Chapitre 37

"Rien n'est plus sûr que la mort, rien n'est moins sûr que son heure." - Ambroise Paré

Je serais prêt à parier qu'il s'agit de la voix de Jen. Elle a cet éclat à la fois aiguë et éraillé, un peu comme un personnage de dessin animé.

— Jen?

Je crois crier pourtant je suis incapable d'entendre le son de ma voix. Je perçois néanmoins le bruit ronronnant du système d'aération qui couvre progressivement la voix de Jen. Je distingue difficilement des phrases me semblant dénuées de sens:

— Salaire élevé prix bas fabriqué mais montant demande travail émane ouvriers exploitation...

Je sursaute. Le bruit de l'air conditionné s'est arrêté un instant, emmenant avec lui la voix de Jen. Et puis il s'est mis à ronronner de plus belle, mais la voix de Jen ne s'est pas rallumée. Mon téléphone portable se met à sonner, d'une sonnerie que je ne lui connais pas. Je descends de la chaise sur laquelle j'étais perché et me précipite vers le lit totalement défais sur lequel est exposé mon portable à l'écran totalement bousillé. Encore une fois, j'ignore d'où lui viennent toutes ces cassures. Je distingue le numéro de ma mère, décroche en la mettant sur hauts-parleurs:

— Miles, tu me manques tellement mon bébé...

— Maman? Ça ne fait que quelques jours que nous ne nous sommes vus. J'essaie perdu.

— Si seulement tu pouvais le savoir. Il faudrait que tu rentres à la maison, ici ce n'est pas ton chez toi... personne ne peut être à son aise dans ce genre d'endroit...

— Qu'est-ce que tu racontes? Austin est heureux ici... moi aussi, je crois.

— Votre solde de communication est épuisé, m'interrompt une voix robotisée. Veuillez recharger votre compte avant de réessayer.

Quoi? Nous ne sommes que... Je viens de me rendre compte que j'ignore totalement la date d'aujourd'hui. Mais je suis presque persuadé d'avoir reçu mes unités ces derniers jours... enfin... J'essaie de déverrouiller mon portable afin d'en apprendre plus sur la date mais celui-ci semble avoir planté, certainement à cause de son mauvais état.

Je jette un œil à travers la fenêtre de la chambre, il fait déjà nuit noire. Je prends une grande inspiration. Qu'est-ce qu'il se passe? Il y a quelque chose qui cloche. Je me rends dans le couloir, il est vide. J'appuie sur la poignée et ouvre la chambre d'Austin, elle est vide. La maison est silencieuse et tout ce que je perçois dans ma tête, c'est la petite voix de ma mère me demandant de rentrer à la maison, de rentrer à Corvallis.

Sa voix se répète encore et encore, elle se fait de plus en plus intense. Pas intense dans le sens qu'elle gagne en sévérité, mais plutôt du fait qu'elle semble de plus en plus me supplier. Elle me supplie de rentrer...

Je ne veux pas l'écouter, je veux qu'elle taise ses supplications mais elle n'en fait rien. Je suis à présent dans l'escalier et plus je descends, plus la voix de ma mère a de l'emprise sur moi. Je contracte mon poing droit avant de me cogner la tête avec à de multiples reprises, sans pour autant y mettre beaucoup de force.

Arrivé à la dernière marche de l'escalier, je sens ma détermination me quitter. Je ne fais pas le choix d'obéir à ma mère, j'y suis poussé par une peur qui me scie la tête, comme un vertige chronique.

Je sais que je ne devrais pas conduire dans cet état, que je risquerais de me planter dans un mur, une voiture, un enfant. Mais je m'évertue tout de même à rechercher les clés de voiture d'Austin. Il sera super énervé et c'est surtout pas le bon moment si on prend en compte les problèmes auxquels Brandy et lui tentent de faire face mais bon...

Je roule depuis trois heures selon l'horloge digitale contre trois minutes si je me base sur ma notion du temps.

Il y a un truc qui cloche. J'ignore quel petit malin s'est amusé à modifier les panneaux indiquant originellement les directions et autres sorties d'autoroute. Il en a effacé toutes les indications pour peindre des mots semblant être aléatoirement choisis tant ils n'ont de liens entre eux. A quelques centaines de mètres, j'avais découvert un wagon suivi d'une capote. Je guette attentivement les prochains panneaux, parce que même si ses mots me semblent anodins et ont certainement été peints par un groupe anarchiste, ils ne peuvent cesser de résonner dans mon esprit, s'additionnant à la voix de ma mère me suppliant de rentrer à la maison.

