Chapitre 2
Axelle.
Tu es trop toi.
Cette phrase ne cesse de résonner en moi. J'ai essayé de trouver un sens à ces mots, mais je ne comprends pas à quel moment il s'agit d'un motif de rupture valable.
— C'était qu'un idiot passe à autre chose !
Plus facile à dire qu'à faire. J'aimerais pouvoir l'oublier aussi aisément que Sofia oublie ses anciennes relations, mais je n'en suis pas capable. Je ne peux m'empêcher de ressasser ces moments, de chercher ce qui a pêché.
— Dis-toi que tu vas te vider la tête et bien pouvoir profiter en rentrant chez toi !
Sans grande conviction, j'affirme ses propos. Dans un sens, ce n'est pas faux. Pendant cinq semaines, j'effectuerai mon stage pour valider une partie de mon diplôme de kiné. Pas le temps pour me morfondre sur ma relation passée avec Pablo qui s'attendait à ce que je change pour lui. Mais de là à en profiter ? Je ne miserai pas dessus. Survivre conviendrait certainement mieux.
Je ne peux m'empêcher de rigoler de la situation. L'adolescente de dix-huit ans désemparée qui a raté le concours de kinésithérapeute en France est désormais loin derrière moi. Je viens d'entamer ma quatrième année et dernière année d'étude, seule, dans un pays étranger. Alors pourquoi suis-je en train de stresser autant en appréhendant les retrouvailles avec ma famille ? De quoi ai-je si peur ?
— J'étais obligée d'accepter ? me lamenté-je en faisant référence au stage. Ce n'est pas comme si les cabinets de kiné ne manquaient pas ici ! J'aurais même pu proposer ma candidature au Barça !
— À croire que t'aurais été prise, pouffe Sofia qui sirote son cocktail.
Je grimace et fais mine d'être vexée. J'exagère peut-être un peu, mais c'est possible. Certains étudiants ont déjà eu la chance d'effectuer leur stage dans le célèbre club de football, et on ne va pas se mentir, ça fait quand beau sur un CV !
— C'est vraiment trop tard pour modifier ? insisté-je.
Je bois à mon tour mon mojito, laissant quelques instants mon regard se perdre sur les passants alors que le soleil commence lentement à se coucher. Le vent souffle doucement et j'en viens presque à regretter mon short.
— On sait très bien que tu vas bien t'amuser, il ne faut pas partir pessimiste comme ça !
Je reste muette. Elle doit certainement avoir raison. J'en fais sans doute trop. Après tout, qu'est-ce que c'est cinq semaines dans une vie ? Rien. Et de toute manière, à la veille de mon départ, je ne peux plus faire marche arrière. Je l'ai promis à ma mère, il m'est impossible de revenir sur cette décision même si l'envie ne me manque pas.
— Et si ça va pas, t'inquiètes pas, je débarque chez toi !
— Tu ne parles même pas français, comment tu comptes venir ? me moqué-je d'elle.
Elle m'offre son magnifique majeur en guise de réponse. Imaginer l'espagnole qui me fait face quitter Barcelone pour me soutenir me réchauffe le cœur, bien que la situation resterait certainement mémorable. Aussi douée que moi, elle risquerait de se perdre sur la route et de surtout faire perdre la tête à la moindre personne qui souhaiterait l'aider.
— Qu'importe les obstacles, j'arriverais pour te délivrer du monstre ! dit-elle de manière théâtrale.
— Et nous partirons à dos de ton fidèle destrier ?
— Évidemment, qu'est-ce que tu crois !
Un fou rire s'échappe. Le pire serait que je ne serais même pas étonnée si elle venait me retrouver à Pau avec un cheval. Un sourire en coin se dessine sur son visage bronzé par les nombreuses heures qu'elle a passées à se prélasser au soleil. Ses yeux chocolat pétillent, fiers de m'avoir arraché un véritable rire depuis le début de la soirée.
— Une petite virée en boîte pour ta dernière nuit ici ? propose Sofia.
— À croire que je déménage à l'autre bout du monde ! Tu sais que je reviens rapidement quand même ?
— Oh, on ne sait jamais. Peut-être que tu vas trouver meilleure que moi et m'abandonner à mon triste sort, pleure-t-elle.
— Tu sais très bien que mon cœur t'appartient déjà, qu'aurais-je fait sans toi sinon ?
— Tu chercherais encore ton chemin dans l'université, chérie.
Pour ma défense, le plan expliquait très mal les bâtiments. Et en plus, je ne maîtrisais pas entièrement l'espagnol, alors le catalan, je n'étais pas préparée pour lire toute une brochure dans cette langue ! De quoi bien me perdre pour mes premiers jours ! Mais Sofia était apparue tel le prince charmant pour me sauver de cet enfer.
— Alors ? insiste-t-elle.
— Je dois rentrer, j'ai pas encore fini mes valises.
— Tu oses me faire croire que toi qui es bien organisée tu n'es toujours pas prête ? Laisse-moi rire, Axelle !
