Chapitre 4

Martin.


Le silence emplit la voiture. Je n'ose pas vraiment regarder Thibaut au risque de lâcher prise une nouvelle fois. Je le remercie d'être présent alors que l'entraînement débutera bientôt. Mais en même temps je le déteste de me faire autant culpabiliser. À cause de moi, il risque d'arriver en retard et à l'approche de la réception face à Nantes, je doute que cela plaise au coach.

Après tout, c'est une rencontre de la plus haute importance. Le vainqueur peut se conforter une place en haut du classement, bien que la saison vienne à peine de commencer. Mais cet affrontement a une autre saveur pour moi. Thibaut le sait. Le club le sait. L'ancien club de mon père où j'aurais pu presque jouer à ses côtés contre l'équipe qui m'a formée. Un match des légendes, selon des spécialistes. Pour moi, il me remet en pleine face la réalité : mon père qui nous a abandonné, ma mère, le hand et moi pour repartir en Argentine sans aucune nouvelle depuis. Il a disparu des radars, personne n'a jamais réussi à joindre et ce qui blesse encore plus c'est qu'il n'a pas tenté le moins du monde de nous recontacter. Et pourtant, malgré tous les signes, j'espère toujours qu'il se manifestera lors de ce duel. En vain, puisqu'il n'en a plus rien à faire de son ancienne vie en France. Mais je l'attends, car je suis incapable d'admettre qu'il nous a oubliés. Je refuse de me dire que j'étais une simple erreur de jeunesse dans son parcours sportif.

— Arrête de réfléchir, t'es pas fait pour ça mec. Contente-toi de marquer, c'est déjà suffisant.

— Qu'est-ce que t'en sais ? J'ai peut-être des talents cachés ! répliqué-je.

Je quitte du regard le parking de la gare pour me concentrer sur Thibaut. Il lève ses sourcils, sceptique. Bon, j'avoue que ce n'est pas vraiment crédible. Le hand me sauve parce que si j'avais dû continuer les études, je ne paye pas cher de moi. Déjà jusqu'au lycée, c'était un calvaire, mais poursuivre, hors de question ! Et pourtant, mon meilleur ami arrive à concilier fac et sport à haut niveau. Je ne sais pas par quel miracle, mais il le fait. Certainement par obligation parentale plus que par choix, malheureusement.

Je m'en veux encore plus de partir pour une durée indéterminée. Cela signifie le laisser avec sa famille, seul, sans échappatoires, sans liberté. Il sera le digne et parfait représentant des Moreau. J'ai presque envie de vomir rien que d'y penser. Je ne comprends pas que des parents puissent mettre autant de pression sur leur progéniture. Je sais que mon conducteur ne dit rien, mais je ne suis pas dupe. Ça commence à lui peser. Il manquerait plus qu'ils annoncent un mariage arrangé ! Chose qu'ils seraient totalement capables de faire.

— T'espères quand même pas que je t'embrasse comme adieu ? se moque-t-il pour faire baisser la tension qui régnait dans la voiture.

— Pourquoi pas, je sais que t'en meurs d'envie, dis-je en essayant.

— C'est dommage, tu risques d'être en retard, mais promis je patienterai jusqu'à ton retour.

Il me fait un clin d'œil avant que je ne descende de l'auto dans un fou rire. J'ai bien envie de rester plus longtemps, mais je ne pense pas que le train accepte de m'attendre. Mes affaires prêtes, je salue une dernière fois Thibaut. Je ne peux pas trop le retenir non plus.

— Tu me préviens quand t'es bien arrivé, OK ? m'intime-t-il.

— Oui, papa.

J'ai presque envie de faire le salut militaire devant son expression devenue sérieuse.

— Martin, me gronde-t-il gentiment.

— Tu auras l'incroyable chance de découvrir un rapport complet de mon long et ennuyant trajet où je passerai mon temps à me dire que je serais certainement mieux dans tes bras.

Il lève les yeux vers le ciel avec mon comportement, mais je sais très bien qu'il se retient de rire. Un majeur pour adieu, il démarre la voiture, m'abandonnant sur le parking de la gare avec, pour unique compagnie, mes affaires.

