Chapitre 30


Axelle.


Qu'est-ce que je fais là ?

Cette question tourne en boucle depuis que j'ai posé un pied à Montpellier. Pourquoi ai-je accepté la proposition de Thibaut ? Ce n'est pas mon monde. C'est celui de mon père. Celui de Martin. Alors pourquoi ai-je fini par prendre un billet de train pour voir ce match ? Je me le demande encore. Qui peut m'assurer que je suis la bienvenue ? Thibaut peut m'affirmer que je le suis, je n'arrive pas à le croire.

Je ne veux pas le croire.

Je redoute la réaction de Martin. Ces derniers jours, j'ai ignoré ces messages et ces appels. Je ne pouvais pas entendre parler de lui. Son départ sonnait comme un abandon. J'ai beau savoir qu'il retournerait chez lui, j'osais espérer que je serais rentrée à Barcelone. Que les adieux aient été préparés, pas si soudain. C'est égoïste de ma part. Le hand, c'est toute sa vie. Jamais je ne serais passée avant, c'est indéniable. Je ne peux même pas lui en vouloir. Il mérite de suivre sa passion.

Une nouvelle fois, j'observe mon portable et le message reçu. Thibaut s'excuse de ne pas pouvoir être présent à la gare. Les dernières mises au point l'obligent à rester avec l'équipe. Il a cependant insisté pour que je ne me rende pas seule au gymnase, surtout avec mes affaires. Mon retour étant initialement prévu demain, j'ai avancé d'une journée mon départ, je n'avais donc pas d'autre choix que de rejoindre la ville accompagnée de mon sac. Sauf que pour le match, ce n'est pas le plus agréable.

Je n'ai aucune idée de la personne qui doit me récupérer. J'ai essayé de lui dire que ça irait. Ce n'est pas si grave, après tout, dans le pire des cas, je me serais débrouillée. Je ne suis pas non plus chargée au maximum. La majorité de mes affaires n'ont pas quitté Barcelone. Mais il n'a rien voulu entendre. Je me retrouve donc devant la gare à la recherche de quelqu'un dont je n'ai aucune information. Comment suis-je censé savoir qui m'amènera au gymnase ? Aux dernières nouvelles, je ne suis pas encore divin.

Un bâillement s'échappe de mes lèvres. Le trajet a été long. Un peu plus de six heures de train, mes jambes engourdies me crient qu'elles envisagent juste se poser dans un lit confortable. Et j'avoue que l'idée n'est pas déplaisante. Elle est même très tentante.

— Tu dois être Axelle, n'est-ce pas ?

Les paroles s'infiltrent dans mon esprit, mais résonnent comme un écho lointain, presque étouffés par le tumulte de mes émotions intérieures. Je resserre inconsciemment ma prise sur mon sac, me sentant soudainement vulnérable devant cette étrangère qui semble si familière. Thibaut aura des comptes à rendre après ce match, peu importe le résultat. Il n'échappera pas à mes reproches.

Je reste muette, incapable de trouver les mots appropriés en présence de cette femme. Mes idées s'entrechoquent, mes émotions se bousculent. J'ai évité de penser à Martin ces derniers jours, de peur de me laisser submerger par le chagrin. Et maintenant, sa mère se tient devant moi, comme un rappel poignant de ce que j'ai fui.

Je ne m'attendais pas à cette rencontre, elle n'était pas dans ma liste pour cette soirée. Pourtant, son visage m'évoque irrémédiablement celui de Martin. La ressemblance est trop frappante pour être ignorée, trop évidente pour être le fruit du hasard. Mon cœur se serre douloureusement dans ma poitrine, confronté à cette réalité que je ne désirais pas affronter.

Un faible « oui » sort de ma bouche alors que je détourne le regard, gênée. Un sourire éclaire son visage. Malgré les traits identiques avec son fils, elle apparaît plus chaleureuse, moins renfermée à l'inverse de Martin.

— Tu es magnifique !

Je rougis à ces paroles sans savoir comment réagir. Ses yeux bruns me détaillent et comprennent facilement mon malaise. Ce n'est pas contre elle, c'est juste que je n'ai pas l'habitude de me retrouver au centre de l'attention, d'autant plus quand la situation était loin d'être prévue. Quand est-ce que j'aurais pu imaginer une seule seconde qu'en venant au match, je rencontrerais la mère de Martin ? Bon, dans un sens, il est logique qu'elle soit présente. Les deux sont proches. Mais quelle était la probabilité que ce soit elle qui me conduirait au gymnase ?

