Chapitre 15

"Les souvenirs sont plus fidèles que les amis et les amants; ils reviennent nous voir lorsque notre âme grelotte toute seule." - Francis Mora

Je stationne la voiture de mon père dans le parking payant de l'aéroport de Portland, à une heure et demie de route de Corvallis. Je jette un coup d'œil à Derek qui a la tête enfoncée sur le repose-tête et le regard perdu vers l'horizon. Il s'en va à l'Université du Maine à l'autre bout du pays. Il souhaitait vraiment s'éloigner, il a besoin de changement et je le comprends. C'est aussi mon cas alors l'année prochaine, dès que j'aurai mon diplôme, je le rejoindrai dans le Nord de la côte Est.

Pour tous les deux, la rentrée est dans une semaine, lui assistera à des cours magistraux mais moi, j'envisage de réviser chez moi et de passer les examens de fin d'année en candidat libre. Après tout, j'ai déjà tous les cours chez moi sachant que je redouble.

Derek et moi nous sommes aidés mutuellement à aller mieux. Nous passions le plus clair de notre temps ensemble, on traînait au bord de Willamette, le fleuve cheminant par Corvallis, on jouait au basket sur le terrain municipal, allions à des soirées. Nous avons aussi campé dans la Forêt de Willamette. Je m'en rappellerai toujours, je n'avais jamais eu à supporter Derek trois jours d'affilé et je dois dire que c'est une expérience assez traumatisante mais surtout amusante. Il n'est jamais sérieux et c'est tout ce dont j'avais besoin, nous avons énormément rigolé au coin du feu.

Avec sa présence, ma peine a diminué, j'ai pu faire mon deuil progressivement et je crois que je vais mieux. Bien-sûr, Jen me manque toujours énormément mais je sais que je dois accepter la situation, je ne peux pas la ramener à la vie et elle voudrait que je sois heureux, vraiment heureux.

Mais je crains qu'avec le départ de Derek, je me retrouve seul et que je me mette à penser à Jen. J'ai peur que le manque me submerge de nouveau et pourtant, me connaissant, si je ne trouve pas rapidement quelqu'un pour m'épauler, je coulerai parce qu'il m'est juste impossible de continuer à vivre en face de chez elle, de l'avoir dans la plupart des souvenirs de ma vie, d'en être amoureux sans me noyer si je n'ai pas d'encrage.

— Le Maine me voila! Lâche Derek pour se donner du courage.

— T'as de la chance de pouvoir te barrer de Corvallis... je soupire.

— Je t'ai dit que tu pourrais travailler tes cours dans mon appart' à Orono pendant l'année et revenir à Corvallis pour passer les examens mais tu as refusé.

— Ouais mais mon père a besoin de moi avec le café, je hausse les épaules blasé.

— Ok, mais t'as pas intérêt à changer tes plans pour l'année prochaine, tu viens étudier dans le Maine et on devient colocs' toi et moi.

— Tu me diras ce que valent les filles là-bas. Je lui fais un clin d'œil.

— Oh que oui! Le campus accueille 11 000 étudiants, disons que plus de la moitié sont des filles, on retire les lesbiennes et il reste quelque chose comme 5 000 filles à tester. J'ai du boulot. Il sourit narquoisement.

— Fais gaffe aux MST quand même.

— T'inquiète, je gère.

Il ouvre son portefeuille et en sort plusieurs emballages de capotes. Il les observe fièrement alors que je le regarde perplexe. J'ai l'impression d'avoir un gosse en face de moi, mon gosse et qu'il s'apprête à quitter le cocon familial.

Derek enregistre ses bagages et on se retrouve devant la porte d'embarquement. J'ai les mains enfoncées dans les poches avant de mon jean et je lui souris un peu gêné, sachant très bien qu'il est l'heure des aurevoirs. Il passe sa main dans ses cheveux noirs bouclés avant de rehausser son sac à dos.

— Putain tu vas me manquer Miles! Il secoue la tête. T'es la seule personne que je connaisse qui semble plus vierge qu'une vierge alors que t'es même plus puceau... je crois que c'est ton côté anglais. Il se moque.

— Ferme-la, je lève les yeux au ciel.

— Dans mes bras Rosbif!

