Chapitre 7 (Partie 1)
Martin.
Les heures ont défilé si lentement. J'ai bien cru que jamais le temps ne s'écoulerait ! Je regarde une dernière fois l'écran de mon téléphone pour être certain que je suis au bon endroit et je sors de la voiture de location. En fermant la portière, j'aperçois derrière le parking une aire de jeux. Une petite fille s'amuse sur le toboggan pendant que sa mère la surveille, non loin. Si l'enfant a levé la tête un instant dans ma direction, la génitrice m'ignore et ça me convient parfaitement. Je détourne l'œil pour me rendre vers le complexe sportif.
Il n'a rien à voir avec René-Bougnol. C'est juste une minuscule salle qui se dresse devant moi, bien loin des terrains que j'ai l'habitude de côtoyer. Je grimace en pensant que je suis tombé bien bas, chose entièrement vraie au vu de la situation actuelle.
Je pousse la porte d'entrée qui grince. Si je voulais faire une arrivée discrète, c'est mort. On a pu m'entendre à des kilomètres, je suis sûr. Elle se referme derrière moi alors qu'un couloir me fait face. Je reste planté au milieu du chemin. J'observe le mur gauche : de nombreuses photographies le décorent. Je devine avec aisance qu'il s'agit des différents titres remportés par le club. Non loin, quelques trophées reposent sagement sur des étagères en bois pour les accompagner. Une table attend patiemment d'être occupée avec deux chaises. Je suppose que les meubles servent pour encaisser la billetterie. Un moyen comme un autre après tout.
Je continue mon chemin sans trop savoir où me diriger. J'avance tout droit pendant que mon regard s'attarde sur la salle. À droite, je suis surpris d'y découvrir un petit terrain en annexe au principal. C'est rare d'en voir alors en imaginer un ici, c'est presque improbable. Et pourtant, je ne rêve pas, ils en ont bien un.
Je progresse un peu plus. Le terrain se dresse enfin devant moi. Assez simple à la manière de la billetterie. Les tribunes sont constituées de bancs qui se superposent en face du terrain. Le banc des remplaçants est en bois. Pas même une once de qualité. Je suis bien loin des sièges confortables de Montpellier. Un bien bas club, soupiré-je à demi-voix. Mieux vaut ne pas risquer qu'une personne l'entende par erreur. Au-dessus des cages, à gauche, le tableau affiche l'heure et sans doute le score lors des matchs. Vieux et dépassé, encore une fois. Il ne donne même pas le nom des équipes, juste « locaux » et « visiteurs » sont écrits pour départager. Quelques panneaux publicitaires liés certainement aux sponsors entourent le résultat et se poursuivent sur le mur où les bancs des remplaçants se trouvent. À l'opposé, l'autre but possède, quant à lui, un filet de protection. Une extension des gradins se situe derrière. Il doit servir pour empêcher les tirs ratés de s'échouer sur le visage d'un spectateur qui n'a rien demandé.
— Martin, c'est un plaisir de te rencontrer !
Surpris, je me retourne pour voir le nouvel arrivant. Un peu plus petit que moi, il porte un ensemble de sport basique noir à l'effigie du club. Sur son épaule repose un sac de ballons rempli et dans ses bras, des dizaines de feuilles sont prêtes à s'envoler à la moindre occasion. Un sourire chaleureux traverse son visage qui commence à être parsemé de rides. Ses cheveux bruns ont également décidé de le lâcher petit à petit, le laissant désormais presque chauve.
— Tu sais, j'ai beaucoup entendu parler de toi ?
Non, jure ? ai-je presque envie de lui répondre. Mais je me contente seulement de lever les yeux vers le plafond. Je m'attends à des remarques sur mon comportement, sur mon jeu, sur mon père, enfin, tout ce que les gens critiquent en général, mais rien ne vient. Ses yeux vert foncé pétillent juste en me voyant. J'ai presque l'impression qu'il m'imagine comme un sauveur, un être supérieur. C'est assez flatteur, au moins une personne qui me considère autrement qu'un gamin gâté.
— Sylvain Duarte, se présente-t-il sans se départir de sa gaieté.
Il s'excuse de ne pouvoir m'accueillir d'une poignée de main, ses dossiers ne l'aident pas. Honnêtement, je ne m'en formalise pas. Ce n'est qu'un léger détail. De toute façon, je suis ici uniquement pour jouer deux ou trois matchs et je rentre après.
Il m'invite à le suivre afin que nous puissions discuter plus confortablement dans son bureau. Il passe devant moi, me montrant le chemin à emprunter. Nous traçons entre le filet et les tribunes. J'aperçois la buvette à l'angle, non loin du terrain et juste à côté, une rangée de portes qui se succède, mais je ne m'en formalise pas. La voix de l'homme me sort rapidement de la contemplation. Avec quelques difficultés, il parvient à poser le sac à côté de la porte et à l'ouvrir sans perdre un document. Impressionnant.
