Chapitre 4 (6)
Je n'ai pas contrôlé mes gestes quand je me suis levée d'un coup, dans un élan de panique et de désespoir pour rattraper Royale juste avant qu'elle ne s'effondre de sa chaise.
Un second soubresaut l'agita et une seconde vague de sang sombre et poisseux franchit ses lèvres et coula sur son menton.
Ses yeux était écarquillés, voilés par la douleur et la surprise, incapables de pleinement comprendre ce qui se passait dans le moment présent.
J'ai attrapé ses épaules et j'ai appelé, la voix tordue et déformée d'angoisse :
- Royale ? Royale ? Qu'est-ce qui se passe ?
Ses yeux roses se plongèrent dans les mains. Pour la première fois il n'y avait aucun masque sur son visage, sa peur et son incompréhension étaient réelles, si terriblement authentique. Cet appel à l'aide silencieux me retira tout ce qu'il me restait de raison et de moyens.
Elle essaya de me répondre quelque chose mais sa voix se noya dans la mousse sanglante qui se formait au coin de sa bouche. Un filet écarlate se mit à dévaler de son nez sur sa lèvre supérieure, rejoignant la bulle poisseuse sur ses lèvres tâchés.
Et encore et encore, ses yeux grand ouvert, plein de surprise et de détresse me fixait si intensément.
J'ai regardé mes mains qui étaient pleines de son sang, son assiette en était remplis, il coulait de la nappe blanche jusque sur le sol, sa gorge en était couverte. Comme pouvait-on vomir autant de sang ? L'odeur ferreuse qui flottait dans l'air me donnait la nausée mais je n'y prêtais même plus attention.
J'ai tourné ma tête prestement vers les autres, cherchant à mon tour une aide désespérée autour de moi, mimant le propre regard de Royale dans mes bras, trop impuissante à faire quoi que ce soit alors que je voyais son état s'aggraver de seconde en seconde.
- Si- s'il vous plait, quelqu'un- quelqu'un peut faire quelque chose ? N'importe quoi ?
Mais tout le monde semblait aussi désemparé que moi.
- Aidez-moi...
Mizuki s'agenouilla devant moi et inspecta avec un sang-froid impeccable Royale, observant ses yeux, son cou, cherchant une blessure expliquant l'évènement inexplicable.
Mais il n'y avait rien. Royale n'avait pas la moindre blessure visible. Randall, un peu fébrile, se pencha lui aussi à mes côtés et lâcha :
- Un empoisonnement.
Je me suis tournée vers lui, ma respiration hachée par mon rythme cardiaque effrénée. J'étais terrifiée. Je ne pouvais pas perdre Royale. Mon cerveau refusait encore de l'envisager.
- Un antidote, il doit y avoir un antidote !
Randall cligna des yeux, l'air de chercher malgré la panique qui régnait dans l'air, une solution.
- Yssi...
J'ai baissé la tête brutalement, Royale venait de péniblement prononcer mon surnom, encore celui qu'on me donnait enfant, un surnom d'une autre époque. Ses yeux étaient brillants de douleur, elle serra mon poignet avec une faiblesse qui ne fit que redoubler ma panique.
- Ça brûle.
Elle planta encore ses doigts dans ma peau, comme si j'étais la seule chose auquel elle pouvait encore tenir bon, qui la reliait encore à ce monde. Je me suis également accrochée à ses épaules, pour ne pas la laisser partir.
Elle ne vomissait plus vraiment de sang, mais sa peau semblait exsangue, luisante de sueur, elle était crispée de tout son corps et semblait souffrir atrocement. Mais le plus préoccupant était sa faiblesse, qui grandissait à chaque seconde. Je la voyais partir petit à petit, sans pouvoir rien faire.
Randall finit par conclure :
- Vu le sang je pense que c'est... c'est peut-être de la mort au rat, ou un poison du genre. Mais, mais il n'y pas d'antidote immédiat... je veux dire, certaines vitamines pourrait faire quelque chose mais c'est trop tard, ce genre de substance prend plusieurs jours à agir, elle est déjà trop intoxiquée...
Un silence horrifié retomba entre nous. Il venait d'annoncer que Royale était condamnée.
Je ne pouvais pas encore l'accepter, je m'accrochai encore à elle, espérant voir un miracle se produire, comme Royale savait si bien en faire. Mais la prise de Royale faiblissait sur mon poignet.