— Je, heu, merci beaucoup, bégayé-je. Je ne voulais pas vous déranger.

— Bien au contraire, je suis contente de faire enfin ta connaissance ! me rassure-t-elle. Surtout que tu as dû supporter Martin, ce qui ne devait pas être facile...

Elle m'arrache un sourire. Elle n'a pas tort. Au fond, s'il était détestable, je le comprends aussi. Perdu, envoyé loin pour une vulgaire histoire d'argent, ce n'était pas simple pour lui. Même si Arthur essayait de l'aider, il restait seul, isolé. Il avait de quoi être à cran, pourtant, il s'est tout de même investi auprès des plus jeunes. Et je ne peux que regretter de lui en vouloir pour son départ qui était écrit à l'avance. J'avais peur de me sentir une nouvelle fois rejetée. J'ai toujours cette peur. Il a affirmé qu'il resterait en contact avec moi, néanmoins, cette crainte qu'il ne finisse par se lasser m'habite continuellement.

— Il va bien ? demandé-je en jouant avec la lanière de mon sac à main.

— C'est un peu compliqué, mais ça ira.

Je n'insiste pas plus. Une vague de remords m'envahit. Est-ce de ma faute ? L'ai-je déconcentré avant ce match si important ? De nombreuses pensées s'entrechoquent, imaginant le pire.

— Ne te fais pas de soucis pour lui, il s'en sortira, comme toujours, me rassure-t-elle. Puis, tu n'y es pour rien...

Elle soupire cette phrase, un voile de tristesse traversant son visage un instant. Je brûle d'en apprendre plus, de découvrir ce qui pourrait tant le perturber, lui et sa mère, mais je me retiens. Peut-être que si j'avais pris un moment pour répondre à ses messages, j'en saurais davantage. Je devrais me contenter de cette information en espérant que tout ira pour le mieux.

— Allez, viens, on va finir par être en retard, m'encourage-t-elle pour que je le rattrape.

Le match ne débute que dans une heure approximativement, mais il faut rajouter le temps pour rejoindre le gymnase. J'ai quand même eu de la chance de pouvoir réserver ce train sans qu'il ait de retard, comme la SNCF en a régulièrement. Non, je n'ai pas du tout mon retour sur Pau en travers de la gorge... Je la suis en direction de l'automobile. J'y laisse mes affaires et ne garde que mon sac à main.

Le trajet s'effectue dans le silence. J'apprécie ce calme après six heures dans un brouhaha constant, c'est bénéfique. C'est reposant. Ma tête se pose sur la vitre et mes yeux se ferment légèrement, bercés par la voiture. J'aurais bien aimé prendre le temps de visiter la ville, au lieu de ça, je la traverse rapidement. Trop.

Le gymnase se dresse majestueusement devant nous, tel un colosse de béton émergeant de l'horizon urbain. Sa silhouette imposante domine désormais le paysage, se détachant nettement contre le ciel dégagé de la soirée. Des panneaux publicitaires colorés ornent ses murs : MHB vs PSG, le 20 novembre, ne ratez pas ce match ! Quelques handballeurs de Montpellier sont en fond pour attirer un maximum de passants, bien que la rencontre doit se jouer à guichet fermé.

Des éclats de voix résonnent déjà autour de nous, mêlés au bourdonnement incessant de la circulation urbaine. Des groupes de supporters arborant les couleurs de leur équipe défilent devant l'entrée, impatients d'assister à la confrontation tant attendue. L'excitation est palpable dans l'air, électrisant l'atmosphère de cette soirée spéciale.

La mère de Martin se rapproche du bâtiment. Elle sort un badge qui lui permet de se garer dans un parking réservé aux joueurs et à leurs familles, évitant ainsi tout problème pour venir au stade. Pas besoin de compter sur des horaires de bus aléatoires de cette manière.

À mesure que nous arrivons autour gymnase, je remarque les détails architecturaux qui le distinguent : ses lignes épurées et modernes, ses grandes baies vitrées laissant entrevoir l'activité frénétique à l'intérieur, et son logo imposant trônant fièrement au-dessus de l'entrée. Des drapeaux flottent au vent, agités par une brise légère, ajoutant une touche de couleur et de mouvement à la scène.