Il me fait une accolade en me tapant dans le dos et je crois que là je me rends compte que je n'aurai plus aucun de mes meilleurs amis à portée de main.

— Je vais chialer. Il dit dramatiquement.

— Moi aussi, merde.

On met fin à notre accolade et on s'observe tristement.

— Attends je te donne ça, j'y tiens comme mon œil droit alors t'as intérêt à y faire gaffe, tu me la rendras quand on se verra dans le Maine.

Il me donne une de ses nombreuses bagues en argent massif, représentant une tête de lion. Ce n'est pas mon type de bijoux, mais ça me rappellera Derek, alors je n'aurais qu'à la regarder pour être de bonne humeur. Je l'enfile autour de mon doigt souriant et le remerciant.

— Je crois que j'ai rien sur moi.

Je tate les poches de mon jean, rien. En tâtant mon torse à la recherche d'un bijoux, je sens quelque chose de froid entre mes pectoraux et je me rappelle que je porte encore le collier de Jen. Je me racle la gorge et porte mon regard sur mes chaussures. J'ai une super idée. J'enlève ma chaussure, retire ma chaussette gauche et me rechausse.

— Tu me la rendras quand je viendrai dans le Maine. Fais-y attention, j'y tiens autant que je tiens à ma chaussette droite.

Il attrape le bout de tissus du bout des doigts et affiche un visage dégouté.

— Merci... il se force. Je ne la laverai pas, comme ça quand tu me manqueras, je n'aurai qu'à humer cette bonne odeur de chaussette puante pour me rappeler de tes pieds odorants, puis de toi.

— C'est le but! Je rigole.

— Mais plus sérieusement, merci de m'avoir amené à l'aéroport alors que mes parents sont tranquillement chez moi. Merci d'être là pour moi.

— Merci d'être là pour moi.

— Bon, ça devient trop sérieux là! Il ne peut s'empêcher de rigoler. A l'année prochaine Rosbif.

— Je compte les mois avant de te revoir bébé. Je me moque.

On se fait une dernière accolade avant de se dire aurevoir d'un signe de main. Il tourne le dos et je l'observe se ranger dans la file pour la salle d'embarquement.

Je me rassois dans la voiture de mon père et pousse un long soupire. Je sors le collier de Jen, coince mon ongle dans le pendentif et l'ouvre. J'observe son visage blond qui reste intact dans ma mémoire, tout comme le son de sa voix mais pas les sensations qu'elle m'a fait ressentir, je crois que les papillons dans mon ventre sont morts avec elle. Je passe mon doigt et caresse son petit nez légèrement retroussé, ses joues rondes, ses yeux verts en amandes et ses oreilles d'elfe.

— Tu me manques Jen...

Je ferme le pendentif, le porte à mes lèvres et y dépose un doux baiser. Je laisse ensuite le pendentif retomber contre mon torse. Je repense au journal intime de Jen que Derek m'a interdit d'ouvrir. Il a raison Jen n'a jamais voulu me laisser le lire alors maintenant qu'elle n'est plus de ce monde, je ne peux la trahir.

Je repars pour une autre heure et demie de route tout aussi fluide qu'à l'allée. Je fais des petites courses sur la demande de ma mère et alors que je garais la voiture de mon père dans l'allée, je constate que Clyde et Maxence sont installés sur la balançoire à l'avant de leur jardin. Je range rapidement les courses dans le réfrigérateur et ressors les voir.

— Salut les mecs!

— Coucou Miles! Ils s'écrient en cœur.

— Vous êtes prêts pour la rentrée? Je leur souris.

— Non! Boude Maxence. En plus on aura plus ta maman comme maîtresse...

— C'est pas grave. Je le pousse pour le balancer. Vous aurez sûrement quelqu'un d'aussi gentil qu'elle...

— Elle n'était pas vraiment gentille. Répplique Clyde. Elle ne nous donnait jamais de bons-points, même quand on travaillait bien.

— Mais est-ce que vous étiez sages? Je demande suspicieux.

— On parlait un tout petit peu, je te jure Miles! Se défend le petit blond.

— Clyde, je te connais depuis que tu es né, tu crois pouvoir me mentir? Je secoue la tête. Ma mère m'a dit que vous vous amusiez à taper contre le banc pour faire du bruit, ce n'est pas ce que j'appelle être sage.

