Heal me
Il court, ses pieds mouillés s'enlisant dans la neige poudreuse jusqu'à ses chevilles, à chaque pas de plus. Haletant, et regardant devant lui de sa vue embrumée, il ne fait pas attention à une petite racine sortant de terre, et s'effondre inopinément, mains dans une petite flaque presque gelée par le froid hivernal. L'eau éclabousse son visage, se mélangeant avec les perles salées qui dévorent ses joues creuses depuis un long moment, déjà.
Tête baissée, genoux écorchés, il tente de se relever mais ses muscles ne veulent plus lui répondre, brûlants et tétanisés. Réprimant un sanglot venant du plus profond de sa gorge, un violent frisson traverse son corps dont il ne sent plus les mains et les pieds. Il relève son regard, et observe en reniflant les arbres morts enracinés autour de lui, dont les branches lourdes et blanches se craquellent lentement au rythme de sa respiration sifflante.
Et puis, au-dessus de sa silhouette, les cieux persistent à fulminer, déchargeant leur affliction en d'éblouissantes courbes dorées grondantes d'un inexorable chagrin sempiternel. Elles sont accompagnées de petites boules éphémères qui se désagrègent doucereusement sur leurs congénères dès lors sereinement installées sur le sol boueux et mouillé. Il y a également quelques feuilles soudaines, grisâtres, qui n'ont plus assez de vitalité pour se tenir aux branchages des arbres nus, et qui tremblotent avant de lâcher prise et de tomber à leur tour, emportées par le vent froid de Décembre.
Le garçon, désormais relevé sur ses deux jambes, peu stable, soupire lourdement, créant une fine fumée pâle qui s'efface et s'envole devant lui. Il resserre ses doigts gelés dans ses paumes de main, puis, dans une lenteur désolante, vient les passer dans sa chevelure blonde délavée, dont la couleur s'estompe pour laisser place à une naissance brune. Les pointes de ses cheveux sont engourdies, s'effritant à chaque mouvement qu'il leur impose. Ses lèvres s'entrouvrent, se fendillant dans un bruit désagréable, tandis qu'il ose avancer d'un pas, puis d'un autre.
Ses vêtements lui collent à la peau, le démangeant péniblement, créant une friction contraignante. Le vent souffle fort, s'infiltrant sous son pull, et heurtant sa gorge enflée. Il marche encore un peu, se maudissant d'être tel qu'il est, d'avoir une vision aussi négative de la vie. Pourtant, nous sommes le vingt-quatre Décembre au soir, et ce garçon si fragile devrait pouvoir passer le réveillon de la fête de Noël avec sa famille, ses proches. Néanmoins, il se trouve dans cette forêt sinueuse, seul et anéanti. Quelques heures auparavant, il s'était enfui de sa maison, ne pouvant plus supporter le fait de se prendre en martyre au milieu d'une foule de personnes rayonnantes et béates.
Un flocon blanchâtre vient se déposer sur le bout de son nez rougi par la température avoisinant les négatifs, et il gémit faiblement, sa voix rauque se brisant à la fin de sa longue plainte. Le froid lui brûle et lui frigorifie les membres, le sang, le cœur. Ses poumons devenus pétrifiés s'assèchent, rétrécissent, le brûlant de l'intérieur. Un corbeau, dont les ailes sombres et somptueuses battent un instant, s'installe splendidement sur une branche brisée, et croasse, son cri résonnant en un écho dans la forêt lointaine.
Le garçon enfonce ses mains dans les poches de son bas de pyjama mouillé, et s'assied maladroitement sur un tronc d'arbre disloqué. L'air est désormais humide, sombre. Il renifle à nouveau, et les larmes traîtresses menacent de s'écouler. Ses yeux s'embuent, sa vision devient peu à peu floue, ombreuse, alors qu'un sanglot étouffé brise la barrière de ses maux et de ses lippes violettes. Hélas, il est trop tard pour lui, pour sa vie.
A proximité de lui, l'environnement tournoie, disparaît. Il entend, au loin, le bruissement des vieux buissons malades, leurs toux s'essoufflant grâce au vent qui les traverse. Les transperce. Il y a aussi les hululements suspects des hiboux anémiés, qui cherchent à attirer l'attention de leurs compagnons décédés depuis longtemps.
Puis, le jeune homme dépose doucement ses paumes sur ses yeux embués, et pleure. Il implore les dieux de le laisser partir, de ne plus s'évertuer à lui asséner de telles pensées, de telles souffrances. Il geint tout le mal-être qui le tue à petit feux, toute sa mélancolie, ses maladresses, son manque d'humour et sa médisance face au bonheur.
Et, soudainement, il distingue un bruit qui se démarque de ceux présents dans la forêt. Il écarte ses doigts pour observer autour de lui, mais ne voit rien, seulement les frissons parcourant les branches nues, et la neige laiteuse qui parsème la terre. Il se retourne difficilement pour regarder derrière lui, puis reporte son attention à sa place initiale. Et là, se trouve une personne venue de nul part.
Un homme, plus vieux que lui, dont les cheveux sombres contrastent avec la blancheur des lieux. Il est tout proche, et il peut même en sentir son odeur, sa fragrance, comme du lilas d'été cueillit à la saison chaude. C'est un arôme frais, pourtant gracieux, ardent. C'est doux et raffiné, enlaçant sa fine silhouette. Il porte une longue chemise blanche descendant jusqu'à ses pieds nus, ainsi qu'un choker de la même couleur, entourant délicatement son cou pâle. Sa peau est lactée, comme faite d'ivoire, presque brillante. L'homme, -cet ange- éclaire les alentours, ainsi que le jeune garçon qui l'observe de ses yeux vitreux.
