Chapitre 23
Axelle.
Ça t'intéresse de venir voir la France au hand demain soir avec moi ?
J'ai une place en plus
Après je comprends si t'as d'autres trucs de prévus...
Mais j'aurais bien aimé te montrer ce que tu loupes en évitant le hand ;)
Je relis encore une fois les messages de Martin sans savoir quoi lui répondre. Allongée sur mon lit, je fixe comme une idiote mon téléphone, réfléchissant aux options qui s'offrent à moi.
Il m'a accompagné à la librairie et à la fête foraine, pourquoi refuserais-je sa proposition quand rien ne l'a obligé à me suivre samedi ?
Je souffle de frustration, tiraillée par la peur. Peur de m'accrocher encore plus à lui après cet après-midi incroyable. J'entends déjà la voix de Sofia me disant qu'elle m'avait prévenue, que c'était le destin. Sauf que si elles, elles s'imaginent mille scénarios, je ne me fais aucune illusion. Il n'y aura jamais rien de plus entre nous. C'est impossible. Une fois qu'il rentrera à Montpellier, il n'en gardera qu'un lointain souvenir.
Tu sais, Montpellier et Barcelone, c'est à côté, me dirait Léane pour agrémenter les paroles de mon amie espagnole.
Hésitante, je me tâte à passer un appel à l'une des deux pour plus de conseils. Mais la réponse sera la même : fonce et après tu aviseras. Sauf que je ne peux pas faire ça. Ce n'est pas mon style d'avancer tête baissée vers l'inconnu. Sans compter que les mots de Pablo sonnent toujours en résonance au fond de mon âme. Pourquoi penserait-il différemment après tout ? Je suis juste moi, quand lui est un sportif professionnel.
Sans réfléchir plus longtemps, je finis par répondre à sa proposition. Le message envoyé, mon portable vole loin sur mon lit. Pourquoi diable ai-je accepté ? Pour profiter de sa présence. Pour apprendre à le connaître plus. Pour que finalement dans une semaine, je disparaisse de sa vie. Et mon cœur se serre à cette simple évocation. Certes, ma quotidien à Barcelone me manque. Mais en même temps, ce serait mentir de dire que cette dernière semaine, je ne l'ai pas apprécié. Plus que je ne le devrais. Et Martin, contre toute attente, est celui qui l'a illuminé. Qui m'a fait oublier un instant tous mes problèmes. L'université. Mon père. Pablo.
*
Je crois que je n'ai jamais trouvé une journée aussi longue. L'appréhension de la soirée a dû se faire sentir par les remarques taquines de Julien. Malgré les séances, mon esprit est resté tourné vers le match. Je n'arrive pas à mettre des mots sur ce que je ressens réellement. J'ai envie de passer du temps avec Martin, de le découvrir lui, pas la facette du handballeur impulsif, lui-même, mais je redoute de m'accrocher à quelque chose d'inatteignable. Un trop gros gouffre existe entre nous ne serait-ce que pour envisager une suite.
— Tu veux que je te dépose au Palais des Sports ? me propose le kiné.
En remettant à sa place les élastiques et les balles pour les séances de demain, je songe à l'offre. Il est vrai que dans un sens, nous nous dirigerons tous les deux au même endroit. Comme beaucoup de handballeurs finalement. C'est un rendez-vous immanquable pour tous les fans. Et entre y aller en bus ou être amené, le choix est rapidement fait, je ne vais pas me mentir. Si je peux m'éviter la cohue des transports et les bouchons en décidant d'accéder en voiture au Palais des Sports, je fonce, sans réfléchir plus longtemps.
— Plus qu'une semaine avant de repartir à Barcelone, qu'est-ce que ça te fait ? me demande-t-il en conduisant.
— C'est bizarre. Je ne saurais vraiment l'expliquer.
Je ne pensais pas autant apprécier ces cinq semaines et me dire qu'il n'en reste qu'une seule, c'est particulier. Les journées au cabinet sont incroyables, j'apprends tout le temps de nouvelles informations et c'est ce que je vais regretter le plus. Comment retourner en cours pour la théorie quand je viens d'expérimenter la pratique et que ça confirme mon choix ? Et même à ma plus grande surprise, j'ai adoré donner des conseils aux handballeurs, bien que mon père ne fût pas des plus optimistes à cette idée. Pourtant, n'en déplaise à ma mère qui souhaiterait que je reste et ne reparte plus jamais, ma vie solitaire me manque. Mon quotidien barcelonais semble si loin. Les couchers de soleil sur la plage. Les rendez-vous au match de foot. Les soirées jeux de société.
