Chapitre 3

Axelle.


— Allez Axelle, tout va bien se passer !

Je m'encourage mentalement. Il me faut bien un peu de force pour affronter ce retour !

Je réajuste mon sweat, je resserre ma queue de cheval et me voilà prête pour me diriger en direction des quais. Je me fonds difficilement à travers la foule. Mes deux valises ne m'aident pas spécialement pour que je me fraye un chemin ! Au moins, je maîtrise davantage la situation qu'à mon arrivée !

À dix-huit ans, malgré la présence de ma mère pour apporter mes dernières affaires et finaliser les ultimes arrangements, je me sentais plus seule que jamais perdue dans l'immense bâtiment. J'allais enfin pouvoir découvrir Barcelone, qui m'a tant fait rêver. Mon pauvre petit village faisait tache à côté. Je connaissais les bases de l'espagnol, mais pas assez pour avoir une conversation avec les habitants. Un monde mystérieux s'ouvrait à moi. Et même si j'étais effrayée, je n'avais qu'une hâte : partir à l'exploration et le dompter.

Aujourd'hui, à vingt-et-un ans, j'ai eu le temps de m'acclimater à la vie catalane. Plus facilement que je ne l'aurais envisagé, d'ailleurs. La gamine paumée et apeurée a laissé place à une personne plus affirmée et confiante. Enfin, si on ne compte pas ces derniers jours où j'ai l'impression de me revoir plus jeune. À croire que mon assurance s'est envolée à l'approche de mon retour pour ne laisser place qu'à mes inquiétudes. Je respire un bon coup pour chasser toutes ondes négatives. Ce n'est pas le moment d'y songer !

Mes yeux scrutent les panneaux, ils guettent le quai correspondant pendant que je prie pour que mon train soit déjà arrivé. Patienter dans le hall ne m'enchante guère. Aucune envie d'attendre dans le vacarme entre les différents passagers et les annonces incessantes surtout si j'ai l'occasion de m'installer et me retrouver au calme, naviguant dans mon monde imaginaire guidée par la musique.

Dans un soupir de soulagement, je m'empresse de rejoindre le quai 2. Je profite d'être dans les premiers occupants pour mieux partir à la recherche de mon siège. L'avantage d'avoir le wagon vide : je peux aisément déposer mes valises sans avoir la crainte de ne pas avoir de place.

Assise confortablement, casque sur les oreilles, mon ordinateur sur la petite table, je me sens d'attaque pour affronter les deux prochaines heures.

Enfin, jusqu'à ce que je me rappelle les cours que je dois réviser. Le semblant de bonne humeur que j'avais réussi à accumuler s'efface aussitôt. Je m'amuse avec un de mes crayons dans les mains tout en essayant de focaliser mon attention sur mon écran. J'ai beau adorer mon cursus, apprendre les mystères du corps humain, les différentes pathologies et les diverses méthodes pour les paliers, certaines matières apparaissent moins agréables. Les secrets autour de l'administration et la gestion au sein du système médical sont bien loin du haut de mon classement. Je tente d'assimiler les notions, ou du moins de créer une fiche de révision. Mais c'est compliqué quand je découvre les informations pour la première fois. Ça me servira de leçon à ne pas venir à ses cours !

Bon après, pour ma défense, rien que l'intitulé n'est pas intéressant. Et en prime, les rares moments où je me suis présentée, l'enseignant semblait au bord de l'agonie, à croire qu'il était forcé de s'exposer devant les étudiants ! Aucun effort pour attirer notre attention, il se contentait de réciter ses différents diaporamas sans prendre la peine de nous expliquer les données. Quelle joie que de suivre deux heures de cours par semaine en sa compagnie !

Je profite de ce trajet pour travailler cette matière pour un examen qui sera très certainement piégeux. Examen que le professeur a d'ailleurs trouvé judicieux de placer juste après notre stage, ce ne serait pas drôle sinon !

