Chapitre 21


Martin.


La fête foraine peut-elle vraiment me changer les idées ? J'en doute. Jouer au hand fonctionnerait mieux, mais je n'ai pas réussi à rejeter la proposition de Axelle. Elle était si soudaine, si imprévisible qu'elle était impossible à refuser.

14 h 20. Elle devait me rejoindre sur la place à 14 h 10 et elle n'est toujours pas là. Je ne cesse d'observer mon portable à la recherche du moindre message alors qu'elle n'a même pas mon numéro. C'est stupide d'inviter une personne et de lui donner rendez-vous dans un lieu de ce type sans même avoir un moyen de communication !

Assis sur un banc, je surveille les passants dans l'espoir de la voir apparaître. Je ne sais pas où elle surgira que je guette les différentes possibilités. Il y a tellement d'éventualités et je n'ai aucune idée de ce qui est le plus pratique pour elle. Le parking souterrain ? Remontera-t-elle le Boulevard à pied comme je l'ai fait pour rejoindre la place ? Ou les autres chemins qui donnent sur je ne sais quoi ? Beaucoup trop de choix s'offrent à moi et je me dois de garder l'œil partout par peur de la rater.

Quelques enfants jouent avec les jets d'eau non loin de moi. Le vent frais chatouille mon nez et je regrette presque de ne pas avoir mis des vêtements plus chauds. La tentation de retourner dans l'appartement en prendre un peu épais est grande. Je ne suis qu'à quelques minutes après tout. Mais la probabilité qu'elle arrive pile pendant mon absence est beaucoup trop élevée.

Je sors une nouvelle fois mon téléphone. Je grimace. Je souhaite lui envoyer un message, mais impossible. Et je ne vais tout de même pas passer par son père ! Ce serait très bizarre. D'autant plus qu'il doit être occupé avec le déplacement pour le match de ce soir. Je me retrouve donc condamné à attendre éternellement Axelle qui sait se faire désirer.

— BOUH !

Une main sur le cœur, je ne peux réprimer un sursaut. Je me contente de peu de retenir un cri sous le yeux enjoués de la jeune fille. Je lui offre un regard noir pour réponse à sa blague.

— Tu devrais voir ta tête ! commente-t-elle en continuant de rire.

Je grommelle dans ma barbe des bribes de mots incompréhensibles, ce qui renforce l'hilarité chez Axelle. Les bras croisés sur ma poitrine, je fais la moue tout en la détaillant plus. Malgré la fraîcheur, elle a décidé de porter seulement des collants noirs avec son short de la même couleur accompagné d'un pull mauve et d'une écharpe pour la protéger du froid. C'est la première fois que je l'aperçois les cheveux lâches. Ça lui va bien d'autant plus qu'elle a fait ressortit ses yeux verts avec son mascara.

— Ça va, je te dérange pas peut-être ? me demande-t-elle, les bras sur les hanches en suivant mon regard.

— Tu m'empêches de bien profiter, mais t'inquiètes, ça va, me moqué-je.

Elle lève les yeux au ciel et émet un petit toussotement comme pour cacher sa gêne face à la remarque.

— Go à la fête foraine ? questionné-je en brisant le silence qui s'installer entre nous.

— Tut tut tut, arrêt à la librairie avant, me contredit-elle.

— Pourquoi faire ? soupiré-je à la simple idée de devoir faire les boutiques.

— Dois-je te rappeler que tu as détruit mon compagnon de route ? Je me dois de lui trouver un remplaçant digne de ce nom !

Cette fois-ci, c'est mon tour de lever les yeux vers le ciel. Je ne peux même pas tenter un argument qu'elle me coupe et m'entraîne à sa suite vers le magasin en question.

Mains dans la poche de mon sweat, j'essaye de ne pas perdre Axelle de vue pendant qu'elle navigue dans la boutique aisément, passant d'une étagère à une autre comme si elle connaissait chaque recoin par cœur. Chose qui ne serait pas étonnante au vu de sa passion pour les livres. Je ne peux que la comprendre quand elle est arrivée suivre le hand, paumée. J'avance, errant dans un nouvel univers.