Sylvain laisse retomber la paperasse sur son bureau déjà bien envahi avant de s'assoir. Je reste statique au milieu de la pièce sans trop savoir comment agir, les mains enfoncées dans les poches de mon survêtement. À ma droite se trouve une penderie. Un sac rempli de maillot l'empêche de se fermer correctement. Des paires de chaussettes trainent également non loin.
Il se racle la gorge pour attirer mon attention et d'un signe de la main, il me désigne la chaise. Quand il juge que je suis bien installé, il commence par des banalités. Pourquoi les personnes s'entêtent-elles à introduire le sujet à chaque fois ? Ne peuvent-ils pas directement passer aux choses sérieuses. Je m'en fiche un peu de savoir que ma présence risque d'apporter du peps à l'équipe, remotiver les jeunes ou ramener des fans qui viendraient me supporter. Je ne suis là pour aucune de ses raisons. Juste parce que j'y suis obligé, donc s'il pouvait aller à l'essentiel, je l'en remercierais. En plus, je compte rester ici au maximum deux semaines. Après ce sera l'annonce des sélections et il est hors de question que je ne sois pas en compagnie de ma famille et de Thibaut pour ce moment. Donc il n'est pas nécessaire de baser toute une drôle de stratégie dont je n'ai pas tout compris sur moi. L'homme devant moi est peut-être sympathique, mais il n'en reste pas moins naïf s'il pense que je poursuivrais l'aventure avec lui. À la moindre occasion, je rentre. Sauf que je ne peux pas me permettre de dire ça. Je ravale donc difficilement mes mots et j'essaye de me concentrer sur les siens.
— Je me doute que tu as déjà eu la discussion avec Henry, mais je te le redis au cas où, tu seras à la tête de l'équipe masculine des moins de quinze ans le temps de ton séjour ici.
Il continue de m'expliquer le déroulé, mais j'ai aussitôt décroché. Je ne comprends toujours pas l'intérêt de cette action. Et même, si je dois les entraîner, mais qu'il y a également un match en même temps, je fais comment ? Je ne vais tout de même pas favoriser des gosses !
— Normalement, il n'y aura pas de problème pour suivre leur match et jouer avec l'équipe séniore. Les dates ont été calées pour que ça n'empiète pas pour que nos différents joueurs puissent assister aux rencontres des jeunes. T'imagines pas quel casse-tête c'est !
Oh je n'en doute pas, mais ce n'est pas mon souci.
J'essaye de sourire de manière convaincante, pour montrer que je suis intéressé, mais je ne pense pas y être parvenu. Mais Sylvain ne s'en formalise pas. Il enchaîne avec de nouvelles informations que je suis incapable d'assimiler. Il va trop vite. J'écoute d'une oreille, mon regard s'attarde sur les cadres accrochés derrière le bureau. Ce sont toujours des représentations des handballeurs, certaines identiques à celles présentes dans l'entrée et d'autres encore plus vieilles. Je recherche Sylvain. Est-il seulement sur l'une d'elles ? Je pense. Il a l'allure d'un ancien joueur, sans doute un pivot. Je crois l'avoir trouvé. Je plisse les yeux pour mieux voir, ignorant totalement le fait qu'il puisse me reprendre. Si je ne suis pas trompée, il porte sur ses épaules une petite fille. Elle est toute mignonne avec le maillot jaune et rouge de Nousty qui est beaucoup trop grand pour elle. Sourire aux lèvres, elle doit être fière de la victoire de son père. Comme je l'étais du mien. Je crois même avoir une photo dans ce style. D'y songer mon cœur se serre. Non, ce n'est pas le moment de craquer, Martin. Je détourne mon regard pour m'attarder plus sur l'homme devant moi.
— Des questions ?
Il m'observe attentivement, attendant une réaction, mais je me contente de rester impassible. J'ai l'impression qu'il essaye de lire en moi, de connaitre les pensées qui m'ont assaillie juste avant. Que veut-il que je demande ? Je n'ai pas besoin d'informations en plus, je sais déjà le plus important. Et à moins qu'il soit complètement stupide, il doit se douter que je ne suis pas ici de bonne grâce. Mon unique but est de repartir le plus rapidement à Montpellier. Je reste muet. Je patiente juste malgré la tentation de quitter la pièce. Qu'est-ce qui me retient après tout ? Mais pour faire quoi ? Je ne vais pas rentrer à l'appartement sachant que je dois être présent pour les entraînements qui vont suivre. Alors quoi ? Je me tiens là, assis à le regarder s'occuper des documents ?
