Chapitre 4 (10)
Nikolaï n'était pas chez lui. Il était d'ordinaire toujours chez lui, et ne sortaient presque jamais. C'était l'une des caractéristiques de Nikolaï.
Pourtant il n'était pas chez lui. Ou il m'ignorait très fort, ce qui paraissait encore moins probable et encore plus étrange que l'idée qu'il ne soit pas chez lui, car s'il y avait une chose plus certaine que le fait que Nikolaï ne sortait quasiment pas, c'est que Nikolaï m'avait toujours, toujours fait me sentir la bienvenue.
C'était pour moi presque devenu comme une règle cosmique. S'il devait y avoir une personne auprès de qui je ne me sentais pas stressée ici, c'était bien lui, plus que Cassiopée, plus que Royale, ou que Anoushka, qui toutes trois me donnaient leur petite part d'anxiété par leur comportement imprévisible.
Le désarroi de ne pas le trouver fut tel que je me suis retrouvée complètement dépourvue. Les bras ballant je suis restée devant sa porte, sans savoir quoi faire. Je n'aurais pas du être dans cet état, mais je me sentais hagard, épuisée.
Quand je me suis reprise tant bien que mal, je suis allée vers le chalet de restauration. C'était le second endroit que côtoyait Nikolaï, même s'il n'était pas l'heure de manger.
Je suis entrée dans le lieu et un long frisson me parcourut. C'était comme si les murs et le sol de l'endroit s'étaient imprégnés de ma douleur lors de la mort de Royale, avait absorbé l'horreur de l'évènement. Tout me semblait plus lugubre, grave, presque menaçant. Un dégoût me saisit au cœur.
Et ce sentiment était amplifié par sa faible luminosité, et le fait qu'il était complètement vide.
Pas un chat. Le silence était presque physique. J'ai avancé avec réticence. Je devais juste aller vérifier les cuisines que Nikolaï ne s'y trouve pas.
Le bruit de mes pas me faisait presque sursauter. J'ai zigzagué entre les petites tables, qu'on utilisait assez peu étant donné qu'on avait tendance à prendre la nourriture et manger chez nous en petit groupe, sauf à ces foutus dîner.
Puis je suis passée à côté de la grande table où nous réunissions. J'ai tourné la tête pour ne pas voir la tache de sang, dont la légère odeur ferreuse toujours présente m'informait qu'elle n'avait pas été lavée et me portait le coeur au bord des lèvres.
Enfin je suis entrée dans les cuisines. Une grande salles en deux partie, traversée par les différents plans de travail, plaques de cuissons et autres.
Des grands réfrigérateurs étaient aussi accessibles, le garde-manger réfrigéré tout au fond contenait les aliments de bases en grandes quantité, et un peu sur la gauche, un autre garde-manger, non réfrigérés, contenait des conserves, des gâteaux secs, ou des légumes.
J'ai ouvert les portes, espérant y trouver la silhouette massive de l'ultime bûcheron.
Introuvable.
Encore une fois, j'eus du mal à rebondir. Où chercher d'autre ? Je n'avais aucune idée d'où le trouver, et contrairement à Royale, il n'allait pas apparaître d'un coup sans que j'ai à le chercher.
Chaque fois que mes pensées retournaient vers elle, mon cœur se serrait douloureusement. Je n'arrivais pas à la sortir de ma tête, mais outre la douleur que cela m'apportait, cela me permettait de rester déterminée dans mon enquête solitaire.
Il était déjà 17h, dans 2h30 le jugement se déroulerait et je n'avais pas encore de suspects réels, peu de piste, mes interrogations ne m'aidaient que peu. Et de plus en plus, les gens se reposaient sur moi pour trouver le coupable.
J'ai passé ma main sur un plan de travail et j'ai attrapé une cuillère en bois. Sans savoir pourquoi, peut-être poussée par la fatigue, je l'ai agité en l'air et j'ai commencé à très mal imiter :
- Je suis la méchante Mizuki ! Je vais mal donc ça m'excuse d'être une ordure ! Tuez-moi ! Sinon je vous tuerais avant ! Je refuse de répondre à tes questions et je me fâcherais si tu me dis la vérité !
J'ai reposé la cuillère et j'ai pris une tasse :
- Je suis Léo, je n'ai pas l'alibis, et je suis un mec lambda qui se la pète avec ses phrases pessimistes, mais comme tu m'aimes bien, tu ne me soupçonneras pas, hein Lyslas, de toute façon je te laisse te charger de l'enquête toute seule parce que je te fais confiance !
J'ai encore posé la tasse avec plus de rage que je n'aurais du. J'ai encore attrapé le premier truc sous ma main, cette fois c'était un couteau.
- Je suis Anoushka, j'aime les sous-entendus et te faire flipper sans prévenir, mais plutôt que de sortir de chez moi et aller te rejoindre je veux que TU viennes à moi, je te promet même d'arrêter de te menacer de mort !
J'ai remis le couteau dans son rangement et j'ai attrapé immédiatement, trop impatiente de continué ma petite catharsis, un torchon que j'ai passé autour de ma tête comme une perruque.