La foule continue de s'agglutiner devant les guichets, les tambours sont sortis pour ambiancer la confrontation. Même si ce n'est pas si comparable, je ne peux m'empêcher de repenser aux matchs de foot auxquels j'ai pu assister à Barcelone. Certes, les supporters ne sont pas aussi nombreux, mais ils répondent présents pour soutenir leur équipe. Mon cœur se sert de revoir les images qui défilent dans mon esprit. Évidemment, Pablo devait refaire son apparition ! Après tout, quand j'y allais, c'était toujours avec lui...

Je resserre ma prise sur la lanière de mon sac. Ce n'est pas le moment de ressasser le passé ! J'ai tourné la page, je n'en ai plus rien à faire de cet idiot. Le plus important reste le match de Montpellier ; Martin. Mon esprit ne doit pas perdre de vue l'objectif principal : parler avec lui, mettre les choses au clair, même si je redoute les adieux.

— Tu viens, Axelle ?

Elle me tire de mes pensées et m'encourage à la suivre vers l'entrée. Je la remercie de m'attendre alors qu'elle passe plus facilement la sécurité que moi. Il faut dire que j'ai eu un peu de mal à retrouver la place numérique, mais je n'ai pas eu le temps de l'imprimer. Je souffle enfin lorsque je rentre dans le gymnase. La foule se presse dans les couloirs, cherchant fébrilement leurs sièges avant le début du match. Des vendeurs ambulants proposent des collations et des boissons, tandis que des fans discutent des pronostics de la rencontre. Beaucoup parlent du retour de Martin. Je ne peux m'empêcher de les écouter. Connaître leur avis m'intéresse plus que de raison.

— Gomez revient, j'espère qu'il ne va pas faire encore n'importe quoi, bougonne un spectateur.

— L'équipe a besoin de lui, renchérit un ami à lui.

— Mouais, à voir. Mais pour l'instant, c'était pas si mal quand il n'était pas là.

Mon cœur se serre en entendant les différentes conversations qui restent sceptiques quant à la présence du joueur dans la composition. Peut-on vraiment leur en vouloir ? OK, Martin n'a jamais été montré sous le meilleur des jours, pourtant, je trouve que certains le dénigrent trop aisément pour de supposés supporters. Il reste humain, il ne devrait pas recevoir autant de critiques, qu'importe les erreurs qu'il fait. Aucun sportif ne le devrait.

Je continue d'avancer sans perdre la mère de Martin. Thibaut a réussi à m'avoir une place dans les tribunes familiales. Pour, je cite « que ce soit plus facile de discuter avec les joueurs à la fin du match. » Les gradins se remplissent petit à petit. Après tout, l'échauffement n'a même pas encore commencé. Tant mieux, je vais pouvoir souffler un peu. Certains sportifs parisiens s'installent sur une moitié du terrain sous les sifflements des fans.

En retrait, mon regard parcourt la salle. Proche du terrain, niveau placement, il n'est pas possible d'imaginer mieux. Au-dessus, les dates des titres du club sont affichées ainsi que le nom de certains joueurs emblématiques. C'est impressionnant de voir que l'équipe a remporté autant de trophées, dont deux Européens !

La mascotte, un renard bleu, s'amuse dans les tribunes, attirant l'attention de quelques enfants qui se précipitent pour faire une photo avec lui. Une si belle image se dessine devant moi, avec ces jeunes dont les yeux sont remplis d'étoiles.

Dans la poche arrière, mon portable vibre m'arrachant à la contemplation. Un premier message provenant de Pablo s'affiche, mais je l'ignore. Comme tous les précédents qu'il a pu me laisser. Sofia m'en a également envoyé un afin de savoir l'heure à laquelle je poserai de nouveau un pied à Barcelone. Question dont je n'ai pas encore la réponse. J'ai dû changer mes horaires et j'avoue ne pas avoir pris le temps de réserver un nouveau voyage. Quant à l'appel, ma mère vient d'essayer de me joindre. Une panique s'installe au creux de mon cœur. Pourquoi ?

Je remonte les marches pour quitter les gradins. Je serais plus à l'aise pour écouter, éloignée de la cohue. D'autant plus que d'après les acclamations perçues, les joueurs montpelliérains sont entrés sur le terrain pour l'échauffement. J'aurais aimé être à ma place pour effectuer un signe vers Martin, mais tant pis. Ça attendra.

Mes doigts inscrivent machinalement le numéro alors que je me pose sur l'escalier, en évitant de gêner les passants. Le vent frais me fait regretter mon manteau laissé à l'intérieur sur mon siège. La foule s'est dispersée, seulement des petits groupes entrent dans l'enceinte du gymnase, désormais.

— Allô, maman ?

