Chapitre 20 - Retrouvaille et déchirement (Lucifer)


Je me baigne dans une mare de canards.

Littéralement.

Mes démons domestiques m'ont fait couler un bain, et cela fait des heures que mes canards en plastique flottent autour de moi. L'eau est brûlante, mon corps nu s'alanguit dans les vapeurs.

Je ne cesse de repenser à ce qu'il s'est passé avec Adam et à aux mots qu'il a prononcés. Mon amour pour Lilith ne s'est jamais tari, mon cœur lui est acquis à tout jamais. Mais au fond de moi, je mentirais si j'affirmais que sa déclaration ne m'a rien fait. Durant des siècles, j'ai cru que cette haine qu'il me vouait n'était lié qu'à son désir inassouvi.

Je ne pensais pas qu'il avait de vrais sentiments à mon égard.

Et j'avoue que j'ai aimé ce que nous avons partagé. Son souffle dans mon cou, ses dents s'imprimant dans ma chair, ses doigts autour de ma verge, qui me caressaient. Son torse était chaud contre mon dos, sa fièvre me faisait délirer.

— Qu'est-ce que tu en penses, toi ?

J'extirpe un canard de l'eau. Il me sourit. Heureusement que j'ai tous ces canards pour soigner mon cœur qui se meurt d'amour depuis tant d'années. Je suis totalement perdu...

— Maîtreeeeeeeee !

Je sursaute. Plusieurs canards tombent de ma baignoire. Je m'attends presque à ce que ce soit l'un d'eux qui se mette à parler, mais ce n'est que le corbeau perché à ma fenêtre.

— Quoi ? croassé-je en écho.

— Adam vous demande à la porte.

Maintenant ? Il a intérêt à avoir une vraie raison pour me faire quérir. Je déteste être extirpé de mon bain, encore plus par ce type qui me rend fou depuis que j'ai accepté qu'il me baise.

— Dites-lui de revenir plus tard, m'énervé-je.

Je n'ai pas le temps pour une autre crise de jalousie et une nouvelle déclaration d'amour. J'ai des canards à gérer.

— Votre fille est avec lui.

Je fronce les sourcils.

Charlie ? Mon enfant chéri. Avec Adam ?

Tout cela est intrigant. Il me semble bien qu'elle m'a envoyé une lettre hier soir, une missive parlant d'assemblée, d'anges, de rédemption et de démons. J'avais oublié que cette réunion avait lieu aujourd'hui. Mon esprit fatigué et triste oublie tout.

— J'arrive.

Je m'extirpe du bain. Mes petits canards flottent dans l'eau chaude. J'ordonne aux démons domestiques de les récupère et les remettre à leur place après les avoir séchés dans les fumées de mon volcan.

J'attrape une chemise propre, enfile mon pantalon et me saisit de mon sceptre. Mes cheveux blonds gouttent sur le sol quand je parcours ma chambre, puis entame ma longue traversée des couloirs. Une demi-heure plus tard, je me retrouve face aux escaliers, déjà fatigué de la discussion qui m'attend.

Et c'est là que je me fige.

Car au bas des escaliers ne se trouvent pas seulement Charlie et Adam, mais aussi...

— Lilith, murmuré-je.

Est-ce que je rêve ? Mon regard tombe sur Adam. Je m'attends presque à ce qu'il exige cette deuxième faveur que je lui dois, là tout de suite, devant ma femme et ma fille, mais il détourne le regard et recule. Charlie, qui tient la main de sa mère, la lâche et la laisse s'avancer.

Deux milles ans. Cela fait deux milles ans que je ne l'ai pas vu.

Mon cœur bat la chamade. Je suis fébrile. Des larmes se mettent à couler au coin de mes paupières et j'accélère mes pas.

— LILITH !

— LUCIFER !

Quand j'arrive au bas des escaliers, elle tend ses bras. Je tombe dans les siens, la serre contre moi. Elle sent le sable chaud, la crème solaire, et une légère odeur de musc.

Mon cœur manque un battement. Puis reprend. J'ai l'impression qu'il ne battait plus depuis des siècles avant de la retrouver. Ses lèvres enrobent les miennes. Douces. Sucrées. Mes larmes salées se mêlent aux siennes.

— Je t'aime, Lilith. Tu m'as tant manqué.

Je me sens enfin complet. Mon cœur est réparé.

— Toi aussi, Lucifer. Je ne partirai plus, je te le promets.

Elle se détache, m'embrasse encore. Je jette un regard vers Charlie, ma fille me sourit. Je voudrais dire merci à Adam, mais seule sa cape blanche me répond. J'ai juste le temps d'apercevoir ses ailes, revenues dans son dos, et son regard jaune qui tombe sur moi.

Une dernière fois.

Le maître du Paradis disparaît, me laissant seul avec ma famille, enfin réunie.

Et un cœur meurtri. 

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