Chapitre 4 (11)


J'ai retourné l'idée en boucle dans ma tête avec Nikolaï pendant les minutes suivant, y réfléchissant encore et encore. L'hypothèse de la culpabilité de Mizuki n'était pas parfaite. Elle ne me plaisait plus autant que lorsque je l'avais imaginé la première fois.

Royale était trop intelligente pour ça.

Elle n'aurait pas laissé passé ça. D'autant plus qu'il n'y avait que Mizuki directement à côté d'elle. Comment ne pas voir qu'elle ajoutait quelque chose sur la table ?

Quelque chose clochait et une petite voix au fond de ma tête continuait de me le répéter en boucle.

Quelque chose cloche, quelque chose cloche, quelque chose cloche.

Je devais aller voir Cassiopée pour l'interroger aussi. Je me suis mordue un ongle angoissée à cette idée. Je n'en avais quasiment plus, trop rongés qu'ils étaient, et le goût du sang se répandis dans ma bouche.

Ce goût me donnait la nausée. Un léger vertige me prit soudain et je me suis appuyée à la première chose que j'ai trouvé, le regard soudain aveuglé de points blancs.

La chose en question était le biceps de Nikolaï, et j'ai crut entendre sa voix, étouffée comme si mes oreilles étaient tapissés de cotons, appeler mon nom.

J'ai du laisser passer une bonne minute avant de retrouver contact avec le monde extérieur. Une douleur me traversait. Je ne supportais plus cette situation, je me sentais craquer, au bord de l'effondrement, comme un bâtiment en ruine prêt à s'écrouler.

- Lyslas ?

Nikolaï appela encore une fois. Il murmura en se rapprochant de moi :

- Tu ne tiens plus debout, tu es épuisée.

Oui je l'étais. Je dormais peu en général. Je dormais encore moins ces derniers temps. J'avais une migraine sourde qui battant sous mon front comme un tambour de guerre, mes ongles étaient inexistants sur mes mains caleuses pleines de crevasses douloureuses. Je ne m'étais pas lavée depuis avant-hier. Mon regard cerné devait avoir l'air fou et fiévreux, hanté par le combat entre ma peur, mon chagrin, et mon désir de vengeance.

Une vague nausée me suivait depuis ce matin et s'amplifiait depuis.

Il se pencha vers moi et pris très délicatement mon menton pour remonter mon visage face au sien et observer mes yeux.

- Quelque chose cloche.

Oui je le savais, je le savais bien, je n'arrêtais pas de me le dire depuis ce matin ! Tout clochait dans cette situation ! Tout ! Tout était si ridicule ! Des pseudos-génies à peine adultes devant s'assassiner sauvagement pour sortir d'une putain de prison ouverte gouvernés par des robots cyclopes sur une montagne enneigée !

J'ai voulus lui rétorquer tout ça, mais quand j'ouvris la bouche, un goût ferreux et une substance chaude me coula dans la bouche.

Mon cœur s'emballa et mon instinct s'affola : quelque chose cloche vraiment.

Et pas juste avec le meurtre.

Nikolaï garda son calme, mais il sortit un mouchoir de sa poche, épongea mon nez, essuya mes lèvres maculées, et faucha avec douceur mes jambes tremblantes pour me soulever du sol.

Avant que je comprenne vraiment ce qu'il se passait, le froid de l'extérieur de mordit les joues. Mon nez coulait encore, j'avais mal un peu partout, mes pensées étaient engourdies comme jamais.

J'ai essayé de dire quelque chose à Nikolaï, mais tout ce qui franchit mes lèvres fut un faible :

- Qu'est-ce qui m'a...

je ne parvins pas à finir ma phrase, et le vide pris possession de moi.



***


Ne vous en faites pas. Si cette histoire s'était finie ici, vous n'auriez jamais pu savoir tout cela. Si peu de personne savent ce qu'il s'est passé sur cette montagne isolée. Parfois, c'est comme si cela n'avait jamais existé.