— J'ai bien cru qu'il t'était arrivé quelque chose ! s'exclame-t-elle à l'autre bout du fil, exagérant ses propos.

— Maman..., soufflé-je, rassurée que ce ne soit que ça.

— Excuse-moi de me faire du souci pour toi, me réprimande-t-elle.

J'encaisse les mots sans savoir quoi ajouter de plus. Je me mords la langue. J'adore ma mère, sauf quand elle s'inquiète trop pour moi. Je ne suis pas partie à l'aveugle comme il y a trois ans. Mon voyage était préparé, certes, à l'improviste, mais, grâce à Thibaut, tout était bien calculé. Il avait même insisté pour m'offrir en plus de la place, les billets de train — chose que j'ai évidemment refusée —.

— Tu sais, je ne suis plus une enfant... Je suis assez grande, puis ce n'est pas comme si je partais pour la première fois en terre inconnue.

Elle le sait. J'en suis persuadée. Pourtant, elle ne peut s'empêcher d'imaginer le pire. Surtout qu'elle s'en veut de ne pas avoir été très présente durant ces cinq semaines, c'était la crise à l'hôpital. Je ne peux pas lui en vouloir, au vu de ses horaires et des conditions de travail, ce serait égoïste de ma part. Et même si elle n'était pas aussi disponible qu'elle l'aurait souhaité, j'ai apprécié les moments en sa compagnie. La revoir en vrai, ça m'a fait du bien. Rien à voir avec les appels en visio que nous avions pris l'habitude de réaliser une fois par semaine.

Je fronce les sourcils d'incompréhension. Je n'arrive pas à entendre ce qu'elle vient de prononcer. Même en essayant d'assembler les mots chuchotés, il n'y a aucun sens.

— Qu'est-ce que tu as dit ?

— Non, rien, c'est juste ton père qui me parlait. Il voulait te souhaiter un bon match. Et qu'il était désolé, surtout.

Un rire nerveux s'échappe involontairement. Désolé. Il est désolé. Il s'excuse de quoi ? De m'ignorer ? De me juger incapable pour son équipe ? De me prendre pour une gamine qui ne comprend rien ? J'aimerais bien savoir ce qui le ronge. Il pourrait d'ailleurs lui-même me le dire, mais il n'est pas prêt à m'affronter en face. Il préfère se cacher derrière l'argument du hand et du club, c'est plus simple pour fuir les problèmes extérieurs. Sauf quand ils se ramènent dans cette bulle qu'il s'était fait forger.

— Bon, maman, j'aurais aimé poursuivre cette joyeuse discussion, mais je dois y aller le match a débuté, mens-je. Je te rappelle lorsque je serais bien rentrée à Barcelone. Fais plein de câlins aux chats de ma part.

Sans lui laisser le temps de me répondre, je raccroche. Je passe une main dans mes cheveux pour les recoiffer avant de me relever. Quelques retardataires arrivent encore avant que la rencontre ne commence. J'ai conscience que mon mensonge n'a pas pris. Mon père doit très certainement être devant la télévision, en attendant le coup d'envoi, donc elle sait que l'heure approche, mais que ce n'est pas encore. Il doit rester une dizaine de minutes.

La différence de température est flagrante dans la salle. L'ambiance est bouillante quand je retourne à ma place. Les supporters mettent le rythme avec les tambours et leurs cris. La mascotte continue toujours son tour, cette fois-ci sur le terrain en suivant les coups des instruments. Le commentateur explique les enjeux, ou réalise une présentation. Je ne sais pas vraiment. Il n'articule pas assez et parle trop vite pour que je puisse comprendre quelque chose.

— Tu reviens pile pour l'annonce des joueurs, m'annonce la mère de Martin en criant pour passer au-delà de la musique.

Je me laisse retomber sur le siège en acquiesçant. Au moins, je vais pouvoir penser à autre chose pendant la confrontation. Je me vide l'esprit. Les études, le stage, les problèmes ; plus rien n'existe désormais. Je me contente de profiter du spectacle qui s'offrira à moi.

— Veuillez accueillir les Parisiens, s'écrie l'homme au micro.

Quelques applaudissements se font entendre, mais c'est assez maigre. Par principe, je le fais, à la recherche du commentateur. Sauf que je n'arrive pas à le trouver, ni sur le terrain ni dans ses alentours. Je lève la tête, espérant le voir, mais il reste invisible.

— Et maintenant, je veux que vous fassiez du bruit pour nos joueurs !