Car ce qui est incroyablement féerique, ce sont des ailes blanches, qui reposent dans son dos. Elles ne sont pas ouvertes, et épousent la forme de son corps, leur plumes satinées frémissant au vent.
« Namjoon. »
La voix de l'inconnu résonne, rebondit contre ses oreilles gelées, comme du lait, comme du coton. Il a prononcé son prénom dans un murmure angélique, les notes gracieuses s'accouplant parfaitement avec son apparence céleste.
« Je m'appelle Seokjin. Et je suis venu pour toi. »
La chaleur de cet ange envahit le jeune garçon, qui ne peut rien faire d'autre que l'observer, ses lippes entrouvertes. Il ne ressent ni le froid, ni la tristesse ou même la souffrance. Il ne voit que lui, que Seokjin.
« Namjoon, écoute-moi. »
L'ange s'approche lentement, et s'accroupit devant lui. Il dépose sa main sur sa joue, dans une douce caresse, puis la fait glisser le long de son cou, effleurant son épiderme sensible. Namjoon frissonne, ses paupières se ferment, alors que Seokjin entoure son corps d'une étreinte doucereuse. Il peut enfin respirer convenablement, et parvenir à avoir des pensées réconfortantes. L'ange commence alors à parler, son souffle chaud embrasant la peau de son cou.
« Je comprends ton mal-être, ton chagrin et tes blessures. Il faut désormais les soigner, tu comprends? Tu es beau, Namjoon. Et tu es digne d'exister, de ressentir de bonnes choses. Tu ne pourras pas être heureux à chaque seconde de ta vie. Car il y a des hauts, puis des bas, mais ce sont ces cicatrices qui forgeront l'homme que tu deviendras. Tu es encore jeune, tu es talentueux. Il faut se le dire, chaque jour. »
Le jeune garçon se mord la lèvre, et soupire en passant sa main dans les plumes duveteuses d'une aile de l'ange, l'écoutant attentivement.
« Je t'observe, tous les jours, tu sais. Considère-moi comme ta bonne étoile, celle qui te guide et te conseille. Tes pensées, aussi sombres soient-elles, je les ressens. Mais maintenant, dès que ce genre d'idées effleurera ton esprit, tu fermeras les yeux. Comme tu le fais en ce moment-- c'est très bien. »
Les deux hommes se serrent plus fort l'un contre l'autre, dans une étreinte apaisante.
« Et puis, tu penseras à un paysage, celui que tu veux, celui où tu aimerais te trouver. Un lieu majestueux, magnifique, époustouflant. Tu t'imagineras dans cet endroit, assis à regarder..-- la mer. C'est ce dont tu es en train de penser, très bien. La mer, donc, ses vagues qui se forment en s'échouant à tes pieds. Le sable qui frôle ta peau, et l'odeur salée qui chatouille délicatement tes narines. »
Namjoon sourit en rêvassant, son menton posé sur l'épaule de l'ange.
« Ta respiration se fera lente, passive. Inspire par le nez, et expire par la bouche, en visualisant tes blessures. Tu leur souffleras dessus, pour les chasser de ton corps, de ton esprit. »
Seokjin se recule, doucement, et sourit au jeune garçon dont les paupières se sont rouvertes. Ce dernier ne sait plus où il se trouve, vidé de toute son énergie négative. Il ne ressent que la béatitude et la sérénité. Et, tout à coup, l'ange attrape une de ses propres plumes, et tire dessus. Il la tend par la suite à Namjoon, qui l'attrape de ses mains tremblantes ; le froid s'infiltrant malheureusement toujours dans son corps. Les arbres bougent, semblent s'apitoyer sur leur sort, et il ne se sent plus à sa place dans cette forêt sinistre et inquiétante.
« Prends cette plume, d'accord? Dès que tu ne te sentiras pas très bien, regarde-la. Et tu sauras que je suis avec toi, là, dans ton cœur. »
A ces mots, Seokjin place le bout de son index sur le torse de Namjoon, qui s'échauffe sous son toucher. Il est si bien, si reposé. Et l'ange, estimant que son humain se sent dorénavant mieux, sourit à nouveau, puis se rapproche pour déposer ses lèvres sur les siennes. Le baiser est chaste, innocent, scellant un accord mutuel silencieux. Namjoon ferme alors ses yeux sous la chaleur qui l'emporte, tenant assidûment la plume dans sa main droite.
Et puis, l'exaltation disparaît peu à peu, mais sa peau reste encore tiède, à bonne température. Il ne sent plus les lippes de l'ange sur les siennes, mais peut cependant les imaginer. Ses paupières se rouvrent calmement, et il s'aperçoit en souriant -son premier sourire, depuis longtemps- qu'il se trouve dans sa chambre. Au salon, il entend sa famille fêter le réveillon, tandis qu'il se dirige vers sa fenêtre pour observer les étoiles.
Et une brille plus que les autres. Il hoche la tête en la fixant, et un frisson agréable parcourt sa peau.
Désormais, il profitera de la vie, en pensant aux bons moments, sachant que les erreurs forgent l'âme et la personne. Une dernière fois, son regard sombre se porte sur le ciel, avant d'être attiré par l'objet qui caresse sa paume.
Il l'ouvre, et découvre alors une plume blanche, soyeuse, douce, qui s'échappe de sa main pour virevolter dans l'air un moment, avant de se déposer au sol de sa chambre dans un murmure lointain et délectable.
« N'oublie pas, Namjoon, je serai toujours là pour toi. »
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