Plus les mots s'enchaînent, plus mon désarroi se décuple. À wagon et capote ont succédé kaki, aimer, pustule et analepsie.

Et puis c'était déjà fini. La personne s'était peut-être lassée...

Wagon, capote, kaki, aimer, pustule et analespsie. Ne se lassent pourtant pas de parasiter mes pensées.

Peut-être que ces mots ont plus de sens qu'il n'y parait . Je réfléchis sur ce problème mélangeant les mots entre eux afin d'en déduire une phrase douée de raison. Dans mes pensées, je ne sens pas que la voiture dévie vers la droite. C'est quand un cri est poussé que je constate ma faute. Pris d'un élan de lucidité mais pas vraiment à même d'avoir de bons réflexes, je tourne fortement le volant sur la gauche. Je ferme les yeux. Je suis à moins d'un dixième de secondes de m'écraser contre la frontière qui délimite les deux sens de l'autoroute.

J'attends complètement résigné le choc mais il ne vient jamais. Seules quelques impressions me submergent, un cri, un volant qui tourne, un capot qui s'explose contre la rembarre, des bris de verre, de la fumée et enfin un journal intime recouvert de patchworks. Et puis plus rien.

Curieux du sort qui m'a été réservé, j'entrouvre les yeux et crois halluciner. Il fait totalement jour, le soleil est si haut dans le ciel que je peux affirmer que nous sommes aux alentours de midi. Plus étonnant encore, je suis à la maison, je suis à Corvallis. À son cimetière pour être totalement exact. Est-ce un rêve? Est-ce la réalité?

Je n'ai malheureusement pas de totem comme Cobb en a la chance dans Inception. Si j'étais lui, ma toupie tournerait-elle indéfiniment où finirait-elle par vaciller comme vacille la vrai vie? Je ne sais pas...

Quand j'observe autour de moi tout semble vraiment très réel, le ciel couvert comme souvent dans l'Oregon, la verdure des arbres, le vent glacé qui s'effile dans leurs feuilles, l'enterrement qui se déroule à plusieurs mètres de moi.

Wagon, capote, kaki, aimer, pustule, analepsie, wagon, capote...

Les points d'interrogation subsistent mais je décide de me lever, de me dégourdir les jambes et de me rendre à un endroit où je n'ai été que trop peu de fois.

Je m'aventure dans le cimetière, passant loin des endeuillés pleurant leur peine sur ce cercueil pas encore en terre. J'hésite un peu sur le chemin que je dois emprunter. Il faut dire que je n'étais pas au meilleur de ma forme ce jour-là et que je me contentais de suivre le cortège sans vraiment réfléchir à où je posais les pieds. Tout seul, ces tombes mises en terre me semblent être un véritable labyrinthe.

Je finis par arriver à destination, un peu par hasard et quand mes yeux tombent sur cette pierre tombale en marbre, tout mon chagrin ne peut s'empêcher de remonter à la surface.

Jennifer Hardee (03/10/1999 - 09/05/2017) : demain commence désormais sans toi, mais tu restes parmi nous.

C'est ce qui y est inscrit. Je m'agenouille devant sa tombe et me laisse aller à ma mélancolie. Je déverse mes sanglots. Ma gorge est sèche, mon cœur est brisé et Jen n'est pas là. Que ce soit un rêve ou que ce soit la réalité, Jen n'est pas là. Dans les deux cas, c'est un cauchemar dont je ne me réveillerais vraiment jamais.

— Miles?

M'interpelle une voix dans mon dos. Je peste, je voudrais tant être tranquille. La voix insiste et s'approche de moi. Je sèche difficilement mes larmes avant de lui porter quelque intérêt.

C'est Derek, mon meilleur pote. Il porte un costard et marche lentement, traînant ses pieds dans les feuillages, gardant ses mains enfoncées dans ses poches. Le métis me lance un grand sourire, contrastant totalement avec ce genre d'endroit mais peu semble lui importer.

— Qu'est-ce que tu fais là? J'hésite en me relevant.

— Je voulais voir mon vieux pote Miles, il hausse les épaules, prendre de ses nouvelles et comprendre ce qui le retient ici.

— Je n'étais plus ici jusqu'à aujourd'hui... je souffle, j'étais en Californie, à Sacramento.

— Ah.

Il lance totalement désintéressé par mes mots. Il soupire en me rejoignant complètement. De près, je vois que ses cernes n'ont jamais été aussi grandes et ses yeux aussi rouges. Il semble être à la fois rempli de tristesse et sur le qui vive.