Les tribunes tremblent sous les acclamations de la foule qui scande le nom de chaque handballeur annoncé. Les sportifs rentrent un à un, saluant le public tout en restant concentrés sur la prochaine heure. Un sourire se dessine sur mon visage lorsque c'est le tour de Martin. Les spectateurs hurlent son nom de famille, recevant un retour chaleureux malgré certains avis divergents. Il ne lance pas de regard dans notre direction, trop concentré sur ce qui l'attend. Thibaut le suit de près. Les deux ne sont jamais vraiment séparés. Et je ne peux que repenser au match de la France où l'un était dans les tribunes quand le second réaliser son rêve sur le terrain. Je sais que Martin y parviendra. Il serait bête de ne pas exploiter son potentiel en équipe de France. Vraiment.

Les titulaires se mettent en place pour débuter la rencontre. Les arbitres ont seulement le temps de donner le coup d'envoi que mes Montpelliérains se précipitent vers les cages adverses. Sans attendre une seconde, Thibaut s'élance est marqué. Il n'a laissé le temps à personne de souffler qu'il engage le premier but. Une tension s'élève. Mon cœur s'accélère au rythme des tambours qui encouragent les handballeurs.

J'observe le jeu se dérouler devant moi, rapidement. Bien trop rapidement. Je ne comprends pas tout, pourtant, je prends plaisir à suivre le match. Martin se donne à fond, il a accepté son rôle très à cœur. Sa mère m'a expliqué qu'en général, en défense, ce n'était pas lui qui jouait aussi avancé, mais que s'il évoluait ici, c'était que l'entraîneur avait confiance en lui. Et je n'en doute pas une seconde. Il parvient à gérer Hugo Kaplan, qui est l'un des meilleurs sportifs français actuels, si ce n'est pas le meilleur. Alors pour arriver à le gêner, il faut posséder un certain talent. Les actions s'enchaînent, aucun répit n'est possible. Les buts pleuvent des deux côtés, les joueurs s'accrochent, se poussent. La tension est à son maximum pour cette première mi-temps.

Je retiens mon souffle lorsque Martin finit à terre, attrapé par un joueur adverse. Je grimace en voyant sa cheville recevoir un coup, bien que minime. Déjà qu'elle était fragilisée par sa chute lors d'un des matchs de Nousty, alors s'il s'en reprend un autre encore, ce n'est pas bon signe. La foule hurle envers le parisien pendant que je me concentre sur le joueur à terre. Sa mère, bien qu'habituée aux contacts qu'il doit se prendre, n'est pas pour autant cent pour cent rassurée. Une lueur d'inquiétude traverse son visage. Pourtant, il la rassure d'un signe de tête lorsqu'il jette un rapide coup d'œil dans notre direction. Je me demande s'il m'a aperçue ou s'il s'est uniquement concentré sur sa mère et le regard fier qu'elle lui porte. Mon corps refuse de bouger quand j'aimerais le saluer, lui montrer ma présence. Sauf que j'en suis incapable et je reste immobile comme une idiote, à espérer qu'il aille bien.

— On dirait que c'est toi qui joues, tellement tu es stressée, se moque gentiment la mère de Martin.

Mon genou tremble alors que les supporters célèbrent le pénalty réussi du numéro 18. A-t-elle tort alors que j'ai presque l'impression que toute ma vie est en jeu ? Les arbitres sifflent la fin de mon calvaire sur un nouveau but de Martin qui enfonce encore plus l'écart. Je savais qu'il avait un bon niveau, pour l'avoir vu en action à Nousty. Mais là, c'est encore totalement différent. Incroyable. Je n'ai pas d'autres mots pour le qualifier. Pendant près de trente minutes, il a réussi à tenir en échec le meilleur handballeur tout en augmentant le compteur de but. De quoi bien fêter son retour dans l'équipe !

— Pourquoi le parisien cherche Martin ?

Je fixe la petite altercation entre les deux joueurs, je reconnais rapidement le handballeur qui a provoqué la faute quelques minutes auparavant.

— Quand Martin était plus jeune, il avait joué un match contre lui et il avait fait une remarque concernant son père. Évidemment, il n'a pas accepté qu'on le critique et ils se sont battus. Depuis, dès qu'il en a l'occasion, Aurélien s'amuse à le provoquer, à le rabaisser, à la briser la confiance pour je ne sais quelle raison. Je suppose qu'aujourd'hui ne déroge pas à la règle, soupire-t-elle.