— Elle nous aime pas? Fait Maxence inquiet.

— Si! Bien-sûr que oui! Elle vous aime beaucoup mais elle vous aimerait encore plus si vous étiez sages en classe. D'ailleurs qu'est-ce que vous faites dehors? Il ne fait pas super beau...

— Les parents se disputent... encore...

Je lève la tête immédiatement et perçois des cris d'énervement. Je me rappelle alors que Jen les soupçonnait de lui cacher quelque chose. Je souris aux garçons pour les rassurer et m'approche de la maison.

— Non Karen! Tu ne peux pas y aller! Fait Jorge on ne peut plus énervé.

— Pourquoi Jorge? Lui répond sa femme. Dis-moi ce qui m'en empêche.

— Ça! Ça t'en empêche! Je regarde par la fenêtre, il lui montre une feuille de papier mais d'où je suis, je suis incapable de dire ce qu'il y a d'écrit dessus. Il te reste deux magnifiques enfants, qu'est-ce que tu veux d'autre?

— Elle! Je veux ma Jen! C'est si dur à comprendre? Sa voix se brise.

Je choisis de toquer à la porte et d'entrer directement comme je le faisais avant. Jorge s'empresse de ranger les dossiers qui étaient éparpillés sur la table de la salle à manger dans la petite pièce qui lui sert de bureau pour tenir les compte du foyer. Je fais comme si tout allait bien et vais prendre Karen dans mes bras en souriant.

— Bonjour Miles, tu vas bien?

— Oui et toi?

— Oui... je suis un peu fatiguée à cause de la rentrée des garçons que je prépare mais sinon ça va. Elle me sourit.

Je pense que ça doit lui faire très bizarre de préparer la rentrée de deux enfants uniquement... Je porte mon attention sur Jorge qui me salue sans grand entrain avant de décapsuler une bière.

— Tu en veux une? Il me propose.

— Non merci, je secoue la tête.

— Enfin Jorge... Karen commence mais elle se stoppe net.

Ils ne m'ont jamais tenu rigueur d'avoir pris leur maison comme mon bar personnel et j'en suis rassuré. C'était une période difficile pour moi et l'alcool, empirait tout, contrairement à ce que je croyais. Maintenant je ne bois plus, je ne veux plus jamais me sentir perdre le contrôle comme ça... c'est juste une sensation horrible de ne plus se sentir aux commandes de son corps.

Jorge est confus mais ce n'est rien de grave. Je dois être capable de me contrôler et de dire "non".

— Qu'est-ce qui t'amène ici Miles?

— Je viens tout juste de déposer Derek à l'aéroport et j'ai vu Maxence et Clyde dans le jardin, j'ai voulu faire un geste de présence. Ça m'a fait plaisir de vous voir, je vais rentrer chez moi maintenant, bonne journée!

En refermant la porte de chez moi, je suis déterminé à savoir ce que cachent les Hardee. C'est quelque chose qui semble important et puis, je l'ai promis à Jen. Je m'allonge sur mon lit et interroge mon téléphone portable. J'ai un message vocal de Rima. Je lève les yeux au ciel. Elle n'a jamais cessé de faire en sorte que nous nous voyions pendant les vacances mais je n'ai jamais cessé de l'éviter. Elle est trop téméraire et c'est agaçant. Je lance ma messagerie et colle mon téléphone à mon oreille.

— Salut Miles, c'est moi, Rima. Je sais que tu m'évites, que tu m'en veux encore pour ce qu'il s'est passé avec Derek. Mais je m'en vais demain pour partir étudier à Stanford... j'aimerais... je ne sais pas, que l'on se voit avant ça. Bien-sûr, ça ne nous engage à rien mais je veux juste te dire au revoir, ça rendra certainement les choses plus faciles parce que... je sais que tu as besoin de moi, même si tu refuses de l'admettre, je sais que tu m'aimes encore... et moi aussi je t'aime Miles et l'écart que tu mets entre nous est juste brisant... je t'aime tellement et toi aussi tu m'aimes, les choses ne devraient pas être aussi compliquées.

Bip.

