Chapitre 25


Axelle.


Martin dort encore. Je décale son bras qui m'entourait pour me faufiler hors du lit. À la manière d'une voleuse, je m'enfuis en effectuant le moins de bruit possible afin de ne pas le réveiller.

Perdue dans l'obscurité, j'essaye de m'en sortir. Mes mains cherchent sur la table de chevet mon portable. Il est mon sauveur, celui qui éclairera le chemin pour trouver le salon. La luminosité me pique les yeux, mais au moins, j'arrive à savoir où je mets les pieds.

La chambre quittée, je referme la porte derrière moi et j'en profite pour ouvrir les volets. Je frissonne de froid, un simple t-shirt au mois de novembre n'est clairement pas la meilleure des idées lorsque le vent rentre dans le salon. Pourtant, je ne peux m'empêcher de contempler le paysage qui s'offre à moi. Malgré des températures basses, le soleil a tout de même décidé de pointer le bout de son nez. Devant moi s'élèvent ainsi les montagnes qui se dressent majestueusement. Si de ma chambre, elles sont plus proches, elles n'en restent pas moins magnifiques ici.

Des sportifs courent quand des passants profitent de leur boisson pour se réchauffer avant d'aller travailler. L'odeur des pâtisseries arrive jusqu'ici et réveille mon ventre. Je sens les chocolatines récemment sorties du four que certains mangent en traversant le boulevard. Si appétissantes et néanmoins si inaccessibles.

Mes yeux parcourent l'appartement. Sur la table basse repose son ordinateur, mais surtout le livre que j'ai acheté lors de notre journée à la fête foraine. Un ticket dépasse du début de roman et un sourire s'étire sur mon visage en repensant aux paroles de Thibaut. Il n'a jamais lu, pourtant, il a entamé celui-ci. Même si ce n'est que quelques pages et qu'il ne continuera probablement pas, ça me fait plaisir de voir qu'il a pris un peu de son temps pour le commencer.

一 Déjà debout ?

Concentrée sur mes souvenirs de cette journée, je n'ai pas entendu Martin se lever. La voix encore à moitié endormie, il bâille, signe qu'il est trop tôt pour lui. Mes yeux s'attardent un instant sur son corps, torse nu juste avant qu'il n'enfile un de ses t-shirts qui trainaient dans la pièce.

一 Un café ? J'ai pas grand-chose à te proposer d'autre, s'excuse-t-il en se grattant la nuque.

一 Ça ira, ne t'en fais pas.

一 Certaine ? Sinon, je dois avoir du jus de fruits si tu préfères.

J'accepte la seconde offre, ça ne remplacera pas un bon chocolat chaud, mais c'est toujours meilleur qu'un café. Martin se dirige vers la cuisine pour préparer nos deux boissons avant de revenir avec.

Le silence règne dans l'appartement. Mes doigts s'amusent sur le verre alors que mes yeux restent absorbés sur le sol, sans trop savoir comment agir. Je me concentre uniquement sur le jus qui m'apparaît plus que passionnant en cet instant précis. Je n'ose prendre la parole. Mes mots se bloquent. Et que pourrais-je dire ? Comment interpréter cette soirée et ce que ressent Martin ? Moi-même, je nage dans un océan flou. Où vais-je amarrer ? Tant que je ne finis pas dans les Abysses, je serais prête à tenter l'aventure, mais cette boule persiste dans mon corps et m'empêche de profiter pleinement. De nombreuses hypothèses ne cessent d'émerger dans ma tête. Et si ce n'était que pour l'occuper le temps d'une soirée parce qu'il s'ennuyait ? Après tout, je me doute qu'il connait des filles plus intéressantes que moi, qui passeraient mieux aux côtés d'un sportif professionnel.

一 Arrête de te ronger l'esprit, Axelle. Je sais à quoi tu penses. Je suis pas un connard. Un idiot, oui, mais je joue pas avec les filles ou qui que ce soit, énonce-t-il d'une voix toujours endormie.

Je ravale ma salive, honteuse d'être prise sur le fait. Au fond de moi, je le sais, j'en suis convaincue. Pourtant, cette idée persiste dans mon esprit et ne veut pas s'évaporer. Elle me hante. Cette peur ne cesse de s'infiltrer en moi sans que je ne puisse la chasser. Je garde la tête basse, caché par mes cheveux comme s'ils avaient la capacité de me faire disparaître.

