Chapitre 2 (2)
Les semaines qui suivirent, je restais encore assez isolée, très absorbée dans mon travail, pour gérer mon stress. Mais l'ambiance général se détendait petit à petit que les gens apprenaient à se connaître un peu mieux au fur à mesure que nous étions moins des inconnus pour les uns les autres.
Mes moments de sociabilité étaient principalement aux repas. Le matin, je mangeais avec Anoushka, parfois on passait un bout de la matinée ensemble. C'était souvent des moments tranquilles. Parfois on ne parlait même pas, mais on appréciait la compagnie de l'une l'autre en silence. Le midi, je rejoignais Mélanie, Axel et Cassiopée, bien que Mélanie avait tendance à nous fausser compagnie de plus en plus souvent lorsque qu'elle rejoignait Violaine, qui me regardait toujours avec un mélange de froideur et d'animosité à faire froid dans le dos.
Visiblement, il se passait quelque chose entre les deux, et Axel n'avait pas l'air d'apprécier. Je ne suis pas une experte en relation humaine, mais visiblement il n'aimait pas voir la personnage qu'il appréciait le plus s'entendre si bien avec la personne qu'il appréciait le moins ici.
Ce n'est peut-être pas très bien de parler dans le dos des autres, mais nous avions pris l'habitude de nous donner nos avis sur nos compagnons, et de se rapporter les anecdotes auxquelles on assistait.
Ainsi, je sais que Cassiopée n'aimait pas Violaine, ni Mike, ni Nikolaï, et curieusement, ni Léo. Elle refusait de vraiment nous dire pourquoi, mis à part "il ne m'inspire pas confiance", mais je soupçonnait qu'il devait lui rappeler de mauvais souvenirs. En revanche elle aimait bien Remington, ce qui pouvait créer des moments gênants puisqu'ils étaient souvent ensemble.
Axel, lui, détestait ouvertement Violaine, et tentait d'utiliser l'animosité de la tatoueuse à mon égard pour me faire rejoindre son avis - et a vrai dire j'étais plutôt d'accord, même si en ce qui le concernait la jalousie s'y mêlait certainement. Il n'appréciait pas beaucoup Mike non plus, probablement à cause des propos souvent assez étroit d'esprit qu'il pouvait parfois tenir.
Je traînais un peu avec eux jusqu'à ce que mon besoin de solitude et mon anxiété reviennent et que je m'isole de nouveau.
Le soir, pour le dîner, je retrouvais les autres, et le plan de table me faisait principalement discuter avec Léo et Remington, qui semblait petit à petit forger une amitié. Randall aussi rejoint le duo au fur et à mesure qu'il quittait son trio avec Aimana et Mike. Ces deux derniers semblèrent d'ailleurs se réconcilier et se rapprocher.
Après le dîner, je pris petit à petit l'habitude d'aller rejoindre Anoushka, avec qui je passais la soirée. Il m'arriva de rester dormir sur le canapé quelque fois, quand il faisait trop sombre, ou trop froid dehors, et que rentrer seule à pied m'angoissait.
Malheureusement, personne n'avait oublié le danger qui flottait au dessus de nos tête. Les réserves de nourritures étaient encore assez fournie, mais n'étaient pas renouvelées. les ingrédients frais se faisaient de plus en plus rares et les quantités s'amenuisaient.
Au milieu de la troisième semaine, j'étais en plein milieu de mon travail, quand je voulu passer à l'archet. En cherchant dans les matériaux, j'ai réalisé que je n'avais pas de bois qui me satisfaisait. L'ébène d'excellente qualité que j'avais sélectionné pour le violon ne ferait pas l'affaire pour un archet.
Cela me plongea dans une humeur exécrable. Je sais que ça peut paraitre stupide, mais cela signifiait que je pouvais pas proprement continuer mon travail, et c'est bien la dernière chose dont j'avais besoin. Le travail me faisait tenir bon, depuis toujours c'était grâce à lui que je traversais toutes les difficultés que je rencontrais.
Je me suis dirigée vers le chalet de restauration pour le dîner en commun habituel. Une fois assise, Remington me demanda :
- Ça va Lyslas ? t'as l'air... préoccupée.
