Chapitre 13

"Parce que le plus dur dans tout ça c'est de te quitter" - My Chemical Romance

Je laisse mon vélo, omettant volontairement d'accrocher l'antivol. J'aimerais bien qu'on me le vole. Je n'ai plus personne à amener en cours le matin. Je sens des regards posés sur moi et je les affronte tous sans ciller. Après que mon regard ait croisé les leurs, ils clignent frénétiquement des yeux avant de baisser la tête sans prononcer un mot.

En entrant dans le couloir, c'est la même rengaine, on m'observe, j'affronte les regards et ils se détournent. Le couloir est bien moins bruyant que d'habitude. Je m'avance vers mon casier, déverrouille le cadenas et fourre mon sac à l'intérieur. Je ferme la porte bleue et me retourne. Mon regard se pince quand je me retourne vers son casier.

Il n'est pas juste en face du mien, il est décalé d'environ cinq mètres sur la gauche. Il y a une table posée devant et elle est décorée de bouquets de fleurs, de pétales, de bougies, de cartes en forme de cœur. Il y a des photos sur le casier, on ne voit même plus sa peinture bleue. Je m'approche et à chacun de mes pas mon cœur accélère et une boule se forme dans mon estomac.

"Jen nous t'aimons", "Jen repose en paix", "Petit Ange s'en va au ciel... repose en paix Jen", "Tu es la plus forte, tu vas nous manquer"... et j'en passe. Tous ces gens... Jen ne les connaissait même pas, ils n'étaient pas ses amis et semblent si triste de sa disparition. Certaines photos portent même le hashtag #MissUJen. Tout ça sonne tellement faux, parce que tout cela est faux. Mon poing se serre et je retiens des larmes.

— Miles! Entame Justin, le super-actif du conseil lycéen. Ça fait longtemps qu'on ne t'avait pas vu. Tu vas bien?

— Oui.

Je réponds pour qu'il me laisse tranquille mais le blond voit les choses autrement et relance la discussion.

— Tu aimes bien? Tous les élèves se sont mobilisés pour elle, tu as vérifié ton Twitter et ton Instagram récemment?

— Non.

J'ai juste envie qu'il se taise et qu'il disparaisse six pieds sous terre. J'ai aussi envie de tout détruire que toutes ces cartes, fleurs, bougies viennent s'écraser contre le sol. Pour qui est-ce qu'ils se prennent? Jen aurait détesté ça. Mes ongles me rentrent dans les paumes des mains mais c'est loin de m'aider à contrôler ma colère. Je lève le bras pour tout envoyer valser mais on me tire en arrière.

C'est Derek. Le métis me regarde sévèrement et m'analyse. Je crois qu'il tente de savoir si je suis clean et oui c'est le cas alors je le repousse mais il insiste et me tient par l'épaule.

— Tu vas bien? Il hésite.

— Oui.

— Enfin, je veux dire... il se coupe et prend un grande inspiration. Mon frère m'a dit que tu passes plusieurs commandes à Swan...

— C'est pas tes affaires.

— Je sais mais Miles, si t'as besoin de parler à quelqu'un... je suis toujours là, même si j'ai pas été le meilleur pote du monde, tu sais, je suis désolé.

Je lui lance un regard totalement désintéressé et j'attends juste qu'il lâche mon épaule. Je soupire en détournant le regard. Je vois Rima, elle rigole avec un grand blond alors qu'il a son regard posé entre ses seins. Je ne suis pas en colère, je m'en fou, elle ne sait pas choisir ses types, elle fait les mêmes erreurs, il est juste intéressé par son corps, comme je l'ai été et Derek aussi. Derek se racle la gorge.

— Ils sont comme ça depuis une semaine. Il m'indique.

— Ah.

— Ouais, j'ai eu la même réaction que toi. Donc tu reviens en cours?

— Non.

Il me lance un regard perdu et j'anticipe sa question.

— Mes parents veulent que je vois la psy de l'école, ils m'auraient bien fait voir un autre mais la consultation aurait été payante... alors je suis là.

— Je l'ai vue aussi, il me confie, elle m'a aidé je pense qu'elle t'aidera bien.

— Peut-être.

Il réfléchit certainement à dire quelque chose pour meubler la conversation mais il se ravise finalement. Il tente de me sourire, mais il n'y met pas vraiment d'entrain alors j'expire longuement. Il me lâche l'épaule et regarde sa montre. Il me dit qu'il doit aller en cours et me demande de lui téléphoner dès que je le souhaite.

J'arrange ma veste en jean et poursuis mon chemin. Rima louche sur moi quand je la dépasse et je me contente de la toiser, pas de colère mais de mépris.