Elle ferma les yeux dans une expression douloureuse. La voix rauque elle me dit encore :
- J'ai mal ça brûle...
Un petit spasme la parcourue. J'ai craint un moment de la revoir cracher plus de sang, mais j'ai compris que c'était un sanglot, un sanglot sans larme, suivit d'un autre, puis d'un autre.
Elle rouvrit encore les yeux, et croisa mon regard avec un flamme au fond de ses yeux. Une rage de vivre, une détermination terrible. Elle articula avec difficulté, mais sans s'arrêter ou bégayer, d'une traite comme si elle avait peur de ne pas pouvoir finir sa phrase :
- Je ne peux pas mourir maintenant je n'ai pas finis Yssi je ne t'ai pas encore sauvé.
Même si je ne comprenais pas ce qu'elle venait de dire, j'ai sentis qu'il y avait une valeur immense à ses mots.
Sa rage persista encore un moment pendant lesquels elle s'accrocha encore plus fort à mon poignet. J'ai plongé mes yeux dans les siens, cherchant à m'accrocher à cette étincelle, j'ai vu son combat interne, sa bataille pour rester en vie, quelques minutes s'écoulèrent sans que je ne sache combien. Le monde extérieur s'était effacé.
Et puis, petit à petit, j'ai vu Royale perdre le combat, et la flamme s'éteindre complètement jusqu'à ce que dans mes bras ne reste qu'un corps inanimé et refroidissant déjà, couvert de son propre sang.
- Non, non, non.
J'ai étalé son sang sur son visage en tentant de la réveiller, de retrouver un mouvement en elle. Mais il n'y avait plus rien.
Mes mains tremblaient tellement. Mon esprit craquait et tombait en morceaux. Non, non, Royale ne pouvait pas être morte, Royale ne mourrait pas. C'était une sorte d'être magique qui ne pouvait pas mourir. Elle arrivait toujours à ses moyens, elle faisait ce qu'elle voulait, rien ne l'arrêtait, encore moins un stupide poison.
J'ai attrapé ses mains sans savoir quoi en faire. J'ai cherché son pouls en tâtonnant. Je ne trouvais rien. Ce n'était pas normal. Où était son pouls. Où était son pouls ? C'est parce que je tremble trop.
- Je tremble trop, aidez-moi.
Mais les autres me regardaient en silence, un air de tristesse et de pitié sur le visage. Je ne comprenais plus ce qui se passait, pourquoi me regardaient-ils comme ça ? On pouvait encore agir, ça n'était pas finis, elle l'avait dit elle même. Elle a dit qu'elle ne pouvait pas mourir, elle a dit que ça n'était pas finis. Ça ne peut pas se finir comme ça en quelque seconde. On peut toujours faire quelque chose. J'ai lâché sa main gauche pour prendre la droite, c'était peut-être parce que j'avais le mauvais poignet. Ça marcherait avec l'autre. Elle ne cligna pas des yeux, c'est étrange, il faudrait les fermer, ça lui donne l'air de dormir, c'est bien mieux, comme ça je tremblerais moins et je pourrais me concentrer. Je tremble beaucoup trop, foutues mains. J'arrive enfin à prendre sa main. Une belle main, longue et agile, mais elle ne bouge pas, elles bougent toujours d'habitude, ce n'est pas naturel de les voir immobile. Je cherche encore je ne trouve rien et ça n'est pas normale ça n'est pas possible ça ne peut pas-
- Lyslas, arrête, c'est finis.
C'est Anoushka qui m'a pris par les épaules et essayait de me séparer de Royale. Je me suis dégagée de sa prise pour retourner vers Royale, mais des robots s'agitaient déjà autour d'elle, comme d'horribles charognards. J'ai croisé l'oeil rouge sang de Monokuma.
- Non !
Mais ce dernier, toujours si terriblement froid et détaché, annonça sans la moindre émotion :
- Royale est morte.
J'ai secoué la tête,
- Pas encore, je-
- Arrêt cardiaque de 3 minutes et 37 secondes.
- Non non non
Je me suis de nouveau rapprochée d'elle, m'extrayant des mains qui tentaient de me retenir. J'ai posé les mains sur sa poitrine, et j'ai pressé, une, deux, trois fois. J'ai tenté en vain de refaire partir son coeur. Monokuma a annoncé de nouveau.
- C'est inutile, la mort a été provoquée par hémorragie, externe et interne. Arrêt cardiaque de 4 minutes et 12 secondes. Éloignez-vous du corps sous peine de sanction.