— Tu sais, il reprend, ça fait longtemps que je souhaite revenir ici, revenir te voir depuis... enfin tu vois quoi. Je n'en ai jamais trouvé le temps, à cause de mes études et puis les vols pour traverser tout le pays ne sont pas donnés. Tu crois que je me cherche des excuses? Tu as sans doutes raison. Ouais Miles, je crois qu'en vérité j'avais honte, j'ai toujours honte d'ailleurs. Si tu voyais ce que je deviens... tu m'engueulerais sur le champs, je bois, je fume, je me drogue... Je sais qu'avant je faisais déjà toutes ces choses mais là ça s'est intensifié, avant c'était moi qui dirigeait mais maintenant je suis guidé par mes pulsions, j'en suis à la merci. Pourtant tout le monde croit que je vais bien, certains parce qu'ils ne me connaissent qu'en surface et d'autres parce que je suis en bon menteur, surtout à longue-distance. Je ne leur mens pas pour leur faire du mal hein, je leur mens parce que c'est nécessaire pour qu'ils ne pètent pas un plomb, pour qu'ils ne laissent pas tout tomber... pour qu'elle ne laisse pas tout tomber.

Je l'écoute attentivement, ses phrases sont tristes de remords. Il laisse un moment s'écrouler sans que je ne réponde, il ajoute alors:

— Il n'y a que Froy qui arrive vraiment à me cerner maintenant. Ne crois pas que je t'ai remplacé Miles, ce n'est pas le cas. Tu restes mon meilleur ami et ce quoi qu'il arrive mais il m'aide beaucoup Froy. Il n'a pas eu une vie très évidente, enfin, au départ si il avait une vie parfaite, il vivait en Grèce dans une villa luxueuse, il avait des domestiques et tout le tralala. Mais la crise de 2010 a été destructrice pour lui et sa famille, ils se sont retrouvés endettés jusqu'à la moelle, son père s'est suicidé ne trouvant aucune autre échappatoire, il possédait une grosse assurance vie, il croyait qu'en se suicidant sa famille pourrait sortir la tête hors de l'eau, mais l'assurance a jugé cette action comme frauduleuse... sa mère a décidé de quitter le vieux continent pour le nouveau monde, où elle connaissait un ami qui accepterait de les recueillir dans le Maine. Je te retrouve beaucoup en lui, quand il me parle j'ai parfois l'impression de t'avoir face à moi, vous êtes tous les deux cons parfois, mais vous faites de votre mieux pour satisfaire ceux à qui vous tenez... c'est pour ça que je ne comprends pas ce que tu fais encore ici. Tu vas bien, tu as toute la vie devant toi.

Je détourne la tête vers la tombe de Jen. Je baisse la tête pour dissimuler mes yeux qui se remplissent d'eau. Wagon, capote, kaki, aimer, pustule, analepsie. Toujours ces mêmes mots en tête...

— Ah, j'y suis. Tu crois qu'elle y est restée, putain, si tu savais ce que tu manques en restant ici... elle...

— De qui est-ce que tu parles? Je l'interromps avec précipitation.

— D'elle, il hoche la tête, de Jen. Tu crois que Jen y est restée? Tu crois qu'elle est morte?

— Bien-sûr, je le crois parce qu'elle l'est.

— En es-tu vraiment certain? Il insiste.

— Oui! Je réponds agacé. Nous sommes à trois centimètres de sa tombe, à quelques mètres de là où gît son corps et tu voudrais me faire croire qu'il y a ne serait-ce qu'une lueur d'espoir qu'elle soit encore en vie? Elle... je bégaie. Jen est morte un point c'est tout. Si tu crois en une lueur espérant le contraire, laisse-moi souffler dessus, tu te mens juste à toi-même.

— Outch, il pose sa main sur son cœur. Je comprends. Mais parlons-nous de la même personne? Jennifer Hardee? Je ne vois aucune tombe à son nom dans les alentours.

J'ai envie de lui hurler de baisser les yeux, mais m'étrangle en voyant une toute autre gravure sur la pierre tombale.

Jefferson Hardee (07/07/1909 - 12/04/1963) : Héros de guerre, époux et père aimant.

Jen m'avait déjà parlé de Jefferson Hardee, son arrière grand-père. Il avait combattu durant la seconde guerre mondiale et avait donc participé à la victoire des Alliés. Mon esprit se met soudainement à tourbillonner, je regarde alors Derek qui me sourit tout naturellement, comme s'il ne voyait pas mon désarroi...

— Elle est...

Je m'arrête, les mots semblent me brûler les entrailles.

— Vivante? Il essaie. Oui Jen est vivante.