J'ai peur que si j'oublie, tout cela s'évapore comme dans un tour de magie.

Ce jour là, le vide m'a appelé pour la première fois.

Il recommencera. Il m'appellera avec bien des voix et bien des chansons.

Mais c'est seulement ce soir que je répondrais enfin à son appel.

Et c'est bien pour cela que vous lisez ces mots. Pour les faire exister hors de ma tête avant que je ne m'efface aussi.



Mais reprenons, car le récit n'est pas terminé.


***



Des visages se bousculaient devant moi quand j'ai ouvert les yeux. Les visages étaient flous, et je n'arrivais pas à les identifier.

Mes paupières me paraissent plus lourdes que du plomb. Je repris conscience des limites de mon corps en même temps que la douleur le traversa.

J'étais si fatiguée.

J'ai refermé mes paupières entre-ouvertes. Aussitôt des bruits sourds s'agitèrent autour de moi, des bruits étranges dont je n'arrivais pas à tirer du sens. Et puis la douleur augmenta. On me secouait, les voix criaient un mot.

Finalement je compris que le mot était mon prénom. « Lyslas ! Lyslas ! »

J'ai péniblement rouvert les yeux. Les visages se firent petits à petits plus claires, et je reconnus les yeux noirs d'Anoushka sous le fond blanc de sa peau en premier. J'ai ouvert la bouche pour prononcer son nom.

Je ne sais pas si j'ai réussis à le faire. Mais l'agitation augmenta encore d'un cran.

Je n'avais qu'une seule envie : fermer mes yeux trop lourds et me laisser repartir confortablement dans l'inconscience.

Soudain un éclair glacé s'abattit sur moi et tira la délicieuse inconscience hors de ma portée.

Un cri indigné, que cette fois je compris, retentit :

- Mizuki ! Qu'est-ce qui te prend ! Tu ne vois pas qu'elle se réveille !

- Qu'elle se réveille plus vite, on a besoin d'elle pour le procès, Cyclope ne veut plus attendre !

Je venais de me prendre un saut d'eau froide sur la tête. Une veste fourrée recouvrit mes épaules et sécha un peu mes cheveux gris qui collait à mes joues comme des algues.

La voix que je reconnue être celle de Remington gronda :

- Elle a frôlé la mort ! On a tenté de l'assassiner !

- Oui ben elle est pas morte, et nous on a va peut-être tous mourir si on trouve pas le coupable !

Leur cris me transperçaient la cervelle comme des aiguilles, j'ai gémis de douleur, et les têtes se retournèrent vers moi. Une petite main serra la mienne et j'ai tourné un peu la tête pour voir Cassiopée les larmes aux yeux se tenant à genoux à côté de moi.

- Lyslas, tu nous entends ?

Ma langue était trop pâteuse pour prendre la peine de prononcer un « oui », alors j'ai lentement hoché la tête de haut en bas. Mauvaise idée, le monde se mit à tourner follement autour de moi.

Anoushka me tendit une bouteille d'eau, que j'ai attrapé et engloutit sans l'once d'une hésitation. J'avais l'impression d'avoir le désert de Gobi dans la gorge.

Je repris petit à petit conscience de ce qui m'entourait. J'étais...... dans....

Le froid de la peur s'insinua en moi d'un seul coup. J'étais dans la salle de procès. Cyclope nous regardait du haut de son perchoir, et les autres étaient tous en cercle autour de moi. J'ai baissé les yeux sur moi-même : une grosse tâche de sang frais avait imbibé mon tee-shirt.

J'ai réussis à articuler :

- Que.. s'est-il passé ?