一 Tu es importante pour moi, et même si je ne sais pas comment s'écrira la suite, j'ai bien envie de profiter pleinement de cette dernière semaine avec toi, poursuit le handballeur.

Je n'ose toujours pas relever mon regard en sa direction. Comment suis-je censée réagir ? Je n'en ai pas la moindre idée. Mon cerveau est un fouillis de pensées qui s'entrechoquent et qui bourdonnent sans que je ne puisse me calmer. Je sens le battement rapide de mon cœur, comme s'il voulait fuir cette situation déconcertante. Pourtant, quelque part au fond de moi, une lueur d'espoir s'allume, chassant peu à peu les ombres de l'incertitude.

Tu es importante.

Ces mots résonnent en moi. Martin est la première personne qui les prononce à mon égard. Je les ai entendus et lus un nombre incalculable de fois dans les films, séries et livres, mais jamais je n'imaginais les recevoir un jour.

Incapable de répondre, ma voix se bloque dans ma gorge. J'essaye d'assimiler du mieux que je peux cette phrase si simple, mais dont la signification est si essentielle pour moi. Ce n'est pas comme si pendant des années j'ai cherché une validation auprès de mes familles, de n'avoir qu'une fois une reconnaissance. Juste un instant, sous le feu des projecteurs — que je hais — mais qui me prouverait que mes efforts ne sont pas vains. Doux rêve utopique qui n'arrivera jamais. Du moins, c'est ce que j'ai longtemps cru jusqu'à maintenant.

Martin Gomez, la personne la plus aux antipodes de ma vie, vient de me dire que j'étais importante. Qu'il tenait à moi. Quelqu'un s'intéressait réellement à moi, autre que Léane et Sofia.

Un faible merci s'échappe de mes lèvres, sans savoir quoi ajouter de plus. Que pourrais-je prononcer quand mes mots se floutent dans mon esprit ?

Mes doigts jouent toujours avec le verre avant que mon précieux objet soit confisqué. J'entends le bruissement de la table basse se décaler par Martin qui me prend ma boisson pour la poser un peu plus loin. Le regard perdu dans le vide, je finis par le voir accroupi devant moi. Il garde un appui sur mes genoux. D'une certaine manière, il me force à l'observer. Plus aucune échappatoire n'est possible.

— T'es pas obligé de dire tout ce que tu penses, mais je suis là, si t'as besoin. Qu'importe ce qui se passera par la suite, je reste présent. Je ne te jugerais pas, on a tous nos problèmes, nos manières de les gérer, mais ne reste pas seule à broyer du noir. Si tu veux pas en parler avec moi, il y a toujours Léane qui te soutiendra dans tes choix. Ne laisse juste pas les gens te faire croire que tu n'es pas importante, que tes problèmes sont moindres par rapport à d'autres.

— C'est vraiment toi qui dis ça ? soufflé-je dans un petit rire. On dirait presque des paroles qui viennent des téléfilms.

En réponse, j'ai le droit à un léger pincement sur ma jambe gauche. Pour autant, Martin conserve son air sérieux, trahi uniquement par un petit rictus sur ses lèvres. Sourcils froncés, il ne rompt pas le contact visuel et n'est pas prêt à le lâcher.

— Tu seras vraiment là, où ce sont juste des mots qui s'envoleront dès que je partirais ?

— Quand t'en auras besoin, tu pourras me trouver, m'affirme-t-il.

J'acquiesce. Je veux y croire. Pas forcément une histoire comme le sous-entendent Léane et Sofia, mais au moins une amitié. Car malgré tout, nos deux mondes se complètent, mais sont si éloignés à la fois.

Ses bras s'enroulent autour de mon corps qui se détend à son contact, comme si le temps se suspendait un instant. Je me sens bien. Je veux juste rester dans cette position, en profiter un maximum avant le voyage retour.

— Même les jours de match, je serais là, que ce soit avant ou après.

— Ah bon ? Moi qui pensais que tu répondrais entre deux buts sur le terrain...

