Chapitre 31
Martin.
Axelle a quitté ma voiture direction la gare sans un mot et ça me tue. La revoir, là, au match, c'était un sentiment incroyable. Pourtant, tout s'est vite envolé. À cause de mon père. Je ne sais pas comment la journaliste a pu avoir cette information qui n'aurait jamais dû fuiter. C'était entre lui et moi, néanmoins, depuis la fin de la rencontre, la seule chose que les personnes retiennent est cette fichue proposition que j'ai déclinée. Je n'irai pas en Argentine.
Je l'ai expliqué à Axelle, je lui ai tout raconté. La discussion avec Henry, les retrouvailles avec mon père. Elle m'a écouté. Attentivement. Pourtant, j'avais l'impression qu'elle n'était pas présente. Que quelque chose la bloquait ailleurs. J'aimerais qu'elle reste, qu'elle ne prenne pas ce train. Qu'on poursuive ensemble. Sauf qu'elle ne s'en sent pas capable. Elle a peur. Peur que j'agisse comme mon père. Peur d'expérimenter un deuxième rejet à cause du hand. Et le pire, c'est que je ne peux même pas lui en vouloir. Parce que je sais ce qu'elle ressent. Mon père m'a abandonné pour ce sport, refaisant sa vie dans son pays d'origine. Mais j'ai continué sur cette voie. Pour me dire que rien ne pouvait nous séparer. Si à la base, je jouais pour lui, aujourd'hui, je joue pour moi. Parce que je me sens vivant. Je me sens en paix. Axelle, elle, pour y arriver, elle a décidé de quitter la France pour se libérer de cette crainte.
Je ne veux pas être un poids pour ta carrière.
Foutaise, mon cœur criait alors que j'encaissais ses paroles. Elle ne le sera jamais. Oui, le hand a une place centrale, ce serait me voiler la face que d'affirmer le contraire. Cependant, je fais un point d'honneur de ne jamais délaisser mes proches. Je resterai présent pour eux. Axelle, y compris. Je ferai tout pour qu'elle soit avec moi, vivre cette aventure avec elle. Mais en même temps, je ne peux pas la retenir. Ce serait égoïste de ma part.
— Pourquoi tu fais une tête d'enterrement ? se moque Thibaut.
— Axelle est partie.
— Tu pourras toujours la revoir à Barcelone, non ?
— Elle ne veut pas aller plus loin. Elle a peur que je la délaisse pour le hand.
Pourquoi est-ce si douloureux ? Ce n'est pas la première fille qui me rejetterait. Pourtant, avec elle, j'ai tout sauf envie d'abandonner. Je souhaite laisser une chance à ce nous. Je souhaite me battre. Mais pas tout seul.
— Je suis désolé, mec.
J'offre un faux sourire. Il n'y est pour rien. Je devrais plus le remercier de l'avoir convaincue de venir assister à la rencontre.
— Et maintenant, tu comptes faire quoi ?
— Aller à Nousty. Techniquement, le prêt n'est pas levé. Ce n'était que le temps d'un match.
— T'es sûr de toi ?
Oui. Peut-être que c'est la pire idée, pourtant, j'ai envie de les aider. J'ai promis aux jeunes que je retournerais sur Pau, victorieux de la confrontation, prêt à les suivre encore un peu. Et je ne compte pas revenir sur cette promesse.
— Martin, Henry voudra te voir après l'entraînement, m'annonce celui qui dirige la séance de récupération.
J'acquiesce. Je m'y attendais, c'était évident qu'il me convoquerait. Surtout après le match de la veille. Il espère certainement ma réponse. Réponse que j'avais déjà lors de notre entrevue, j'avais juste besoin d'en discuter avec ma mère. D'avoir son accord, en amont.
Le temps file rapidement. C'est comme si je n'étais jamais parti pendant un mois. Rien n'a changé, c'est toujours les mêmes exercices, les mêmes réflexions, les mêmes discussions. Tout est identique, pourtant, j'ai l'impression que tout est devenu morne. J'effectue les mouvements mécaniquement. Je ne réfléchis plus à force de les connaître par cœur. Même si je me concentre sur les gestes, que je m'applique pour les réaliser parfaitement, mon esprit s'envole ailleurs. Il ne parvient pas à se focaliser sur l'entraînement. Il ne cesse de me renvoyer l'image d'Axelle en pleine face. Son sourire qui cachait sa tristesse, mais aussi sa fierté lorsqu'elle est venue me voir après le match hier soir. C'est le tableau que j'aimerais découvrir chaque fois que je joue, apercevoir son regard pétiller et heureux de l'équipe, de moi.
— Je dois aller à la fac, mais tu me tiens au courant ?