À la mention du père, j'ai senti une vague de tristesse dans sa voix. L'abandon lui pèse encore, et je ne peux que la comprendre. Pourtant, elle ne s'est pas laissé abattre et a réussi à prendre soin de son fils malgré tout. Je connais vaguement l'histoire. Du moins, je sais que Martin a eu de nombreux soucis, mais je n'imaginais pas en être témoin lors de ce match. Son intérêt de jouer ce match a une autre saveur. Il voulait montrer que les attaques verbales ne le touchaient plus. Enfin, en extérieur en tout cas. Il a réussi à se maîtriser sans perdre le contrôle, il s'est naturellement imposé dans ce duel. Et il ne peut qu'être fier de lui pour cette réussite.


***


La seconde mi-temps ne baisse pas d'intensité. Les joueurs de Montpellier donnent tout sur le terrain pour conserver leur avantage de cinq buts face au club de la capitale. Je rejoins l'euphorie des spectateurs en me levant et applaudissant les différentes actions, dont la majorité viennent de Thibaut ou de Martin. Le duo ne laisse aucune chance aux Parisiens qui subissent toute la rencontre. Les deux meilleurs amis sont enfin réunis et ils font de nombreux dégâts au point de dégoûter les adversaires.

— But de Martin..., commence le commentateur.

— Gomez, hurle la foule.

Je souris, la fierté s'empare de moi alors que je continue de soutenir l'équipe. Plus précisément, Thibaut et Martin. Même Hugo Kaplan est dépassé dans cette rencontre, passant à côté de son match. Personne ne peut stopper les attaques de Montpellier quand le PSG coule lentement, marquant de temps en temps, mais sans que ce ne soit suffisant pour recoller au score. Mon regard s'attarde un instant sur le banc de touche des adversaires, Aurélien serre les poings sur son short. Son entraîneur ignore son appel pour rentrer. Puni pour ses actions, il reste coincé assis, obligé d'observer ses coéquipiers sombrer un peu plus au fil des minutes, sans qu'il ne puisse faire grand chose.

La rencontre se termine sur une victoire écrasante de l'équipe : 30-22. Montpellier conforte sa seconde place et peut même rêver plus haut avec cette défaite des Parisiens. La première place ne doit plus être si loin désormais et je ne doute pas d'eux qu'ils feront tout ce qu'il faut pour la décrocher. Les joueurs célèbrent alors que la musique résonne en fond pour les accompagner dans cette fête.

— Et pour son grand retour, avec un match exceptionnel, c'est Martin qui est élu sans surprise, meilleur joueur du match ! félicite le commentateur.

Les applaudissements redoublent d'intensité. L'un des dirigeants offre le trophée individuel à Martin qui le brandit devant la salle en feu. Un instant, il se retourne dans la direction de ses adversaires, à la recherche d'Aurélien pour lui montrer la récompense et le faire encore plus rager. Chose qui fonctionne parfaitement bien. Le parisien grimace, il s'avance vers la célébrité de la soirée avant de se faire interrompre par un de ses coéquipiers. Il crache des mots, et si je n'ai pas réussi à entendre de quoi il en retournait, ils ne devaient pas être les plus sympathiques.

— Il ne peut pas prendre de rouge pour insulte ou je ne sais quoi ? questionné-je.

— Non, le rouge ne servirait à rien le match est terminé, m'explique-t-elle. Il peut cependant écoper d'un rapport disciplinaire qui peut coûter de l'argent au PSG en fonction de la situation.

— Eh bien, il mériterait, maugréé-je.

Elle acquiesce sans quitter la scène des yeux. Redoute-t-elle une réaction excessive de son fils ? Non. Elle a pleinement confiance en lui, ça se ressent, elle est sereine. Elle observe juste les limites qu'il franchit sans que Martin réagisse. Il conserve son calme, lui offrant son plus beau sourire pour mieux le narguer. Aurélien s'énerve encore plus, sans l'entraîneur parisien qui intervient, je n'aurais pas été surprise s'il en venait au poingt pour ne serait-ce qu'avoir une réaction.

Les tribunes se vident peu à peu alors que je reste à ma place sans savoir quoi faire. La mère de Martin discute avec la famille de certains joueurs tandis que je fixe encore le terrain, désormais occupé par certains enfants des handballeurs ou alors des jeunes du club qui s'amusent après cette belle confrontation. Quelle belle insouciance à cet âge-là ! Quand j'étais plus jeune, je profitais aussi de ces moments. Les adultes célébraient leur victoire quand nous, nous jouions à les imiter. Mais c'était à l'ancienne. C'est peut-être même un temps révolu si Nousty ne trouve pas une solution.

