Chapitre 18
Axelle.
Un soupir s'échappe de mes lèvres. J'imagine déjà les paroles de Martin alors que je ferme ma voiture avant de rejoindre le cabinet de kiné. Je n'ai pas besoin de tes conseils, je peux me débrouiller tout seul, dira-t-il sans prendre en compte mes recommandations ni celle de Julien. Qu'il peut être insupportable ! Je ne parviens pas à croire qu'il souhaite poursuivre une carrière professionnelle en étant aussi têtu et refusant l'aide de spécialiste. Il n'est même pas qualifié pour juger le degré de sa blessure !
Je patiente devant le bâtiment. Je me surprends à être autant en avance. J'observe mon portable. Effectivement, il est tôt. Je sens la merveilleuse journée qui s'annonce ! Je pianote sur mon cellulaire en guettant l'arrivée de Julien. Je resserre ma veste autour de moi pour me protéger du vent frais en ce dernier jour d'octobre. Pour Halloween, mon maître de stage a décidé d'accrocher quelques décorations, bien que minime sur le devant. Une guirlande de citrouille maléfique orne ainsi l'entrée accompagnée d'un squelette contre le mur qui n'attend qu'une chose : qu'on lui remplisse son bol de friandises pour se régaler. Ça fait plaisir aux enfants, m'a-t-il dit. Je le crois, après tout, c'est lui qui connait le mieux ses patients.
— T'es plus matinale que d'habitude à ce que je vois Axelle, commente le kiné en me rejoignant à l'arrière du bâtiment.
En guise de réponse, c'est un bâillement que je lui offre. Si j'apprécie être ponctuelle, je n'ai pas l'habitude d'arriver aussitôt tout de même. Mais avec l'enchainement, entre le match, le repas et la mauvaise nuit que j'ai effectué, je ne me sentais pas de rester plus longtemps chez moi. La meilleure option qui m'est donc apparue a été de conduire jusqu'au stage. Même si c'était pour poireauter dans le froid.
— Prête pour cette journée ?
Je hausse les épaules. Dire que j'ai hâte serait un euphémisme, mais je ne peux pas être toujours à cent pour cent. Je me contenterai de travailler le plus sérieusement possible avec les patients.
— Tiens, ça devrait t'aider à surmonter les prochaines heures.
Julien me tend une tasse de café une fois le cabinet ouvert. Je décline poliment. La boisson serait certainement d'un bon soutien, mais je préfère me cantonner à un verre d'eau.
— Solène revient pour un dernier bilan, je te laisse t'en occuper, d'accord ?
J'acquiesce. Cette petite fille est toute mignonne, pleine d'énergie et remplie de rêve. La première fois que je l'ai eu, elle n'a pas cessé de me parler et de mon transmettre sa passion pour la gymnastique. Malheureusement, une mauvaise réception et une entorse à la cheville l'ont conduite ici. Rien de trop sérieux, mais il ne faut pas négliger la blessure pour éviter qu'elle s'aggrave.
— Alors ma grande, comment ça va aujourd'hui ?
Un immense sourire se dessine sur son visage enfantin et elle commence à me raconter ses journées à l'école, comme sa super note en récitation ou les dernières histoires avec ses camarades. Elle sait tout ! Et par extension, je connais toute la vie de ses amis sans même les avoir vus. Paul, c'est le fan de Pokémon qui adore faire des échanges. Lucas, c'est le footballeur que tout le monde souhaite dans son équipe. Laurie, c'est la fille amie avec tout le monde. Mélodie, c'est celle qui passe son temps libre à lire. Et encore plein d'autres qui peuplent cette petite école primaire de village.
Je laisse l'enfant s'installer sous le regard de sa mère qui prend place sur une des chaises de la salle d'attente. Elle discute avec Julien des derniers détails de la séance.
— Tu viens ?
— Pressée d'en finir ?
— Après aujourd'hui, maman m'a dit que je pourrais reprendre les entraînements, donc oui !
— Tu sais, tu devras faire attention, sinon tu vas encore devoir revenir ici.
— Si c'est pour te revoir, ça me dérange pas !