— Et tu sais ce que tu comptes faire après ton diplôme ? Parce que si jamais, je ne dis pas non pour une aide supplémentaire, me questionne-t-il, profitant d'un moment de calme hors du travail pour aborder le sujet.
— C'est gentil, j'y réfléchirai, mais je n'y ai pas encore vraiment pensé.
C'est peut-être un peu un mensonge. J'ai légèrement analysé les options qui s'offraient à moi, mais tout reste flou dans mon esprit. J'ai eu l'occasion de découvrir le côté sportif grâce à Julien, mais ça n'équivaut pas une année de spécialisation dans ce domaine. Mixer études et alternances pour acquérir l'expérience nécessaire. Ou sortir des études, prendre une pause et juste profiter après l'enchaînement des cours durant ces cinq dernières années. J'aviserai le moment venu, mais savoir que je peux avoir un encrage si je désire travailler dès le diplôme obtenu fait plaisir.
— Bon match ! On se revoit samedi ! me salue Julien une fois arrivé à destination.
Je progresse lentement à travers le parking quand le kiné rejoint des proches, me laissant seule, dans un monde inconnu. Musique dans les oreilles, je me fraye un chemin parmi les spectateurs qui s'agglutinent alors que l'heure du match avance.
J'observe encore une fois le message pour me rassurer. Je l'ai relu plusieurs fois et pourtant, je ne peux m'empêcher de vérifier. Comme si Martin reviendrait sur sa décision. Qu'il aurait trouvé une meilleure compagnie que moi. Je ne pourrais pas lui en vouloir, même si mon cœur se serre à cette simple idée.
Je patiente non loin de l'entrée. La foule s'amasse alors que je m'appuie sur le grillage, observant les personnes, à la recherche de Martin. Je referme plus mon écharpe pour me protéger le nez et ma veste pour me réchauffer un peu. Je croise le regard de quelques handballeurs de l'équipe de Nousty qui me saluent de loin. Exceptionnellement, aujourd'hui, personne n'a d'entraînement. Match de la France l'oblige, beaucoup ont décidé de s'y rendre, réduisant considérablement les effectifs. Même Julien a décidé de terminer plus tôt pour pouvoir y assister. Ils se rejoindraient tous au Palais quand moi, j'avais prévu une soirée tranquille, enroulée dans mon plaid, lisant sous l'œil attentif de mes chats. Mais c'était avant de recevoir son message. Qu'il chamboule tout mon programme déjà bien établi. Et que je me retrouve ici, à l'attendre, dans le froid.
Mes yeux rivés sur l'écran de mon téléphone, ce n'est que lorsqu'une personne pose sa main sur mon épaule que je relève mon regard.
— Hey, souris-je en reconnaissant Martin.
— Désolé du retard, je pensais pas que ce serait si difficile d'accès, s'excuse-t-il.
Je ne lui en tiens pas rigueur. Je comprends. Même si de nombreux scénarios ont eu le temps de fuser dans mon cerveau pendant l'attente.
— Prête ?
Debout, je le suis à travers la foule. Je n'ai pas remis les pieds au Palais des Sports depuis un moment. Je devais être encore qu'une enfant quand mon père jouait toujours et de temps en temps, un match se déroulait ici. En accompagnant ma mère, j'ai très certainement dû me rendre une ou deux fois dans ce grand gymnase. Mais jamais plus depuis. Les rares occasions où je suis venue, c'était pour les concerts dans le bâtiment juste à côté plus que les rencontres sportives.
Je serre un peu plus mon sac contre ma poitrine en me frayant un chemin. J'essaye de ne pas perdre de vue Martin. Il parvient si aisément à traverser les spectateurs quand je patauge presque sur place. Par chance, je réussis à le rejoindre, presque en me cognant contre son dos.
— Tu sais que t'arrêter en plein du passage, c'est pas conseillé ? maugréé-je en me massant le nez.