Un sourire sur les lèvres, elle feuillète différentes œuvres pendant que je jette quelques regards en direction des couvertures qui me font face. Au milieu des rayons, debout, je ressemble plus à un idiot qu'autre chose, mais je ne sais pas vraiment quoi faire d'autre que la surveiller.

— Tiens, tu devrais essayer ça.

Elle me tend le roman, ses yeux qui pétillent ne me disent rien qui vaille. J'observe un instant le livre avant de décliner l'offre aussitôt. Comme si j'allais lire un bouquin qui met en avant un mec torse nu !

— Pas question que je lise ça !

— Roh t'es pas drôle, Martin.

— Bah prends-le pour toi, si tu veux, mais pas pour moi, bougonné-je.

Je repose le roman sous le rire d'Axelle. Même si je suis vexé de sa proposition, un sourire se dessine sur mon visage. Depuis notre arrivée commune, je ne l'ai pas vu aussi elle-même. Sauf peut-être lorsque je lui ai parlé de Barcelone à la boite de nuit. Et encore. Elle n'était pas dans son élément comme si elle cherchait sa place. Là, elle respire la joie de vivre, oubliant ses soucis. Juste elle et des livres à foison. Et moi, derrière.

— Bingo ! s'exclame-t-elle un peu trop fort, effrayant une cliente.

— T'as enfin déniché ton bonheur ?

— C'est pour toi. Bon, j'ai pas trouvé sur le hand, mais c'est une enquête autour du rugby. Je suis dit que ça pourrait t'intéresser vu que ça reste dans le domaine du sport !

J'attrape le roman. C'est déjà plus intrigant que le précédent. Un joueur du Racing Club toulousain est retrouvé assassiné, des secrets de familles enfouis qui menacent d'être révélés.

— Alors ? T'en penses quoi ? demande-t-elle curieuse d'avoir mon avis.

— Pourquoi pas.

Je réponds en haussant les épaules. Sans attendre plus longtemps, elle récupère le bouquin et poursuit son chemin vers un autre rayon.

— Tu comptes lire tout ça ? questionné-je en nous rendant vers la caisse.

— C'est pas grand-chose, puis je profite d'être en France pour acheter certains livres qui ne sont pas disponibles à Barcelone. Puis, lui, il est pour toi, pas pour moi !

— J'ai jamais dit que je le voulais, j'ai pas le temps de lire...

— Mais si, ça va t'occuper avant tes entraînements ! Ou alors après tes matchs, pour te calmer, c'est une bonne alternative aussi.

— Ahaha, très drôle ça.

Elle me tire la langue comme réponse et insiste pour m'offrir absolument le roman, même si j'ai beau lui démontrer qu'elle pourrait garder son argent pour un autre livre qui sera lu sans moisir dans une étagère avant de se perdre.

— J'y tiens, puis au pire, tu dois bien avoir des proches qui lisent, non ? Tu pourras leur donner. Un classique, un policier.

Je doute que parmi mes coéquipiers, il y en ait un qui a le temps de lire. Il reste ma mère. Certainement, elle le feuillètera, mais ce n'est pas non plus une grande lectrice. Cependant, elle n'en démord rien et je n'arrive pas à lui refuser quand ça lui tient tant à cœur.

— Tu me remercieras plus tard, tu verras ! soutient-elle, très sûre de ses paroles.

— Ne parie pas trop dessus !

— À moins que tu l'assassines, pauvre livre qu'il est...

— Il recevra les meilleurs soins, ne t'en fais pas. Il sera entre de bonnes mains !

Axelle finit par passer en caisse pendant que je l'attends à la sortie de la boutique. Le sac rempli de ses nouveaux achats, elle me rejoint, fière de ses acquisitions du jour.

— Directement la fête foraine ou tu veux faire un arrêt dans un café ? me questionne-t-elle.

— C'est toi la cheffe, je t'suis.

Heureuse de ce rôle qu'elle prend à cœur, elle m'entraîne dans un café pittoresque, non loin de la librairie. L'intérieur chaleureux se retrouve éclairé par des lumières tamisées et embaume l'arôme envoûtant du café fraîchement moulu.