Je souffle et m'octroie une petite pause pour observer les passagers autour de moi. J'envie ceux qui dorment confortablement et qui n'ont pas à apprendre des cours ennuyants. D'autres, comme moi, révisent et je leur adresse un sourire compatissant pour les soutenir dans cette dure épreuve qui nous unit.

Je change la musique et me revoilà le nez entre mes fiches et mon ordinateur, comme si plus rien n'existait. J'ai presque la tentation de m'arracher mes cheveux avec les nombreuses dates et lois que je vais à coup sûr confondre lorsque je me retrouverais devant la copie. Je fronce régulièrement les yeux, cherchant des méthodes pour retenir plus facilement, mais je commence à désespérer. Au pire, mon année ne se jouera pas que sur cette note, non ? Je grimace. Elle ne comptera pas le plus dans la moyenne, mais j'aimerais tout même conserver un bon dossier et éviter de me rater.

Le train est sur le point d'arriver en gare me sauvant de l'enfer qu'est ce cours.

— Plus que six heures !

Je me motive comme je peux, mais j'avoue que passer toute une journée enfermée dans les trains ou les gares n'est pas de tout repos.

Objectif du moment : manger paisiblement sans être dérangée en patientant pour ma prochaine correspondance.

Je profite de cet instant de tranquillité et de calme pour me vider la tête après ses deux heures intenses de révisions. Bon j'exagère peut-être légèrement, j'ai bien du passer une majorité du temps la tête en l'air. Mais c'était tout comme !

J'ai réussi à trouver un siège un peu à l'écart qui me permet d'avoir une vue sur les annonces ainsi que les nombreuses personnes qui attendent leur train. Je n'ai plus l'habitude des discussions en français, j'ai presque l'impression d'être devenue une étrangère après quatre ans en Espagne sans croiser la route de compatriote. J'essaye de me réadapter à la langue, de tendre l'oreille pour me refamiliariser, mais c'est assez bizarre.

Je croque dans le sandwich que je viens d'acheter et qui me coûte beaucoup trop cher pour cette piètre qualité tout en observant les différentes personnes arpenter la gare. Certaines sont pressées, d'autres avancent au ralenti, temporisant leur départ. Redoutent-ils quelque chose ? Sont-ils comme moi à ne pas vouloir retrouver leur famille ?

Mon attention se détourne en entendant le bruit de talons résonner dans le hall. Une femme se précipite vers les quais. Un léger retard vu comment elle accélère. Je la suis quelques secondes du regard, admirative pour sa maîtrise au vu de ses chaussures hautes. Elle a même réussi à éviter les passants sur son chemin ! Je ne sais vraiment pas comment elle fait. Juste marcher quelques mètres, j'en suis incapable alors courir au milieu d'une foule, je peux déjà me visualiser étalée de tout mon long sans que personne ne me vienne en aide ! Je me dis que son amant doit sans doute l'espérer après une longue séparation. Dans mon esprit, j'imagine leurs retrouvailles. Lui qui l'attend à l'arrivée, un bouquet à la main, heureux de la revoir. Elle qui se jette dans ses bras et qui profite de son étreinte. Comme ce peut être quelque chose de totalement différent, mais au moins je m'occupe en inventant divers scénarios. Tout le monde y est passé, du gamin accroché à la jambe de sa maman à ce vieux couple tout mignon. Ils ont tous eu leur place dans mon univers imaginaire pendant que j'attendais mon futur train qui ne tarderait plus à arriver maintenant.