— Allez, championne !
Martin passe l'entrée et est convié par la secrétaire à rejoindre la salle principale. Trop occupée avec Solène, je ne fais pas attention à sa présence jusqu'à ce que je reconnaisse sa voix parlant avec Julien. Je relève rapidement ma tête. Une moue se dessine sur son visage. Une main dans les poches, l'autre dans ses cheveux pour se gratter le crâne, il évite le regard du kiné. Il porte un t-shirt bleu marine avec sans doute le logo de son club professionnel avec un short noir. Il n'écoute pas spécialement l'adulte face à lui. Il se contente de soupirer.
— J'aurais le droit à une sucette après ?
Je reporte mon attention sur l'enfant qui s'est assise sur le rebord de la table pendant qu'elle laisse ses jambes se balancer dans le vide. Je lui offre un sourire et lui ébouriffe les cheveux avant de lui permettre de se chausser. Sans faire d'histoire, elle me suit, sautillant comme si elle ne s'était jamais fait d'entorse à la cheville. Je lui tends le bocal pour qu'elle choisisse celle qu'elle préfère et elle rejoint sa mère.
— Tu peux gérer Martin toute seule ? me demande le kiné.
Je cache une grimace. Bizarrement, le café n'aurait pas été une si mauvaise idée. Oui, c'est réalisable. Après, sans risque, je ne promets rien.
— Si jamais, je ne suis pas loin, j'ai juste quelques coups de fil à passer et un patient, tu pourras toujours m'appeler si des envies de meurtres surviennent.
Jamais je n'oserai m'en prendre au handballeur, voyons ! Je resserre ma queue de cheval avant de rejoindre Martin obnubilé par son téléphone, avachi sur un des sièges de la salle d'attente.
— Tu comptes rester comme ça encore longtemps ?
— Si on ne m'avait pas forcé à venir, je serais pas comme ça, bougonne-t-il.
— Allez, plus d'entrain, je suis certaine que tu peux le faire !
— Je suis pas un gamin.
— Mais oui, mais oui, je vais te croire.
Il me toise du regard presque prêt à me sauter à la gorge. Je ravale de travers ma salive et essaye de rester le plus professionnelle possible en l'invitant à me suivre. Je sens sa présence derrière moi qui s'impose aisément. Julien lève les pouces en ma direction pendant qu'il est au téléphone pour me signaler que tout se déroulera bien. J'en doute.
— Comment va ta cheville ?
J'attends une réponse qui ne viendra jamais. Il hausse seulement ses épaules avant de prendre place sur la table et de s'y allonger sans que je ne lui demande.
— J'ai pas toute ma journée, si tu pouvais te dépêcher, ce serait bien.
— Oh, désoler monsieur la superstar. Je ne savais pas que ton emploi du temps était surchargé.
Je souffle alors que je commence par examiner sa cheville avec précaution. Je préfère éviter de le casser, malheur à moi si je détruisais sa grande carrière de handballeur ! Elle n'est plus aussi gonflée que samedi. Il lui faudra juste un peu de repos et quelques exercices pour ne pas la brusquer lorsqu'il reprendra. Je la palpe doucement à la recherche de la zone douloureuse.
— Ça irait plus vite si t'arrêtais de te tortiller comme un idiot !
— Si tu faisais bien ton job, ce serait mieux.
Je lui lance un regard noir et appuie plus fort en espérant une réaction. Bingo !
— Mais t'es folle ma parole !
— Je sais ce que je fais, c'est mon métier, Martin, soupiré-je.
— T'es même pas diplômée..., chuchote-t-il plus pour lui-même.
Je me mords la langue avant d'envenimer encore plus la discussion. Je continue simplement l'auscultation sans prendre la parole, encaissant les critiques de Martin. J'ouvre la bouche uniquement quand j'y suis obligée pour lui expliquer les différents exercices qui vont suivre.
— Ces exo ne vont pas m'aider.
— Eh bien, si tu es aussi intelligent, débrouille-toi tout seul ! J'abandonne ! Tu es grand, non ? Alors, agis comme tu le sens vu que t'es le meilleur et que tu sais ce qu'il te faut !