— Auriez-vous besoin d'un guide ?

Thibaut me sort de mes pensées. Martin n'est pas avec lui, je ne le vois pas. La peur de ne pas être à ma place m'envahit de nouveau. Je fuis son regard regrettant presque d'être venu jusqu'ici.

— Axelle, ça va ? s'inquiète-t-il.

Non.

— Oui, oui, juste un peu fatiguée.

Il ne me croit pas, mais n'insiste pas plus. Que lui dirais-je ? Que je ne devrais pas être au match ? Que son meilleur pote n'en a certainement rien à faire de moi ?

— Tu devrais arrêter de t'en faire, me rassure-t-il. Martin sera plus qu'heureux de te voir, je peux te le garantir.

— Même si j'ai ignoré tous ses messages et ses appels ? À sa place, je ne le serais pas vraiment...

— Sauf que tu es là pour lui quand même, non ?

Oui. Parce que je tiens à lui plus que je ne devrais l'admettre. Parce que je m'en veux de m'être comportée ainsi ces derniers jours.

— Allez, viens, on va le voir.

En prenant une grande inspiration, je finis par rejoindre les dernières marches qui me séparent du terrain. Le match désormais terminé, il est possible d'y accéder de notre place. J'évite un ballon perdu par l'un des enfants et je suis Thibaut. J'aperçois Martin, en discussion avec l'entraîneur du Paris Saint-Germain. Non loin, un de ses coéquipiers est en pleine interview pour la réaction d'après-match.

Au milieu du terrain, je me sens minuscule face aux gradins qui nous surplombent, et pourtant, il ne reste pratiquement personne. Je n'ose imaginer la sensation en plein match. C'est angoissant, mais aussi si satisfaisant de voir autant de supporters venus pour t'encourager.

— Tintin ! interpelle Thibaut à côté de moi.

Le concerné tourne sa tête dans notre direction une fois l'échange terminé. S'il fronce les sourcils, ne comprenant pas pourquoi son meilleur ami l'appel, l'incompréhension laisse place à la surprise lorsqu'il m'aperçoit à côté.

— Axelle ?! Mais... tu... pourquoi ?

Ses mots n'ont aucun sens, il bégaye, les cherchant comme si son esprit s'était embrouillé après le match. Thibaut finit par nous laisser, jouant avec quelques enfants qui le réclamaient.

— Beau match, le félicité-je.

Un sourire éclaire son visage en comprenant que j'étais bien réelle et qu'il ne rêvait pas. Il s'avance, hésitant dans ses gestes. C'est drôle de le voir aussi distrait quand je l'ai connu plus confiant dans ses actions.

— À quoi tu penses, Tintin ?

Si la première fois, c'était mon cerveau qui surchauffait, aujourd'hui, c'est son tour de perdre ses moyens. J'aimerais bien savoir ce qui traverse son esprit à l'instant même. Savoir si son cœur bat autant à la chamade que le mien.

— À toi.

Il se rapproche encore un peu de moi. Mes joues chauffent. Je l'observe. Sa respiration est toujours saccadée après le match de folie qu'il a réalisé, son visage rougit par les efforts quand quelques mèches brunes se collent à son front, et pourtant, je le trouve aussi beau. Ça me tue de le dire, mais déjà à la gare à Toulouse, je le trouvais magnifique, mais là, c'est un niveau au-dessus. Peut-être parce qu'il n'est plus un simple handballeur assassin de livre ? Mes yeux s'attardent sur sa bouche. J'ai envie de regoûter ses lèvres comme cette nuit-là. Il capte mon regard et s'il se moque, je sais qu'il pense à la même chose que moi. Sur la pointe des pieds, j'effleure ses lèvres. Ses mains se posent au creux de mes hanches.

— Merci d'être là, souffle-t-il dans mon cou.

Je passe une main dans ses cheveux mouillés alors qu'il resserre son étreinte. Plus rien n'existe autour de nous. Il ne se soucie pas de ses coéquipiers qui discutent avec leur famille ni des jeunes qui braillent. Et moi, je me contente de profiter de l'instant. De ce dernier câlin.

Une voix nous sépare lorsqu'elle interpelle Martin pour recueillir sa réaction pour son grand retour. Il râle quand je la maudis intérieurement. À contrecœur, il rejoint la femme qui attend pour lui poser des questions. Thibaut a abandonné les jeunes qui ont retrouvé leurs parents. Non loin, il parle avec une des photographes de l'équipe qui continue encore de capturer les ultimes moments sur le terrain. Je rigole alors qu'il essaye d'attirer son attention avec des gestes approximatifs et des paroles hésitantes.

