Matthew
Amélia est partie. Nous lui avons dit au revoir chacun notre tour, j'ai préféré être seul et ma famille a très bien compris la pudeur de mes adieux. Privée du regard, de la parole et sans doute de sa conscience, elle a tout de même pu faire connaissance avec Lucy grâce au contact de sa peau.
Je me suis fait interprète de cette rencontre silencieuse. J'ai décrit à ma nièce tout l'amour de ses parents, le tempérament fougueux de sa maman et le romantisme de son papa. Je me suis engagé à jalonner sa vie de beaux souvenirs passés et futurs.
Puis, j'ai promis à ma sœur d'être là pour Lucy, chaque seconde de son existence, de lui tenir la main, de prendre ses chagrins, d'éloigner les tempêtes et de lui dessiner des arcs-en-ciel.
Maintenant, ma nièce est dans mes bras, cherche ma chaleur. Elle est calme, suit les ombres et la lumière de la pièce. Je respire lentement, pour ne pas l'affoler avec mes battements de cœur trop rapides.
Le pédiatre nous a rassurés. Lucy, venue au monde à 32 semaines, est en bonne santé, mais elle est un peu plus fragile que les nourrissons arrivés à terme. Elle devra rester sous surveillance à l'hôpital pendant un certain temps et prendre du poids. Notre merveille n'a quasiment pas pleuré depuis sa naissance, peut-être pour nous préserver. Son visage est serein, elle ne semble pas craindre ce qui nous attend : les jours avec et les jours sans.
Lucy agrandit mon monde, cela me ravit et m'effraye. Je dois être courageux, mais honnête.
— Mon petit papillon, si tu es forte, je suis fort, si tu n'as pas peur, je n'ai pas peur. Cependant, je dois te dire que tout ne sera pas facile, je ne suis pas parfait et mes erreurs seront sans doute nombreuses.
Ses yeux bleu-gris cherchent ma voix. J'admire ses minuscules poings déterminés, ses lèvres qui bougent et je découvre la même fossette que celle de son père. Le doudou parfumé de l'odeur d'Amélia occupe une place privilégiée, près de sa joue. Je la regarde s'endormir dans sa bulle, et je la remercie de m'avoir autorisé à y entrer.
Mes parents arrivent juste au moment où Morphée m'attire dans ses filets. Les épaules affaissées, ils reviennent du rendez-vous avec les pompes funèbres. Mon père a refusé que je les accompagne pour ne pas laisser Lucy seule, mais je sais pertinemment qu'il voulait me soustraire à cette nouvelle épreuve.
Je me lève délicatement, mon ange dans les bras et embrasse tendrement ma mère. Sa mine décomposée s'illumine devant sa petite fille, notre remède d'amour. Elle s'approche de Lucy avec une nécessité vitale de la bercer et de la serrer contre elle. Son sourire cache son chagrin, ses larmes ne coulent plus, mais sont plus amères que celles déjà sorties.
— Tu devrais aller te reposer Matthew, chuchote-t-elle, nous allons prendre le relai. La nuit, risque d'être longue, si elle te réclame un biberon toutes les deux-trois heures...
Je hoche la tête, bâille en signe d'approbation et salue toute ma jolie famille. J'apprécie le partage des tâches décidé pendant un conseil à trois, peu formel. Mes parents m'ont demandé d'être le tuteur légal de Lucy, car d'une part je suis son parrain et ils estiment que leur âge pourrait être un frein dans l'avenir. J'ai accepté, à condition qu'ils emménagent dans la belle maison de gardien, près de nous.
Fatigué, je rejoins le parking, m'installe au volant. J'allume ensuite le système Bluetooth, et aussitôt des messages de condoléances et de bienvenue pour la naissance de Lucy font valser à nouveau ma tête et mon cœur dans un grand huit infernal. L'appel de mon ami et associé, Tyler, apparaît sur l'écran comme une bouffée d'oxygène ; je décroche immédiatement.
— Pitié ! Parle-moi du travail, du sport et de tes dernières conquêtes. Change-moi les idées !
Notre attachement est réciproque, notre affection mutuelle. Depuis la tragédie, il est présent à 200 % pour moi. Dévoué, il porte la compagnie à bout de bras, dépose à déjeuner pour mes parents et moi, et est joignable jour et nuit.
— Tu as besoin d'une bière, mon pote. Retrouve-moi au bar juste à côté du bureau et je te promets qu'on évitera les sujets difficiles, sauf si tu as envie de parler...
— Pas de bière pour moi, j'ai des biberons à donner. Et puis, je dois dormir pour tenir le coup !
Le ton enjoué de Tyler ne trompe personne, je sens son inquiétude vibrée dans sa voix. Et moi, je me cherche des excuses pour ne pas m'épancher et choper une gueule de bois de confidences.
— Je prendrai une pression et toi un diabolo ! Allez, respire un peu, insiste-t-il, tu n'arriveras pas à te reposer la tête pleine, je viendrais te border, s'il le faut !
Enfermé entre quatre murs, le soleil californien me manque, mais m'autoriser à en profiter est anxiogène pour ma conscience. Je pense à Amélia, à sa passion pour le latté macchiato en terrasse, et rapidement la culpabilité me ronge. Pourtant, je suis sûre qu'elle me botterait les fesses si elle pouvait !
— D'accord, ça ne peut pas me faire de mal !
Je pose mes pieds sur la pédale pour lancer le moteur, mais sans prévenir mes mains refusent de bouger, je suis tétanisé, paralysé. Mon cœur bat à cent à l'heure et de grosses gouttes de transpiration coulent sur mon front. Bordel ! Qu'est-ce qui m'arrive ?
— Matthew, t'es toujours avec moi ?
Mon cerveau s'agite, panique, j'ai le haut-le-cœur. Les images de l'accident repassent au premier plan de ma journée, le souvenir de la fumée agresse mes narines et tout se mélange avec le visage innocent de ma nièce. Alors, je la sens, cette vague d'insécurité, d'angoisse qui me submerge. Et si un nouveau drame survenait, si je n'étais plus là pour elle ou si je n'étais pas capable de la protéger ?
— Tyler, il faut que tu viennes me chercher, soufflé-je... Je ne peux plus à conduire.
— Putain, j'arrive !
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