Chapitre 12 - Un brunch en Enfer (Adam)
Je déteste les brunchs.
Au Paradis, je les avais interdits. Le concept même de brunch me déplaît. Le monde appartient à ceux qui se lèvent tôt et c'est avec cette philosophie que j'ai toujours avancé dans la vie. Ceux qui aiment les brunchs sont des lèves-tard, flemmards, qui passent leur temps à traîner au lit, puis qui vont se goinfrer au réveil. C'est comme ça qu'on finit en Enfer. Le Paradis demande de la rigueur, de la volonté. Eux n'en ont aucune.
Il n'y a qu'à voir la table. Il y a tellement à manger qu'on pourrait nourrir l'intégralité de la ville pour toute la semaine. Les assiettes débordent. Je m'installe face à Alastor, qui grignote d'un air distingué, à côté de Sir Pentious et de ses œufs. Eux dévorent tout sur leur passage, comme des affamés (j'ignorais que les œufs pouvaient manger). Niffty n'est pas en reste. Cette gamine est flippante, et elle a apporté sa poupée vaudou avec elle. Vaggie marmonne des phrases inintelligibles (j'imagine qu'elle m'en veut encore de l'avoir chassé du Paradis), pendant que Charlie parle, parle, parle. Angel s'est installé à côté de Hust. Le chat continue de tirer la grimace, mais la star du porno semble avoir retrouvé sa bonne humeur.
Ses paroles trottent dans ma tête. Une part de moi sait qu'il a raison. Pourquoi devrait-on être damné pour l'éternité pour une simple petite faute ? Ou quelques erreurs ? Des erreurs, on en commet tous. Moi le premier. Si je suis ici, c'est parce que j'ai commis l'erreur de faire confiance aux anges et qu'ils m'ont trahi. Et maintenant, je suis dans cet hôtel, avec ces gens flippants, qui ont l'air heureux alors qu'ils devraient souffrir pour l'éternité, et je suis lié par un contrat à Lucifer.
Lucifer qui m'a promis son corps.
Un frisson me parcourt à cette pensée. Il m'a fait parvenir une missive hier, je dois aller chez lui ce soir. J'ai hâte, tellement hâte.
Et je me déteste pour cela.
— Vous voulez des toasts, Adam ? demande Charlie.
— Ou des œufs ? proposent les œufs. Vous voulez nous manger ?
— Ou du bacon ? lance Niffty.
— Thé ? Café ? Chocolat ? Jus d'orange ? Alcool ? lance Angel.
Ils vont me rendre dingue.
Pourtant, une petite lueur s'allume dans mon cœur devant tant de prévenance. Les anges ne font jamais preuve d'autant d'attention à mon égard. Ils passent leur temps à se sourire avec hypocrisie puis se font des coups dans le dos. Au moins, les démons sont francs.
La lueur s'en va. Je ne dois pas me laisser aveugler. Ces démons sont perfides. Leurs fausses gentillesses ne sont sûrement qu'une stratégie pour m'appâter.
— Juste des œufs brouillés et du bacon.
Pourquoi est-ce que j'ai dit oui ? Charlie me tend une assiette, un grand sourire aux lèvres. Elle me rappelle sa mère et son père. Elle est un mélange de chacun d'eux. J'ai envie de lui demander si sa mère lui manque. J'ai envie de lui demander si elle sait que son père est un taré dépressif qui a accepté de donner son corps pour lui ramener sa chère Maman. J'ai envie de lui demander comment elle peut prendre un petit déjeuner avec moi alors qu'elle est censée me détester. Comment elle peut croire en la rédemption de mon âme après ce que j'ai fait ? D'où lui vient cette croyance ? Cette foi ?
— Pourquoi tu fais ça ?
La question m'a échappé. Charlie fronce les sourcils, tout en continuant d'empiler le bacon dans mon assiette. Quand elle le pose face à moi, je remarque que le bacon sourit.
Je vais vomir.
— Tout le monde a le droit à une seconde chance, déclare-t-elle. Même vous, Adam.
— N'en fais pas trop, chuchote Vaggie.
— Je n'en fais pas trop, c'est la vérité. Adam a commis une erreur et il a été puni pour cela. Mais maintenant qu'il est ici, avec nous, il va ouvrir les yeux et réfléchir. N'est-ce pas, Adam ?
Tous les regards se tournent vers moi. J'hésite à leur cracher du bacon dessus et à crier « NOOOOOOON, BANDE DE CONS ! ». Pourtant, je m'entends répondre :
— Ouais, je vais réfléchir.
Le pire, c'est que je le pense. Cette histoire de rédemption et de deuxième chance me trotte dans la tête. Les mots d'Angel aussi. Peut-être que j'ai fait une erreur ? Peut-être que les âmes damnées doivent être écoutés ? Peut-être que je pourrais envisager – j'ai dit peut-être hein ? – de revoir mon jugement sur la question et de faire de cet Hazbin Hotel un véritable lieu de réhabilitation des âmes.
ARGHHHHH ! Je deviens fou ! Charlie Morningstar m'endoctrine avec ses idées.
— Quand vous aurez fini de réfléchir, vous viendrez avec moi à l'assemblée du Paradis ? demande Charlie, toujours en souriant. Nous pourrions discuter avec Sera de votre réhabilitation. Et de celle d'Angel, Hust, Sir Pentious, tout ceux du Happy Hotel qui demandent juste une seconde chance et un accès au Paradis. Oh, dites-oui, Adam.
Sa voix est trop aigue et mielleuse. Cette gamine est pire que son paternel.
— Peut-être.
J'aurais dû dire « non » et lui couper l'herbe sous le pied. Mais ses grands yeux larmoyants ont raison de moi. J'ai peur de lui faire de la peine.
— Bon... OK.
— MERCI !
Ses mains s'agrippent à mes bras. Elle me serre contre elle et je me fige. Bordel, est-ce qu'elle me fait un câlin, là ? Berk ! Même Lilith n'a jamais osé. Ses parents me haïssent. Lilith me fera la peau si je la libère. Lucifer me torturera avec son corps que je désire. Et elle, elle est en train de me faire changer d'avis sur la rédemption.
Cette fille est une sorcière.
— En attendant : mangeons ! déclare-t-elle.
Et c'est ainsi que je me retrouve à me dire que, finalement, un brunch, ce n'est pas si mal.
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