— Si t'étais pas si petite et que t'étais pas si loin, peut-être que j'aurais pas eu besoin de t'attendre.
— Eh, j'te permets pas ! C'est toi qui es immense ! Mais, attends-moi ! continué-je alors qui poursuis sa route. En plus il faut que j'aille aux toilettes et elles sont juste là !
Martin lève les yeux vers le plafond, mais s'arrête tout de même. Il se pose contre l'un des murs, mains dans les poches du sweat et observe son téléphone.
Je sors des toilettes secouant mes doigts mouillés. Je le rejoins alors qui m'attend devant des articles de presse mettant en avant différentes rencontres sportives qui ont eu lieu à cet endroit même, souvent les plus grosses.
— On y va ? le questionné-je en ajustant bien mon sac.
— T'étais mignonne petite avec le maillot trop grand de l'équipe, se contente-t-il de dire en pointant d'un geste la photographie.
« NOUSTY CHAMPION DE FRANCE SAISON 2005-2006 »
Sur le cliché, je suis en premier plan, sur les épaules de mon père, sa médaille autour de mon cou. Ma mère pose juste à côté. Une vraie famille unie. Pas comme aujourd'hui. Mes yeux me piquent en imaginant la scène tout en comparant à la situation actuelle. Je renifle discrètement et détourne mon attention de l'image. Ce n'est pas mon univers. Je ne sais même pas ce que je fais là. Ce n'est pas ma place. Jamais je n'aurais dû accepter de venir.
— Hé, Axelle, regarde-moi, m'intime le handballeur.
Il pose ses mains sur mes joues pour me forcer à l'observer. Mon souffle se coupe, je respire difficilement. Je n'ai qu'une envie : fuir au loin.
— Tout va bien, je suis là. Rien ne va t'arriver, OK ? me murmure-t-il à l'oreille.
Les mots se bloquent dans ma gorge. Aucun sort ne peut sortir de ma bouche. Je reste tétanisée, paralysée dans de lointains souvenirs qui reviennent me hanter et me ramener la douloureuse vérité dans la face. Jamais je ne serais assez bien. Quoi que je fasse, ce sera insignifiant. Et j'ai beau avancer, cette réalité reprendra toujours le dessus à un moment ou un autre.
Accrochée aux bras de Martin, j'essaye de calmer ma respiration. Il continue de me chuchoter des phrases, mais je n'arrive pas à les assembler correctement. Je me laisse seulement bercer dans ses bras, ma tête nichée dans sa poitrine pendant qu'il me caresse le dos.
Je sens les œillades des spectateurs dans notre direction qui me font déglutir. Je me recule un peu de sa prise bien qu'un vide se forme en moi. La respiration difficile, je parviens tout de même à me ressaisir. Les regards perçants qui me jugent me donnent encore plus la nausée, mais je ne peux pas leur permettre de m'observer plus longtemps. Je me fais très certainement des films en les imaginant murmurer d'atroces phrases à mon sujet. Sauf que c'est plus fort que moi et leur voix hante mon esprit. Elles s'entrechoquent avec celle de mon père, ne cessant de me critiquer.
Martin entrelace nos mains ensemble, m'amenant dans un endroit plus reculé. Je bouge par automatisme, serrant ses doigts pour ne pas le perdre et garder un ancrage dans cette vague humaine. Mon cœur continue de tambouriner ne demandant qu'à sortir. Errant dans ce tsunami à la recherche de calme, je me laisse guider pas à pas, à la dérive des eaux troubles. Le sportif m'offre cet ancrage rassurant dans cette mer de spectateurs alors que ces paroles vibrent encore dans mon esprit. Si j'essaye de faire abstraction aux regards curieux, chacun de mes pas semble une tentative pour échapper à la pression grandissante. Comme un signe pour que je regagne le rivage quitté sans pouvoir rejoindre ma destination, saine et sauve.
— Tu te sens mieux ?
Toujours inquiet et ma main toujours dans la sienne, il m'a amené dehors pour mieux respirer. Le vent nous attaque et pourtant, le poids de ma poitrine s'efface petit à petit. Le bout de mon nez doit sans doute rougir de froid. Martin attrape mon écharpe qui pendait dans mon sac et me la met correctement pour que je sois protégée.