— Tu comptes pas me laisser là ?
— J'ai d'autres patients qui attendent et qui ne me feront pas perdre mon temps. Des personnes qui ne râleront pas à chaque mouvement que je fais ou qui ne remettront pas en cause mes capacités.
— Tu vas pas partir, la séance n'est pas terminée.
— Pourquoi resterais-je ?
— C'est ton métier.
— Oui, et je demande un minium de respect. Toi, tu te contentes juste de tout critiquer, de dire que je ne mérite pas de te soigner. J'en ai marre qu'on me prenne m'ignore, qu'on me prenne pour une gamine ou qu'on pense que je suis incapable. Alors oui, tu vas te démerder seul, car monsieur Martin n'a pas besoin d'aide, tu l'as toi-même dit. Tu n'es plus un gamin, t'es un professionnel, tu peux donc te gérer seul.
Il me dévisage et cherche à répliquer, mais je ne lui donne pas cette chance. Je me décale, le laisse agir à sa convenance. Je me dirige en direction du lavabo pour m'asperger d'eau. Cela a au moins le mérite de me rafraîchir un minimum. Je m'observe un instant au miroir installé juste au-dessus. Mes yeux rougis par les pleurs que je retiens sont bercés par des cernes signes des mauvaises nuits que j'enchaine.
Encore trois semaines à survivre et je rentre à Barcelone, m'encouragé-je mentalement avant d'aborder un sourire pour le prochain patient.
J'entends au loin Martin râler, seul. Je sais que je n'aurais jamais dû agir ainsi, mais je ne peux pas le prendre en charge contre sa volonté. Je ne suis pas assez compétente pour lui et comme il possède la science infuse, autant qu'il se gère lui-même. Il est le meilleur après tout. J'évite juste de croiser le regard de Julien. Il sera compréhensif, et il devait se douter de la tournure de la séance, mais je me dis qu'il avait placé des espoirs dans une collaboration. Or, j'ai tout fait foiré. Enfin, plutôt ce stupide assassin.
J'essaye de vider au maximum mon pensée, de juste appliquer les conseils de Julien et de mettre en pratique mes cours, mais je sais au fond que tout sonne faux. Devrais-je continuer à me battre pour atteindre cet objectif alors que Martin n'a pas entièrement tort ? Je ne suis même pas capable de le soigner, pourquoi d'autres me feraient-ils confiance ?
— Va prendre un peu l'air, je vais gérer seul.
La voix de Julien me ramène à la réalité, m'empêchant de me plonger encore un peu plus dans les méandres de mon esprit. J'ai envie de refuser, de dire que je suis apte à tenir, que ce n'est pas grand-chose, mais je ne peux tout simplement pas. Je capitule et rejoins la cour extérieure réservée aux employées.
L'air frais ne me fait rien. Je me laisse juste tomber sur les marches devant la porte en essayant de trier mes pensées. Je sors mon téléphone que j'ai récupéré. Un message de mon père, envoyé il y a quelques minutes. Je ne suis même pas surprise de le voir me demander des nouvelles de Martin. Je tape une réponse avant d'aussitôt l'effacer. J'écris quatre SMS différents mais je finis par abandonner. Qu'il lui pose la question personnellement !
J'observe au loin les montagnes qui s'élèvent au-dessus du reste du paysage, elles seraient encore plus belles sous un ciel bleu. Mon regard ne les quitte pas et ma respiration se calme petit à petit. Je laisse quelques larmes s'échapper avant de fermer les yeux quelques instants. J'inspire et j'expire. Je suis trop près du but pour lâcher maintenant. J'obtiendrais ce diplôme. Je ferai s'il le faut une année supplémentaire pour une spécialisation dans le domaine sportif. Mais je prouverai que j'ai la capacité. Je ne vais pas abandonner à cause d'un garçon incapable de se gérer correctement et qui prétend être le meilleur handballeur.
Je ne suis pas une gamine entièrement perdue.
Je suis Axelle et je vaismontrer au monde que je sais me battre pour mes rêves.
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