Chapitre 10
Martin.
Trente secondes.
Nathan s'élance. Il réceptionne parfaitement le ballon de son demi-centre. Il analyse le situation qui s'offre à lui, il détermine quelle est la meilleure trajectoire et tire. L'arbitre siffle deux fois. But. Les jaunes et rouges repartent aussitôt en défense pour les derniers instants du match. L'épuisement se ressent sur leur visage. Ils n'ont pas joué, ils ont couru dans tous les sens pour recoller au score et ne pas laisser la victoire s'échapper.
Sans m'en rendre compte, je me redresse petit à petit sur le banc de touche, en attendant la fin de la rencontre. J'espère au fond de moi qu'ils n'encaisseront pas un dernier but. Ils se sont défoncés pour cette égalité, alors la défaite apparaitra d'autant plus douloureuse après leurs durs efforts.
Une simple erreur, un oubli de concentration et l'adversaire se détache de la défense. Le joueur prend le temps de placer son tir. Le gardien de Nousty se trouve sur la trajectoire, mais pas assez rapide. Le ballon passe la ligne et s'échoue au fond des filets. L'arbitre valide le but.
25-26. La fin du match laisse un goût amer en bouche.
J'observe les jeunes se saluer après la rencontre. Je reste immobile, debout, sans trop savoir quoi faire. Je n'ai pas servi à grand-chose pendant l'affrontement. Raison pour laquelle je ne devrais pas me trouvais ici, à cette place d'entraîneur. La frustration n'a pas cessé de m'envahir et j'ai dû de nombreuses fois prendre sur moi pour ne pas rejoindre le terrain et soutenir l'équipe.
Le coach adversaire me serre la main suivi par ses joueurs. Des murmures s'élèvent parmi eux, un peu comme à leur arrivée, lorsqu'ils m'ont aperçu. Tu m'étonnes, ils viennent de gagner et en plus, ils ont la chance de me rencontrer ! Je serais pareil, d'autant plus que la probabilité de croiser un professionnel dans ce coin doit demeurer faible.
— On peut faire une photo ? me demande un des gosses.
— Après, d'abord, direction les vestiaires, répond leur entraîneur à ma place tout en invitant son équipe à se rendre aux douches.
Une moue se dessine sur son visage, mais bien vite, il se fait enrôler par ses coéquipiers et quitte mon champ de vision. Il ne reste plus que les jaunes et rouges face à moi. Je m'attarde sur chacun d'entre eux. J'essaye mentalement de formuler des phrases. Mais que veut-on que je dise ? Comment pourrais-je leur remonter le moral ?
Mes mots se bloquent dans ma gorge. Les gosses ont presque tous la tête baissée, déçus de cette fin. Après tous les efforts qu'ils ont fournis pour revenir au score, je ne peux que les comprendre. La défaite est dure à encaisser, qu'importe l'âge, mais malheureusement c'est ce qui fait partie du sport.
Ils récupèrent leurs affaires et rejoignent les vestiaires, laissant la place pour le match suivant. J'avance derrière, toujours à la recherche d'un discours pour essayer de leur remonter le moral. Je tente de me remémorer les différentes paroles que j'ai pu recevoir à leur âge, mais rien ne me vient si ce n'est les remontrances de notre entraîneur en pro, mais qui ne serait pas en adéquation avec la situation actuelle. Ils n'ont pas besoin d'être encore plus tristes qu'ils ne le sont déjà.
— Tu n'as pas à t'en vouloir, Martin, m'accoste Sylvain sur le passage.
Je m'arrête, les mains dans les poches de mon jean. Je ne m'en veux pas. Pourquoi le devrais-je ? Je ne suis pas responsable de leur défaite. Enfin, je crois ? Les joueurs ont accompli les explications données malgré un jeu décousu sur certains aspects. Ils se sont seulement laissé submerger par les adversaires. Ni eux ni moi ne sommes en tort. Cette rencontre n'était tout simplement pas la bonne pour remporter une victoire. Le changement brutal de coach n'y est sans doute pas pour rien. Le temps d'adaptation n'existait pas. Je suis arrivé hier et me voilà aujourd'hui à leur tête à devoir les entraîner alors que je n'ai jamais fait ça de ma vie.