— Merci. Vraiment.
— Tu veux en parler ?
Je secoue la tête négativement. Je préfère éviter. Il ne me jugera pas sur mes inquiétudes, j'en suis pratiquement certaine, mais je n'ai pas envie de le déranger plus avec des problèmes idiots, quand lui aussi en a et des plus importants.
— C'est bon, ça ira. Juste un mauvais souvenir. Mais on peut y retourner.
— Sûre ? Parce que sinon, on peut faire autre chose si tu préfères ?
— Je vais tout de même pas te faire rater un match de hand, en plus de la France ! insisté-je en voulant rentrer.
— Tu sais, je suis pas à ça près. Ce que tu ressens aussi est important, tu le sais ça ?
Ses yeux bruns me fixent, m'hypnotisent. Que pourrais-je lui répondre ? Il est une des rares personnes à prendre en considération ce que je veux sans me faire passer pour une égoïste. Et s'il est vrai que j'aurais pu accepter par gentillesse pour lui, plus que pour moi, j'ai tout de même envie de profiter de ce moment avec lui, et personne d'autre.
— Viens, on va être en retard, fis-je pour détourner le sujet.
— Axelle, je suis sérieux. Ce n'est qu'un match, ce n'est pas les occasions qui manquent, je t'assure.
— Je te promets que ça va. Je veux savoir ce que je loupe en fuyant le hand, ajouté-je en référence à son message de la veille.
Cette fois-ci, c'est mon tour de l'entraîner à travers la foule bien moins nombreuse. Après tout, nous avons dû rater une bonne partie de l'échauffement et le match va très certainement commencer dans les minutes qui suivent.
— Pile à temps pour les hymnes ! me réjouis-je en m'installant sur mon siège.
Martin acquiesce sans lâcher ma main, toujours inquiet. Dans le carré familial, au plus proche de la rencontre, il est presque impossible de trouver de meilleure place. Juste derrière le banc tricolore.
Les joueurs sur le terrain, l'opposition entre la France et la Pologne est sur le point de débuter. Les applaudissements et les cris d'encouragements emplissent la salle alors que le coup d'envoi est lancé. Ballon en main, les Bleus attaquent directement. Sans laisser l'occasion aux adversaires de défendre, le but est comptabilisé.
Martin observe, analyse, les moindres mouvements, concentré sur chaque action. Il est si investi. Comme si lui-même était sur le banc de touche, soutenant ses futurs coéquipiers. La place qu'il aurait dû avoir s'il n'avait pas été prêté ici, à Nousty. Des commentaires s'échappent de sa bouche, pestant contre les arbitres ou bien les gestes qui s'enchaînent sans que je ne puisse m'y attarder. Rien avoir avec les matchs que j'ai pu observer. Le rythme est beaucoup plus intense. Coudes sur les genoux, je me contente de regarder les aller-retour incessants des tricolores et d'essayer de reconnaître les quelques joueurs dont j'ai connaissance. Ce qui se limite à Thibaut, parce que Martin n'a jamais arrêté de me parler de lui et Hugo Kaplan, car même si j'évite tous les sujets concernant le hand, je ne suis pas stupide au point d'ignorer l'un des meilleurs sportifs français actuels !
La France mène aisément la danse. Jamais dans la difficulté, les tricolores gardent le contrôle du score et du temps, jouant sans aucune pression. Les Polonais peinent à suivre le rythme. En vain. Ils courent seulement après les buts sans réelle chance de remonter lors de cette première mi-temps.
Devant nous, Thibaut qui porte le numéro 19 se lève sous les ordres de l'entraîneur. Il effectue quelques aller-retour pour se mettre en forme avant de faire ses grands débuts avec les Bleus. À côté de moi, Martin serre ses poings quand mon cœur se serre également. C'était leur rêve. Ils devaient le réaliser ensemble. Je ne connais le joueur que par les paroles de Martin, mais je suis certaine d'une chose : il a toujours été présent pour lui. Ils sont plus que de simples coéquipiers. Alors voir son meilleur ami porter leur objectif pour eux deux ne peut que le faire réagir. Un regard en notre direction, du moins vers le handballeur à mes côtés, un clin d'œil et il se retrouve pour la première fois sur le terrain. Même s'il est un des nouveaux sélectionnés, il se fond bien dans le groupe, assumant parfaitement son rôle.