— Je ne vais pas te retenir plus longtemps. Les ballons sont à ta disposition, tu peux faire ce que tu veux en attendant que les jeunes arrivent.
C'est une bonne idée. C'est toujours mieux que d'être dans ce fauteuil.
— Ou alors tu peux me tenir compagnie aussi, rajoute-t-il avec un clin d'œil.
Beurk. Hors de question que je passe une seconde de plus dans le bureau, encore moins pour de la paperasse ennuyante. Sylvain laisse échapper un rire franc, mon dégoût doit facilement se lire sur mon visage et je ne compte pas le cacher. Je me contente de jouer, l'administratif n'est pas et ne sera jamais mon domaine. Je le laisse volontiers avec cette tâche.
Je quitte la pièce et récupère le sac qui n'attendait que moi devant la porte. Je le traine sur le sol avant de l'abandonner non loin de la table de marque. Je choisis un ballon. Il est si minuscule par rapport à ceux qu'on utilise en sénior. Je fais quelques rebonds avec un pour le tester et dès que j'en trouve un qui me semble parfait, je dribble tout en me dirigeant vers les cages. Un pied sur la ligne des sept mètres, je me prépare pour tirer un pénalty imaginaire face à un gardien invisible. Je ferme les yeux un instant pour me concentrer au maximum. Je n'accepterais pas un nouvel échec.
Je vide mon esprit. Je ne peux pas me permettre de laisse encore une fois la rage me submerger. Je me dois d'avoir la maîtrise de mes émotions et qu'elles n'empiètent pas sur mon jeu.
Les buts se dessinent face à moi. Le coup de sifflet imaginaire retentit. Je prends le temps de bien viser. Ne surtout pas me précipiter. Le bras gauche en position, je lance le ballon qui file directement en pleine lucarne droite sans difficulté. Je souffle de soulagement. Quand je veux, je peux. Je continue ainsi, réajustant au fur et à mesure mes tirs afin de les rendre les plus précis possibles.
Une bulle se forme ne laissant plus que le ballon et les cages autour de moi. Le temps d'un instant, tout s'évapore. Je redeviens le gamin qui s'occupait du mieux qu'il pouvait avant l'entraînement, en attendant mes coéquipiers. Je ne fais même pas attention à l'arrivée d'un des joueurs ni à Sylvain qui a rejoint le terrain. Ma concentration reste sur mes mouvements et mon envie de marquer.
— Je peux ?
La question du gosse me ramène à la réalité. Je me retourne vers lui. Son short rouge détonne avec son t-shirt blanc. Il m'observe, ses yeux marron n'attendent qu'une réaction de ma part. Il est grand, pas autant que moi, mais il a le temps encore pour arriver à ma hauteur. Les cheveux désordonnés, il ne me quitte pas du regard. J'ai l'impression qu'il me défie. Il me plait bien ce gamin.
— Nathan, je te présente Martin, votre nouvel entraîneur.
Sylvain s'est rapproché de nous, posant une main sur mon épaule fier de m'annoncer et de m'avoir dans le club. Ce n'est pas l'envie de me défaire qui me manque, mais je prends sur moi. Il faut que je sois sympa. Ne pas faire de bêtises, inclut bien me comporter, je suppose. Et je ne compte pas me pénaliser encore plus pour une chose aussi minime.
J'effectue une passe que le gosse réceptionne à une main et je m'installe dans les cages pour jauger un peu son niveau sur les tirs à sept mètres. C'est le jeu par excellence que je faisais avec Thibaut ou d'autres coéquipiers avant de débuter véritablement les entraînements, surtout lorsque nous arrivions en avance et que personne n'était pas là pour nous dire quoi faire.
Il se positionne à mon ancienne place. Il souffle sur une de ses mèches blondes qui tombent sur son visage et me fixe. J'avance d'un pas pour ne pas patienter sur la ligne et j'attends de voir ce qu'il compte me proposer. Gardien n'est pas mon poste, mais je ne vais pas le laisser marquer si facilement ! Je prends donc la place et tente de ne pas rester immobile pour mieux le déconcentrer.
Il arme son bras droit et je ne quitte pas le ballon des yeux. Il effectue une première feinte que j'anticipe sans effort. Dommage pour toi, petit, pensé-je. Une moue traverse son visage me faisant sourire. Tu n'imaginais pas m'avoir de cette manière, quand même ? Mais la lueur de détermination persiste dans son regard m'assurant qu'il n'a pas dit son dernier mot. Le bras toujours en l'air, il s'apprête à tirer. Je patiente un peu, le temps d'établir la trajectoire la plus plausible. Premier poteau en bas. J'en suis certain.
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