Chapitre 41 : Légume en tricot
On secouait le bras de Harry, mais il devait continuer à faire sortir l'eau de la barque, sinon il allait couler ! Il dégagea son bras en grognant du gêneur. Cette personne ne voyait-elle pas que si le brun se déconcentrait, c'en était fini d'eux ? Harry continua d'écoper avec son seau en bois, mais remarqua qu'il s'était percé et que plus rien ne pouvait l'aider. On lui reprit le bras et on le secoua, et d'un coup l'obscurité se transforma en jour. Deux formes floues étaient penchées au-dessus de lui, et plus aucune trace d'humidité n'était détectable. Il chercha de la main ses lunettes autour de lui et fut surpris de retrouver le contact du canapé, et sa vision devint instantanément nette en retrouvant ses vieilles lunettes. Ron et Hermione le regardaient avec une certaine inquiétude, et il fallut un moment à Harry pour réaliser ce qu'il se passait.
- Tu vas bien, Harry ? Tu ... avais l'air de faire un mauvais rêve ...
- Oh ce n'est rien, merci de m'avoir réveillé.
Il se redressa et tenta de mettre un peu d'ordre dans ses cheveux en passant sa main droite dedans, mais il comprit au regard amusé de la Gryffondor que cela n'avait pas eu l'effet escompté. Se rappelant la raison pour laquelle il voulait éviter ses amis, il lança un regard craintif vers Ron, qui ne le remarqua même pas. Il n'avait pas l'air de savoir ce qu'il s'était passé avec Ginny, et c'était tant mieux. Harry ne voulait pas d'une autre crise de colère. Il se leva et alla se passer un coup d'eau sur le visage pour essayer d'effacer les images de ce cauchemar, se demandant d'où il pouvait bien venir. Il n'était tellement plus habitué à faire des cauchemars « normaux » que le fait de ne pas voir ses proches mourir sous ses yeux était inhabituel, mais toujours agréable. Il avait été tout seul dans la barque ou ...
Soudain, tout lui revint. Dans la barque se tenait avec lui Dumbledore mourant. Et il devait le sauver, et il n'y était pas arrivé. Un frisson le parcourut de haut en bas, et il secoua vainement la tête pour se chasser les idées. En retournant dans la salle commune, il vit Ron et Hermione en grande discussion autour de l'album photos qui était posé sur le canapé et il les rejoignit dans l'optique de récupérer ce livre, puis encore une fois, fuir. Il remarqua seulement en s'approchant que tous les trois portaient le sempiternel sweat des weasleys, un marron pour Ron, un crème pour Hermione, et un vert pour Harry. D'un coin de la pièce, Harry vit Pansy pouffer à la vue de ces trois pulls tricotés, mais le regard assassin qu'elle reçut comme réponse la fit taire immédiatement. Il réussit à récupérer rapidement son album, et resta assis sur le canapé une fois que tous les 8es années étaient allés faire une bataille de boule de neige. Ayant déjà tout fait pendant les vacances, il se retrouvait désœuvré et n'avait aucune envie d'aller avec les autres. Il fixa le feu pendant quelques minutes, une petite voix dans sa tête lui disant qu'il était temps de se bouger, mais il l'ignora. Très vite, trop vite même à son goût, il entendit les éclats de voix de ses amis qui remontaient. Ernie était en tête, et une fois que tout le monde était autour du feu pour se réchauffer, il déclara, l'air très fier :
- Pour demain, je vous demande de mettre un pantalon résistant et auquel vous ne tenez pas trop, il pourrait être ... anormalement usé demain soir, ce que vous pourriez ne pas apprécier.
Avec un immense sourire traversant son visage il refusa de répondre à toutes les questions qu'on pouvait lui poser, et Harry se doutait bien qu'il s'agissait de son projet, et que de près ou de loin il y avait un lien avec ses disparitions en forêt. Toujours assis à la même place sur le canapé, Harry allait sortir de la salle commune pour retrouver un semblant de calme quand Hermione l'interpella.
- Harry ! Pourquoi tu es resté en haut ?
- Je ... J'allais descendre mais ...
- Au bout de deux heures ? Et t'as fait quoi pendant ces deux heures ?
Deux heures ? Seulement quelques minutes s'étaient écoulées, c'était tout bonnement impossible.
- Harry ? Tu m'inquiètes.
- Quoi ? Euh ... Désolé Hermione j'étais perdu dans mes pensées. Se précipita Harry. Oh, il est l'heure d'aller dîner, tu viens ?
Le regard incrédule que lui lança la jeune femme ne le surprit pas, mais il fut soulagé de voir que tous étaient en train de descendre, et il put échapper à l'interrogatoire. Ce soulagement fut de courte durée, puisque juste devant les grandes portes, Hermione s'accrocha à sa manche et l'empêcha de continuer à avancer. Quand Harry se tourna vers elle, il remarqua ses yeux assombris et ses muscles tendus. Elle paraissait sur le bord de la crise de nerfs, et ne faisait nullement attention aux élèves qui passaient autour d'eux et qui parfois s'arrêtaient quelques instants pour observer l'élu, qui était toujours un objet de curiosité.