Ma première mission a été un franc succès. Maintenant, la seconde ne promet pas d'être aussi facile. Il faut que je trouve une occupation pour les deux prochaines heures.

J'enfonce un peu plus la capuche de mon sweat comme s'il me permettait de me métamorphoser en homme invisible et je laisse mon attention se tourner vers les diverses personnes qui montent. Je me demande quelles sont les raisons de leur voyage : travail ? vacances ? voir de la famille ? Tellement d'options qui doivent certainement être plus attrayantes que la mienne. Je finis par détourner mon regard pour me concentrer sur mon ordinateur. Netflix est devenu mon meilleur allié. Mes lunettes et mes écouteurs en place, le logo de la plateforme se lance. Me voilà prêt à affronter ce trajet !

Le point positif de ces derniers jours : je n'ai pas vu les deux heures s'écouler. Je me rends compte que c'est bien triste de considérer ce voyage ainsi. Je range mes affaires, vérifie une ultime fois que je n'oublie rien, attrape mon sac et je quitte le train. Je sors mon téléphone caché dans la poche de mon sweat. Un soupir s'échappe de ma bouche. Une demi-heure à poireauter pour attendre la correspondance, quelle joie ! Ne pouvaient-ils pas faire une ligne directe sans que nous soyons obligés de changer à Toulouse ? Évidemment que non, sinon ce ne serait pas drôle !

Je me fraye un chemin à travers la foule. Un peu compliqué avec mon sac, mais je fais au mieux. Les mains dans les poches, la capuche sur la tête, j'essaye de trouver une boutique pour m'acheter à boire. Malgré la musique, je tends l'oreille pour ne pas rater la moindre annonce. Avec un peu de chance, le train arrive en avance et je pourrai me poser tranquillement avant de rejoindre Pau. Mon portable vibre. Je m'arrête, curieux de savoir les nouvelles de Thibaut. Je suis presque prêt à lui envoyer : déjà en manque, chéri ? Heureusement que je vérifie le destinaire. Je n'ose imaginer la justification que j'aurais dû donner à ma mère sinon ! Je texte une réponse brève pour ne pas qu'elle s'inquiète. Je l'appelerais lorsque je serai à destination, plus au calme.

J'entends quelques passants râler sous peine que je prenne beaucoup de place, mais je ne leur accorde pas plus mon attention. Je n'allais tout de même pas avancer, les yeux rivés vers mon écran au vu de la foule qui se présentait devant moi. Je ne suis pas idiot à ce point !

Je me décale pour laisser une femme qui tente de garder le contrôle de son enfant. Je lui souhaite du bon courage, ça ne doit pas être facile. Je l'observe encore un instant avant de regarder devant moi pour éviter un accident. J'esquive de peu la collision avec une passante qui profitait de sa boisson chaude.

— T'aurais pas pu faire plus attention ?

Idiot. Elle ne l'a pas dit, mais elle doit le penser fort. Je me retourne légèrement, mais je continue mon chemin. Je ne peux pas m'arrêter, surtout si c'est pour l'entendre m'insulter au vu des divers sons qui sortent de sa bouche. D'accord, elle m'en veut, mais c'est juste une boisson, pas besoin de faire tout un cirque en public ! Surtout que j'étais persuadé de m'être assez décalé pour ne pas la toucher, donc vraiment, je ne suis pas en faute. Elle ne mérite peut-être pas, mais je l'ignore. Je m'engouffre encore un peu plus, prenant bien soin de faire attention. Je reste vigilant. Il est hors de question de bousculer une nouvelle personne par inadvertance, surtout si c'est pour me reprendre une flotte d'insulte non méritée !

— Mesdames, Messieurs, votre attention s'il vous plait. Voie 4, le train TER numéro 62017 à destination de Pau, initialement prévu à 15 h 37, est supprimé. Nous nous excusons pour tout désagrément causé. Merci de votre compréhension.

Sérieusement ? Le seul jour où je dois me rendre là-bas, il faut qu'un problème survienne !

— Karma de merdre, pesté-je.