C'est plus un ordre qu'une question, mais j'accepte. De toute manière, il se doute que je lui enverrai un vocal après la réunion pour lui préparer un résumé. Je ne me fais pas d'illusions. Lui n'ont plus. Je ne porterai plus le maillot de Montpellier, la saison prochaine. Le club m'a peut-être offert cette chance, cependant je ne peux continuer si même l'entraîneur ne me fait pas pleinement confiance. Si les supporters, je peux accepter, c'est plus compliqué quand celui qui doit mener l'équipe vers la victoire n'est pas favorable à l'un de joueurs.
Mon meilleur ami sort des vestiaires, prêt pour enchaîner avec des heures de cours. Je ne sais pas comment il arrive à tenir les deux bouts sans couler. Les attentes sont de plus en plus exigeantes, que ce soit au hand ou à la fac, mais il reste à la surface, sans broncher. Son sourire ne le quitte jamais, prêt à soutenir le club ou même ses camarades dans le besoin. Et tout ça, juste pour ne pas décevoir des parents qui n'ont que le mot excellence à la bouche. La santé, le bonheur, l'amour ? Non, ce n'est pas important dans la vie, selon eux. Il faut toujours viser le plus haut, même s'il faut écraser les autres. C'est eux qui nous avaient mis en compétition dès mon arrivée ici. Sauf qu'à leur plus grand désarroi, au lieu de rivaliser, nous nous sommes soutenus. C'est ce qui fait notre force. On se dépasse, on cherche nos limites, mais pas pour se détruire. Pour nous-mêmes, pour l'équipe.
— Comment vas-tu Martin ? m'interroge Henry alors que je le rejoins dans son bureau.
Comme quelqu'un qui a fait un retour sensationnel, mais dont la fille qu'il aime est partie. Sauf que je ne peux pas prononcer la fin de cette phrase. Il gère un club de handball, il n'en a que faire des histoires d'amour de ces joueurs tant qu'elles n'impactent pas les performances sportives. Ce qui n'est encore jamais arrivé. Et je ne souhaite pas être le premier à en payer les frais.
— Félicitations pour ton match, tu le mérites.
— Merci.
Un blanc s'installe dans la pièce. Il attend que je poursuive la discussion, que je lance un sujet. En vain. Je reste les bras croisés, assis, sur la chaise, sans dire un mot de plus. Connaître ma décision lui brûle les lèvres, pourtant, il ne s'avance pas. Il veut mener la danse, sauf qu'il joue tout seul. Il est au courant pour mon père, évidemment. Ce ne serait pas drôle si ce n'était pas devenu viral aussitôt l'annonce révélée. Une bombe a été lâchée sans que la journaliste ne puisse y faire grand-chose.
— Donc, ton choix est pris ? suppose-t-il.
— Oui.
Enfin, une partie.
— En Argentine ?
Surtout pas.
— Non. Je ne pars pas pour rejoindre mon père. J'ai déjà décliné sa proposition. Elle ne m'intéresse pas.
— Et tu as une idée d'où tu envisages aller ?
Oui. Mais le club en question voudra-t-il de moi ?
— Le PSG serait prêt à faire une offre, m'annonce le directeur sportif.
Je le sais. L'entraîneur en a discuté avec moi après le match, sauf que je lui ai dit que je n'étais pas encore certain pour l'instant. C'était une opportunité, mais pas celle que j'attends.
— Où tu aimerais évoluer, Martin ?
— Barcelone.
C'est l'une des meilleures équipes européennes, si ce n'est la meilleure grâce aux infrastructures liées au football. Et surtout, je serais proche d'Axelle. Du moins, si elle y reste une fois diplômée. Je sais que Julien lui a proposé de travailler avec lui au cabinet, mais je suis certain qu'elle n'acceptera pas. Sauf si elle n'a pas d'autre choix. Ma réponse ne le surprend pas. J'ai toujours exprimer mon envie de porter les couleurs blaugrana de la capitale catalane.
— Je peux essayer de voir ce que je peux faire, mais je ne te promets rien. Si tu continues sur cette lancée le reste de la saison, peut-être seront-ils enclins à négocier.
Je le remercie de prendre ma demande en considération. Beaucoup de joueurs n'ont pas forcément leur mot à dire, certes, ils acceptent, mais plus par obligation, car l'équipe ne veut plus d'eux et qu'il faut faire le plus de bénéfice, donc souvent, le plus offrant. Pourtant, je sais qu'Henry, malgré tout, fera tout ce qui est en son pouvoir pour me permettre de réaliser mon rêve.
— Avec Sylvain, nous avons discuté. Ton prêt est levé, tu peux rester ici pour le reste de la saison.