Elle s'installe à une table près de la fenêtre, savourant le répit que lui offre ce moment. Même si elle adore les livres, il n'est pas compliqué de deviner qu'elle n'est pas contre une petite pause et un petit remontant avant la suite de l'après-midi. Axelle parcourt le menu avec enthousiasme, commentant les nouveautés qui se sont rajoutées à sa dernière visite.

— Qu'est-ce que tu prends généralement ? m'interroge-t-elle tout en scrutant minutieusement la carte, à la recherche de la meilleure option.

— Un café simple.

Elle lève un sourcil en ma direction, comme si ma réponse l'avait offusquée.

— Un simple café ? Tu ne tentes jamais rien ? Pas de mélanges ? Pas de changement ?

— Pas vraiment, non. Puis avec le hand, j'ai pris le réflexe de me contenter du café basique.

— C'est nul d'être pro et de devoir se limiter, m'affirme-t-elle.

On s'habitue à force, j'ai envie de lui dire. Puis, j'ai été conditionné ainsi dès ma plus jeune enfance avec mon père qui suivait déjà un programme. Je ne suis pas vraiment à plaindre. Il est vrai que c'est juste plus compliqué maintenant que je suis ici, sans la compagnie de ma mère ou de mon grand-père qui m'aidaient à préparer mes plats.

— C'est comment Barcelone ? questionné-je pendant qu'on patientait pour nos boissons.

— Incroyable, j'adore la ville. Je n'ai pas eu le temps de m'ennuyer une seule seconde là-bas !

— Et, ce n'est pas trop dur le changement ? Genre, vivre avec ces proches puis d'un coup être lâchée dans la fosse, toute seule ?

J'ai peur de la réponse qu'elle donnera. Je sais que je devrais faire ce pas également, un jour. On peut dire qu'Henry m'a forcé à le faire en m'envoyant ici, bien que ce ne soit que provisoire. Mais je ne resterai pas indéfiniment à Montpellier non plus. Je quitterai la ville pour m'envoler ailleurs. Recommencer de zéro une nouvelle aventure. Et ça me fait peur. Parce que quoi que j'en pense, je ne peux m'empêcher de ranimer le départ de mon père qui a conduit ma mère à déménager de Nantes pour reprendre une nouvelle vie à Montpellier.

— J'avais dix-huit ans quand j'ai fait le pas, donc forcément, ce n'était pas facile. Je venais de faire une année catastrophique en PACES, et non, je me suis pas tournée en kiné à cause de mes piètres résultats avant que tu ne fasses la remarque.

— Je suis désolé, dis-je en levant les mains en signe de paix.

— Et c'était en plus pendant le covid, donc enfermé tous les jours avec mon père. Je te laisse imaginer l'ambiance...

— Et ta mère ?

— À l'hôpital, elle est infirmière, donc ils avaient besoin d'elle.

— Du coup, sur un coup de tête, tu t'es dit, je déménage toute seule à Barcelone ?

— Oui et non. J'y avais déjà réfléchi avant, je savais que je désirais faire kiné et je connaissais les difficultés en France, mais j'ai voulu tenter. Puis, partir mineure, je ne sais pas. Je n'étais pas totalement prête. Et si tu te poses la question, non, je ne regrette rien. Je préfère même. Mais après, oui, ce n'est pas facile, qu'importe la situation. Je pense qu'il faut juste être certain de sa décision et être en accord avec son cœur pour accepter un départ.

Être en accord avec soi, est-ce que je le suis ? Est-ce que je serais prêt à me jeter dans un univers plein d'inconnu ? Il va bien falloir que je fasse le saut. Je ne peux pas rester sur mes acquis, dans le confort que m'offre Henry et le club. Pourtant, je redoute que toutes les critiques soient fondées. Que sans Montpellier, je ne suis rien à l'extérieur pour le monde du hand. Que je n'apporterai jamais rien.

Le serveur nous dépose nos commandes, libérant l'arôme du café fraîchement préparé. Axelle boit une gorgée de sa boisson, fermant brièvement les yeux pour mieux apprécier le goût.

— Que c'est bon ! s'exclama-t-elle avec enthousiasme.

Je souris, content de voir Axelle, aussi ravie d'un simple chocolat viennois. À mon tour, je profite de ma boisson, jouissant du côté revigorant de mon café.