J'effectue mon achat avant de trouver un endroit où me poser pour mieux réfléchir. Je fais quoi maintenant, moi ? Je ne peux pas rentrer à Montpellier, je ne serais pas accueilli chaleureusement. Attendre le prochain train ? Au vu de ma chance, les voyages en direction de Pau ne repartiront que demain et je n'ai aucune envie de passer une nuit ici. Il reste l'option covoiturage. Ce n'est pas improbable, après tout.

Fier d'avoir une solution à mon problème, je m'empresse de vérifier les offres. Pas question qu'une autre personne saute sur l'occasion avant moi ! Le trajet réservé, je n'ai plus qu'à attendre. Au moins, j'ai réussi à me débrouiller seul.

Le chauffeur arrivera dans une vingtaine de minutes me chercher à la gare. La chaleur m'étouffe petit à petit dans la gare, je rejoins donc l'extérieur où le vent souffle. Le ciel bleu montpelliérain a laissé place à un ciel grisâtre ici. Je vous en supplie qu'il ne pleuve pas ! Du moins, tant que je ne suis pas à l'abri dans la voiture.

Je laisse mon sac retomber lourdement sur le sol et je m'en sers de fauteuil. Les automobiles et les passants défilent devant moi. Je crois même percevoir certains qui commencent à se prendre la tête. Pour ne pas me mêler des affaires qui ne me regardent pas, je décide d'écouler le temps qui me reste sur les réseaux sociaux. Je like une photo postée par le club qui montre l'équipe à l'entraînement du jour. Je devrais y être, mais non, je suis coincé ici. Je jette un caillou qui traine pour me défouler.

Des pas se rapprochent de moi. D'instinct, je détourne mon attention de l'écran et détaille le nouvel arrivant. En me voyant, la jeune femme se fige en fronçant les sourcils de surprise. Ses cheveux bruns bien qu'attachés n'ont pas du vraiment apprécier le trajet, car ils volent un peu dans tous les sens. Elle n'a toujours pas avancé pendant que je continue de l'observer. Peut-être trop même.

Sous son manque de réaction, je me demande si elle a bien pu me reconnaître ? J'ai presque envie de lui proposer un autographe ou une photo. Il est rare d'être interpellé dans la rue quand on est handballeur, surtout que je reste assez jeune, bien loin des stars comme Hugo Kaplan ou Nicolai Jespersen. Alors elle flatte mon égo. Puis on ne va pas se mentir, elle est plutôt mignonne.

— Assassin, par ta faute mon livre est mort !

Ah, non. Eh bien, tant pis. Une prochaine fois la séance photo avec une fan dans ce cas.

Je hausse les épaules avant de reporter mon intérêt sur mon portable. Je ne vais pas me prendre la tête avec elle pour une mini bousculade quand même ! Puis sérieusement, ce n'est qu'un bouquin, pas besoin d'en faire tout un drame, non ? OK, j'aurais dû faire plus attention, mais je ne mérite pas de me faire attaquer verbalement de la sorte. Enfin, je crois. Mais surtout, qu'imagine-t-elle faire face à moi ?

Je me contente de l'ignorer, mais en vain.

— C'était pas qu'un simple livre ! continue-t-elle de rouspéter.

— Si je te le repaye, tu me laisses tranquille ?

Je commence à perdre patience et je n'ai pas besoin de ça actuellement. Je jette un œil dans sa direction. Elle ne dit plus rien. Elle réfléchit. Au moins, ça permet à mes oreilles de se reposer.

— 25 € please, me dit-elle en m'offrant sa main pour que je lui donne.

J'ai presque envie de m'étouffer. Elle les achète où ses livres pour qu'ils coûtent aussi cher ? Mais si c'est le prix à payer pour qu'elle passe à autre chose, je veux bien faire un effort. Je lui tends un billet de vingt euros et un autre de dix euros. Au pire, elle se procurera en complément une boisson chaude, je n'aurais pas été surpris si elle me demandait un supplément.

— Contente ?

Elle est sur le point de chercher de quoi me rendre la monnaie, mais je l'interromps. Je n'en ai pas besoin, je ne suis vraiment pas à cinq euros près. Et je veux surtout m'éloigner le plus rapidement possible d'elle.

Bon, que risque-t-il encore de m'arriver maintenant ?

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