Chapitre 80
La première chose qui l'interpella en entrant dans l'entrepôt fut la quantité innombrable de râles de souffrance qui en émanaient.
La quasi-totalité des lits de fortune installés il y a de cela quelques semaines étaient désormais encombrés par nombre de blessés qui s'y faisaient soigner. Jungkook constata les dommages d'un regard circulaire, grimaçant à la vue des cas les plus sévères.
Là où certains avaient eu la chance de s'en sortir avec quelques égratignures et blessures légères, d'autres en avaient été dépourvus au prix de membres estropiés et mutilations préoccupantes.
Le sang imprégnait les lieux de son odeur ferreuse particulière. Sa familiarité commençait à lui déplaire, lui qui refusait de s'y habituer. Même organisés par zone spécifique, les Resheaans se précipitaient dans tous les sens afin de sauver les patients dont la vie ne tenait plus que sur un fil.
Ceux-ci étant prioritaires, Jungkook demeura sur le côté, préférant patienter plutôt que d'accroître leur charge de travail déjà conséquente. Après tout, son éraflure ne le tuerait pas.
En revanche, il y avait bien quelque chose qui ne pouvait attendre. Avec attention, il se mit à la recherche de Taehyung, priant intérieurement pour qu'il ne fasse pas partie des blessés.
L'immensité de l'entrepôt l'obligeait à se déplacer afin de n'omettre aucun lit cependant, même après plusieurs minutes, aucun signe de sa présence ne se fit remarquer.
Une vague de soulagement le submergea à l'idée qu'il s'en soit sorti. Elle fut aussitôt contrée par une terreur sournoise qui lui fit songer au pire. Et s'il avait été en incapacité de revenir ? Comme ceux qui étaient tombés sur le front à jamais.
L'étouffant avec force, Jungkook reflua la panique qui tentait de se frayer un chemin au cœur de son esprit. Peut-être n'était-il tout simplement pas là.
Ouais, il est seulement dans un autre endroit, se rassura-t-il.
Retournant sur ses pas, il s'activa cette fois-ci à la recherche d'Hoseok. S'il était revenu, alors Taehyung ne se trouverait pas très loin. Peut-être était-il avec lui ? Il rejoignit la salle de réunion des Hinvys et entra. Tous les regards se dirigèrent vers lui tandis que le sien cherchait celui de son homme. Absent.
— Où est Taehyung ? demanda-t-il calmement.
L'absence d'Hoseok le rassura légèrement, cependant les expressions qu'arboraient les deux autres Hinvys ne lui plaisaient pas.
— Ils sont encore sur place, l'informa Yoongi.
Jungkook se tendit brusquement à son ton, sentant une étreinte glaciale enserrer son cœur d'anxiété.
— Quelque chose s'est mal passé ?
Le regard qu'ils s'échangèrent accentua l'angoisse qu'il tentait de réprimer. Aucun n'était réputé pour leur tact, alors après avoir haussé les épaules, Yoongi reprit.
— La mission ne s'est pas passée comme prévue. Il semblerait que l'étage a explosé et depuis nous n'avons eu aucune nouvelle de l'équipe infiltrée. Hoseok est resté pour déterminer s'ils sont encore en vie ou non.
Une chape de plomb chuta dans son estomac. La nausée qui en découla fut telle qu'elle fut difficile à maîtriser.
Impossible.
Le monde sembla s'écrouler à ses pieds. Il ferma les yeux, tentant en vain d'endiguer l'afflux de mauvais scénarios qui lui traversèrent l'esprit, tous aussi atroces les uns que les autres. Sentant ses mains trembler, il les serra en poing afin de les contrôler.
Reprends-toi, c'est impossible.
Taehyung ne pouvait pas être mort, il refusait de l'accepter. Pas tant qu'il n'aurait pas son corps sous les yeux.
— Quelle était leur situation ? s'enquit-il auprès de Jimin.
— Je l'ignore, nous ne sommes pas parvenus à nous emparer des caméras.