— Merci pour ce moment, Axelle. Vraiment. Je ne sais pas à quand remonte la dernière sortie que j'ai pu faire et c'est sympa de prendre une pause comme ça, admis-je, la tasse entre mes mains.

Axelle me lance un sourire radieux.

— Eh bien, parfois, il faut savoir ralentir un peu. Prendre le temps de profiter de l'instant présent. Mais ne t'inquiète pas, la fête foraine nous attend toujours ! ajoute-t-elle avec un clin d'œil.

Pleine d'enthousiasme, elle s'engage dans des anecdotes sur ses aventures catalanes, animant la discussion pendant que je l'écoute, savourant le moment qui s'écoule paresseusement.

— T'es déjà venu à Barcelone au fait ? me demande-t-elle.

— Ouai, je suis déjà venu, mais je n'ai jamais vraiment visité.

— Juste le temps des matchs, je suppose ?

— Yes, en Champion's League. C'est d'ailleurs contre un de leur joueur que j'ai vrillé et que je suis ici, maugrée-je en tournant la cuillère dans la tasse.

— Je suis désolée, dit-elle d'une voix faible.

— T'as pas à t'excuser, j'ai seulement agi sous la colère et la frustration. Peut-être que Henry a raison, je ne suis qu'un gamin.

— Ça n'empêche que c'est injuste que tu sois constamment comparé à ton père. Je ne te suis pas, mais je suis persuadée que si t'en es là aujourd'hui, c'est pour ton talent et pas pour un stupide nom de famille. Ton père et toi, vous êtes différents. Tu ne seras jamais lui, mais tu peux être une meilleure personne, un meilleur joueur. Mais il faut que tu apprennes à gérer tes problèmes de colère, c'est ce qui te coûtera le plus dans ta carrière. Tu te bousilles tout seul en continuant sur cette voie.

Axelle pose une main douce sur mon bras, son regard empreint de compassion et de compréhension. Ses paroles, bien que directes, résonnent en moi comme une vérité que je n'ai jamais voulu admettre. Nathan m'a sorti le même sermon quelques jours plus tôt. Je devrais envisager de reconsidérer ses mots.

Je soupire, fixant la surface miroitante de mon café.

— Tu as probablement raison...

— J'ai toujours raison, voyons ! affirme-t-elle pleine d'assurance.

Elle retire sa main, mais elle ne détourne pas son regard de moi.

— De nombreux sportifs se sont sabotés parce qu'ils ne parvenaient pas à maîtriser leurs émotions. Et je ne veux pas te voir faire la même erreur. Tu mérites ta place, n'en doutes pas.

Un frisson me parcourt l'échine. J'ai entendu des remarques similaires, mais cette fois, elles résonnent différemment. C'était Axelle, avec sa franchise et sa bienveillance, qui me les disait. Pas des personnes hautaines qui ne cherchaient qu'à me rabaisser.

— Merci, Axelle...

Elle me sourit, un mélange de douceur et de détermination dans son regard.

— Je suis là si tu as besoin de parler, tu sais. Parfois, juste le fait de partager tes pensées peut t'aider à voir les choses autrement. Et puis, si jamais, je pense qu'une place en tant qu'entraîneur est envisageable.

Il est vrai que toute cette semaine j'ai analysé cette perspective. Ce serait également une bonne reconversion comme alternative.

Nous terminons nos boissons, le silence paisible enveloppant notre conversation. Le calme régnait entre nous. Une sensation très agréable. Aucun jugement, aucune remarque. C'est juste elle et moi. Et pour la première fois depuis bien longtemps, je me sens bien, en harmonie avec moi-même. Et ça, je le lui dois.

— On y va ? m'invite-t-elle.

J'acquiesce, rassemblant mes pensées, avant de lui offrir un sourire alors qu'elle m'entraîne vers l'extérieur une fois les boissons payées.

— C'est pas trop encombrant ton sac rempli de livre ? interrogé-je alors que je la voyais changer régulièrement de bras pour les porter. Puis, ça ne va pas poser problème pour la fête foraine ?