Les bras puissants de Nikolaï m'ont fait reculer pour de bon cette fois et je m'y suis abandonné. Chaque secondes qui s'écoulaient et emportaient Royale plus loin dans la mort était un pieu à vif dans mon coeur. Il n'y avait plus de retour en arrière, j'avais laissé glissé entre mes doigts sa vie avec son sang.
Trop tard, trop tard, trop tard. Comme à chaque fois. Trop tard. On ne revient pas en arrière, on ne sauve pas ce qui a été perdu. Cette pensée tourna en boucle dans ma tête, crevant, déchirant un peu plus ce qu'il restait de mon coeur.
Mes épaules se sont affaissées quand j'ai lâché prise, quand j'ai accepté la vague de douleur et tristesse qu'accompagnait la mort de mon amie, l'une des rares personnes qui me faisait encore croire à une évasion de cet endroit maudit.
J'ai relevé la tête lentement pour observer autour de moi.
Les autres s'était un peu dispersés, leurs lèvres remplissait la pièce d'un murmure d'effroi. Remington ne parvenait pas à regarder la scène, réconforté par Randall et surtout Léo qui lui frotta le dos doucement. Mizuki avait un air froid mais grave. Violaine qui avait brutalement dessaoulée, était pâle de rage d'impuissance et de honte, les poings serré à s'en blanchir ses jointures. Anoushka toujours à mes côté me regardait avec inquiétude.
Mais aucun visage ne portait mon chagrin.
Comment auraient-ils pu ? Royale n'avait parlé directement à aucun d'entre eux. Elle s'était montré étrange, imprévisible, parfois méprisante. Aucun n'avait entre-aperçut la complexité qui se cachait derrière son masque de spectacle, personne n'avait entendu ses promesses, personne n'avait trouvé de l'espoir et du réconfort dans ses paroles indescriptibles mais remplit de confiance et de calme, et personne, personne n'avait entendu de sa bouche tâché de sang son surnom d'antan déterré d'un passé joyeux crut perdu à jamais, pratiquement oublié.
J'ai tourné encore la tête. Tous les visages sauf un. Cassiopée pleurait.
Cassiopée vivait chaque mort comme un deuil profond et personnel. On aurait dit que pour elle toutes les vies étaient inestimables. Sans que je réfléchisse j'ai quitté les bras d'Anoushka et j'ai enfouis mon visage dans le creux de l'épaule de la jeune femme aux yeux couleurs forêts avant de la serrer comme ma dernière bouée au milieu d'un naufrage.
Trouver le corps de gens de mon âge que j'avais côtoyé quelques mois dans un endroit restreint était une chose. Difficile, triste, choquante, oui, mais voir une de ses amie les plus précieuse, voir un de ses seul soutien, une force qui m'avait toujours parut inébranlable, mourir dans la peur et la douleur, délivré de tout masque, pâle et tremblante, couverte de sang entre mes bras, ça, ne pouvait pas être comparée à ce que j'avais vécu auparavant dans cet endroit. Ou même dans ma vie.
Cassiopée avait refermé ses bras autour de ma tête et serré contre elle en pleurant doucement. Mes larmes finirent pas couler librement sur mes joues. Je refusai de relever la tête. C'était trop dur, c'était trop.
Cela faisait des mois et des mois que nous étions ici, le stress et la peur et la menace de mort qui devenait si tangible et proche me faisait petit à petit plier. Je n'avais pas les épaules pour ça, je n'avais pas la force.
Je me suis endormie. Je ne me souviens même pas quand et comment. Je sais juste que je me suis réveillée chez Cassiopée, la jeune femme à mon chevet, endormie elle aussi.
La douleur avait changé. Elle était passé d'une douleur vive et insoutenable à une sorte de pulsation sourde et continue que je portais au fond de la poitrine comme un fardeau qui ne partirait peut-être jamais. La pensée s'était posé au fond de mon esprit comme du sable qui retombe, et j'avais maintenant les idées claires : Royale avait été tuée.
Mais une seconde idée émergea en même temps, plus vive et plus claire que les autres. Quelque chose qui m'aurait effrayé quelques mois auparavant mais qu'à ce moment j'accueillis presque les bras ouverts :
Quelqu'un avait commis ce meurtre.
J'allais pouvoir faire souffrir cette personne et la voir mourir comme elle méritait.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top