Je suis assis dans le couloir où sont placés le bureau de la conseillère d'orientation, celui de la conseillère d'éducation et bien évidemment celui de la psychologue scolaire. Je me triture les mains et fais glisser mon bracelet en caoutchouc le plus loin possible dans mon avant-bras.

Un bruit de serrure me dérange dans mon activité et je lève la tête. Une dame sort de son bureau, elle n'a pas une carrure imposante et elle dégage une sorte de zénitude. Elle est petite, rousse et porte un large pantalon noir. Elle pose un regard bienveillant vers moi avant de me sourire.

— Miles Bell, c'est bien toi?

— Oui... je dis sans forcer ma voix.

— Je suis Dr Ferrel. Tu peux rentrer.

Je me déplie et remarque que je suis légèrement tremblant. Je prends une grande inspiration et passe le pas de la porte. Le bureau n'est pas très grand, mais, il n'est pas non plus étouffant. Les murs sont blancs cassé et il y a du faux-parquet posé au sol. Un sofa semblant confortable est placé au fond, contre une large fenêtre éclairant la pièce. Il y a aussi un fauteuil à quelques mètres de là et une plante verte imposante. Il y a aussi des miroirs et c'est à peu près tout.

Je m'assois sur le sofa, sans oser me mettre à l'aise malgré les "mets-toi à l'aise de la psy". Je garde mes pieds serrés, contre le sol et je joins mes mains sur mes cuisses. Je les fixe des yeux.

— Tu peux commencer Miles, je t'écoute.

— Commencer quoi? Je demande stressé. Je suis censé vous dire quoi?

— Tu peux me dire tout ce que tu veux, tout ce qui te passe par le tête, ce que tu ressens, tout.

— Je peux même vous raconter que mon grille-pain est en panne depuis quelques temps et que depuis je mange des tartines non-grillées, ce que je déteste par dessus tout? Je vérifie.

— Si tu veux oui, elle hoche la tête. Qu'est-ce que tu ressens quand tu en mange une?

— Je me dis que c'est pas bon. C'est tout mou et ça n'a aucun craquant, ça m'énerve et je me plains à mes parents, ils me disent qu'ils rachèteront un grille-pain mais pour le moment j'attends toujours. Je préférais avant parce qu'il me suffisait de traverser la rue avec mon vélo pour débarquer chez Jen. Je mangeais presque tous les matins chez elle.

— Pourquoi avant? Ce n'est plus le cas maintenant? Elle prend des notes sur son calepin.

J'émets un signe de recul et fronce mes sourcils. Elle ne sait pas qui est Jen? Qui était Jen... Je sens que mes yeux me brûlent alors je tourne la tête et fixe la plante.

— Jen était ma meilleure amie. Elle est morte. Je ferme les yeux pour le sortir d'une traite.

— Ça fait combien de temps?

— Trois semaines.

— Et qu'est-ce que tu as ressenti en l'apprenant?

— Hum... j'étais effondré. Je ne comprenais pas ce qui arrivait. J'avais l'impression que le ciel tombait, que le sol se fissurait, qu'on m'avait tiré dessus une centaine de fois. J'avais le coeur brisé, j'avais mal au ventre, quand je suis rentré chez moi, j'ai vomis. Et j'avais surtout peur, peur de savoir ce que ça fait de vivre sans elle. Cette peur grandit de jour en jour et la douleur est loin de s'estomper elle aussi.

— Tu as été à son enterrement?

— Oui... il y avait tout ces gens qui pleuraient, tous ces gens qui étaient tristes et qui me prenaient dans leurs bras. Ils étaient tous habillés en noir, sauf moi et j'étais certainement plus triste que la plupart. Vous vous demandez certainement pourquoi je n'étais pas en noir et blanc? Eh bien parce que c'est un code absurde, parce qu'on met du noir on est forcément triste? J'ai mis un t-shirt à rayures jaunes, elle adorait le jaune. J'ai dû tenir ma promesse j'ai dit à Clyde et Maxence, ses petits-frères qu'elle les aime énormément et qu'elle en est très fière. Je soupire en constatant que je viens de parler au présent. Ils étaient en larmes même s'ils m'ont demandé à qu'elle heure leur sœur arriverait... je crois qu'ils réalisent sans vraiment réaliser. Ils ont mis des choses en terre avec elle, comme Géraldine et Diane Van, ses chaussures, mais j'ai volé un des trucs... j'admets.

— Comment tu te sens sans elle?

— Nul et surtout très seul. J'ai mes parents avec moi, mais, ce sont des parents, c'est pas comme si je pouvais tout leur dire. Ils m'épaulent mais ils ne me comprendront jamais comme elle le faisait. Si mon grille-pain est remplaçable, elle, ne l'est pas et j'ai l'impression d'être le seul à être aussi seul depuis qu'elle est partie.

— Comment ça? Elle me relance constatant que je me suis tût depuis un moment.