— Faut pas trop demander non plus, réplique-t-il avec un clin d'œil.

一 Pourquoi t'agis comme ça ? finis-je par prononcer après quelques instants de silence.

一 Parce que tu le mérites ? Ne laisse pas les autres te dicter qui tu es. Je sais qu'on a mal commencé, mais tu te comportais pas de la même manière à la gare qu'au premier match, comme si tu te retenais. Je suis sans doute une des personnes les moins bien placées pour te le dire, mais n'écoute pas les critiques. Reste toi-même, celle que tu es réellement, une folle aux livres, une future kiné qui excellera, celle que tu veux, tout simplement toi quoi. Et je veux que tu conserves ce sourire, celui que t'avais lors de la journée à la fête foraine, car il te représente et montre à quel point tu es magnifique.

Je garde le silence un moment. Les mots de Martin résonnent en moi. Son honnêteté et sa sincérité transparaissent dans ses paroles, et un mélange d'émotions m'envahit. Un faible sourire se dessine sur mes lèvres alors qu'un poids se lève de mes épaules. Je me sens moins seule. Pour la première fois, j'ai l'impression d'être entendue, d'avoir quelqu'un qui peut ressentir mes doutes. Un lien invisible nous relie et même si nous avançons différemment, d'une certaine manière, nous souffrons autant l'un que l'autre du regard des autres. Pas au même degré, mais nous nous comprenons. Peut-être aimerais-je même avoir le courage de Martin pour envoyer balader le monde quand tout va mal au lieu de fuir au loin.

一 Je crois qu'on va devoir bouger par contre. Je n'ai pas spécialement envie d'arriver en retard à la séance de Julien.

Je ne veux pas partir. Je souhaite rester à ses côtés, pourtant, je ne dis pas non pour retrouver mon antre qui m'attend patiemment. Je pourrais ainsi plonger dans mon univers, là où tout est sous mon contrôle, sans craindre le regard des autres, prolongeant cette soirée dans mes rêves.

一 Il te fait si peur que ça ?

一 T'imagines même pas comment il peut être effrayant par moment !

一 Après, forcément, si t'écoutes pas ces conseils, c'est normal aussi, dis-je en haussant les épaules.

一 Je les écoute !

一 Parce qu'il a dû te menacer d'en parler au staff de Montpellier pour que tu t'y mettes sérieusement !

一 Oui, bon, ça va. C'était pas si grave en plus, juste une petite entorse qui ne méritait pas tant d'arrêts, bougonne Martin.

一 Oh petit Tintin est vexé, me moqué-je de lui en l'appelant par le surnom que Thibaut lui donne.

一 Allez, va te préparer sinon je pars sans toi.

Il se relève pour accompagner sa pseudo-menace et me laisse de la place pour que j'aille récupérer mes affaires dans sa chambre. Dans la salle de bain, j'enfile mes vêtements rapidement en essayant de ne pas me concentrer sur l'écran de mon téléphone qui s'allume. Léane et Sofia sont trop impatientes des détails et du peu que j'ai vu des messages, elles imaginent différentes théories. Plus ou moins vraies, d'ailleurs. Sauf qu'elles devront encore attendre pour avoir les informations qu'elles désirent tant connaitre.

Je sors de la pièce, mon écharpe à la main, prête à partir. Malgré la veste sur mes épaules, je regrette de ne pas avoir mis quelque chose de plus chaud hier. Martin en a également profité pour changer son jogging contre un short de sport et sweat noir Nike.

一 Ça t'évitera d'avoir froid, articule-t-il en me tendant un de ses pulls.

一 Tu sais que t'as peu de chance de le revoir si tu me le passes ?

一 C'est pas comme si je n'en avais pas d'autres, puis je compte bien rejoindre les Bleus donc j'aurais l'excuse pour en réclamer un nouveau.

Je ne cherche pas plus longtemps et l'enfile. Dans mon dos, le numéro 18 et Gomez sont floqués, déterminant ainsi le propriétaire. On voit qu'il n'est plus tout récent, les lettres doivent s'effriter à l'image du logo que j'aborde devant.

一 Let's go ? demande-t-il.