— Magnifique but de Moreau qui ouvre son compteur avec les Bleus ! s'exclame le speaker sous l'effervescence du public.
Martin applaudit, debout, les yeux brillants de fierté et je ne peux m'empêcher de sourire. L'ambiance est incroyable, et je regrette presque de ne pas avoir pris plus de temps pour vivre cette sensation. Quelques minutes après, l'arbitre siffle la mi-temps. La France repart dans les vestiaires avec un avantage de sept buts d'avance qu'ils devront conserver lors de la prochaine demi-heure.
Si une bonne partie du public se lève, pour se dégourdir ou se rafraîchir, je reste à ma place. Le terrain vibre encore des actions françaises que je revois en boucle. Entre les arrêts du gardien et le festival de contre-attaque, c'est un beau match qui nous est offert !
— Donc, là, si j'ai bien compris, c'est pour les qualifs de l'Euro 2024 ? questionné-je.
— Yes, c'est le premier match de la poule, m'explique Martin. Après, on aura l'Italie et la Lettonie.
— Vos probabilités de qualification ?
— Tu suis vraiment pas, hein ? se moque-t-il gentiment.
Je souffle du nez, vexée pendant que ma jambe droite tremble.
— Les deux premiers sont qualifiés et on va pas se mentir, les seuls qui pourraient nous battre, t'as le match devant toi.
— Et vos chances de remporter l'Euro ?
Martin se fait un plaisir de tout détailler même si je comprends un mot sur deux, il est si investi que je ne peux pas l'arrêter. J'essaye donc de suivre le déroulement qui n'est pas du tout clair.
— Mais du coup, c'est chelou comme ça fonctionne vos compétitions, soupiré-je.
— T'as une première phase éliminatoire avec des poules de quatre équipes, les trois premières sont qualifiées. Après, il y a le tour principal où les trois équipes vont affronter trois autres équipes en gardant les points du premier tour et à l'issue de cette seconde phase, les deux premières équipes vont en quart et après tu connais, me réexplique Martin.
— Ouai bah vous pouviez pas faire comme tout le monde ? Une poule puis le premier va en huitième et ça s'enchaîne jusqu'en finale et c'est réglé !
— Je suis d'accord, mais c'est pas moi qui ai choisi de modifier le déroulement des championnats internationaux, se défend-il.
Si l'envie de rajouter une couche me vient, le retour des joueurs sur le terrain m'en empêche. Je préfère profiter du spectacle qu'ils nous offrent. Même si le foot garde une place spéciale, il faut l'avouer : les matchs professionnels de hand en jettent. On est loin de Nousty et de son club plus familial.
Le temps s'accélère pour cette seconde mi-temps sous une pluie de tirs majoritairement français qui conservent leur avance tout en fermant les buts aux pauvres polonais qui patinent dans leur jeu. Aucun répit ne leur est possible, ils sont assaillis de toutes parts et leur défense facilement transpercée.
— Et la France s'impose sur le score de 38 à 28 ! Merci à vous pour cette merveilleuse rencontre et j'espère que vous serez au rendez-vous en janvier pour les soutenir lors du mondial !
Le speaker débite si vite que je n'ai pas le temps d'assimiler tous les mots qu'il énonce. Je suis uniquement le mouvement de la foule qui continue d'applaudir les sportifs qui font un tour de terrain pour nous remercier.
— Tu comptes dormir ici ?
— Bah pourquoi pas ? Depuis quand c'est interdit ?
Martin arque les sourcils et m'observe bizarrement comme si j'avais sorti une bêtise. Bon, pas totalement faux. Mais pas au point de me juger à ce point ! Question idiote, réponse idiote, non ?
— Sérieusement Axelle, tu viens ?
Dubitative, je finis par le suivre. La foule s'est dissipée, laissant un boulevard dans les gradins et les couloirs. Martin, en tête de position, ouvre la voie.
— Aïe ! Mais pourquoi tu t'arrêtes en plein milieu ?! pesté-je.