— Je la connais depuis que j'ai cinq ans et nous sommes rapidement devenus meilleurs amis. Nous faisions tout sur tout ensemble. Il n'y avait pas de Jen sans Miles et pas de Miles sans Jen. Nous avions des amis autour mais ça n'a jamais été comparable à notre relation, alors maintenant qu'elle n'est plus là, je suis seul. Ses parents peuvent compter l'un sur l'autre et ils ont leurs fils pour se consoler et Clyde et Maxence s'épaulent mutuellement. Tout le monde a quelqu'un. Sauf moi.

Je ne sais pas à quel moment j'ai décidé de m'allonger, mais je retrouve totalement mes esprits au moment où Dr Ferrel m'annonce que la séance est finie et qu'elle me reverra dans trois jours.

Je ressors, encore émotif, du bureau. Mes parents m'ont dit que je devrais profiter du fait d'être sur place pour retourner en cours afin de suivre mes dernières leçons avant mes examens mais je n'en ai pas vraiment envie. Je bloque devant le casier de Jen et au lieu de tout envoyer valser, je récupère une photo d'elle, celle qui devait figurer dans le cahier de notre promo.

Je sors ensuite le collier que je porte autour de mon cou. Il était à Jen. Je l'ai volé alors que ses parents comptaient l'enterrer avec elle parce que nous l'avions volé ensemble. Elle l'a porté pendant un long moment avant de le perdre. Son père avait mis un point d'honneur à le retrouver avant son enterrement, je crois que sa chasse au trésor lui a permis de détourner son esprit de la tragique nouvelle. Tout ça pour que je le vole...

Je coince mon ongle dans le pendentif et le débloque. Après avoir déchiré avec attention la photo afin qu'elle puisse entrer dans le minuscule cadre, je l'y place. Je souris en voyant le visage de ma meilleure amie, beau, innocent, pétillant, vivant. Je retiens des larmes et le ferme. Je garde la breloque en forme de goutte dans ma main et murmure un petit.

— Tu me manques Jen mais je ne suis toujours pas prêt à être heureux, désolé.

Je récupère ensuite mon sac à dos dans mon casier et l'ouvre. J'y trouve son journal intime que je n'arrive pas à lire pour la simple et bonne raison que je me sens atrocement coupable, j'ai l'impression de la trahir à chaque fois que je porte un regard dessus. Ses parents me l'ont réclamé, alors j'ai dit que je l'avais brûlé en rentrant à la maison parce que les secrets de Jen sont dedans et que ses secrets doivent rester secrets.

Je prends mon téléphone en sortant du lycée. Je me dirige vers le parking des vélos et ai la triste surprise de constater que personne n'a touché au mien, il est encore là à m'attendre. Quelqu'un s'est même permis d'attacher mon antivol pour moi. Je déteste cette petite ville et tous ses gens gentils.

Je plaque mon téléphone contre mon oreille et attends que mon interlocuteur réponde.

— Allô? Il répond lentement.

— C'est Miles. J'annonce.

— Encore, il rigole, t'es déjà à sec? T'as une super descente ou tu fais des soirées d'enfer?

— Ni l'un ni l'autre, mes parents ont tout jeté aux chiottes. Je souffle agacé.

— Mec, c'est chaud je veux pas d'ennuis...

— Je te paie le double.

— Tu veux quoi cette fois?

— Deux pacs de Corona, un pac de despe' red si y'en a. Deux bouteilles de vodka...

Je continue ma liste de courses et nous nous arrêtons sur le lieu et l'horaire de la livraison. Je n'ai pas d'autre choix que de passer par Swan pour avoir ce que je veux. Il est majeur et on ne lui pose aucune question. Moi, en revanche je suis encore mineur et avec l'université dans les parages les supermarchés et épiceries vérifient systématiquement les pièces d'identités avant de vendre des bouteilles d'alcool. J'ai malgré tout réussi à m'en procurer au départ mais mes parents m'ont cramé et ont fait circuler ma photo dans les épiceries et autres vendeurs de la ville, disant que si un me vendait de l'alcool, ils entameraient des poursuites judiciaires contre eux.

Ils ne comprennent pas que ça m'aide, ça m'aide à faire taire mes sentiments et ça m'aide à l'oublier pour quelques instants.

*******

Hey!

J'espère que vous allez bien,

Et que ce chapitre vous a plu !

Comme vous pouvez le voir Miles n'est pas au meilleur de sa forme... mais qui peut lui en vouloir d'être triste ?

À partir de maintenant je vais juste poster un chapitre par semaine :( désolée j'espère que l'attente ne vous paraîtra pas trop longue ❤️ mais je suis trop prise par mes cours...

Merci pour tout ❤️❤️❤️

Noémie =)

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