J'affirme d'un hochement de tête et nous quittons son appartement. Malgré une soirée plus que mouvementée, je me sens légère. Qui aurait pu dire qu'un simple match de hand provoquerait des sensations dignes des montagnes russes ?

En place dans la voiture, Martin démarre pour rejoindre le cabinet. Le trajet est si court que je regrette qu'on soit déjà devant le lieu. Je n'ai pas envie de partir, de rentrer à la maison.

一 Merci encore, articulé-je, la tête baissée, en jouant avec mes doigts alors que je quitte le véhicule.

Martin enroule ses bras autour de mon corps alors que je me blottis plus près de lui une nouvelle fois. Je ne veux pas que ce moment s'arrête. Pour rien au monde. J'aurais adoré rester avec lui dans son appartement. Juste profiter. Malheureusement, tout à une fin, même les meilleures histoires.

— Rentre bien, finit-il par dire en me laissant à contrecœur.

Je lui souffle une bonne séance avant de rejoindre ma propre voiture qui n'attend que moi sur le petit parking. Je pourrais suivre le handballeur dans le cabinet, passer le bonjour à Julien, mais mon accoutrement pourrait faire fuir les pauvres patients. J'ai rabattu la capuche du sweat sur ma tête pour cacher ma chevelure décoiffée. Des cernes se sont accentués sous mes yeux. Je ressemble presque à un zombie, prêt à me ruer sur la victime la plus proche que je trouverais. Alors il vaut mieux que je ne m'aventure pas plus longtemps.

La musique de Taylor Swift en fond, j'improvise mon meilleur karaoké comme si j'étais à un de ses concerts. Une sensation de liberté s'empare ainsi de moi et je profite seulement de l'instant présent.

J'arrive bien trop rapidement à la maison à mon goût. La voiture de mon père est toujours là et me ramène brutalement à la réalité. Je soupire. Je n'avais pas envie de le croiser maintenant. Mais que fait-il ici ? Ne devrait-il pas être au collège à faire ses cours de sport ?

Mon chat m'accueille. Il vient se frotter sur mes jambes alors que j'essaye d'avancer sans tomber au milieu des cailloux. Sans surprise, ce roi de la maison réclame sa nourriture. Pas mon absence qui l'a manqué, bien évidemment que non. C'est son estomac qui parle. Et parce que je suis à son service, je m'exécute aussitôt.

La porte-fenêtre ouverte, j'entre. Sur la table qui sépare le salon en deux, des papiers sont étalés. Une tonne même. Un simple coup de vent suffirait pour faire s'envoler toutes les feuilles. La maison est calme. Beaucoup trop calme. Pas l'ombre de mon père pour l'instant, chose assez rare. Jamais il ne laisserait ses affaires aussi en désordre.

Je m'avance encore, dans des pas lents, prête à découvrir le moindre problème. Téléphone en main, un seul mouvement suspect et j'appelle la police. Ai-je passé trop de temps à regarder des séries policières et des émissions sur les crimes ? Assurément. Est-ce que j'imagine des scénarios improbables ? Évidemment. Mais je préfère prendre mes précautions, ne sait-on jamais. Certes, je ne pourrais pas faire grand-chose, mais le coup de fil sera lancé si cela dérape.

Allez, Axelle, arrête d'inventer des films. Tout est normal.

Non rien n'est normal. Pas quand je viens de passer une soirée au hand et la nuit chez Martin et que l'on s'est embrassé. On ne peut pas dire que c'était normal. Donc pourquoi le pire ne se serait-il pas produit ici ? Après tout niveau chance, je ne suis pas la mieux servie. J'ai beau n'avoir rien fait, je ne serais même pas étonnée que mon karma se retourne contre moi.

Un instant mon regard parcourt les documents, même si je ne devrais pas. Je ne suis pas concernée, pourquoi devrais-je m'en soucier ? Pourtant, ma curiosité me pousse à les observer d'un peu plus près pour savoir ce qui tracasse autant mon père. D'une certaine manière, ce n'est pas la première fois que je le vois enseveli de dossiers, seulement, depuis que je suis revenue de Barcelone, j'ai l'impression que c'est de plus en plus fréquent et que toute son énergie se vide à cause de cela.

— Axelle ?