Ses mots me font l'effet de trois coups de massues. Il reste sérieux, il pense tout ce qu'il dit alors j'en viens à la conclusion me semblant être la plus logique:

— Alors c'est moi qui suis mort? Comment? Pourquoi?

Soudain, un gros doute s'empare de moi quant à sa présence ici même, avec moi qui suis supposé mort. J'écarquille les yeux, à bout de souffle.

— Tu es mort toi aussi? Je demande à voix basse.

— Je suis mort? Il se met à rigoler frénétiquement. Non, pas à ce que je sache. Il se racle la gorge. Toi non plus d'ailleurs.

— Je ne comprends rien... je tire sur les racines de mes cheveux. Tu ne me dis pas tout Derek... je crois que si Jen n'est pas morte, moi je le suis... l'enterrement! Je m'écrie.

Je me dirige à toute vitesse vers la cérémonie se déroulant en ce moment-même dans le cimetière. Tous les endeuillés portent des chapeaux avec d'épaisses lunettes m'empêchant de découvrir leur identité. Je m'arrête, histoire de ne pas les perturber dans leurs prières. Derek a ainsi le temps de me rejoindre.

— C'est mon enterrement? Je l'interroge.

— Je ne peux pas vraiment te le dire Miles... il hausse les épaules. Je sais juste que tu n'es pas mort, du moins pas encore.

— C-comment ça?

— Disons que tu es plus entre la mort et la vie que tu n'es entre la vie et la mort.

— Alors qui est dans ce cercueil? J'insiste.

— Je ne peux pas en être certain, il souffle désolé.

— Mais tu supposes que c'est quelqu'un? Comme il hoche la tête, je redemande. Alors tu crois que c'est qui?

— Taylor Cooke...

Wagon, capote, kaki, aimer, pustule, analepsie. Ma mâchoire se décroche et vient s'affaisser contre le sol. Je veux marcher vers le cercueil encore ouvert mais je suis cloué sur place, je veux voir si l'instinct de Derek dit vrai. Je fais un pas mais Derek m'empêche d'aller plus loin.

— Miles, arrête s'il-te-plaît. Tu ne peux pas t'en aller, tu ne peux pas tous nous laisser tomber. Tes parents ont besoin de toi, Austin aussi. J'ai besoin de toi. Jen a besoin de toi. Il plante ses yeux marrons dans les miens. Elle m'a fait promettre de ne rien te dire, mais je ne sais même pas si tu peux m'entendre, alors Jen t'aime, elle est amoureuse de toi... je ne sais pas si tu ressens la même chose, je sais que tu l'aimes beaucoup mais au point d'en être amoureux? Je n'en sais rien tu ne me l'as jamais dit mais dans tous les cas... tu n'as pas le droit de partir sans qu'elle n'ait pu trouver le courage de te l'avouer.

— Je veux juste la voir, juste un instant.

— Si tu y vas Miles, ce sera irrémédiable. Tu ne nous reverras plus, nous ne te reverrons plus... fais pas ça s'il-te-plaît.

Je jette un minuscule coup d'œil au cercueil, s'il s'agit bien de Taylor, je lui murmure un désolé, suivi d'un au revoir, sans vraiment comprendre encore pourquoi se trouverait-elle dans un cercueil. Je porte à présent mon attention sur Derek qui m'observe soucieusement. Les mots refont surface dans ma tête et je fronce les sourcils.

— Tu saurais ce que signifient les mots wagon, capote, kaki, aimer, pustule, analepsie?

Il réfléchit un instant, laissant un coup de vent froid passer.

— Si on prend la première lettre du premier mot, la seconde lettre du deuxième, la troisième du troisième et ainsi de suite on obtient... Wake up!

Réveille-toi!

*******

Hey!

J'espère que vous allez bien,

Et que ce chapitre vous a plu !

Je précise qu'il s'agit de l'avant-dernier chapitre... ouin :'( ! L'aventure Heart Monitor touche donc bientôt à sa fin ❤️ je vous aurais bien fait un petit débriefing des éléments clés de ce chapitre mais ce serait vraiment moins drôle sachant que vous aurez TOUTES les réponses à vos questions dans le prochain chapitre qui fera plus de 7 000 mots !!

Petite question importante : aimez-vous le prénom Malibu ?

Aussi comme je vous tiens au courant de toutes les séries que je regarde, je vous conseille Dark, c'est une série allemande et je vous jure que la qualité cinématographique c'est un truc de dingue, la musique l'ambiance... dispo sur Netflix :)

Cœur cœur ❣

Noémie =)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top