis levée d'un coup en renversant ma chaise à la renverse et en faisant tinter les assiettes sur la table, j'ai attrapé ma chaise et j'ai courus de toutes mes forces vers la porte.

J'ai jeté la chaise sur les robots derrière moi qui s'éparpillèrent comme un nuage d'insectes avant d'ouvrir la porte en grand pour m'engouffrer dehors, et je l'ai claqué derrière moi.

Puis sans un regard en arrière, je me suis élancée de toute mes forces vers le chalet de Mizuki. Je n'avais pas peur qu'ils me tirent dessus, enfin pas trop. Je m'étais présentée à l'heure au dîner, Monokuma m'avait scanné, je n'étais donc pas la cible des robots, seulement Mizuki. Le cyclope n'avait jamais précisé qu'il était interdit de quitter la table au bout de quelques secondes.

J'entendais vaguement un bourdonnement dans mon dos, mais celui-ci s'estompa ce qui me donna encore plus de force pour courir jusqu'à chez Mizuki, à l'autre bout de la station.

J'ai appuyé sur la poignée pour rentrer d'un coup, mais la porte était verrouillée, j'ai essayé de l'enfoncer d'un coup d'épaule mais sans succès.

Le sang battait à mes oreilles dans un bruit assourdissant. Je n'ai pas pris le temps de réfléchir, pas le temps de défoncer la porte et mon épaule au passage, j'ai attrapé la première pierre que j'ai trouvé et j'ai brisé la première fenêtre.

Le temps s'écoulait et à chaque seconde le risque que les robots me rattrapent augmentait. Je me suis glissée à l'intérieur de la pièce, un long morceaux de vitre brisée griffa ma chaire et me laissa une longue estafilade sanglante sur la cuisse.

J'ai grimacé sous le coup de la douleur mais l'adrénaline me détourna vite de la sensation et j'ai cherché Mizuki du regard. Elle n'était pas dans le salon, j'ai foncé dans sa chambre. Elle n'y était pas non plus.

Soudain j'ai aperçut la barre de lumière filtrant de sous la porte de la salle de bain.

J'ai frappa du poing à la porte en criant :

- Mizuki sort de là !

Le silence me répondit, mais le bruit d'un objet qui tombe me fit sentir la surprise de Mizuki de l'autre côté de la porte.

J'ai tambouriné à nouveau et sans même savoir d'où venait l'autorité qui perça dans ma voix j'ai tonné de nouveau :

- Sort d'ici immédiatement !

Une voix que j'ai peiné à reconnaître comme celle de Mizuki me répondit :

- Je-je ne peux pas-

Elle était haletante et étouffée comme si Mizuki avait la gorge trop serrée pour articuler.

Pas de fenêtre à briser cette fois. J'ai juré, serré les dents, pris quelques pas de recul, et j'ai annoncé d'une voix forte à Mizuki :

- Décale-toi de la porte.

Je n'ai pas attendu sa réponse avant de m'élancer avec toute la brutalité dont je pouvais faire preuve contre le battant en bois. Elle trembla sans céder. Je crois que Mizuki dit quelque chose mais je n'ai pas écouté, j'ai repris un peu d'élan et j'ai recommencé. Puis une troisième, et une quatrième fois.

Je ne sentais plus mon épaule quand enfin, à la cinquième tentative, la porte céda dans un craquement.


J'ai poussé maladroitement la porte, et je suis tombée sur une vision que je n'aurais même pas pu imaginer en m'attendant à trouver ce genre de spectacle.

Mizuki était recroquevillée sur le carrelage de sa petite salle de bain, en sous-vêtements, tremblant de tout son corps. Sa salle de bain, comme dans mes souvenirs, était sans dessus dessous, tous les produits, les serviettes, les vêtements étaient en désordre. Mais en plus de cela, des centaines d'éclats souillés de sang recouvraient le sol.

Le miroir habituellement appuyé face réfléchissante contre le mur était brisé en mille morceaux, et Mizuki avait replié son visage contre ses genoux, ses mains crispé dans sa chevelure courte, les phalanges et les pieds en sang.

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