La voix de mon père me fait sursauter. Je lève dans sa direction une des feuilles trouvées, comme si cette dernière me sauverait face à un assaillant. Son survêtement de Nousty sur lui, j'ai le sentiment qu'il n'a pas dormi de la nuit, voire plusieurs même. Si je me plaignais de mes cernes, il n'est pas mieux loti. Il est encore plus effrayant que moi, et je ne pensais pas que c'était possible au vu de ma condition actuelle.

— Pourquoi tu as jamais dit que le club était endetté ? demandé-je d'une voix peu certaine.

Il remonte ses lunettes. La simple idée qu'il les porte me prouve que ce n'est pas un sujet à prendre à la légère. Il ne les met jamais sauf lors de longs trajets en voiture, ce qui n'est pas le cas, aujourd'hui. Nous sommes bien à la maison, et pas de voyage en vue, du moins pas avant la semaine prochaine, et c'est moi, seule qui repart en train.

J'ai peut-être passé mon temps à me battre contre le club, à le haïr, car il me privait de mon père, je n'aurais jamais pensé une seconde qu'il irait si mal. Je ne comprends pas. Du peu que j'ai retenu, les équipes ne sont pas si mauvaises, certes, elles ne sont pas toutes en haut du tableau, mais elles restent bien classées. Les supporters sont au rendez-vous lors des matchs, donc comment peuvent-ils accumuler tant de déficits ?

— C'est pas récent, ça fait déjà quelques années maintenant, finit par m'expliquer mon père.

Une boule se forme dans ma gorge à mesure que les paroles de mon père pénètrent mon esprit. Je fixe ses yeux fatigués à la recherche des réponses dans son regard, mais je n'y trouve que de la détresse et de la résignation. Comme s'il avait abandonné tout espoir qu'il avait dans ces équipes alors qu'il avait donné son âme pour les garder à flots.

— Quelque chose aurait dû être fait bien avant, non ? continué-je.

Il soupire, les épaules affaissées sous le poids de la responsabilité et du regret.

— Oui, certainement, mais c'est compliqué, Axelle. Il y a tellement de facteurs en jeu, tellement de choses que tu ne comprendrais pas...

Je secoue la tête de frustration, sentant la colère prendre de plus en plus possession de mon corps. Il a manqué des événements qui étaient importants pour moi à cause du handball, toutes les fois où j'espérais avoir son attention face à un stupide sport, ce n'était jamais assez. Tout ça, pour ça ? Pour qu'ils m'annoncent après vingt-et-un ans, j'abandonne ? Non. Je refuse d'avoir autant souffert durant mon enfance et mon adolescence pour qu'aujourd'hui on me dise que tout est perdu.

— Mais je ne suis plus une gamine ! Peut-être que je ne comprends pas tout, que je ne suis pas dans ton milieu, mais j'en sais suffisamment pour savoir que ça aurait dû être géré bien avant, m'exclamé-je. Tu as sacrifié tant de choses pour ce club, et maintenant, tu laisses tomber ? Sérieusement, t'as pensé aux joueurs ? Ils vont dire quoi à ton avis ? Qu'ils acceptent sans se battre pour trouver une solution qui aurait pu être découverte en amont ?

Le regard de mon père se trouble, et je vois une lueur de culpabilité passer dans ses yeux. Il sait que j'ai raison, que la situation aurait dû être prise en main bien avant, que les joueurs et toute l'équipe technique méritent mieux que cette impasse dans laquelle le club semble être engagé.

— Martin n'était qu'une pièce pour rapporter de l'argent, n'est-ce pas ? craché-je en mettant en lien les événements.

— Axelle, c'est pas le moment, souffle-t-il.

Je fulmine. Je n'arrive pas à croire que Martin n'était finalement qu'un pion. Qu'importe ses actions, il serait venu quand même rejoindre Nousty pour avec un peu de chance amener de nouveau supporter. Comme s'il était le sauveur du club. Cette idée me répugne. Comment peut-on miser autant sur des joueurs ? Ils restent humains. Ils vivent de leur passion, mais ne méritent pas qu'on les considère seulement comme un appât de gain. Si j'ai bien retenu une chose avec mon père, c'était bien ça. Or, aujourd'hui, il ne respecte même pas ses paroles.