J'ouvre la porte des vestiaires. Le silence remplit la pièce. Certains adolescents tapotent sur leur téléphone, d'autres attendent juste mes paroles. La sensation est étrange. Je me revois en eux. Les défaites aussi serrées où mes coéquipiers et moi patientions pour encaisser les sévères mots de notre entraîneur. Sauf que je ne suis pas devant les jeunes du centre. Ce ne sont pas de futurs professionnels que l'on conditionne. Ils sont ici pour le plaisir de jouer avec leur copain. Peut-être qu'un ou deux connaitront la chance de frôler les parquets du haut niveau, ce n'est pas le principal but du club qui possède plus des allures familiales qu'autre chose.
Je me sens démuni dans cet endroit, illégitime. Je ne devrai pas me trouver là. Ce n'est absolument pas ma place. Je joue avec quelques mèches pour dénicher en vain les phrases que je vais dire. Ai-je véritablement le droit de prendre la parole ? Non. Je me tiens contre le mur. J'ouvre la bouche, mais rien ne sort. J'ai qu'une envie : partir loin. Je ne leur suis d'aucune utilité. On m'a demandé d'être ici pour m'humilier. Il n'y a pas d'autre solution. Je retiens un rictus. La peur, je connais. Ce serait mentir si je disais ne jamais l'avoir ressenti. Mais là, c'est même au-delà. Je reste figé. Comme un incapable.
Qu'attend Henry dans cette situation ? Je ne suis pas Thibaut. Je ne viens pas en soutien aux jeunes de l'académie. Je me contente de les encourager, mais jamais plus loin. Ce n'est pas mon rôle. Ils ne méritent pas de m'avoir. Ils méritent une personne compétente qui saura les prendre en main. Pas moi.
— On est si nul, c'est pour ça que tu parles pas ?
Le gamin qui a brisé le silence a également permis à toutes les têtes de se relever vers moi. Sa voix s'est cassée à la fin, me serrant le cœur. Je ne devrai pas m'émouvoir. Ce genre de rencontre arrive toutes les semaines, qu'importe le niveau, qu'importe l'âge. Alors pourquoi m'en soucié-je tant, aujourd'hui ?
— Vous n'êtes pas nul, commencé-je d'une voix tremblante que je déteste. C'était un match compliqué. Vous pouvez vous sentir fier de ce résultat. Certes, il s'agit d'une défaite, mais vous avez su remonter au score alors que vous perdiez. Beaucoup ne seraient pas capables de se reprendre, même en pro, alors gardez la tête haute.
J'ai réussi à capter leur attention. Des sourires se dessinent sur leur visage. Ils ont retrouvé de la motivation, prêts à en découdre pour le prochain match.
— Donc tu ne nous laisses pas tomber, comme l'autre entraîneur ? demande un nouveau joueur.
Je me mords la langue. Que suis-je censé répondre à ce genre de question ? Je ne resterai pas ici longtemps, je repartirai donc dès la première occasion à Montpellier. Mais je ne peux pas leur dire. Je me contente de ravaler mes mots. Ce serait horrible de leur annoncer qu'ils ne sont pas ma priorité. Certes, c'est la vérité, mais ils ne méritent pas de se prendre cette phrase de pleine face. Je ne suis pas forcément la personne la plus agréable, mais quand même, j'ai des limites. Je trouverai un moment plus propice pour leur expliquer, mais ce n'est pas pour l'instant.
Je quitte les vestiaires, les laissant tranquilles. La musique résonne en fond dans la salle. Les deux prochaines équipes s'échauffent avant leur match. Je les observe, analysant chaque joueur. C'était un peu notre rituel avec Thibaut quand nous étions plus jeunes : déterminer les caractéristiques de nos adversaires pour mieux utiliser les failles. Nous le faisons encore aujourd'hui, mais dans un cadre différent. Autour de vidéo et non plus directement sur le terrain. Décortiquer des heures entières des mouvements pour davantage prévoir le match assis sur des chaises, rien de très amusant.