Je commençais à me servir en lui répondant machinalement, déversant le flot pensée qui m'encombrait depuis tout à l'heure :
- Ça m'énerve on est censés avoir tout ce qu'il faut pour bosser dans nos ateliers, on nous vend ces petits ateliers parfaits - ce qui au passage est un maigre réconfort quand on nous demande de s'entre-tuer - et quand je veux faire un archet, est-ce qu'il y a ne serais-ce qu'un morceau de bois de pernambouc ? ou au moins de bois d'amourette ? Évidement que non ! Ça pour me donner de l'ébène, de l'érable et l'épicéa de parfaite qualité il y a pas de soucis, mais du bois du Brésil c'est trop demandé ? J'en veux pas beaucoup, j'ai juste besoin de faire un archet de bonne qualité ! Et puis c'est pas comme s'il allait de donner de quoi en faire un en fibre de carbone bien sûr ! Du coup même si je finis mon violon, je pourrais même pas en jouer ?! Ou alors tout en pizzicato mais c'est nul, j'ai besoin d'un archet ! Et on a pas d'ultime musicien ici évidemment !
Léo et Remington s'était arrêté de manger pour me regarder déblatérer mon agacement d'une traite.
- Je ne t'ai jamais vu aussi expressive... fit remarquer Léo
- Des fois j'oublie qu'on est tous des ultimes de quelque chose ici... enchaîna Remington.
J'allais rageusement enfourner une bouchée de pain dans ma bouche quand une voix grave reconnaissable s'éleva :
- Moi j'ai du bois de pernambouc dans mon atelier.
Nous avons tous les trois tourné la tête vers la gauche vers la voix - celle de Nikolaï. Il reprit :
- J'ai énormément de sortes de bois en fait, si tu veux...
J'ai cligné des yeux, prise un peu par surprise. C'est vrai... Nikolaï est l'ultime bucheron après tout, il doit s'y connaître en bois et en technique d'abattage, et traitement du bois. Comme je ne lui répondait pas il reprit encore une fois, un peu embarrassé.
- Je peux t'en donner... si tu veux.....
Léo se resservit en commentant :
- le bois de Pernambouc, si je ne me trompe pas, c'est un bois du Brésil, qui pousse principalement sur les côtés.
Je n'ai même pas pu me retenir, j'ai rebondit joyeusement :
- Il est deux fois plus dense que du chêne ! C'est trop bien non ! Ça veut dire que ça pousse doucement par contre, c'est rare du coup.
On a continué un peu la conversation à trois. Nikolaï, Léo et moi. Jusqu'à ce que je me souvienne de la présence de Remington à ma droite.
- Oh pardon Remington, tu ne dois pas y comprendre grand chose.
Il me sourit :
- T'inquiète pas, c'est pas grave. C'est mignon de te voir aussi enthousiaste sur quelque chose.
J'ai sentis mon cœur s'accélérer un peu, prise par surprise par le compliment. J'ai peut-être rougis un peu aussi, mais je n'en suis pas sûre. J'ai bredouillé un merci. Le dîner a continué. À la fin de ce dernier, Anoushka m'attendait, comme d'habitude, mais Nikolaï m'interrompit, un peu hésitant dans sa façon de parler. Il y avait un contraste assez décontenançant entre sa timidité et son apparence intimidante :
- Lyslas.. Tu voudras... venir chercher du bois ?
Je lui souris, mon humeur complètement restaurée par notre conversation et l'idée de pouvoir continuer mon archet.
- Oui bien sûr, merci Nikolaï ! Je peux passer quand tu veux.
- Non passe quand toi tu veux, je ne quitte pas mon chalet de toute façon.
Je le remerciais encore une fois et j'ai rattrapé Anoushka, qui me demanda à voix basse, d'un ton un peu sec :
- Qu'est-ce qu'il te voulait ?
- Oh on parlait de bois et il va me donner celui dont j'ai besoin pour faire mon archet.
Je me doutais qu'Anouhska ne s'y connaîtrait pas trop en bois de lutherie alors j'ai changé de sujet :
- Une bonne journée ?
Et on enchaina avec nos nouveaux rituels.
Le lendemain, après avoir pris mon petit-déjeuner avec elle, je me suis dit que c'était un bon moment pour aller récupérer mes matériaux promis. J'ai donc quitté Anoushka devant le chalet restaurant pour tourner directement vers la gauche, où se trouvait le chalet de Nikolaï. Mais en passant devant le chalet de Royale, j'ai soudain remarqué Violaine, un peu plus loin, adossée contre le mur de son chalet, en pleine conversation avec Aimana.
