Jenna
"Cher 20 avril,
Tu te demandes certainement pourquoi je ne veux pas de toi aujourd'hui. Toi qui as posé un poids sur mes épaules et ma poitrine, il y a un an jour pour jour ! Tu dois aussi te demander pourquoi je ne te gratifie plus du joli nom « d'anniversaire ». Mais, dis-moi comment célébrer mes 25 ans, alors que cette date est devenue celle de la mort à petit feu de mon père..."
Je plie le bout de papier encore et encore, pour le rendre moins imposant dans mon bocal et dans ma vie. La légèreté de ma note nargue le poids de mes mots. Des maux. Crispés, mes doigts serrent le pot vide de pâte à tartiner, recyclé en réceptacle d'émotions.
Quelques années auparavant, la petite fille en moi est partie, laissant place à une adolescente tantôt introvertie, tantôt en colère. Papa avait comblé l'absence de maman durant toute mon enfance, mais le reflet de mes quatorze ans m'avait soudainement fait sentir le besoin de son empreinte sur moi.
Mon père ne me suffisait plus et la communication entre nous était inexistante. Combatif et ingénieux, il est rentré un soir avec du Nutella et de la crème glacée. Une fois "l'effet réconfortant" digéré, il a lavé le pot, puis a inséré un morceau de feuille avec l'inscription « je suis là, je t'aime ». Ce fut notre seule façon d'échanger pendant un long moment. J'ai pu exprimer mes craintes, mes questions et mes rêves sans avoir à le regarder dans les yeux.
Lorsque la vie est devenue plus douce, les bocaux en verre et nos mots ont pris racine dans notre quotidien avec toute l'épaisseur de notre amour.
Seulement depuis quelques mois, les petits messages glissés sur la table de chevet de papa restent trop souvent sans réponse. Parfois, conscient, il arrive à écrire, mais c'est un crève-cœur. Ses sentiments font le yoyo ; ils m'assaillent de toutes parts.
À 0 h 30, je décide de retourner me coucher pour effacer quelques heures de cette journée déjà éprouvante, mais je sais pertinemment que mon lit ne sera pas mon havre de paix. Je me glisse sous la couette, suivie de près par l'inquiétude et l'anxiété nocturne qui gagnent progressivement mon corps. Elles m'empêchent de respirer correctement.
Il ne me reste finalement qu'une chose à faire, comme toutes les nuits : enfiler mon jean, mon sweat à capuche et attraper les clés de ma voiture. Un Post-it de mon amie et coloc, Krista, trône sur la porte.
Fais attention Sleeper ❤️
Sur les circuits automobiles, tout le monde m'appelle ainsi. Ce surnom fait allusion aux voitures discrètes qui cachent des performances insoupçonnables. Effectivement, le "muscle car" que j'ai installé sur ma Dodge, la rend incroyable. Toutefois, pour ce qui est de la carrosserie épurée, on repassera ! La magicienne du covering, Krista, a transformé mon bolide sans même toucher à la peinture. Son film violet aux effets "caméléon" est aussi éclatant que la couleur des cheveux de mon amie.
Pourtant, comme toujours, sa lumière ne suffit pas à chasser les ténèbres. Je me réfugie dans l'habitacle, allume le moteur, écoute ce son familier percer le silence. J'aimerais me laisser porter par le bitume, mais je sais parfaitement où mes accélérations vont me mener.
Je presse alors sur la pédale sans attendre que le sol se dérobe sous mes pieds.
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