Le sportif est planté sur le passage, immobile, observant son portable. Tapant du pied, ma main droite masse mon nez qui s'est vautré sur le dos de Martin.
— Pas ma faute si les instructions de Thibaut sont pas claires, se justifie-t-il. Tu saurais pas y aller par hasard ?
Il me tend son téléphone avec le message détaillé pour rejoindre la réception d'après-match. Ça ne rigole pas, pensé-je. Les avantages d'être vraiment dans le milieu et de bénéficier des meilleurs plans. Mais je ne vais pas m'en plaindre, c'est aussi l'occasion de rencontrer des personnes du métier et où je pourrais demander des renseignements, si je parviens à aller vers eux. Je profiterais ainsi pour élargir mes horizons.
— T'as compris un truc ?
— C'est pas compliqué, tu suis juste les lettres affichées et tu trouveras l'escalier en question. Mais je crois que ce n'est pas donné à tout le monde de réfléchir, ajouté-je en lui tirant la langue.
Avec sa main gauche, il me fait un doigt d'honneur, mais me suit dans ce qu'il considère comme un labyrinthe.
— Vos noms s'il vous plaît, nous demande une réceptionniste devant la salle.
— Martin Gomez et...
Il n'a pas le temps de poursuivre qu'elle nous invite à rejoindre les autres personnes déjà présentes. Des plats n'attendent que nous. L'odeur alléchante des petits fours me donne envie, mais je n'ose pas me servir. J'observe seulement. Je patiente pour qu'on m'autorise à prendre un, comme si j'étais encore une enfant, de peur qu'on me reprenne.
— Tu sais, c'est pas fait pour être admiré, se moque Martin, un peu trop proche de moi.
— Ahah, c'est si drôle.
— Non, mais sérieusement, qu'est-ce qui t'empêche de les manger ?
Tout. Mais je garde le silence et détourne les yeux. Je m'accepte comme je suis. Je me sens bien dans ma peau, pourtant, le regard des gens m'effraie. Encore plus dans une réception qui accueille des sportifs. J'avale difficilement ma salive et me défais de l'emprise de Martin. Je ne compte pas m'apitoyer sur ce sentiment quand j'ai déjà réussi à vaincre ses doutes par le passé.
— Axelle, personne ne va te juger. Personne ne fait attention à nous.
— C'est vrai que les regards ne sont pas tournés dans notre direction ! murmuré-je. J'ai l'impression qu'ils épient le moindre de mes mouvements, qu'ils me jugent, qu'ils pensent que je fais pâle figure à côté de toi.
— Ils sont juste honorés de faire ma rencontre. Je ne suis pas n'importe qui, voyons !
— Ils vont venir te réclamer des autographes tu crois ?
— Évidemment ! Qui en refuserait un ?
— Une personne saine d'esprit ?
— Allez, rien ne t'interdit de manger. Personne ne te critiquera. Et si c'est le cas, c'est qu'elle est jalouse, parce que t'es parfaite comme tu es. Tu es toi, une merveilleuse personne, et personne ne pourra te l'enlever. Bon, il faut juste éviter de salir un de tes livres, mais c'est qu'un détail.
Tu es toi.
De la bouche de Pablo, ces simples mots semblaient vides de sens. Négatif. Pourtant, de la part de Martin, c'est différent. Ils sonnent plus comme un compliment qu'un reproche. Et je ne peux que le remercier de m'accepter tel que je suis. J'ai l'impression d'être véritablement moi avec lui, sans plus jouer le rôle qu'on me prédestinait. L'enfant sage, aux bonnes notes, qui suivra le chemin qu'on lui a tracé sans encombre. Raté. J'ai fui. Loin. Pour me construire, pour trouver ma propre voie.
— C'est pas empoisonné, ajoute Martin en mangeant un toast.
— C'est fort dommage, vois-tu, me moqué-je.
— Je suis sûr que tu m'adores.
— Tu te fais des films, la superstar du ballon.
Malgré les nombreux partenaires et autres invités, j'ai l'impression qu'il n'y a que nous deux et personne d'autre autour de nous. Le reste du monde n'existe plus, comme si les minutes s'arrêtaient pour nous laisser cet instant de liberté pure.
— Bah alors, tu me présentes même pas, Tintin ?