Je soupire et détourne mon regard. J'observe mon téléphone. Aucune nouvelle de Thibaut malgré un message que je lui ai envoyé. Il doit certainement être en pleine préparation pour la rencontre. Après tout, ce n'est pas n'importe qui le match : Nantes qui est troisième au classement, juste derrière nous. Comme souvent le championnat se jouera entre nos deux clubs et le PSG. Plus de très grosse surprise, mais toujours des confrontations à hautes intensités. Sauf que je ne serai pas là cette fois-ci et ça m'énerve.
— Martin !
La voix résonne au loin. Je relève la tête vers les tribunes. Quelques parents patientent, attendant certainement leur enfant. D'autres sont juste des passionnés qui passent leur après-midi à supporter le club. Et une personne qui me fait des signes pour que je me rapproche. Je le reconnais vaguement. Il était présent hier. C'est celui qui s'est interposé entre Élie et moi. Il n'est pas tout seul. Il est accompagné d'une amie à lui et deux autres individus plus en retrait discutent entre eux. Je compte les rejoindre, autant avoir un peu de compagnies, mais pour l'instant je patiente. J'attends l'équipe adverse des jeunes. Je peux bien leur accorder une photo, en plus ils ont bien joué.
Je m'approche du bar et m'y accoude, observant les handballeurs échauffer les gardiens.
— Une bière ? me propose le responsable de la buvette.
Trop tôt ou par manque d'envie, je ne sais pas vraiment, je décline l'offre et l'intérêt de la personne se détourne pour une autre commande. Je continue ma petite analyse, devinant les tirs des sportifs. J'ai rapidement pu voir le niveau de la réserve hier soir lors de la fin de l'entraînement et il n'est pas mauvais. Un peu en dessous de la première, mais ça reste un bon niveau vu le club.
Je dévie mon attention en entendant les portes des vestiaires s'ouvrir. Les premiers douchés sortent, prêts à profiter de la collation d'après-match. Si une animosité s'était créée durant la rencontre entre les deux équipes, elle a désormais laissé place à de la rigolade entre eux. Ils discutent, se chamaillent, se provoquent gentiment. J'esquisse un sourire en les voyant. Au moins, les jaunes et rouges n'ont plus la tête à déprimer.
— On peut faire une photo maintenant ?
Le gamin ne perd pas le nord. Son téléphone dans une main, du pain avec du fromage dans l'autre, il m'observe, me suppliant presque pour que j'accepte. Comment pourrais-je refuser ? C'est toujours un plaisir de rencontrer des fans qui se font rares quand on compare au football. C'est précieux de leur accorder un peu de temps.
La séance photo terminée, je me dirige vers mon nouveau coéquipier. Arthur, je crois. Je devrais peut-être me concentrer un peu plus sur leur prénom. Parce que pour le moment, j'ai retenu surtout Élie et Baptiste qui était présent juste avant pour coacher son équipe. Et si avec Baptiste, je n'ai aucun souci. Élie, c'est autre chose. Je ne regrette en rien mon acte hier soir, mais je préfèrerais éviter de devoir aggraver mon cas. Chose qui le réjouirait.
Je passe derrière le filet. J'esquive de justesse un ballon et je me retrouve presque à leur hauteur. Plus qu'à escalader les marches qui me séparent du petit groupe. Je sens quelques regards me détailler. Pour les plus férus de hand, je ne dois pas leur être inconnu, mais par respect ils se contentent de me saluer sans me poser de question quant à ma présence ici.
Je m'arrête à quelques rangées du joueur. Je reconnais un deuxième handballeur. Il était présent également hier soir à l'entraînement, mais il était plus en retrait par rapport aux autres. Certainement parce qu'il doit faire partie des plus jeunes de l'équipe. Il me salue dans un français approximatif. La personne avait qui il parlait se retourne pour me faire face.
S'il y a bien quelqu'un que je ne pensais pas recroiser aussi rapidement, c'est bien elle, la folle aux livres. Et je crois bien qu'elle ne m'a pas oublié, bien au contraire. J'écope un regard noir de sa part que je ne mérite même pas, mais soit. Elle a tronqué sa tenue de sport pour des vêtements plus décontractés qui lui vont bien. Je me surprends à l'observer plus en détail. Je n'ai pas fait forcément attention à elle lors de notre trajet commun, si ce n'est peut-être lorsqu'elle a rangé sa valise dans la voiture et que je l'ai scruté un peu trop longtemps. Après, pour ma défense, elle était juste devant moi aussi, compliqué de ne pas la voir !