- Je sais ce que tu lui as fait, Harry.
Cette phrase lui fit l'effet d'une douche froide. Comment pouvait-elle savoir ? Elle n'avait pas vu Ginny des vacances ... C'était peut-être un malentendu, et alors que le sorcier allait opter pour la carte de l'ignorance, son amie reprit la parole, parlant bas pour ne pas être entendue des quelques retardataires qui passaient à côté d'eux.
- Harry, je sais que tu as frappé Ginny. Mais je sais aussi ce qu'elle a dit avant, alors pour une fois tu ne veux pas arrêter de te mettre toi-même dans le rôle de la victime et te joindre à nous ? On pourrait avoir l'impression que tu aimes cette pitié que tu inspires ...
Elle ne lui laissa pas le temps de lui répondre et partit dans la grande salle, et c'est une autre voix qui répondit. Le timbre rêveur et doux fit se retourner le Gryffondor immédiatement, un grand sourire aux lèvres.
- Ginny m'a raconté aussi, et je crois qu'aucun de vous deux ne devrait se sentir coupable pour ce qu'il s'est passé, dit Luna. Et je crois qu'Hermione a raison, également : tu ne devrais pas t'exclure tout seul comme ça Harry, personne ne le veut, tu sais ?
Elle retira les gants colorés qu'elle portait en s'approchant du sorcier, et Harry ne savait pas quoi répondre. Il avait toujours apprécié Luna, et si l'on omettait les nargoles et autres créatures inexistantes, il lui faisait une confiance aveugle. La Gryffondor et la Serdaigle avaient raison, mais il ne voulait pas se l'admettre. Peut-être qu'il aimait bien se mettre dans la position de la victime, comme l'avait dit Hermione, pensa Harry amèrement, et dans ce cas il n'y avait pas de raison qu'il arrête, si ? Il pénétra dans la grande salle en écoutant Luna raconter ses vacances de noël, toujours indécis quant à l'attitude à adopter. Il était déterminé à être plus sociable avec les autres, mais au moment même où il entendit distinctement Ernie prononcer son prénom puis déclencher un éclat de rire général, cette résolution vola en éclat, et il s'assit sans un mot à sa place habituelle, en bout de table, en face de Drago et à côté de Ron. Il ne prononça pas un mot de tout le repas, et remarqua avec amertume que même Hermione, qu'il avait entendue rire à ce qu'avait pu dire Ernie, n'essayait pas de regarder l'élu. Peut-être qu'il se mettait lui-même dans cette position de victime, ou bien peut-être qu'il y était depuis ce soir d'octobre qui scella sa vie toute entière. Après tout, il avait toujours été la victime de cette prophétie avec Voldemort, et maintenant qu'elle était accomplie, que lui restait-il ? Ces regards curieux, ces paroles dans le dos, ces murmures sur son passage ... Tout ce qui restait c'était la curiosité, ce monstre qui dévorait tout le monde, moldus et sorciers. Qu'il soit le cousin de Dudley ou l'élu, il avait appelé ce monstre, et maintenant elle était là à les dévorer sans relâche, regardant depuis ses proies ce garçon mal dans son rôle qui n'arrivait pas à la fuir.
Le reste de la soirée fut similaire. Faisant un effort, Harry resta avec les autres, mais uniquement physiquement. Son esprit n'y était pas, et il ne prononça pas un seul mot, mais il était assis avec eux, et il ne les fuyait plus. Assez rapidement, ils partirent se coucher pour être en forme le jour de la rentrée, mais le Gryffondor était toujours là, assis au milieu des coussins, le regard perdu dans le feu. Il ne réalisa qu'il était déjà tard une fois seulement que le silence enveloppa la pièce circulaire, mais ne se leva pas pour autant. Il s'était réfugié dans sa forteresse intérieure, où la curiosité ne pouvait pas l'atteindre. Il s'était caché quelques instants, échappant au regard des autres, avant de devoir à nouveau lui faire face le lendemain. Il puisait dans cette paix intérieure toute la force et le calme nécessaires pour pouvoir prendre sur lui, et même une fois qu'il était totalement apaisé il resta là, à regarder le feu. Drago ressortit de son compartiment pour aller prendre sa douche, et Harry ne bougea pas d'un cheveux. Quand le Serpentard sortit de la douche, une serviette autour du cou et les cheveux en bataille, il n'avait toujours pas bougé. Perdu dans ses pensées, il n'entendit pas le long soupir ni le juron que prononça Drago en se cognant l'orteil, et il ne remarqua pas non plus qu'il venait s'asseoir à côté de lui.
L'affaissement des coussins sous le poids de Drago reconnecta Harry au monde des vivants, et il sursauta en remarquant le blond si proche de lui. Ses cheveux, encore trempés, étaient complètement en bataille, ce qui donnait à son visage une expression très différente. Il n'avait plus rien d'arrogant ou de supérieur dans ses mimiques, et le fait de n'être pas coiffé comme à son habitude en enlevait les dernières traces, et le sourire amusé qu'il affichait paraissait sans aucune arrière-pensée.
- Bah alors bébé Potter ? On rumine ?