Je reconnais facilement Thibaut qui vient de nous rejoindre, brisant notre petite bulle. Une accolade entre les deux amis a lieu alors que je ne sais comment réagir. Je me contente de sourire bêtement et d'observer les deux Montpelliérains. Aussi grand que Martin, ils sont pourtant opposés. Cheveux bruns et yeux foncés quand l'autre est blond cendré aux yeux verts. Ils se complètent bien, pensé-je. D'autant plus que Thibaut apparait plus joyeux que Martin.
— Thibaut, Axelle. Axelle, Thibaut.
— Plus succinct tu meurs, se plaint le handballeur tricolore.
— Bah t'as qu'à le faire toi-même si t'es pas satisfait, bougonne Martin.
— Contente de te rencontrer, j'ai beaucoup entendu parler de toi, finis-je par dire.
— Je savais que tu ne pouvais te passer de moi !
Les deux continuent de se chamailler alors que je danse sur mes pieds, mal à l'aise, de peur d'interrompre leur tête-à-tête. Ce n'est pas comme si Martin n'attendait pas ce moment. Après tout, il vient de retrouver une partie de lui, ce serait égoïste de ma part de m'immiscer entre eux.
— Et d'ailleurs, j'ai beaucoup entendu parler de toi également, ajoute Thibaut en s'adressant à moi.
Je relève la tête de mon portable que je venais de sortir pour être certaine de comprendre les paroles qui ont été prononcées. Martin a parlé de moi ? Je manque presque de m'étouffer avec ma propre salive tellement c'était si soudain... si inattendu.
— Tu dois être...
Jamais il ne finira sa phrase à mon plus grand désarroi. Martin lui lance un coup de coude dans les côtes pour le faire taire, avant de lever les yeux aux ciels. Les mains dans son sweat, il évite mon regard, mais je suis presque certaine d'avoir vu quelques rougeurs se dessiner sur son visage.
— Et alors comme ça, t'as réussi à le convaincre d'acheter un livre ? Non parce que ça a toujours été un combat, même pour les cours, donc je sais pas comment t'as pu réaliser cet exploit !
— Parce que je sais mieux m'y prendre que toi ? supposé-je.
— Eh bien, chapeau. C'était mission impossible jusqu'à présent !
— Faut qu'il le lise maintenant, c'est autre chose, complété-je.
— Pas faux, mais c'est déjà un bel avancement.
— Vous avez pas bientôt fini de vous léguer contre moi ? soupire Martin.
Un « non » unanime sort de nos bouches alors qu'on rigole sous le regard faussement vexé du concerné.
— J'aurais adoré rester plus longtemps, mais je vais devoir vous quitter. J'ai été heureux de te rencontrer Axelle, j'espère te voir du côté de Montpellier un de ces jours ! Si t'as besoin d'un guide, n'hésite pas, dit-il avec un clin d'œil. Martin n'a pas vraiment le sens de l'orientation et hormis le complexe, il ne connaît pas grand-chose.
— Occupe-toi de tes affaires ! râle Martin.
— Je suis rien sans toi, voyons, se moque le tricolore. Donc reviens vite !
Thibaut disparait dans la foule, discutant avec certaines personnes avant de rejoindre ses coéquipiers qui n'attendaient plus que lui. Martin les observe. Si un sourire traverse son visage, les regrets restent présents au fond de lui. Après tout, il devrait être au milieu de cette équipe. Et si seulement, il y était, où serais-je ? Très certainement emmitouflée dans mon lit, plaid qui me recouvre avec un bon livre pour accompagner ma soirée. Pourtant, pour une fois, j'ai apprécié cette sortie au hand. Voir d'une nouvelle façon ce sport que j'ai tant haï.
J'attrape sa main dans la mienne. Ce n'est pas grand-chose, mais je souhaite lui faire comprendre que je suis là, qu'importe la situation. Comme lui plus tôt, je ne l'abandonne pas dans ce tourbillon de noirceur.
Il finit par bouger. Derrière moi, il enroule ses bras autour de mon cou et laisse reposer sa tête sur la mienne. Je ne dis rien, acceptant ce moment. J'entrelace seulement nos doigts ensemble sans le lâcher. Le silence s'installe entre nous quand le bruit des diverses discussions ne cesse de s'amplifier.