Fin de l'enregistrement. J'ai dû l'écouter deux fois tant je n'y croyais pas mes oreilles. Elle croit que je suis amoureux d'elle? Qu'elle puisse penser ça me met en colère. Je rédige un message clair et net, espérant qu'elle supprime mon numéro et ne m'adresse plus jamais la parole.

> Miles: J'espère que c'est une blague. Je suis A-M-O-U-R-E-U-X de Jen, vielle conne.

J'envoie sans regret et fais valser mon téléphone. Je m'assois sur mon lit et prends ma tête entre mes mains. Je tente de calmer ma respiration en visualisant un papillon battant vite des ailes dans un champs de fleurs.

— Tout est plus beau au ralentis, quand il bat vite des ailes on ne peut pas observer les détails majestueux qu'il porte. Il faut ralentir. Je me dis à moi-même. Un battement... encore un battement... et un autre... ma respiration se calme, un autre.

Ma respiration retrouve un rythme régulier. Ce genre de crise, qui je crois sont de petites crises de paniques m'arrivent de temps en temps depuis que Jen n'est plus là. Ma respiration devient trop courte et j'ai l'impression de suffoquer. Je n'en ai parlé à personne, pas même à Derek, parce que je sais les contrôler. Je savais calmer le cœur de Jen, alors je suis capable de calmer ma propre respiration.

Le problème, c'est qu'après ces crises, je ressens toujours une profonde faiblesse, comme c'est le cas maintenant. J'ai l'impression d'être cassé et de demeurer cassable. Je récupère mon téléphone pour contacter Derek avant de me souvenir qu'il est dans l'avion.

Avant que nous renouions contact, je gérais ces après-crises grâce à l'alcool et il a fini par remplacer l'alcool, mais maintenant il n'est pas disponible et c'est maintenant que j'ai besoin de me sentir soutenu.

Jen!

Je soulève mon oreiller et en ressors son journal intime. Je fracasse le cadenas en claquant ma fenêtre dessus et le journal bleu s'ouvre dans mes mains. Je me sens terriblement coupable de violer sa vie privée mais elle ne viendra pas me stopper, même si je serais content qu'elle vienne me stopper, ça me permettrait de la revoir.

Je feuillette les pages et lis brièvement les premières. L'écriture est très soignée et pas du tout digne d'une enfant de cinq ans. Je crois que c'est sa mère qui écrivait pour elle. Elle raconte une sortie au supermarché, une journée dans les champs de chez ses grands-parents... Je décide de dépasser Août 2004, nous avions cinq ans, c'est là que j'ai débarqué aux Etats-Unis.

"16 Septembre 2004,

Cher Journal,

Désolée de ne pas t'avoir écrit depuis longtemps mais j'étais occupée et je t'avais perdu entre les fauteuils de la voiture de papa. Aujourd'hui, j'ai parlé à un garçon drôle, je crois qu'il s'appelle Miles, il parle bizarrement mais je crois que c'est mon voisin. J'étais assise sur le banc parce que je ne peux pas faire de sport et il est tombé en courant. J'ai vu que Sylvain l'avait bousculé mais j'ai rigolé parce que c'était vraiment drôle! Il était tout rouge après ça! Il s'est assis près de moi et il m'a demandé pourquoi je ne jouais pas. Je lui ai dit que j'ai des problèmes de cœur. Il m'a demandé si c'est parce que mon amoureux m'avait quitté. Je lui ai dit que non je n'ai jamais eu d'amoureux mais que les docteurs disent que j'ai des problèmes de cœur. Et puis Mr Tillman l'a appelé pour qu'il retourne jouer mais il ne voulait pas alors je lui ai dit ce que mon papa me dit toujours "Il faut se montrer courageux, même si on ne l'est pas, ça effraie les autres."

J'ai un sourire béat collé sur mon visage. Je ferme le journal le colle contre mon cœur.

*******
Hey!

J'espère que vous allez bien,

Et que ce chapitre vous a plu !

Cette semaine n'a pas été la semaine la plus rose de ma vie, mais bon c'est les vacances et c'est un super point positif ! À moi les grasses-mat!

Aussi vu que j'adore regarder des films pendant les vacances, n'hésitez pas à me dire quels sont vos films préférés ❤️

Cœur cœur

Noémie =)

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top