Contrôle-toi. Calme-toi. Ne t'énerve pas.
Il prit une grande inspiration, maîtrisant à grande peine la colère qui s'apprêtait à le submerger.
— Et vous les avez envoyés là-dedans sans même savoir ce qu'il s'y trouvait ? S'il s'agissait d'un putain de piège ?
Sa voix s'était faite glaciale, cependant il était incapable de l'adoucir alors que la terreur de le perdre le terrassait.
— Nous n'avions pas le choix, et ils en avaient parfaitement conscience. S'ils s'étaient désistés, la mission n'aurait jamais été accomplie.
— Nous devrions attendre des nouvelles d'Hoseok avant de sauter aux conclusions, tempéra Yoongi en sentant la tension s'électriser.
Il avait raison. Jungkook tenta de se calmer, regardant l'heure à travers ses lentilles. S'il n'était pas de retour dans une heure, il irait lui même sur place pour le retrouver, quitte à remuer ciel et terre s'il le fallait.
— Je vais vérifier au sein des autres entrepôts, au cas où il se serait rendu au plus proche de sa position, lui indiqua Jimin.
C'était une option envisageable, bien qu'ils avaient spécifié de se rejoindre ici une fois la mission achevée. Il existait six centres de soins dispersés aux quatre coins de la ville. Tous avaient été spécifiquement aménagés dans des entrepôts en activité et abandonnés afin de bénéficier de leur vaste superficie. Ils permettaient ainsi en tant qu'espace commun, d'y recueillir les Résistants blessés le temps de leur convalescence.
— Très bien, je l'attendrai à la zone d'arrivée. Faites-moi signe s'il y a du nouveau.
Sans attendre de réponse, Jungkook décampa, trop fébrile pour se risquer à un excès de fureur qui lui ferait s'en prendre à eux. Quittant le bâtiment, il s'éloigna vers la zone de débarquement située à une dizaine de minutes de l'entrée. Une précaution qui empêcherait l'armée de les suivre droit à l'entrepôt.
Lorsqu'il arriva, le noiraud analysa la zone, sa main contre la crosse de son Glock prêt à être dégainé au moindre signe de danger. N'en décelant aucun, il fit de son mieux pour réprimer son inquiétude et patienta dans un coin sombre, hors de portée et de vue. Mieux valait rester prudent.
L'attente fut interminable. Plus les minutes s'écoulaient, plus son sang froid déclinait. Les nerfs à vif, il ne put ignorer l'angoisse oppressante qui menaçait sa stabilité, quand bien même il la repoussait de toutes ses forces. Elle ne cessait de s'accroître, devenant de plus en plus intolérable à chaque véhicule qui débarquait sans jamais qu'il ne se trouve à l'intérieur.
Sa respiration s'était altérée, désormais irrégulière tandis qu'il faisait les cent pas, incapable de tenir en place. Toutes ces images de son corps dépourvu de vie défilaient dans son esprit sans lui laisser un seul instant de répit. Chacune d'elle menaçant de le faire imploser de douleur et colère mêlées. Elles le terrassaient plus sûrement que n'importe quelle blessure mortelle.
Vivre sans lui était inconcevable. Il refusait d'y croire, pourtant la paranoïa qui commençait à s'immiscer en lui se plaisait à aguicher sa folie. Et s'il était trop tard ? Et s'il ne revenait jamais ? Il regarda l'heure avec anxiété, fit un pas en arrière prêt à le rejoindre sur-le-champ avant de s'arrêter.
Attend encore un peu, il va arriver !
L'heure n'était pas encore écoulée pourtant attendre était un véritable supplice.
Et s'il lui arrivait malheur pendant ce temps ? Et si lui aussi attendait de l'aide sans la recevoir ?
Ses tremblements s'étaient accentués cependant il ne cherchait plus à les retenir, trop occupé à réfréner le flot de frayeur qui le dévastait. Se concentrant sur sa respiration pour ne pas céder totalement à la panique, Jungkook observa le nouveau véhicule arriver avec un espoir renouvelé.