Violaine raconta à toute allure :

- Tu es évanouie sur Nikolaï et tu saignais beaucoup du nez. Genre vraiment beaucoup, beaucoup, mais moins que Royale quand même. Il t'as amené à Mizuki, on t'as fait mangé un maximum de vitamine K de force. Monokuma nous a donné une clef et on a accédé à l'infirmerie de la salle de sport et il y avait un poche de transfusion et des seringues et des trucs comme ça, et je suis donneuse universelle donc on a croisé les doigts et Randall et Mizuki t'ont fait une prise de mon sang en urgence, mais ensuite il a fallut aller au procès alors on t'y a porté – on avait pas de brancard – on a vraiment crut que t'allais y passer on a eu trop peur, Cyclope a dit qu'on avait encore 5 minutes et-

- 1 minute maintenant.

Lâcha la voix creuse de Monokuma.

- Bref, le procès va commencer.

Termina Mizuki, qui se tenait de côté, les bras croisés, l'air toujours aussi hostile.

J'ai essayé de me redresser mais j'étais si faible que mes bras refusèrent de me porter. Nikolaï m'aida à me redresser. Il me dit doucement :

- Monokuma accepte que tu sois à mon pupitre pour que je puisse te soutenir puisque tu ne tiens pas debout.

Je l'ai regardé avec reconnaissance. Il avait encore sauvé ma vie. Randall, Mizuki et Violaine aussi d'ailleurs. Je n'ai pas eu le temps de formuler à voix haute cette pensée que Monokuma annonça sans fioriture.

- Le procès va commencer, prenez place.

Tout le monde rejoignit sa place, alors que j'avais encore du mal à reprendre pied avec mon entourage. Nikolaï me porta jusqu'à son pupitre, où le peu de place me forçait à me tenir redressée, mais l'ultime bucheron derrière moi soutenait 80 % de mon poids.

Comment allais-je pouvoir résoudre le meurtre alors que mes pensées étaient si lentes ? Alors que je ne pouvais même pas me tenir debout et que les bruits et les mouvements me donnait l'impression que le monde entier dansait la valse pendant que j'étais sur place.

Même en ayant du mal à formuler mes pensées, je sentais tout de même la panique se former en moi. Toujours plus forte et dévorante.

Pas de doute. C'est ce soir que nous mourrions tous. Un partie de mon esprit était prêt à s'y résigné, mais une autre, plus forte, refusait de se laisser abattre, refusait la mort, la fin.

J'ai ignoré la première part et j'ai écouté la seconde. J'ai serré les mains plus fort sur le bois du pupitre et Cyclope commença :

- Le procès de la mort de Royale est ouvert, débattez.

Cette fois je n'ai même pas laissé les gens se regarder dans le blanc des yeux pour savoir qui commencerait, j'ai directement affirmé :

- Le meurtrier a tenté de m'empoisonner. Je mange la même chose que tout le monde. Cela confirme le fait qu'il ne contamine pas les ingrédients, mais les plats. Il a deux moyens de le faire : Soit il entre en cuisine 5 minutes avant le début du dîner et place le poison. Soit il introduit sur la table les aliments empoisonnés directement.

J'ai laissé plané un silence, comme si je voulais donner du poids à mes paroles suivantes. En vérité je tentais de reprendre mon souffle, et improviser quelque chose. J'avais tellement de mal à garder le fil de mes pensées, j'avais déjà oublié ma première idée.

Soudain, la voix derrière moi s'éleva. Nikolaï parlait :

- Pour empoisonner Royale en particulier, le meurtrier devait être proche d'elle.

Ah oui, c'est cela que je devais dire ! J'ai rebondit sur ses mots :

- il est certain que l'assassin la visait en particulier car les autres malades avaient été guéris et ne serait probablement par mort de l'empoisonnement, et personne n'a eu d'effets quelconque après le repas comme elle... 

Violaine demanda, l'air de boire mes paroles :

- Pourquoi n'aurait-il pas mis assez de poison pour tuer n'importe qui ?

C'est Randall qui proposa l'idée :

- Parce que le goût aurait été trop fort et trop reconnaissable probablement.

J'ai hoché la tête. Rah, mauvais idée décidément. J'ai fermé les yeux pour tenter de calmer le tournis qui me saisissait.

