Jenna


La sirène stridente d'une ambulance m'arrache à mes cauchemars. Vaseuse, je prends quelques secondes pour réaliser où je me trouve. Évidemment, je suis au bout de ma virée nocturne, là où beaucoup de choses ont commencé et se sont également terminées.

Je me redresse, la nuque endolorie à cause de ma posture inconfortable. Je n'ai pas songé une seconde à reculer le siège de ma voiture ni à baisser le dossier ; j'ai encore une fois lutté jusqu'à ce que la fatigue s'empare de moi.

Mes yeux fixent une place nette, mais un mirage apparaît comme à chacune de mes venues, notre petit garage familial de Palo Alto. Mon père était un vrai passionné et un expert ; même les ingénieurs automobiles de la Silicon Valley lui confiaient leur véhicule.

J'ai fait mes premiers pas dans cet atelier en échangeant très tôt mes poupées contre des clés Allen ou des tournevis. Puis, j'ai rencontré Krista, qui était toujours assise sur les marches d'un immeuble à quelques pas d'ici. Elle customisait déjà des voitures miniatures avec des feutres indélébiles.

Le jour de mes seize ans, mon père m'a offert deux cadeaux extraordinaires : une Dodge à rénover intégralement et des paroles sans prix.

— Tu n'es plus une apprentie ma grande fille. Tu as un don, exploite-le !

J'ai bossé sur mon bolide tout en suivant des cours. Je rêvais de décrocher un diplôme d'ingénierie, mais la bourse du "Conseil de Services Automobiles de Californie" ne représentait qu'une goutte d'eau du montant nécessaire pour mes études. J'ai perdu espoir, mais pas mon père. Dans le plus grand secret, il a envoyé aux écoles des vidéos de mon travail . Ces souvenirs familiaux ont alors constitué mon meilleur curriculum vitae.

Lorsque le président de l'Université de Californie à Berkeley, m'a proposé un rendez-vous, j'ai sauté au plafond une première fois et une deuxième en apprenant qu'il allait me recevoir en compagnie d'un mécène. Et pas des moindres ! Un responsable de la start-up Faraday, dirigée par des anciens de Tesla et financée par un milliardaire chinois. Tandis que leur usine de 1,4 milliard de dollars sortait de terre près de Las Vegas, leur programme de développement et d'essais s'agrandissait dans la silicone.

Je me souviens très bien à quel moment de notre conversation, mon avenir a basculé.

— Oui, mademoiselle Collins, sans aucun doute, vous êtes passionnée. Vos notes en disent long. Votre nature autodidacte prime et constitue une véritable plus-value. Cependant, je rencontre des personnes comme vous presque tous les jours. Alors, quel est votre argument qui fera la différence ?

Je n'avais pas été déstabilisé par la question du recruteur de Faraday. Par contre, ils avaient été tous les deux surpris par ma réponse, et leurs sourires me confirmaient déjà de la victoire.

— Je ne me contente pas de concevoir des prototypes, de réparer des moteurs, de moduler mes projets sur un ordinateur. J'écoute !

— Qu'écoutez-vous, mademoiselle Collins ? m'avait demandé le président de l'université en se relevant sur son siège en cuir.

— Le langage de la mécanique. Pour l'entendre dans toutes les situations, j'ai trouvé une solution qui a fait naître en moi une seconde passion : les courses automobiles.

À compter de ce jour, les années ont filé à une vitesse folle, les mains dans le cambouis ou sur le volant. J'ai créé un prototype de moteur à hydrogène que je devais présenter à la fin de mon doctorat. Méfiante, je rangeais les plans seulement dans le garage de mon père et dans ma tête. Puis, j'ai ramené chaque pièce dans notre atelier pour assembler l'engin en grandeur nature et le tester.

Mais aujourd'hui, ma réalisation a disparu, ainsi que le bâtiment et sa fresque murale. Mon moteur, les fleurs aux couleurs du ciel et du soleil de Californie sont partis en fumée, le 20 avril 2021, un an jour pour jour. Malgré leurs efforts, les pompiers n'ont rien pu faire pour arrêter la destruction de mon projet, du garage et des véhicules stationnés à l'intérieur, dont les pneus explosaient régulièrement pendant que les flammes ravageaient tout.

Je secoue ma tête pour évacuer ces images douloureuses et le mirage finit par se volatiliser à son tour. Il ne reste rien, ni décombres, ni souvenirs, ni mon père d'autrefois. L'estomac noué, je sors de la voiture et me place sur le trottoir où il pleurait ce soir-là. Je ne l'avais jamais vu fondre en larmes, même lorsque nous parlions de maman. Il s'était retourné vers moi sans un mot, le regard éteint. Mon papa m'avait caressé la joue avec sa main rugueuse et j'avais réalisé à cet instant-là que moi aussi je pleurais.









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