Pitié...
S'il devait encore patienter, il n'était pas sûr de ce qu'il ferait. Les portes s'ouvrirent pour en libérer ses passagers. Hoseok fut le premier qu'il repéra avant que le véhicule s'éloigne. Alors son cœur rata un battement lorsque son regard se verrouilla enfin à celui de son homme.
Il est vivant.
Le soulagement fut si intense qu'il manqua de défaillir. Le Hinvys posa une main sur son épaule avant de s'éloigner. Il la sentit à peine, obnubilé par la silhouette qu'il distinguait de l'autre côté. Plus rien n'avait d'importance à ses yeux autre que l'homme qui s'approchait. N'y tenant plus, il se précipita vers lui, attrapa ses joues et l'embrassa férocement avec toute la peur qu'il avait ressentie à l'idée de le perdre.
Il est vivant.
Taehyung fut totalement réceptif, se laissant entraîner dans ce baiser tandis qu'il enlaçait sa taille. Le noiraud en fit de même et le serra désespérément contre lui, rassuré par la chaleur de son corps.
— J'ai eu tellement peur que tu ne reviennes pas... chuchota-t-il, de peur que sa voix se brise.
— Je suis là.
Une forte odeur de fumée émanait de ses cheveux, faisant ressurgir les affres de sa pyrophobie. Il passa outre et les embrassa, trop heureux de le sentir dans ses bras pour s'en incommoder. Après un moment, ils finirent par se séparer, le noiraud examinant son homme de haut en bas.
Son uniforme et sa peau étaient maculés par la suie tandis que son regard profondément atterré semblait porter l'entièreté du poids du monde. Ses yeux rougis reflétaient toute l'intensité de son épuisement. Qu'avait-il pu vivre pour être dans un tel état ? Les bandages apparents sur son bras l'interpellèrent, mais Taehyung l'embrassa, étouffant ses inquiétudes avant même qu'il ne les prononce.
— Allons à l'intérieur. Je ne pourrai pas l'expliquer plus d'une fois.
Le noiraud hocha la tête, compréhensif, puis déposa ses lèvres contre son front avec une telle tendresse qu'il le fit frissonner. S'emparant de sa main valide, il le guida vers l'entrepôt.
Les légers tremblements qui le parcouraient s'accentuèrent tandis qu'ils s'approchaient. Il la serra afin de le rassurer, quel que soit le tourment qui le torturait. Son angoisse était si intense qu'elle se répercuta contre ses propres émotions et l'obligea à s'arrêter, le souffle court.
— Taehyung qu'est-ce...
Il se figea, frappé de plein fouet par son expression torturée. Ses yeux brillaient de larmes réprimées tandis que sa lèvre malmenée menaçait de se déchirer sous le coup de ses dents.
— Hé.
Glissant sa main contre sa joue, Jungkook monopolisa toute son attention.
— C'est fini El'hya, quoi qu'il se soit passé, c'est terminé.
Il l'étreignit à nouveau, sentant à quel point sa vulnérabilité requérait son réconfort. Celui-ci prit une inspiration tremblante, avant de murmurer.
— Je dois voir Haize...
Sans poser de question, le noiraud embrassa sa joue puis le guida vers l'endroit où il l'avait croisée la dernière fois. Ils traversèrent plusieurs lits de fortune jusqu'à trouver celui de Haize qui se faisait soigner d'une blessure par balle au bras. Elle leur sourit en les apercevant, puis s'inquiéta en remarquant la mine profondément accablée de Taehyung.
— Est-ce que ça va ?
La gorge serrée, le brun s'avança d'une démarche hésitante avant de tendre le bandana de Neah. Celle-ci l'identifia immédiatement, son visage se fermant brusquement en comprenant ce que les mots n'avaient besoin d'exprimer. Après tout, un Tirgaan ne se séparait jamais de son foulard.
— Je suis désolé...
S'en emparant d'une main tremblante, Haize baissa les yeux sur le tissu sanglant sans prendre la peine de retenir ses larmes silencieuses. Elle le serra contre sa poitrine, bouleversée à l'idée d'avoir perdu sa meilleure amie.