— C'est jamais le bon moment avec toi... Je ne serais jamais assez, je l'ai compris et accepté, mais vraiment, utiliser quelqu'un à son insu, c'est bas. Il mérite pas ça, il devrait être à Montpellier, pas ici. Il a accepté de jouer le jeu, pourquoi finalement ? Pour de faux espoirs que tu te faisais ? Super l'entraîneur, toutes mes félicitations !

Le silence pesant qui suit mes paroles semble étouffer la pièce. Mon père baisse les yeux, et absorbe chaque mot avec une lourdeur croissante. Sa détresse devient palpable. Je n'en démords pas. Mes positions sont bien campées. Tout miser sur un joueur professionnel, sérieusement ? À croire qu'un seul sportif pouvait ramener assez d'argent, surtout à Nousty. Il faut être sacrément idiot pour imaginer ne serait-ce qu'une seule seconde cette alternative...

Il essaye de se justifier, mais je n'écoute plus. Que peut-il ajouter de plus de toute manière ? Je préfère quitter court à la discussion, elle ne mènera à rien. Nous irons droit dans un mur. Et je n'ai pas la motivation pour un débat de cette envergure.

Mes jambes montent machinalement les marches, deux par deux, pour que je rejoigne plus rapidement ma chambre, mon antre. Mon sac vole dans un coin de la pièce avant que je ne me laisse tomber sur le lit. Par réflexe, j'attrape la peluche la plus proche de moi, une petite panthère que je tiens les bras tendus face à moi alors que mon esprit se perd loin.

Le club est au bord de la faillite depuis quelques années désormais. Cette phrase tourne en boucle dans ma tête. Je tente d'assimiler les mots, d'imaginer les conséquences. Elles seraient désastreuses. À l'exception de Billère, Nousty, frôle de près les parquets professionnels aux alentours, l'arrêt du club serait donc fatal. Sauf que je ne vois pas comment les problèmes pourraient se régler.

— C'est drôle de chercher une solution alors que j'ai passé la majeure partie de ma vie à fuir le club, tu trouves pas Bagheera ?

Si quelqu'un me voyait, il me jugerait folle. Après tout, je parle à ma peluche qui ressemble fortement à la panthère dans le film Le Livre de la jungle, d'où son nom. Qui ne me regarderait pas bizarrement ?

Je la fixe. J'espère une réponse fictive, une aide, un conseil. En vain. L'idée de génie ne viendra pas. Je souffle découragée. Perdue. Annoncer la nouvelle aux joueurs me transperce le cœur. Je ne peux concevoir les jeunes, tellement investis, reprendre à zéro dans un nouveau club ou même les équipes séniors se dissoudre alors qu'ils formaient désormais une grande famille. Certains ont même gravi tous les échelons, ont évolué au travers des différents niveaux pourquoi au final ? Rien ? Pour qu'on leur dévoile aujourd'hui que la saison prochaine, il faudra partir ? C'est impensable. Il doit bien exister un moyen pour rapporter un peu d'argent pour au moins subvenir le temps de trouver une solution sur le long terme.

Mon portable vibre dans la poche avant du sweat de Martin. J'avais presque oublié que je devais recontacter Léane et Sofia. Sauf que je n'ai plus la tête à ça. Le debrief de ma soirée avec le handballeur attendra.

— Et c'est que maintenant que tu te réveilles ? crie presque Léane au téléphone. J'espère au moins que t'as des trucs intéressants à nous apprendre. D'ailleurs pourquoi t'as pas fait un appel groupé avec Sofia ? On aurait pu se débrouiller entre un mixte d'anglais, d'espagnol et de français, non ?

— Qu'est-ce que tu ferais pour gagner de l'argent si t'étais à la tête d'un club endetté ?

Je lance ces mots, ignorant les questions qu'elle vient de débiter. Un blanc s'installe entre nous. Je l'imagine prise aux dépourvues, chez elle, ou à la fac, sans savoir comment réagir, ce qui est assez rare d'ailleurs pour elle qui a toujours quelque chose à dire.

— Comment ça ? finit-elle par prononcer.

— Nousty va faire faillite si le club ne trouve pas de financement. Alors est-ce que t'aurais une idée de génie pour obtenir un peu d'argent ?

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