Harry ne répondit rien, pas d'humeur à entrer dans son jeu. Drago devait s'en douter puisqu'il ne parut pas décontenancé face au silence de marbre que maintenait son ami et poursuivit comme si de rien n'était, en s'installant plus confortablement.
- Tu sais, Harry, je ...
Ne lui laissant pas le temps de finir sa phrase, le Gryffondor le coupa en souhaitant une bonne nuit et se leva. Après tant de temps à être resté sans bouger, un voile noir tomba dans ses yeux et il perdit légèrement l'équilibre, mais tout redevint normal quand il atteignit son lit. Tout, sauf la main de Drago dans le bas de son dos qui l'avait rattrapé quand il avait failli tomber, et qui n'était pas encore partie. Faisant tout son possible pour l'ignorer, Harry retira son T-shirt et se glissa sous ses draps, mais le Serpentard n'abandonna pas pour autant. Il s'assit au bout du lit et attrapa un coussin, sur lequel il s'installa. Il reprit, d'une voix calme et posée :
- Harry, dis-moi ce qui ne va pas.
- Rien, absolument rien, tout va très bien, bonne nuit.
- Te fous pas de moi. C'est à cause de Weaslette ?
Harry ne répondit pas. Il fuyait obstinément le regard de Drago, sachant qu'il ne saurait pas résister face à ces juges d'acier. Un léger soupir lui parvint du bout de son lit, et la voix reprit, toujours aussi paisible.
- Tu sais, c'est pas parce que ça ne marche pas maintenant que ça ne marchera jamais et ...
- J'ai déjà abandonné tout espoir avec Ginny. Ça ne marchera jamais, point, fin de l'histoire.
- Alors pourquoi tu es si mal si tu en es si convaincu ? C'est l'espoir qui fait souffrir. Quand il n'y en a plus, c'est la résignation. Et la résignation, ça ne fait pas souffrir, ça nous vide entièrement. Qu'est-ce que t'espère, encore ?
Harry réfléchit quelques instants à ce qu'il venait d'entendre. Il était d'accord avec le fait que l'espoir faisait souffrir, même le plus petit espoir, c'était même celui qui était le plus douloureux. Cette toute petite lueur, presque impossible, à laquelle on s'attachait inconsciemment, pouvait faire bien plus mal que n'importe quoi d'autre. Mais il savait aussi qu'il n'avait plus vraiment d'espoir avec Ginny, il était passé à autre chose, il pouvait lui parler comme avant, sans une envie pressante de la prendre dans ses bras. Mais qu'est-ce qui restait, qu'est-ce qui le faisait souffrir ?
- Je voudrais, un jour, être une personne normale, pas l'élu ni le neveu qui n'aurait pas du naître ... Je voudrais qu'on me prenne pour celui que je suis et pas pour l'image que j'ai ... Je voudrais que tout le monde me voie comme Hermione ou Ron le font, ils me connaissent et ... pour eux je ne suis pas une simple image ...
- Je te connais Harry, tu es mon ami, et tu le resteras, parce que je suis allé au-delà de l'image que j'avais de toi. Et je pense que tu peux donner aux gens la possibilité de voir derrière ce portrait, de te connaître réellement ...
Harry croisa le regard gris de Drago et le remercia d'un léger signe de tête. Il ne l'aurait jamais cru aussi philosophe, ni aussi proche de lui d'ailleurs. Ils s'étaient tous les deux considérablement rapprochés cette année, tous deux à l'écart et différant du reste, et ils avaient appris à mettre de côté tous ce qu'ils avaient pu assimiler sur l'autre pour finalement se supporter et même finir par s'apprécier. Drago prit son coussin et s'allongea à côté du brun, leurs yeux ne se quittant pas. Après un long silence, Harry demanda timidement, ne s'attendant pas nécessairement à une réponse :
- C'était qui, cette Astoria ?
- La sœur de Daphné Greengrass, si tu te rappelles d'elle. Je les ai vues cet été, on a beaucoup parlé, et avec Astoria on s'est finalement mis en couple mais ... les relations à distance, ça ne marche jamais, et je m'en suis rendu compte au bal. Je ne l'avais pas revue depuis quelques mois, et même si on avait beaucoup échangé par hibou, je ne ressentais plus rien pour elle. J'étais gêné quand elle se comportait comme ma copine. Je lui ai expliqué et ... elle n'a pas aimé du tout.
- Je l'ai vue pleurer en sortant de la grande salle, c'est ...
- Elle venait de parler avec Pansy, je ne sais pas ce qu'elle a pu lui dire mais ... bizarrement elle avait l'air moins en colère contre moi, juste profondément malheureuse ... Je déteste faire souffrir les gens comme ça, Harry ... murmura Drago.
- Tu n'y peux rien, personne n'est maître de son cœur, tu sais ... Pas même l'héritier des Malefoy.
Cette dernière remarque eut le mérite d'arracher un petit rire au Serpentard, qui s'était blotti contre Harry. Inspirant le parfum du sorcier aux cheveux clairs, il s'endormit presque instantanément, bercé par la respiration lente du sorcier qui se tenait contre lui.
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