Je n'avais jamais vu ces deux là se parler. J'ai hésité un instant, les regardant de loin, cachée par le chalet de Royale :
- Qu'est-ce que tu fais Lyslas ?
- ... Je n'avais jamais vu Aimana et Violaine se parler seul à seul avant ....
Pour une fois, je n'avais même pas sursauté ou relevé la présence soudaine de Royale. Je veux dire... à quoi m'attendre d'autre quand je trainais derrière son chalet ? Déjà que Royale apparaissait de nul part quand j'étais à l'autre bout de la station, alors si j'étais pile là où elle passait la majorité de son temps...
- Hmm... Hier soir aussi ils se sont parlés, mais Aimana n'avait pas l'air de vouloir d'être vu avec Violaine, il s'est tut quand ils m'ont remarqué. Je ne sais pas de quoi il parlait mais visiblement ils organisaient un truc. Il lui demandait des trucs genre "quand est-ce que c'est possible", et "où est-ce que ça serait le mieux".
Je n'ai pas fait de commentaire, il n'était pas nécessaire d'exprimer à voix haute à quel point c'était suspect et inquiétant... après quelques secondes de silence, Royale me demanda :
- Et sinon, tu faisais quoi par ici ? Tu te lassais déjà de ma compagnie ?
- En fait, j'allais voir Nikolaï.
- Oh. L'ours polaire. Il t'as menacé ?
J'ai tourné d'un coup la tête vers elle en fronçant les sourcils :
- Nikolaï ?! Me menacer ? Il à l'air un peu... rustre... mais c'est une crème en vérité.
Elle haussa un sourcil dubitatif, alors j'ai repris avec plus de conviction :
- Je t'assure, il est même assez timide.
- Hmm, si tu le dis..... Et pourquoi tu espionnes Violaine et Aimana en attendant ?
J'ai laissé passé un autre silence, un peu embarrassée par la vérité. Mais Royale avait toujours l'air de savoir quand je mentais. Elle m'avait répété plus d'une fois que j'étais une horrible menteuse. Alors j'ai confessé :
- J'ai un peu peur de Violaine... Si je sors elle va me voir...
Royale me mis un petit coup dans l'épaule un grand sourire taquin sur le visage :
- Ooooh, notre sauveuse Lyslas a peur de la grande méchante Violaine ? Tu veux que je sois ton preux chevalier et que je protège du dragon ?
Je l'ai repoussé un peu vexée.
- Ne m'appelle pas comme ça !
- Lyslas ?
- Non ! "Notre sauveuse", je suis pas une héroïne. Dis-je en me souvenant de l'ironie grinçante qu'employait Violaine en disant ce mot, en référence à mon discours final le jour du procès de Min-ho.
- Comment je dois t'appeler alors ?
- Je sais pas, Lyslas, ou comme tu veux, peu importe, mais pas "héros" ou "sauveuse".
- D'accord Petit-Bourgeon-Perçant-La-Neige-Au-Printemps, veux-tu que je t'accompagne ?
Je lui aie jeté un regard assassin et elle a éclaté de rire. Puis elle m'a ébouriffé les cheveux en me lançant joyeusement :
- Rooh je te taquine. Aller je vais faire diversion, va voir l'ours polaire.
Et elle est sortie joyeusement de derrière le chalet, presque sautillante, et allait droit vers Aimana et Violaine. J'ai vu Aimana se tendre lorsqu'il l'a remarqua et elle leur a lancé brutalement :
- Eh vous deux ! Qu'est-ce que vous faites comme ça ? On dirait que vous planifiez un meurtre ah ah ah !
J'ai arrêté d'écouter quand j'ai entendu la voix forte de Violaine rétorquer avec tout sa politesse et son tact habituel, puis je me suis glissée vers le chalet de Nikolaï. J'ai toqué et après un moment la grosse carrure en chemise à carreau de Nikolaï m'ouvrit.
En voyant sa silhouette massive boucher toute l'entrée et me dominer, et l'expression sérieuse et fermée qu'il portait sur le visage la majorité du temps, je me suis remémorée l'air peu convaincue de Royale fasse à mes protestations. Puis il me reconnut, et son visage s'ouvrit un peu, un léger sourire allégea son expression, et il se poussa pour me laisser entrer. J'ai effacé mes pensées d'un instant plus tôt.