— Et Nousty ? m'inquiété-je. J'ai promis que j'y retournerais.
— Tu diminues tes chances pour le Barça, si tu continues avec eux, t'en as conscience ?
— Deux ou trois semaines, le temps de les aider, de trouver une solution et je reviens. Le calendrier est soft pour cette fin d'année, vous n'avez pas vraiment besoin de moi. Eux, si.
Henry tape sur le bureau, pensif. Moi-même, à sa place, je réfléchirais plusieurs fois avant d'accepter. C'est un pari risqué, qui peut ne pas fonctionner, j'en ai conscience, mais je ne les abandonnerai pas maintenant. Pas sans une solution.
— Je veux que le 10 ou le 11 décembre, tu sois de retour ici.
J'ai deux semaines et la fin de celle-ci. Mentalement, j'essaye de me faire un planning pour ce qui m'attend. Un arrêt à Barcelone n'est pas négligeable. Seulement, j'hésite. Dès demain où juste avant de rentrer ? Et qu'est-ce que je dirais une fois face à Axelle, si toute fois, elle accepte de me parler ?
— J'espère que tu sais ce que tu fais, soupire Henry.
Il n'insiste pas plus sur mes motivations. Il finit par valider, voyant que je ne lâcherais pas l'affaire. S'il a réussi à prendre mes décisions concernant le handball, je compte bien récupérer mon contrôle et gérer le reste de ma carrière plus librement.
— Merci, vraiment.
— Allez, file !
Il ne se répète pas, je quitte aussitôt le bureau. Je déverrouille mon téléphone pour chercher les billets de train. Appuyé contre le mur dans le couloir, je comparer les différentes situations qui s'offrent à moi. Barcelone ? Pau ? Ce serait certainement mieux la ville espagnole en premier. Mettre tout au clair avec Axelle, lui faire comprendre que je veux être avec elle, que je ne compte pas l'abandonner et retourner ainsi plus serein à Nousty, un problème en moins à régler.
Un message de Thibaut s'affiche alors que je réfléchis encore à la meilleure des options.
Alors ???
T'es pas censé avoir cours, toi ???
Tu me manques trop tintin
Je savais que tu pouvais plus te passer de moi
Prend pas trop la grosse tête non plus
Axelle ne voudra pas de toi sinon
Je pourrais toujours me faire passer pour ton copain auprès de tes parents comme ça
Très drôle ahaha
C'est toi qu'a commencé
Et sérieusement, avec Henry c'était comment
— Ça s'est plutôt bien passé, commencé-je en lançant un vocal. Le PSG a discuté d'une offre avec lui, mais j'ai dit que je préfère le Barça, donc à voir. Et là, je retourne à Nousty jusqu'au 11 décembre, après tu devras de nouveau me supporter chaque jour. Ah et dernière chose, tu veux un souvenir de Barcelone ?
Aussitôt le message envoyé que je reçois une réponse.
Et j'écoute comment, idiot ???
À la fin du cours
Faut que tu te concentres bébou
Va te faire bro 🖕
Je t'aime aussi🫶
Je suis certain qu'il roule des yeux, soupirant, devant un prof ennuyeux. Je rigole, mais à sa place, je ne pourrais pas rester assis, à écouter une personne réciter des mots qui n'auraient aucun sens. Le lycée était assez compliqué pour aller au-delà.
Ramène Axelle
Elle est plus sympa au moins
🖕
Je range mon portable dans la poche de mon sweat. Sac sur les épaules, je retrouve ma voiture et rentre directement à l'appartement. Je salue une voisine qui descend promener son chien et monte les marches deux par deux pour arriver plus rapidement devant la porte.
— C'était bien la récup ? me demande ma mère.
— Ça va, la routine quoi.
Elle détourne son attention de la télévision pour se concentrer sur moi. Elle fronce les sourcils, peu convaincue par ma réponse. Elle sait que quelque chose me tracasse. Je n'ai pas encore eu le temps de lui parler de mon projet de partir. J'ai peur de sa réaction. Peur qu'elle le prenne comme un rejet alors que ce n'est pas du tout le cas. Et la soirée avec Axelle n'a pas arrangé mes craintes. Elle n'a fait que les confirmer en sous-entendant que je l'abandonnais pour le hand.
— Imagine, si l'année prochaine je devais partir, tu réagirais comment ? questionné-je nerveux.
— Si c'est ton choix, que tu es certain qu'il est bon, je te soutiendrais quoiqu'il arrive, mon chéri.
— Tu ne m'en voudras pas ?
— Je sais très bien que tu ne resteras pas toute ta carrière à Montpellier. Tu as besoin de trouver ta place, pourquoi je t'en empêcherais ?
— Parce que la fuite de papa t'a détruite ?