- Je suis Cassiopée, je suis terriblement belle et je le sais, et tu le sais, et tout le monde le sait, et je te comprend comme personne et je vais sécher toutes tes larmes, mais je vais aussi te laisser enquêter et m'amuser à te faire rougir et te voler ton lit et gnagnagna tu peux m'interroger si tu veux pffff
j'ai lâché le torchon par terre. Et j'ai encore pris un nouvel objet, une théière, un peu honteuse de ce déversement d'amertume, souvent des reproches injustifiés.
J'allais imiter Violaine se saoulant mais une bouteille aurait été mieux, et je me suis rabattue sur Randall Le Taciturne, quand soudain l'arrivée d'une forme au niveau de la porte, à quelques mètres à peine, sur le côté de mon champ de vision, me fit sursauter d'un coup et lâcher la théière.
C'était Nikolaï. Comme quoi, finalement il était apparut de nul part comme Royale.
Il avait l'air presque essoufflé quand il expliqua :
- Violaine m'a dit qu'elle t'avait vu frapper chez moi. J'étais partie couper du bois, pour ma cheminée. Je n'aime pas celui fournis par Monokuma, il fume trop.
Une des plus longue phrase qu'il m'ait spontanément dites. Trop surprise par l'apparition et le fait d'entendre sa voix plus de 5 secondes d'affilée, j'ai fait un pas vers lui, mais soudain déséquilibrée par mon état désastreux, j'ai glissé sur le torchon abandonné au sol.
J'ai vu le monde basculer autour de moi, mais au lieu de m'effondrer et sentir la tendre caresse du carrelage froid sous ma tête, j'ai été intercepté par les bras de Nikolaï, qui s'était empressé en une grande enjambée de m'empêcher de m'ouvrir le crâne sur le sol.
Je suis restée figée, le cœur battant, retenu à quelques dizaines de centimètres du sol par le bras de Nikolaï, comme si cela ne lui demandait aucun effort.
- Est-ce que ça va ?
J'ai hoché la tête. J'avais la gorge serrée, tellement que je n'aurais pas pu dire un mot. Il me redressa sur mes pieds, toujours préoccupée par mon état. Les larmes me sont montés aux yeux et j'ai craqué.
C'était trop. Trop de pression, trop d'évènements, trop de responsabilité, trop de contact sociaux avec trop de gens, trop de problèmes. Ma vie avant c'était juste être seule, être dans ma zone de confort, et faire ce qui m'avait toujours passionnée. Les autres, la mort, le froid, la fin, tout ça n'existait pas pour moi depuis toutes ces années.
Et me voilà à tenter de résoudre le meurtre d'une amie qui me manquait à chaque instant, dont je n'avais même pas eu le temps de me remettre de sa mort ?
Dont visiblement personne ne se préoccupait. Je me demandais si les autres se souvenaient que si j'échouais ils mourraient tous avec moi. Leur confiance en moi me terrifiait autant qu'elle me mettait en colère. Une nausée grandissante me donnait l'impression de tanguer sur un bateau.
Nikolaï ne dit pas un mot cette fois et il m'attira à lui pour me serrer dans ses bras, et me frotter la tête. Sa main recouvrait la moitié de celle-ci.
J'étais trop fatiguée pour être embarrassée, j'ai entouré son torse avec mes bras. J'en faisais à peine le tour. Peu importe. J'ai pleuré en reniflant bruyamment, comme une petite fille que j'avais cessé d'être trop tôt. Trop tôt, trop tard, trop tôt, trop tard. C'était l'histoire de ma vie. Jamais dans les temps, jamais le bon moment.
Royale me manquait, Axel me manquait, Mélanie me manquait.
Avec eux j'avais l'impression que j'y arriverais, qu'on sortirait d'ici. Ils me calmaient, ils me rassuraient. Ils avaient des réponses et des solutions, et de l'entrain et du courage. Le trou qu'ils avaient laissé je le ressentais en moi et autour de moi, un peu plus béant chaque jour.
Les gens étaient de plus en plus isolés, désemparés, perdus. Ce que j'étais déjà avant dans ma vie. Et pourtant je n'arrivais plus à l'affronter.
Je me suis laissée allée, jusqu'à ce que je me calme assez pour arrêter de pleurer. Mais je ne pouvais pas perdre trop de temps. Le procès approchait. Je n'avais pas le loisir de me laisser aller.
Il fallait encore que j'interroge Cassiopée, puis il faudrait affronter le procès, trouver le coupable, et continuer le jeu.
Je me suis décollée du torse de Nikolaï, à peine embarrassée, moins que je l'aurais crut. Et je l'ai remercié dans un croassement encore enroué de larme.
- Merci.
- Tu es en colère. Laisse-moi t'aider.
Sa première phrase était une simple constation. la secdone... Il n'était pas le premier à me le dire. Anoushka aussi, Cassiopée aussi. Il me demandait quoi faire, mais je ne savais pas justement, c'était bien le problème. J'ai craché presque méchamment.
- J'aimerais déjà savoir ce que moi je dois faire, pourquoi avez vous besoin de se tourner vers moi, vous êtes grands !