En tout cas, force est de constater qu'elle m'en veut encore pour un accident de rien du tout. Ou alors, pour la phrase que j'ai dite sur les kinés. Ou parce que je pratique le hand, j'avais cru percevoir du dégoût quand j'ai dit que j'exerçais ce sport. Ou tout bonnement toute ma personne la repousse. Dommage, elle était plutôt mignonne, si elle n'avait eu ces excès à la gare.
Elle m'analyse aussi avec ses yeux verts qu'elle a mis en valeur grâce à du mascara. Simple, mais efficace. Elle me toise avant de reprendre sa discussion avec mon futur coéquipier dont je n'ai même pas le nom. J'essaye d'écouter discrètement leur conversation pour ne rien comprendre. Ne peuvent-ils pas dialoguer en français comme toute personne logique ?
— Martin, voici Léane, Axelle et Estéban tu l'as déjà croisé hier, nous présente Arthur. Il vient en renfort pour quelques matchs.
La brune ne cache pas sa joie quant à l'annonce. Dis-le si je te gêne, me retiens-je de répliquer. Je ne devrais pas me concentrer sur elle. Elle m'ignore et reprend sa conversation comme si je n'existais pas. Je devrais écouter Arthur qui demande des nouvelles des jeunes, mais je n'y parviens pas. J'ai cette sensation étrange de vouloir savoir ce qui la dérange chez moi, ce qu'elle pense. Ce n'est pas qu'une histoire de livre. C'est certain. Je me suis excusé. Enfin, je le lui ai remboursé au moins. Alors pourquoi ne tourne-t-elle pas la page si ce n'était que ça ?
Je me sens seul au milieu de ce petit groupe. Chacun discute et moi, je me trouve au centre, paumé. Rester debout ? Interagir avec Arthur et sa copine ? Avec Axelle et Estéban alors que je ne comprends pas un mot ? Je souffle. Entre le match et là, je me sens plus inutile que jamais. À quoi ai-je servi ici ? À Montpellier, j'aurai eu plus d'importance.
Je finis par m'assoir entre eux. Je me contente de me focaliser sur le terrain où les deux équipes s'échauffent. Pas besoin de sociabiliser, juste du hand. Du coin de l'œil, je perçois les jeunes adversaires quitter la salle accompagnés de quelques parents venus faire le déplacement. Certains me saluent, heureux de m'avoir rencontré. Je leur rends leur signe en retour avant de me reconcentrer sur les sportifs qui finissent leur préparation.
Je me sens plonger dans une bulle. Je profite en tant que spectateur, sans qu'aucun enjeu ne soit présent à la clé. Si j'aime la pression que me procurent les matchs malgré leurs enjeux importants, j'apprécie également me poser devant un match sans arrière-pensée. Juste encourager une équipe, chose qui ne m'est pas arrivée depuis longtemps maintenant. Toujours un entraînement. Toujours en déplacement. Je ne changerais pour rien au monde mon quotidien, mais je ne refuserais pas une pause pour décompresser de temps en temps.
— Je ne pensais pas te croiser ici. Encore un échec à rajouter sur ta liste.
Fini le moment de tranquillité, à mon plus grand malheur. Élie vient, se faufile entre nous pour me faire face. J'aimerais bien lui fait ravaler son sourire satisfait. Il le mériterait. Mais je l'ignore. Pourquoi m'embêter avec lui si je repars bientôt ?
— Même entraîner tu ne sais pas faire, se moque-t-il.
Je me contiens de faire un geste. J'inspire. J'expire. Je me répète en boucle qu'il n'en vaut vraiment pas la peine. Il peut poursuivre ses provocations, je ne réagirai pas. Hors de question de tomber encore plus bas qu'à l'heure actuelle ! J'imagine déjà les prochains titres si j'allais au bout de ma pensée : « Martin Gomez, en soutien dans un club de N1, en vient aux poings avec son coéquipier. Peut-il réellement aspirer une carrière en haut niveau ? » ou quelque chose du genre qui me ferait plonger sans aucun moyen de remonter à la surface. Je ne sais même pas pourquoi il s'attarde autant sur moi. Je ne lui ai rien fait, je ne le connais pas !