J'ai espéré un trajet aussi calme que le premier. Mais évidemment, c'est beaucoup trop demandé ! J'ai commencé la lecture de mon nouveau roman : magie, politique, action sous fond d'enquête policière, tout ce que j'adore pour m'évader et quitter ce monde monotone ! C'est sans compter sur la présence d'un enfant qui n'a pas cessé de crier dans le wagon. Je prends sur moi, mais ce n'est pas l'envie qui me manque pour réaliser un meurtre, d'autant plus que ses parents ne semblent absolument pas enclins à réagir. À croire que je suis là seule à percevoir ses gémissements sans fin que même mon casque est incapable de couvrir. Je n'ai rien contre les gosses, mais je les préfère bien loin de moi, surtout lorsqu'ils sont aussi bruyants que lui.

Lorsque le train arrive à Toulouse, je m'empresse de quitter le wagon. Hors de question de rester une seconde de plus en compagnie du gamin ! Ma précipitation me vaut presque une chute, mais je me rattrape du mieux que je peux. Personne ne m'a vu, quel soulagement ! Sauf l'enfant qui se moque de moi en me tirant la langue. Je me retiens de lui offrir mon majeur en récompense, mais sa mère tourne au même instant sa tête vers ma direction.

Armée de mes valises, je m'écarte du passage et une fois assez éloignée de la foule, j'en profite pour m'étirer. Un bâillement s'invite également. Il faut dire que je n'ai presque pas dormi de la nuit, trop stressée pour bien pouvoir trouver le sommeil que je chéris tant.

Toulouse est ma dernière correspondance avant d'enfin retrouver Pau. Je rejoins le hall de la gare à la recherche d'un chocolat chaud pour patienter de nouveau une heure. Et après ma mère s'étonne que je ne revienne pas souvent, mais perdre à chaque fois une journée pour rentrer, même pour les fêtes de fin d'année, ne m'enchante guère. Beaucoup trop long pour ce que le séjour me rapporterait au final. Si j'ai enfin accepté, c'est pour ne plus entendre les supplications hebdomadaires de ma mère. Au moins, elle ne m'embêtera pas cette année pour que je présente Pablo lors d'un des nombreux repas de famille qu'ils organisent régulièrement. Elle qui avait tellement hâte de le rencontrer en vrai et non derrière un écran, elle risque d'être déçue. J'appréhende déjà les remarques désobligeantes de ma tante dans notre future réunion, car je doute de pouvoir les éviter après quatre ans.

Par chance, je trouve une table disponible pour me poser et me détendre un peu. La commande passée, je n'ai plus qu'à attendre et quoi de mieux que de poursuivre ma lecture pour tuer le temps.

Le serveur revient accompagné de mon chocolat et d'un cookie. Je le remercie et je m'empresse de porter la tasse chaude à mes lèvres pour le goûter. Un véritable délice ! Je me délecte de ce moment tout protégeant bien pour livre afin de ne pas l'abimer.. Il est bien trop important — et cher — pour ça.

Bien trop concentrée dans les pages qui défilent rapidement, je ne fais plus attention au monde qui m'entoure. Je pourrais presque rater l'annonce de mon train. Sans lever les yeux du chapitre, je tends ma main pour récupérer ma boisson et prendre une nouvelle gorgée lorsque quelqu'un me percute. Encore bien chaud, je m'étouffe et me retiens de justesse de tout recracher. Sauf que mes efforts demeurent vains. Mon magnifique roman ne sortira pas indemne de cette attaque surprise. Le récipient s'échappe d'entre mes doigts pour se renverser à moitié sur la table et le reste sur mon legging avant de terminer sa course en mille éclats sur le sol dans un bruit assourdissant pour attirer les regards un peu trop curieux des personnes aux alentours.

— T'aurais pas pu faire plus attention ?!

J'insulte le passant qui vient de me bousculer, espérant une réaction. Rien. Mon remontant, le saint Graal, que j'ai tant attendu n'est plus de ce monde. Il a rejoint mon roman sans que je n'aie la moindre excuse. Armé de son énorme sac, il trace son chemin comme si de rien n'était. Suis-je invisible ?! Je fulmine et tape du pied. J'ai très envie de le poursuivre. J'arrive encore à le percevoir au milieu de la foule, mais il avance trop vite pour que je puisse le rattraper, même si je laissais mes affaires.