— Je n'étais pas préparée à ça, c'était trop soudain. Et puis, j'étais seule avec un gosse dans une ville presque inconnue. Ici, j'ai retrouvé d'anciens camarades, j'ai ma famille juste à côté et surtout, tu es grand maintenant. J'ai tout fait pour toi, je ne te retiendrais pas si tu veux partir, car je sais que tu reviendras, que tu garderas une place pour moi. Tant que c'est ce que tu désires, je serais toujours derrière toi, même si tu décides de rejoindre ton père en Argentine.
— Maman ! m'exclamé-je. Je t'ai déjà dit que j'irais pas le voir, il me veut juste pour son équipe, il s'en fiche de moi. Il n'a jamais été présent pour moi, je ne compte pas aller à l'autre bout du monde pour l'aider.
Elle sourit, un sourire rempli de fierté. Mon cœur se serre en la détaillant. Elle n'a jamais cessé de faire des efforts pour répondre à mes besoins, pourtant, je lui en fais voir de toutes les couleurs. Ma première fan, celle qui a assisté à mes premiers matchs officiels. Malgré mes écarts, elle a continué de me soutenir. Je ne suis qu'un idiot, je ne mérite même pas tous ses sacrifices.
— Je suis désolé...
— Tu n'as pas à t'excuser pour des erreurs qui ne sont pas les tiennes. Tu es la plus belle chose qui me soit arrivée, je ne t'en voudrais jamais. Je t'aime, Martin. J'aime te voir heureux. Tu es mon fils, et la porte te sera toujours ouverte, peu importe ta décision.
— Merci...
— Mais j'espère au moins que tu reviendras avec Axelle !
Mes joues rougissent. Sans même lui en parler, elle sait déjà presque tout. Même si elle ne m'a posé aucune question, elle espère que je me battrais pour elle, que je ne laisserais pas le hand se hisser entre nous deux comme il a pu créer un fossé dans la relation de mes parents.
— T'y arriveras, m'assure-t-elle comme s'il elle lisait en moi.
— Je reviendrais vite, lui promets-je.
— Je n'en doute pas.
Elle me prend dans ses bras et le temps d'un instant, je redeviens un enfant. Perdu et à la recherche d'attention.
— Ne fais pas trop de bêtises, prononce-t-elle en me serrant les joues comme quand j'étais plus jeune.
— Maman ! râlé-je.
— Mamie a cuisiné un repas, si tu veux passer les voir avant que tu repartes, annonce-t-elle en me relâchant.
— Tu viens pas ?
— Non, je vais devoir partir, je commence bientôt et j'ai quelques courses à faire.
Je hoche de la tête et la laisse terminer de se préparer. Je m'enferme dans ma chambre. Les nombreux posters des handballeurs n'ont jamais quitté les murs. Certaines photos les décorent aussi. La majorité représente Thibaut et moi à travers les saisons, ou même à la plage. Sur mon bureau, au milieu des affaires de lycées que j'ai laissées s'empiler, j'ai gardé une coupe remportée avec l'équipe de France jeune. Celle du meilleur joueur du mondial des moins de dix-neuf ans. Non loin, le trophée du meilleur jeune joueur de la saison précédente. Deux de mes plus grandes fiertés. Et même si ce n'est pas si loin, j'ai l'impression qu'ils ont été remportés il y a une éternité. Je me laisse retomber sur mon lit. Ma main cherche sur la table basse le livre qui m'attend patiemment.
Mes yeux parcourent les pages, ne détournant pas l'attention une seule seconde. Pris dans l'intrigue, je n'arrête pas d'imaginer les diverses solutions, à la recherche du coupable. Axelle a bien choisi le roman. L'enquête pour découvrir l'assassin occupe toutes mes pensées, me transposant dans l'univers. Je comprends mieux pourquoi elle tient tant à la lecture, elle peut s'évader, changer à sa guise de scénarios pour se couper du monde.
Mon portable me ramène malheureusement à la réalité, loin des problèmes de l'équipe toulousaine de rugby qui tente de percer les secrets de leur coéquipier mort. Sans surprise, c'est Thibaut.
Rapporte-moi ton maillot dédicacé de Barcelone
Ou celui de Pedri
Ouai celui de Pedri c'est mieux
Au moins c'est un bon joueur lui
Et surtout passe le bonjour à Axelle
J'ai promis que je lui ferais visiter Montpellier
Et te trouver une copine c'est pas possible ?
Tu sais très bien que c'est toi mon seul amour
Même si j'accepte de te partager avec Axelle
Je reprends la lecture, cherchant le moment où je me suis interrompu avant cette distraction. Un nouveau message de sa part.
Reviens en forme bro
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