— Élie, arrête un peu avec tes conneries, soupire Arthur.
Il lève les yeux au ciel, mais l'écoute. Il tape dans la main du joueur pour le saluer et ne fait plus du tout attention à moi, pour mon plus grand bonheur.
— Axelle, quelle surprise de te voir ici !
Ne peut-il pas être, je ne sais pas moi, plus silencieux ? Il a presque hurlé ses mots faisant sursauter la concernée. Il ne lui laisse même pas le temps de formuler une phrase qu'il enchaîne aussitôt, la prenant de court. Elle grimace juste et essaye de se concentrer uniquement sur l'autre sportif. Je me sens moins seul à ne pas apprécier Élie. Sauf qu'il balaie d'un revers de la main les signaux qu'elle envoie, qui disent clairement : tu me fais chier plus qu'autre chose. Bon, peut-être qu'elle est plus polie, quoique vue comment j'ai été accueilli, j'en doute, mais son regard fuyant et les réponses en monosyllabes montrent quand même qu'elle ne souhaite pas poursuivre une quelconque discussion avec lui !
— Ton père, pas trop déçu ?
Elle hausse les épaules comme si les paroles ne la touchaient pas pourtant, sa lèvre tremble légèrement malgré ses efforts pour rester impassible. Un sujet particulier pour elle aussi ? C'est bien l'impression que ça donne. Et Élie prend un malin plaisir à la mettre mal à l'aise. N'a-t-il vraiment aucune limite ? Il continue de l'assaillir de questions pendant qu'elle baisse la tête. Tu m'étonnes, le sol doit être plus intéressant que lui répondre. Elle joue avec ses mains et sa jambe tremble.
— Tu ne veux pas la laisser tranquille ? Elle ne veut pas te parler, finis-je par dire agacé.
Je n'ai pas la force d'attendre qu'elle se rebelle. Je préfère intervenir maintenant avant qu'il n'aille encore plus loin.
— Contente-toi de rester sage, toi, réplique-t-il. Puis, elle peut très bien utiliser ses propres mots, n'est-ce pas Axelle ?
Il insiste bien sur chaque syllabe de son prénom et m'observe pour me défier d'agir ainsi.
— Elle est juste trop polie pour ne pas te faire de la peine. Mais j'ai pas l'impression que tu le remarques.
Ses yeux bleus s'assombrissent. Si seulement il le pouvait, il me fusillerait du regard.
— Tu te prends pour un chevalier servant ou quoi ? se moque-t-il. Parce que t'en a vraiment pas l'allure.
— Pourquoi tu vas pas embêter quelqu'un d'autre plus loin, sérieusement ?
Axelle vient de parler. Sa voix tremble et semble moins affirmée que lorsque nous nous sommes rencontrés. L'accent espagnol se ressent plus ici. Elle ne laisse paraître aucune émotion sur son visage. Elle se veut la plus convaincante possible, mais est-ce suffisant pour l'arrêter ?
— Tu vois, elle sait donner son avis, me nargue-t-il en passant son bras sur ses épaules.
Parce que tu l'as forcée aussi... Mais j'ai à peine le temps d'ouvrir ma bouche pour lui répondre qu'Arthur s'immisce entre nous deux. Je n'allais pas lui assener un nouveau coup. Je veux juste qu'il la ferme, à croire que son unique but est de pousser les gens à bout. Ça donne déjà une idée du type de joueur qu'il est sur le terrain. Le pire c'est qu'il s'en sortira indemne le plus souvent.
Axelle essaye de se dégager de l'emprise d'Élie, sans grand succès. Je me tourne en entendant le coup de sifflet qui annonce le début de la rencontre alors que de nouveaux athlètes nous rejoignent accompagné de Sylvain, toujours avec des documents. Je me demande même si c'est normal de crouler autant sous les feuilles.
Si Élie salue chacun de ses coéquipiers, la brune se fige, n'osant plus faire un geste comme si elle souhaitait devenir encore plus petite qu'elle ne l'est déjà.
— Axelle ?! Je croyais que tu ne voulais pas venir...