J'essayais de retenir mes larmes qui pointaient à nouveau. Je n'avais pas voulue être sèche avec lui, c'était le plus gentil avec moi depuis le début. Je ne serais même pas en vie sans lui.
J'ai soudain réalisé qu'il m'avait probablement vu imiter quelques uns de nos camarades, au moins la dernière. Je me sentis peu fière. Heureusement que je ne l'avais pas imité lui. J'en serais morte de honte.
Il me demanda calmement, sans se formaliser de mon ton :
- Est-ce que tu soupçonnes quelqu'un ?
J'ai secoué la tête, penaude et frustrée par mon impuissance. Je lui ai expliqué :
- Tout ce que je sais c'est que l'empoisonnement finale s'est fait directement dans les plats. Donc il faut que quelqu'un ait eu accès aux cuisines avant que les assiettes soient apportées sur la table. Et d'après Monokuma, ça n'est possible que 5 minutes top chrono avant l'arrivée de la nourriture sur la table.
Il eut l'air de réfléchir à mon explication et m'interrogea :
- Il aurait du être capable de viser les plats dans lesquels se serviraient Royale. Donc il devait savoir que tel plats serait posé à tel endroit sur la table.
J'ai ouvert les yeux. Depuis le début, ce détail me semblait sous-entendus dans mes réflexions comme si, bien sûr qu'il l'aurait sut, mais maintenant je réalisais que pas du tout. Maintenant que Nikolaï le formulait à voix haute, comment est-ce que le meurtrier avait put savoir où mettre le poison ?
J'ai ouvert la bouche sans savoir quoi répondre. Et Nikolaï de sa voix rocailleuse et grave ajouta :
- Je pense qu'il a du mettre le poison dans l'assiette déjà sur la table.
J'avais déjà envisagé ça, mais personne n'avait quitté la table avant la mort de Royale. Comment est-ce que quelqu'un aurait pu mélanger le liquide sans que personne ne le voit au nez et à la barbe de tous ? Sans compter l'attention que Royale portait à son entourage. Je fis pars de mes incompréhension à Nikolaï, qui réfléchit de nouveau.
- Peut-être a-t-il ajouté sur la table un aliment déjà empoisonné avant. C'est plus discret.
Un éclat de rire sortit tout seul de ma gorge sans que je le contrôle, puis soudain les larmes me revinrent aux yeux et mes lèvres se courbèrent vers le bas contre ma volonté. Je me triturais les pensées depuis ce matin pour comprendre et je n'avais pas pu penser à quelque chose d'aussi simple ?!
Je me suis sentie complètement ridicule. Comment qui que ce soit pouvait faire placer une telle confiance aveugle en moi alors que je ne pouvais même pas formuler une hypothèse basique ?
J'avais du mal à réfléchir. Un mal de tête et un sentiment de dégoût refusaient de me lâcher.
Soudain, l'odeur de forêt et de bougie au pin de Nikolaï m'enveloppa de nouveau en même temps que ses bras. Un câlin de Nikolaï était comme une couverture chaude, un cocon de sécurité.
J'ai finis de vider mes larmes contre sa chemises, encore un peu plus misérable qu'un moment auparavant. Il ne fit aucun commentaire, ne me lâcha pas jusqu'à ce que ma respiration se calme.
Une langueur terrible s'était emparée de moi, la fatigue suivant les crises de larmes. Mais encore une fois, la peur qui ne se taisait jamais au fond de ma tête ne me laissait pas me détendre.
Nikolaï reprit.
- Si c'est ce que le meurtrier à fait, il devait être assis proche de Royale.
J'ai hoché de la tête. Il n'était pas complètement exclue que le meurtrier ait placé le poison dans les cuisines, mais il semblait plus probable qu'il ait ajouté l'aliment directement sur la table. Il rajouta :
- Il y a beaucoup de places vides autour de Royale.
À cause des morts. En effet, Royale était en bout de table et à côté, il y avait Violaine et Mizuki, presque face à face, une place vide à leur côté. Puis Remington à ma droite. Personne en face de moi, puis Randall et Léo l'un en face de l'autre, à ma gauche. Les autres étaient beaucoup trop loin. En fait, à part Mizuki et Violaine, et éventuellement moi-même, tout le monde semblait trop loin.
Je pouvais difficilement croire que Violaine, complètement saoule et attirant beaucoup trop l'attention avec ses commentaires, ait pu placer un aliment extérieur sur la table sans que personne ne le remarque, ses gestes étaient lents, maladroits, et elle attirait bien trop l'attention. Mais Mizuki...
Elle était suspecte depuis le début, avec sa foutue soupe magique.
Elle aurait pu profiter de la dispute qu'elle avait provoqué, et de l'état de Violaine pour commettre son meurtre discrètement. Après tout, vouloir mourir n'empêchait pas d'être un meurtrier.
Un éclat de rage flamba soudain en moi, me redonnant énergie. J'ai levé la tête vers Nikolaï, qui me rendit un regard inquiet et trop doux pour une créature de sa carrure et de son apparence.
- Je crois que je sais.
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