Je souffle dépitée et me ravise de tout mouvement. Résignée, j'observe le champ de bataille qui me fait face. Seul survivant : le cookie toujours intact. Je me renfrogne dans mon siège, ignorant les nombreux regards sur moi. En fait, être invisible ne me déplairait pas ! Je traite de tous les noms le responsable de ce carnage. L'avantage de résider dans un pays étranger : allonger sa liste d'insulte et pouvoir les utiliser sans que l'adversaire ne les comprenne.

Avais-je vraiment besoin de ça pour mon retour en France ? Une rupture avec Pablo, perdre des heures de sommeil et un trajet avec un gamin n'est pas suffisant pour me pourrir la vie ? Je regarde le cookie qui ne me fait plus du tout envie maintenant. Juste à côté repose dignement mon livre décoré au chocolat. Ce n'est pas comme si je pouvais me le racheter dans les jours qui suivent, il n'est pas traduit en français et le commander n'est pas une solution envisageable. Des délais trop longs et un prix qui peut varier. J'ai presque envie de pleurer. Et de hurler aussi.

— Mesdames, Messieurs, votre attention s'il vous plait. Voie 4, le train TER numéro 62017 à destination de Pau, initialement prévu à 15 h 37, est supprimé. Nous nous excusons pour tout désagrément causé. Merci de votre compréhension.

C'est une blague ? Ce n'est pas possible autrement. Je n'ai pas pu goûter à mon remontant, je perds mon roman et maintenant on m'annonce que je n'ai plus de train de retour ? Qui a décidé de se jouer de mon destin ainsi ? C'est parce que j'ai insulté mentalement le gosse ? Un peu abusée comme punition, non ?

Si la table n'était pas collante, j'aurais pu me morfondre, mais même ça on me l'interdit ! Je me ronge les ongles, essayant de calmer mes nerfs. Ma jambe tremble alors que je garde un œil sur mes valises. Pas question que quelqu'un arrive et puisse me les voler, j'ai déjà un assez mauvais karma.

Je tente de faire un tri dans mon esprit, de ne pas céder face à la panique qui commence à m'envahir, mais des milliers de scénarios défilent sans que je ne puisse rien y faire. Je sais très bien que ma réaction est certainement disproportionnée. Une suppression de train, ce n'est pas inhabituel. Et d'autres solutions existent. Mais je déteste me laisser surprendre dans ce genre de situation.

Il est hors de question que je passe une soirée ici à attendre le prochain train, car je me doute qu'il n'y en aura pas de nouveau avant demain. Il y a un bus. Option très attrayante : je peux me poser au calme dans un siège seule et arriver à bon port sans trop de crainte. Sauf que je viens de le louper et il faut que je patiente deux heures pour le nouveau, chose qui ne m'enchante guère.

Il y a aussi le covoiturage. Mais, j'avoue que les reportages sur les crimes que ma grand-mère regardait quand j'étais petite restent ancrés dans ma mémoire et souvent les tueurs faisaient du covoiturage. En plus, si on met de côté cette hypothèse, je devrai me retrouver à faire la discussion avec un inconnu. Et là, tout ce que je veux actuellement, c'est être seule. Le problème, c'est que j'arriverais plus rapidement, car un trajet est encore disponible.

Je me dépêche de réserver le dernier trajet avant que d'autres n'en profitent avant moi. Certes, l'annonce dit qu'il est possible de prendre deux personnes, mais au vu des réactions que j'ai pu apercevoir nous devons être assez nombreux à désirer nous rendre à Pau.

Dans une vingtaine de minutes, je roulerai en direction de la maison.
L'heure fatidique approche.
Dans deux heures, je retrouverai ma famille.
Et je redoute ce moment surtout que mon père sera lepremier que je reverrai...

Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top