Je suis rentrée, regardant l'espace autour de moi. Lui s'éloigna dans son atelier. Le chalet de Nikolaï avait une odeur particulière, qui me marqua immédiatement. Ça sentait le bois, bien sûr. La sève, le sapin, un peu la fumée, une note sucrée de miel. Une ambiance profondément réconfortante. Ça sentait presque comme chez moi. Il ne l'avait pas beaucoup décoré, mais la pièce n'était pas impersonnelle pour autant. Les coussins étaient un peu de travers, un plaid était posé sur le fauteuil, d'autres léger détail du genre, montrait l'occupation de l'espace.
Il revint très vite, avec une bûche pré-découpée qu'il avait enroulé dans une petite serviette.
Quand il me la tendit, j'ai encore remarqué la taille de ses mains, des mains de travailleurs, caleuses qui pourraient facilement envelopper les miennes tout entières... J'ai détourné mon esprit de cette image, un peu embarrassée.
Un ours polaire... Royale n'avait pas complètement tort - mis à part pour le fait que les ours polaire était l'une des espèces de prédateur les plus au sommet de la chaîne alimentaire et que l'homme se tenant devant moi se mouvait et parlait comme s'il était constamment dans une librairie pleines de petits chatons qu'il ne fallait surtout pas réveiller.
J'ai attrapé la bûche. Elle était lourde, mais j'ai tout de suite remarqué qu'il ne s'était pas trompé, c'était bien le bois que je voulais, et superbement conservé.
Un grand sourire fendit mon visage sans que je ne puisse le retenir. Je m'imaginais déjà au travail, entendre le son du violon dans mes oreilles. j'étais loin d'être l'ultime violoniste - et pour cause je l'avais déjà écouté en concert jouer sur l'une de mes précieuses créations, un moment inoubliable - mais j'étais tout de même, sans me jeter des fleurs, une excellente instrumentiste, et pas qu'au violon d'ailleurs.
J'ai soudain relevé les yeux sur Nikolaï, qui me surplombait, me regardant d'un air... réjouit, je pense, quoique qu'il restait encore un peu difficile à percer.
- Merci beaucoup !
- De rien.
Il n'ajouta pas un mot, mais le silence n'était pas gênant. Après quelques secondes à inspecter la bûche, je finis par lui dire au revoir et ressortir. Je me retourna joyeusement vers mon chalet, perdu dans mes projets.
Je n'aurais pas du baisser ma garde ainsi, car sans y penser, je pris le chemin le plus court pour mon chalet : le chemin qui passait devant chez Violaine. Soudain un choc violent me coupa le souffle tandis que je me sentis plaquée contre le mur le plus proche, le visage écrasée contre la surface gelée, et une voix venimeuse que je reconnu parfaitement être celle de l'ultime tatoueuse chuchota dans mon dos :
- Royale a peut-être essayé de nous distraire, mais je t'ai remarqué petite vipère, je sais que tu m'espionnais !
J'ai bredouillé, trop effrayée et surprise pour réagir convenablement :
- Q-quoi n-non j-je je...
- Essaie pas de mentir. Je ne sais pas à quoi tu joues, mais même si les autres ne remarque rien, je vois claire dans ton jeu, tu fais mine d'être toute perdue et innocente, mais tu ne me tromperas pas. Ce que tu as fait lors du procès de Min-ho... ça ne fait que confirmer mes doutes. Tu ne ne feras pas échouer mes plans.
Je n'eus pas le temps de réagir qu'elle me relâcha d'un coup.
J'ai tourné la tête en m'éloignant de quelques pas aussi vite que possible, ma bûche toujours serrée contre moi. Elle me regarda d'un air mauvais. Je ne sais pas ce qu'elle avait contre moi, mais il n'y avait pas un doute qu'elle m'en voulait en particulier. J'ai déglutit et elle fit demi-tour, et je reparti vers le mien d'un pas pressée et le cœur battant. J'allais probablement garder un bleu au bras, et peut-être aux côtes, là où ma bûche m'avait heurté en se bloquant contre le mur.
Un peu tremblante je me calfeutrai de nouveau chez moi, en me répétant qu'en continuant de baisser ma garde ainsi j'allais finir par être le prochain corps retrouvé...
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