— Pour la première question, oui, mais on est bientôt arrivé, donc ça va. Et ensuite, je ne compte pas les garder tout du long. On va faire un arrêt à ma voiture pour les poser, ainsi, après on pourra profiter au maximum ! sourit-elle.

Les lumières chatoyantes des manèges et les cris joyeux des enfants remplissent l'air, au fur et à mesure que l'on s'approche. Le parking se trouve juste en face des attractions, complet, on remarque rapidement que nous sommes un samedi et que les parents en profitent pour accompagner les plus jeunes.

— Bon, maintenant, la mission la plus compliquée : repérer la voiture, annonce Axelle en se grattant maladroitement l'arrière de la tête.

— Tu ne sais pas où tu t'es garée ? me moqué-je.

— Pour ma défense, quand je suis arrivée, il n'y avait pas autant de monde, boude-t-elle.

— Eh bien, partons à la recherche de ta voiture alors ! Rassure-moi, tu sais plus ou moins l'endroit quand même ?

Elle hoche la tête, mais je reste incapable de dire si c'est par principe ou si elle sait réellement. Avec Axelle, nous nous lançons dans une exploration minutieuse du parking. Sous le regard de certains passants qui doivent certainement nous trouver bizarres à arpenter les allées, nous essayons de déterminer si nous nous rapprochons ou non du lieu où l'auto est garée.

— On est déjà passés par ici, non ? demandes-tu en montrant une rangée de voitures compactes, dont aucune ne ressemble à la sienne.

Axelle s'arrête et observe avec un air déconcerté. Les véhicules se succèdent, mais aucune ne correspond à la description qu'elle m'a faite.

— Tu es sûre que c'était ici ?

Axelle se met à regarder autour d'elle avec une mine songeuse.

— Euh, je crois, mais il me semblait qu'il y avait un poteau avec un panneau bizarre à côté... Ah !

Un élan d'optimisme s'anime dans ses yeux... pour rien. La voiture n'est toujours pas là.

Axelle, désespérée par la disparition temporaire de son moyen de locomotion, s'est convaincue que c'était l'œuvre d'un maître voleur de véhicules opérant spécifiquement dans ce parking.

— Martin, on est face à un cas classique de délit automobile ! s'exclame-t-elle, les yeux pétillants d'excitation. Un cambrioleur de voitures agit ici, je te le dis !

J'ouvre grand les yeux, ne comprenant pas où elle voulait en venir, avant de finalement la suivre dans son jeu de piste improvisé.

— Bien sûr, une conspiration de voleurs de bagnoles dans un stationnement de fête foraine ! affirmé-je avec un sourire moqueur.

— On doit trouver des indices, Martin ! Regarde, ces traces sur le bitume, ce sont des empreintes de pas suspectes.

Un air sérieux se dessine sur le visage de Axelle qui parcourt le parking avec une concentration intense. Nous suivons donc ces fameux indices, scrutant les moindres recoins à la manière des détectives, prenant des notes mentalement de chaque détail, chaque signe qui trahirait ce potentiel bandit d'auto légendaire.

— Je suis sûr que c'est un stratagème pour distraire les gens de la fête foraine et voler leurs voitures ! explique Axelle, de plus en plus convaincue.

Finalement, après une série de fausses pistes et de théories farfelues, le véhicule se trouve exactement là où Axelle l'avait laissée. Elle se fige, surprise.

— Regarde, le voleur est revenu et l'a rapporté ! dit-elle en pointant la voiture d'un air triomphant.

— Ou peut-être qu'il a eu pitié et a décidé de la rendre ! ris-je.

Axelle ricane, incarnant le jeu jusqu'au bout.

— C'est bien la preuve que notre quête a dissuadé ce criminel de continuer ses méfaits !

Elle pose enfin le sac qui doit commencer à faire lourd. Je lui ai proposé de le porter, mais elle s'est entêtée à vouloir le conserver, car je cite : « tu n'es toujours pas un homme de confiance pour garder mes précieux livres. »

— Let's go maintenant ? questionne Axelle.

— C'est plutôt à toi qu'il faut demander.

— C'est parti alors !