J'ouvre la bouche pour la refermer. Je gonfle les joues comme une enfant qui se prendrait des reproches. Ce n'est pas ma faute si j'ai eu l'habitude d'avoir mes affaires rangées à l'avance pour pallier tout éventuel contretemps qui me retarderait. En plus, organisée, c'est un bien grand mot ! Je le suis uniquement pour préparer mes valises ou pour être au point dans mes cours. Sinon, j'y vais à l'instinct. Comme prendre la décision sur un coup de tête de quitter la France pour poursuivre mes études ici, par exemple. Certes, mon désir de venir à Barcelone n'a jamais été une surprise pour personne, mais le départ a peut-être été un peu soudain pour mes parents. Enfin, surtout, ma mère. Mon père n'a pas spécialement eu de réaction. Il s'est contenté de me demander si j'avais besoin d'aide pour trouver un logement et surtout pour déménager. Aide qu'il ne m'a pas donnée ayant eu une réunion de la plus haute importance — selon lui — mais qui n'était finalement qu'une banale réunion de fin de mois ce week-end-là.
— C'est mieux de fêter mon retour, tu crois pas ? tenté-je.
— Mouais, t'as pas intérêt à te défiler ! me prévient-elle.
— C'est pas mon genre, voyons ! m'offusqué-je en quittant la table.
Le soleil commence lentement à se coucher alors que nous continuons peu notre discussion. Plus en retrait, je me contente surtout d'écouter Sofia qui me raconte son dernier rendez-vous. Elle ne se prive pas de s'exprimer avec les mains, manquant plus d'une fois d'assommer un passant qui n'a rien demandé. Elle s'arrête une seconde pour attacher ses cheveux noirs en un chignon, et elle repart sur la description du fameux garçon.
— C'était vraiment pas ouf, se plaint-elle. Il parlait que de lui, à croire que c'est le centre du monde !
— Parce que tu ne l'es pas toi ? me moqué-je.
— Il faut bien que je parle pour nous deux quand t'es pas d'humeur ! se justifie-t-elle.
Je continue de l'entendre râler sans rien rajouter de plus. J'ai tellement l'habitude que je laisse mon esprit divaguer. Je prends le train demain pour retourner chez moi, après quatre ans. Et je ne suis pas du tout prête. Si j'ai toutes mes affaires qui m'attendent, mentalement, j'ai encore du mal à me dire que je rejoins la France. Même si c'est pour une courte durée.
J'ai grandi. C'est indéniable. Je ne suis plus la même gamine perdue. Mais pour eux, de l'autre côté des Pyrénées, que suis-je devenue ? Est-ce que je reste cette enfant qui a toujours trop rêvé et qui ne rentre pas dans les codes qu'ils imaginaient ? Ou aurai-je le droit à un minimum de reconnaissance, au moins de mon père ?
Le claquement de doigts de Sofia me ramène à la réalité et efface mes appréhensions le temps d'un instant. Je sais que la boule au ventre ne me quittera pas. Pas tant que je serais certaine d'être de nouveau à ma place. Mais je sais que l'espagnole est présente à mes côtés pour me venir en aide et me faire tout oublier, même si ce n'est qu'éphémère.
— Tu veux que je te raccompagne chez toi ? me propose-t-elle.
Je décline gentiment son offre. Je n'ai pas envie qu'elle réalise un détour pour me déposer à l'appartement. Je l'ai déjà assez dérangée alors qu'elle a passé une longue journée de cours.
— Sûre ? insiste-t-elle.
Je lève mon pouce en l'air pour la rassurer et qu'elle comprenne que tout ira bien. Un peu de marche ne me fera pas de mal, si ce n'est imaginer le potentiel accueil qui va m'attendre.
— N'oublie pas : dès que t'as besoin, t'envoies un message et je rapplique !
— Oui, chef ! réponds-je en effectuant le salut militaire.
Nous nous quittons, chacune partant d'un côté opposé. Sofia se dirige vers le parking souterrain pour récupérer sa voiture pendant que je m'enfonce dans les rues barcelonaises. J'attrape mes écouteurs, je lance ma playlist et me voilà prête à me perdre pendant une quinzaine de minutes dans mes pensées. J'avance au rythme de la musique, chantonnant par moment, profitant de l'air qui fait voler mes cheveux. La chaleur est toujours présente, bien que le short ne soit pas forcément le meilleur choix. Mais je ne pensais pas rester aussi longtemps sur la terrasse.
Sans m'en rendre compte, j'arrive plus rapidement que prévu à mon appartement. J'aurais préféré mettre encore plus de temps. Peut-être que j'aurais dû accepter la proposition de Sofia. Je souhaitais passer ma soirée seule, tranquille, sans prise de tête. Mais à peine j'avance dans le salon que la solitude me frappe de plein fouet.
Pablo me manque. Je le voulais auprès de moi, qu'il me rassure comme il l'avait pu le faire auparavant. Mais il n'en est rien. Je m'attarde un peu trop longtemps sur le cadre que j'ai laissé à côté de la télévision. Je ne sais même pas pourquoi je la garde encore. Nous étions tous les deux souriants au Nou Camp, fêtant la victoire de Barcelone face au Real Madrid. Une journée incroyable.
La tentation de prendre mon téléphone et de ne serait-ce que lui envoyer un message est grande, mais je me contiens. Sofia a raison, je dois passer à autre chose et le rappeler alors que je m'envole pour la France n'est certainement pas la meilleure idée. Je me contente donc d'attraper une assiette, de me servir les restes de mon repas et de chercher une série sur Netflix.
Comme si demain, mon retour — quelque peu avancé par rapport à mes projets- n'avait pas lieu, alors que mes deux valises n'attendent que moi au pied de mon lit.
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