— Que s'est-il passé ? s'entendit-elle prononcer.
Taehyung déglutit, tirant un léger réconfort de la paume chaleureuse de son homme contre la sienne, glaciale.
— Nous sommes tombés dans un piège... Une fois arrivé à l'étage... tout avait déjà été mis en place par la précédente équipe. Les Fears n'ont eu qu'à nous enfermer à l'intérieur et...
Il ferma les yeux, tentant de refluer toute la peur et le désespoir qu'il avait éprouvé en comprenant le poids de leur erreur.
— Ils ont fait sauter les C4. Neah m'a... elle m'a protégé de son corps en prenant le plus gros des dégâts... J'ai essayé de la faire sortir, mais... le conduit d'aération était si haut et elle... elle était tellement blessée... Je suis désolé.
Une larme dévala sa joue en écho à son affliction. Si seulement il avait pu la sauver... Il sentit à peine Jungkook serrer sa main avec force. Inconsciemment, il s'y accrocha tout autant, faisant de lui son ancre afin de ne pas sombrer.
— Merci d'avoir ramené son bandana...
Les Tirgaans seuls savaient à quel point ce tissu détenait une profonde signification à leurs yeux. Sentant la conversation s'achever, Jungkook le tira hors de vue afin de le réconforter aux creux de ses bras.
— Tu n'as rien fait de mal, ce n'était pas de ta faute El'hya.
Il ressentait le poids de sa culpabilité à des kilomètres à la ronde.
— J'aurais dû comprendre qu'il s'agissait d'un piège. Vérifier les lieux avant de les y entraîner. Au lieu de cela je les ai tous menés les deux pieds droit dans la tombe sans me méfier davantage. À cause de moi Neah et Faïce en ont payé le prix. Si seulement...
— Tu as fait de ton mieux.
Ses doigts s'engouffrèrent avec tendresse dans ses cheveux, le cœur serré en sentant ses larmes contre son cou.
— Le principal est que vous vous en soyez quand même sorti vivant malgré la situation critique.
Il attendit ainsi sans jamais le lâcher jusqu'à ce qu'il se calme, murmurant quelques paroles apaisantes au creux de son oreille. Une fois apaisé il se recula, essuya ses joues humides avec ses pouces puis embrassa ses lèvres.
— Allons faire ces comptes rendus aux Hinvys et rentrons nous reposer.
***
Scintillant tel un millier d'éclats somptueux, les lumières de Skyolas étincelaient dans la nuit de la plus sublime de façon. Vu d'aussi haut, la capitale paraissait calme, pareille à son habitude. Il ne s'agissait pourtant que d'une façade qui n'avait de cesse de s'effriter avec le temps.
Seokjin la contemplait impassiblement de son immense baie vitrée, l'esprit en proie à d'intenses réflexions. Les lunes avaient quelque chose d'obnubilant à s'approcher l'une de l'autre jusqu'à l'éclipse. Le ciel rougeoyant qui en découlerait s'associerait à la perfection au sang versé et aux morts engendrées. Un phénomène exceptionnel qui ne durerait qu'une journée. Les pas à ses arrières resonnèrent dans la pièce silencieuse, sans pour autant perturber son immobilité.
— Tous les incinérateurs ont été anéantis, déclara solennellement Keegan.
Le Leader demeura impassible, son visage ne témoignant d'aucune expression.
— Quelles sont les pertes ?
— Cinq-mille-cent-douze soldats et trois-mille-sept-cent-soixante-seize Résistants ont péri.
Un soupir traversa la barrière de ses lèvres. Cette situation le désolait.
— Vous savez ce qu'il reste vous à faire, ordonna-t-il.
Keegan inclina légèrement la tête avant de s'éloigner d'un pas lourd. Puisque la guerre venait d'être déclarée, il était de son devoir d'y répondre avec autant d'ardeur. Pour la protection et la stabilité du pays.
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