Elle referme sa voiture. Si elle s'engouffre vers la fête foraine, je mémorise rapidement la place pour éviter le même problème au retour. Pas que ce moment était désagréable, mais je pense qu'il vaut mieux s'abstenir de réaliser une nouvelle chasse à travers le parking, surtout que le soleil sera à l'évidence couché au vu de l'heure.

Axelle, l'enthousiasme ne la quittant plus, déambule à travers les divers stands animés. Elle jette quelques regards curieux aux attractions, déterminant lesquels elle testera, m'entraînant dans son élan. L'excitation d'Axelle doit être contagieuse, car je ne peux m'empêcher de me prêter au jeu, comme si je revivais entièrement. Pas de hand, pas de pression. Juste une journée normale.

— Je veux faire ça ! s'écrie-t-elle, sautillant un peu afin que je l'entende à travers la musique.

Axelle me lance un regard rempli de défi pour déterminer si j'oserai le relever. Si j'avoue ne pas être friand de cette idée, je ne compte pas l'admettre. Je ne vais tout de même pas me défiler face à cette attraction !

La file d'attente avance, ponctuée de rires et de cris excités alors que les clients se préparent pour leur tour dans le manège spectaculaire. Axelle, impatiente, a toujours cette étincelle dans les yeux, une euphorie palpable dans chaque geste. Quant à moi, je commence légèrement à regretter cette décision. Un mélange de nervosité et d'anticipation monte en moi à mesure que notre tour approche.

— Il est encore temps de faire marche arrière, me tente-t-elle.

— Pas question, on y va, dis-je en avalant ma salive, pestant contre moi-même pour poursuivre ce défi.

Installés dans notre nacelle, les ceintures attachées, nous n'attendons plus que le début de l'attraction. Au micro, le gérant fait une annonce que je ne comprends pas. Ça n'a pas encore commencé et pourtant, je perçois déjà mon cœur battre rapidement, anticipant la suite des évènements quand le rire de Axelle résonne dans mes oreilles. Mes mains tiennent fortement la barre devant nous. Des secousses légères se font sentir, indiquant le début de l'ascension. Je ferme les yeux espérant que ce moment se termine au plus vite. Elle pose la sienne sur la mienne comme si elle ressentait le mal être qui m'envahissait petit à petit.

Le manège se met en marche dans un bruit métallique, les premières turbulences sont présentes, et la montée en intensité de la musique épique augure une dangereuse aventure. L'attraction s'élève progressivement, puis tourne sur elle-même en décrivant un mouvement circulaire tout en oscillant de haut en bas. Axelle rit aux éclats, ses cheveux volent autour d'elle, certaines mèches terminent même dans ma bouche avec le vent, alors que nous atteignions des hauteurs vertigineuses. L'adrénaline grimpe en moi et je resserre ma prise sur la sécurité.

Les lumières multicolores de la fête foraine défilent devant les yeux émerveillés de Axelle alors que je tente de respirer pendant que nous tournions et virevoltions dans les airs sous les cris des personnes à nos côtés. Petit à petit, je m'habitue à la sensation. Cette sensation de liberté dépasse tout ce que j'ai pu connaître jusqu'à présent. Je quitte le réel pour découvrir une nouvelle dimension magique qui m'entoure et me procure du bonheur. J'en viens presque à regretter la fin de l'attraction. Le manège ralentit, nous faisant malheureusement retourner sur la terre ferme.

— Tu vois, ce n'était pas si horrible ! crie-t-elle pour que je la comprenne.

Un sourire toujours collé à ses lèvres, elle profite de l'instant présent. Comme moi, c'est comme si elle revivait. Comme si elle retrouvait la joie qu'elle avait laissée à Barcelone le temps de son stage. Je ne peux décrocher mon regard d'elle, ses yeux m'hypnotisent quand son rire devient contagieux. Un instant, je m'arrête au niveau de sa bouche, mon cœur ratant à un battement. J'ai envie de franchir cette barrière, d'aller plus loin.

Dire qu'elle ne m'intéresse pas serait mentir. Même si notre première rencontre ne s'était pas déroulée de la meilleure des manières, lorsque je l'ai revu au match quelques jours après, je l'ai trouvé magnifique. Mais je ne peux pas. Pas quand je retournerai à Montpellier et qu'elle rentrera à Barcelone. Pas quand même-moi, je ne sais pas ce que je veux exactement. Pourtant, je continue de la détailler, savourant ce moment comme si c'était le dernier.