L'entraineur bégaye un peu et laisse en suspens sa phrase, perturbé par la présence d'Axelle. C'est un peu une scène inimaginable. Lui qui gère une équipe voire un club entier n'est pas capable d'articuler convenablement de simples mots à... je ne sais qui elle est pour lui. Sa fille ? Ce n'est pas impossible. Leur ressemblance peut être frappante quand on les laisse côte à côte. Si les yeux verts d'Axelle brillaient et ressortaient grâce à son maquillage, ceux de Sylvain étaient plus ternes, entourés de rides, mais ils restent tout de même similaires.
— Je suis venue pour...
— Pour me voir parce que je lui manquais, ajoute Élie avant qu'elle ne puisse aller au bout de sa phrase.
— Pour passer du temps avec Léane, termine Axelle non sans lancer un regard noir vers le sportif et lui assener un coup discret dans les côtes.
La brune parvient à se défaire de l'emprise du handballeur pour rejoindre son amie. Sylvain l'observe rapidement avant de se concentrer sur toute l'équipe présente au complet. Arthur se raccroche du groupe, laissant les deux filles un peu plus loin derrière. Je ne peux m'empêcher de me demander le type de relation qu'ils ont. Parce qu'en les voyant actuellement, ils n'ont pas l'air d'être si proches. Axelle se tenait plus sur la défensive, presque prête à recevoir une critique et de l'autre Sylvain ne savait pas quoi dire, comme s'il regretterait les mots qui sortiraient de sa bouche. On est bien loin de la gamine toute sourire que j'ai pu observer sur la photo dans son bureau. Et Élie, fidèle à ce que j'ai pu apercevoir de lui, se délecte de la scène, paré à rajouter une couche d'huile sur le feu bien qu'il se contienne pour le moment.
L'entraîneur donne les dernières instructions pour préparer au mieux la rencontre. Je m'écarte d'eux, préférant retrouver ma bulle confortable pour regarder le match en cours. Je me perds dans mes pensées lorsque je sens du mouvement sur le côté. Axelle se tient devant moi, la marche en dessous, la tête basse. Quelques mèches brunes s'échappent de sa coiffure. Elle joue avec ses bagues, cherchant ses mots, pendant que je l'observe curieux de savoir ce qu'elle a à me dire.
— Désolée pour le comportement d'Élie, s'excuse-t-elle alors que rien ne l'y oblige. Et merci d'être intervenu avant.
Cette dernière partie, elle l'a murmuré comme si elle ne voulait pas que je l'entende et qu'elle prenait sur elle pour prononcer ces quelques mots. Je ne serais pas étonné si je voyais son amie derrière, les mains en l'air pour la soutenir. Je souris en visualisant cette image dans mon esprit.
— T'as pas à t'excuser de son comportement, lui réponds-je. Il commençait à me faire mal aux oreilles, fallait bien intervenir.
Elle m'observe, un mini sourire gêné se dessine sur son visage. On est bien loin des insultes qu'elle proférait à mon insu, il y a deux jours. Elle apparait plus posée, plus calme, mais aussi plus renfermée, comme si elle se retenait, alors qu'à la gare, elle semblait un peu plus vivante. Elle est sur ses gardes, redoutant une attaque qui pourrait arriver de chaque côté sur ce terrain hostile.
— Il a toujours été comme ça ? finis-je par demander en désignant Elie de la tête.
Axelle ne répond pas. Elle l'observe juste de loin, une pointe de tristesse traverse son regard. Je crois qu'elle cherche les bons mots, mais qu'ils ne viennent pas.
— Il était plus sympa enfant, commence-t-elle.
Mon portable vibre au même instant et même si l'envie d'en savoir plus sur l'imbécile qui me servira de coéquipier pour la prochaine rencontre, je ne peux pas refuser l'appel de Thibaut.
Je m'excuse rapidement. Ses joues se gonfler. Vexée ? Bon, il y a de quoi, je viens de l'interrompre pour répondre à Thibaut. Je la vois rejoindre Léane sans plus m'accorder d'importance pendant que je quitte la salle pour être dehors, à l'abri des bruits parasites.
J'espère juste une chose : qu'il ne m'appelle pas pour me dire que mon père est présent au match. Sinon, je m'en voudrais à jamais.
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