Je profite au maximum de notre proximité. Je sais qu'elle n'est qu'éphémère, qu'un rêve que je m'octroie. Une unique semaine pour savourer sa présence avant de repartir en Espagne. Pourtant, est-ce une bonne idée de s'accrocher à ce faux espoir quand un vide s'enracinera dès lors que j'aurai posé un pied dans le train du retour ?
— Ne pense pas au futur et vis le présent.
Sa voix n'est qu'un chuchotement, mais ses paroles résonnent dans mon corps me procurant des frissons. Il prononce ces mots comme s'il lisait mon esprit, découvrant mes peurs et mes doutes.
Je me blottis un peu plus contre lui, essayant de profiter de l'instant t, mais malgré mes efforts pour chasser les pensées sombres de l'avenir, elles se faufilent insidieusement dans mon imagination. Je sens la main de Martin se resserrer autour de la mienne, comme s'il voulait me rassurer sans avoir à articuler un mot. Sa présence apaise mes craintes, même si je sais que nos chemins se sépareront bientôt.
Le temps se suspend alors que nous restons là, perdus dans nos propres tourments. Pourtant, même au milieu de cette foule bruyante et animée, je me sens en paix avec lui à mes côtés.
— Merci, chuchoté-je dans un murmure presque inaudible.
Pour unique réponse, le handballeur dépose un baiser sur mes cheveux. Je relève la tête vers lui, captant son regard empreint de douceur et de compréhension. Dans ses yeux, je trouve un refuge, un havre de paix où mes peurs s'estompent et mes doutes s'effacent. Sans un mot, nous restons ainsi, partageant un moment d'intimité au milieu du chaos ambiant. Ses bras autour de moi, sa présence réconfortante, tout me rappelle que même dans les moments les plus sombres, une lumière attend au bout du chemin. Il suffit juste de la trouver.
Un vide s'installe en moi quand il s'éloigne de mon corps. J'ai conscience que nous ne pouvions pas rester indéfiniment ainsi, pourtant, j'aurais adoré profiter encore de cet instant, seulement une minute de plus. Ou davantage.
Sa main ne quitte pas la mienne lorsque nous partions du Palais des Sports pour rejoindre la sortie. Le calme est présent entre nous, mais il est agréable. C'est ce dont nous avons besoin tous les deux. Trouver cette harmonie en nous pour mieux affronter la suite de l'aventure.
Martin place mon écharpe comme il se doit. Mon regard ne peut s'empêcher de s'attarder une seconde de trop sur son visage, particulièrement ses lèvres. Est-ce si mal de vouloir savoir quel effet ça fait de les avoir sur les miennes ? Je chasse cette idée complètement stupide de mon esprit. C'est impossible. Aucun faux espoir n'est permis !
J'attrape mon téléphone pour détourner mon attention et vérifier à quel arrêt et à quel moment le bus passera me prendre.
— Fais chier, pesté-je en regardant mon portable.
— Qu'est-ce qu'il y a ?
— Les horaires de bus, j'avais oublié que c'était pas aussi fréquent qu'à Barcelone.
— Et ?
— Bah du coup, j'ai aucun moyen de retourner à ma voiture qui est restée au cabinet. Donc je suis coincée ici.
— Ton père peut pas te ramener ?
Je secoue la tête négativement. Il doit être déjà rentré vu l'heure qu'il est et le temps que nous avons passé à la réception.
— Eh ! qu'est-ce que tu fais ?! m'exclamé-je alors que Martin me prend le téléphone des mains. J'étais en train de voir pour un taxi !
— J'te ramène, ce sera plus simple.
— Tu sais que ça va te faire un détour, genre énorme ? Surtout qu'il est tard, pas envie de te déranger plus longtemps.
— Sinon, tu dors chez moi et demain, j'ai une dernière séance avec Julien, donc tu pourras récupérer ta voiture. Après, je peux toujours te ramener au cabinet maintenant, ça me dérange pas plus que ça, tu sais, débite-t-il en évitant mon regard.
Il ajoute dans un simple murmure qui se perd :
— Tu ne me déranges jamais.
Dormir chez lui ? Ai-je bien entendu ?
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