— Merci, murmure-t-elle en me prenant dans ses bras.

Instinctivement, je referme les miens sur elle. Ce câlin est un pur bonheur. Je profite de son contact qui lui fait autant du bien que ça m'en procure.

— Il va falloir partir pour laisser la place aux prochains, se racle la gorge une des personnes qui gère l'attraction.

Maladroitement, Axelle se détache de moi et bégaye quelques excuses, des rougeurs apparaissant sur son visage. Je la suis quittant la nacelle à mon tour, gêné. Après cette montée d'adrénaline, elle m'agrippe et m'entraîne à travers la foule vers les stands de jeu.

Axelle se fige, réalisant soudainement qu'elle tient ma main sans y avoir réfléchi. Un nouveau rougissement lui monter aux joues, et je pourrai presque affirmer que son cœur s'accélère. Elle me lâche précipitamment, des excuses bafouillées s'échappant de ses lèvres.

— Désolée, je ne voulais pas..., tente-t-elle de dire cherchant ses mots mêlant de l'espagnol à son explication.

— C'est bon Axelle, la rassuré-je entrelaçant de nouveau nos mains.

La gêne d'Axelle s'atténue progressivement, remplacée par un mélange de soulagement et de bonheur. Elle resserre un peu plus ma main, une agréable connexion chaleureuse s'établissant entre nous.

Elle m'amène rapidement vers un stand de Chamboule-tout. Elle me met au défi de voir qui de nous deux sera le plus précis et renversera le plus de boîtes de conserve. Sans briser ses rêves, j'accepte.

— Honneur aux dames, l'invité-je à commencer.

Elle me gratifie d'un sourire plein de confiance avant son premier lancer. Axelle sort la langue comme si cela l'aidera à viser et finit par tirer. Une moue de tristesse traverse son visage en découvrant que la majorité des boîtes sont restées en place. Elle en réalise un second, sans grand succès non plus.

— C'est pas drôle, râle-t-elle en croisant ses bras comme une enfant.

À mon tour, je tente ma chance. J'analyse la meilleure position et le meilleur angle pour effectuer le jet parfait. Bingo. Toutes les conserves tombent et je souris fièrement vers Axelle qui garde encore sa mine déçue.

— Forcément, t'es handballeur, tu sais viser, marmonne-t-elle.

— Tu serais pas un peu mauvaise perdante ?

— Je vois pas du tout ce que tu veux dire.

Je récupère la peluche gagnée en lot et la tends en direction d'Axelle. Elle me contemple surprise, n'y croyant pas.

— Vraiment ? Tu me la laisses ?

— Ce n'est pas comme si j'en avais réellement l'utilité. Puis à chaque stand, tu les regardais, réponds-je.

Elle sautille en me remerciant tout en serrant la petite panthère des neiges dans ses bras. Nous continuons de profiter de l'instant présent, observant certaines attractions.

— Un tour de grande roue, ça te dit avant de rentrer ? propose-t-elle.

Installés à nos places, la peluche n'a pas quitté ses bras et ne risque pas d'y partir. Le soleil commence lentement à se coucher, disparaissant derrière les montagnes pendant que nous montions. La musique de la fête foraine s'élève en fond. J'admire la vue qui s'offre devant nous. En hauteur, nous survolons la ville qui s'étend au loin.

Axelle appuie sa tête contre mon épaule et profite également du paysage même si elle doit certainement bien le connaître. Je pose la mienne sur la sienne alors que je joue avec mon bracelet.

— À quoi tu penses ?

Elle me demande en brisant le silence avant d'attraper mes doigts pour les entrelacer ensemble, un fin sourire se dessine sur ses lèvres pour me rassurer, me permettant de me confier sans jugement.

— Tu crois vraiment que ce bouquin va m'intéresser ? l'interrogé-je, essayant de savoir pourquoi elle me l'avait offert.

— Tu pourrais être surpris. Ça parle de compétition, de rivalité, d'enquête et de suspense. Peut-être que ça t'octroiera un moment de détente après les matchs, qui sait ?