J'avais froid, je frissonnais de partout. Nikolaï rajusta sa veste sur mes épaules et m'encouragea d'une petite pression sur mes bras qu'il tenait pour me maintenir debout.

- C'était un travail de sape. Pour ne pas se faire prendre, il fallait qu'il le dissimule et s'y prenne doucement.

- Et toi alors ?


Demanda Léo :

- Comment t'a-t-il empoisonné ? Tu es tombée malade d'un coup.

Je me suis posée la question. Il avait raison, n'aurais-je pas du m'en rendre compte plus tôt ? Mais à vrai dire, j'étais dans un si mauvais état que j'avais bien du mal à savoir si quelque chose n'allait pas.

Soudain Anoushka demanda :

- Attendez, vous dites qu'il empoisonne les gens en posant de la nourriture déjà contaminée ?

- C'est ce qui fait le plus sens oui...

Anoushka fronça les sourcils et demanda l'air perturbé :

- Mais attendez, les gens qui ont eu des symptômes étaient... Cassiopée, Randall et Royale ?

J'ai soudain compris ce qui lui posait problème. Cassiopée était littéralement à l'opposé de Royale, et Randall était au milieu. Des gens à tous les endroits de la table avait été touchés.

Comment le meurtrier avait-il empoisonné des gens aussi espacés ?

Je les aient regardé. L'un d'entre eux l'avait fait. L'un d'entre eux jouait la comédie. J'ai jeté un discret coup d'oeil à Mizuki. Elle était probablement ma suspect numéros un, mais il fallait que je parvienne à la faire se révéler, à trouver des preuves concrètes.

J'ai théorisé :

- Les aliments bougent sur la table, surtout ceux dont il n'y a pas beaucoup... et dont peu de personne mange.

Mais c'était toujours étrange car moi, je mangeais la même chose que mes voisins.

- En ce qui me concerne, le meurtrier a du paniquer et vouloir m'éliminer aussi vite que possible, je n'ai pas du m'en rendre compte parce que j'étais déjà énormément sous pression.

Mizuki posa les mains sur le pupitre en bois devant elle et reprit d'un ton autoritaire :

- Reprenons bien les choses dans l'ordre. Le meurtrier a empoisonné des aliments en particulier, qu'il a fait circuler sur la table pour empoisonner plusieurs personnes. Puis il a sélectionné une victime, celle qui n'avait pas été guérie, et il l'a achevé avec un dernier empoisonnement en apportant directement sur la table de poison dissimulé. Il a, un peu avant ça, décidé d'empoisonner Lyslas aussi, probablement pour ne pas se faire prendre. C'est bien ça ?

J'ai serré mes poings plus fort pour me donner de la force, j'avais mal partout, et du mal à suivre :

- Et il devait donc se trouver proche de Royale. Comme toi Mizuki.

Elle me regarda un long regard que je n'ai pas sut identifier.

- Je ne suis pas coupable, je me fiche de sortir d'ici et je me fiche de Royale. Je n'ai empoisonné personne.

J'ai rétorqué :

- Violaine était trop saoule pour poser un aliment discrètement sur la table, et Remington était juste à côté de moi...

Soudain une nouvelle idée poppa dans mon cerveau. J'ai tourné les yeux vers Remington. Il pouvait ouvrir le placard à poison. C'était peut-être le seul. Il n'était pas très loin de Royale. Il aurait pu profiter de la dispute n'étant pas le centre de l'attention.

Je me suis remémorée la façon dont il ne voulait pas s'attacher à Léo de peur que nous mourrions et qu'il soit en deuil... la peur le retenait, ou peut-être... la culpabilité.

Quand j'ai plongé mes yeux dans ses yeux vairons, l'idée fleurit en moi. Il me rendit un regard apeurés, qui me parut presque coupable, comme percé à jour.

Et si...

Et si c'était Remington ?

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