Ma concentration se focalise de nouveau sur le héros de la rencontre. Je n'ai pas suivi le début de l'interview, mais je crois qu'elle lui demande comment il s'est senti après cette grosse performance et ce dont il attend de la suite. Je n'entends pas la voix de Martin, sa réponse me passe au-dessus de la tête. Seules ses lèvres bougent sans qu'aucun son n'en sorte.

— J'ai entendu dire que vous allez rejoindre votre père, en Argentine. Est-ce qu'il y a un rapport avec votre absence à Montpellier ? Avez-vous un besoin soudain de changement ?

Mon cœur se serre. Il va partir en Argentine ? Pourquoi ? Pourquoi irait-il voir un homme qui l'a abandonné ? Mon esprit se bloque, je suis incapable d'écouter ce qu'il répond. J'ai bien trop peur de sa justification.

— Axelle, tu vas bien ? me demande Martin une fois l'interview terminé.

— Tu... Pourquoi tu pars en Argentin ? murmuré-je.

Il passe son bras derrière la tête pour se gratter la nuque.

— Je ne pars pas, enfin, pas en Argentine en tout cas. C'est compliqué pour te l'expliquer ici.

— Donc tu comptais partir ?

M'abandonner ? Mais je me retiens de le prononcer à voix haute.

— Axelle, je n'allais pas partir. Pas sans te parler, que l'on mette tout au clair entre nous. Je te l'ai dit, tu es importante pour moi. Ces derniers jours ont été compliqués, mais jamais je ne déménagerais en Argentine. Mon père, c'est de l'histoire ancienne, un fantôme du passé que je préfère désormais laissé derrière moi.

J'hoche la tête même si j'ai du mal à y croire. Après tout, je ne suis que moi. Pourquoi refuserait-il une opportunité importante uniquement pour discuter avec moi ?

— Je... je tiens aussi à toi, Martin. Mais j'ai besoin d'un peu d'air.

Il me relâche, une lueur de tristesse dans ses yeux, acceptant tout de même ma requête. Mon cœur tambourine fort, prêt à exploser. Je m'éloigne pour aller, je ne sais où. Je vagabonde sur le terrain alors que Martin regagne les vestiaires.

— T'as besoin d'aide ?

La photographe se joint à moi. Son appareil dans une main, elle replace correctement ses lunettes en arborant un magnifique sourire. Ses taches de rousseurs illuminent son visage et font ressortir ses yeux bleus.

— Tu sais, si l'autre idiot te dérange, je peux lui régler ses comptes, poursuit-elle.

Je doute qu'elle puisse faire quelque chose face à Martin, mais j'aimerais bien voir ce qu'elle lui réserve quand même au vu de son regard déterminé.

— Il est si chiant que ça ? questionné-je, un brin curieuse d'en apprendre plus sur lui.

— Pour les rares interactions qu'on a eues, ouai. Puis, on va pas se mentir, il n'est pas des plus agréables.

Une grimace se dessine sur ses lèvres en prononçant ses derniers mots.

— Un problème avec les handballeurs ?

— Non. Avec tous les sportifs en général. Ils sont tous stupides, arrogants et ne voient jamais plus loin que leur ventre, crache-t-elle.

— Ils ne le sont pas tous, tenté-je de les défendre.

— Toi même, tu n'es pas très convaincue.

— Regarde Thibaut, il est adorable.

— Mouais, c'est bien le seul, accepte-t-elle. Au fait, moi c'est Joanna.

— Axelle, me présenté-je à mon tour.

Elle continue d'insister pour se mesurer face à Martin, qu'elle trouve débile, du moins, pour rester polie. Mais je refuse. Il ne mérite pas, après tout, qui suis-je pour l'empêcher de partir ? Personne. C'est sa passion. Sa vie. Je n'ai pas à m'interposer dans son choix. Sauf qu'égoïstement, je n'accepte pas qu'il m'abandonne à l'autre bout du monde. Alors c'est plus simple de fuir.


Je préfère le laisser réaliser son rêve. Au moins, il pourra enfin avoir une réponse de son père.

Nous ne sommes pas compatibles. Il peut dire ce qu'il veut, nous ne pouvons pas être ensemble.

Pourtant, je l'aime.

Mais à quoi bon se battre ?

J'ai déjà perdu une fois contre le hand, il n'est pas question d'encaisser une deuxième défaite.

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