J'acquiesce, reconnaissant envers son geste, même si je ne me vois pas vraiment me plonger dans un livre pour me décompresser au vu de mon quotidien. Pourtant, quelque chose dans sa façon dont Axelle me l'a désigné, me donne envie d'y jeter un œil alors que je n'ai jamais lu. Même les livres de français au collège ou au lycée, je les consultais rarement. Merci internet qui a été mon meilleur ami !

Alors que l'attraction reprend du service, je détaille plus Axelle devant moi. Ce n'est plus du tout la jeune fille réservée. Elle semble plus décontractée, loin des soucis qui l'ont accaparé pendant ses quelques semaines. Au contraire, ses yeux ternes pétillaient maintenant d'une joie innocente, comme si la fête foraine avait le pouvoir de la ramener à un état de pure spontanéité. J'aurais aimé la découvrir ainsi plus tôt. J'aurais aimé aussi ne pas m'être comporté comme un idiot avec elle quand elle a essayé de m'aider alors que je n'ai cessé de la repousser.

— T'es pas tout seul, tu le sais ça ? poursuit-elle.

Un rire s'échappe de mes lèvres.

— Tu sais que c'est pas du jeu ?

— De quoi ? feint-elle l'ignorance.

— De remixer ce que j'ai dit hier soir.

— C'est que pour une fois, tu dis quelque chose de censé !

Je lui tire la langue, vexé alors qu'elle se contente de hausser les épaules. Le tour de grande roue prend fin, même si l'envie de rester quelques instants de plus me taraude.

— T'es sûre, tu sais où est ta voiture ? m'inquiété-je alors que nous nous éloignions de la fête foraine.

— Mais oui ! boude-t-elle. Sauf si le voleur de voiture a encore frappé !

Je lève les yeux au ciel en rigolant. Je la raccompagne au parking et devant son véhicule pour être certain qu'elle ne se perde pas entre temps. Axelle récupère le livre qu'elle m'a acheté et me le tend pour que je le garde.

— Merci pour la journée, vraiment. C'était incroyable ! avoue-t-elle, les yeux pétillants d'émotions.

— Je suis content d'avoir passé mon après-midi avec toi, lui souris-je.

— T'as intérêt à lire ce roman et me dire comment il était ensuite ! me menace-t-elle.

— Oui m'dame.

Elle me frappe l'épaule à la suite de mon salut militaire avant de se mettre sur la pointe des pieds et de m'embrasser sur la joue.

— On se voit lundi au cabinet pour un bilan ? me questionne-t-elle, une fois installée dans la voiture.

Le regard plongé dans la nuit naissante, je l'observe s'éloigner, emportant avec elle cette journée hors du temps. Un sourire se dessine sur mes lèvres alors que je tiens fermement le livre entre mes mains, un cadeau chargé de sens, un lien inattendu tissé entre nous.

— À lundi, murmuré-je à l'obscurité, sachant que cette après-midi à la fête foraine avait été bien plus qu'une simple balade.

C'était le début d'une connexion spéciale, d'une amitié naissante. Peut-être même plus.

Je retourne à pied vers le centre, direction mon appartement, le souvenir des rires et des émotions partagées persistant dans mon esprit. Le trajet se déroule dans une atmosphère calme, ponctué par les images de cette journée qui défilent comme un film dans ma tête.

Arrivé chez moi, je pose le livre sur ma table de nuit, l'envisageant d'un regard nouveau.

— Jamais j'aurai cru être en possession d'un bouquin, rigolé-je en m'allongeant sur le lit.

Mon téléphone vibre. Un message d'un numéro inconnu. Je devine rapidement qu'il s'agit d'Axelle.


Petit souvenir que tu garderas, j'espère ! 😉


Pour accompagne le SMS, une photo de nous deux prise au sommet de la grande roue. Elle a toujours dans ses bras la peluche et la tient comme un trophée avec un de ses bras quand de l'autre elle me fait les oreilles de lapin.

Un sourire se dessine sur mon visage alors que je m'allonge, laissant la soirée s'estomper dans la quiétude de la nuit, remplie d'une anticipation douce pour les jours à venir.

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