Les liens que je n'ai jamais voulu faire se créent dans mon conscient au fur et à mesure que Luka me parle de la meute et des surnaturels de la région. Les Vents-Hurlant ont la réputation d'accueillir les garous de tout type qui ont besoin d'un refuge et de paix. Ils n'entretiennent que des relations amicales avec les autres meutes et les autres espèces de surnaturels. Jusqu'à ce que l'équipe de Victoria débarque dans le coin, même le Bureau laissait les Vents-Hurlants en paix.

     — Ils savent qu'on vient ici, à Havre-Hébert, pour avoir la paix. La meute gère la région et les surnaturels savent qu'ils n'ont pas intérêt à foutre le bordel. Bien sûr, nous n'hébergeons pas de criminels, du moins pas en pleine conscience, et nous n'empêcherons pas les Agents du Bureau de faire leur travail, mais la Meure a quand même des obligations envers les surnaturels du territoire.

     Nous avons transporté le déjeuner devant la cheminée et nous sommes blottis confortablement pour discuter. Les trois chiens sont affalés sur le plancher et profitent du calme ambiant pour se reposer.

     — J'ai l'impression que le Bureau où travaille Victoria et ses agents n'est pas vraiment ce que j'ai imaginé, dis-je enfin, après une énième évocation de l'entité.

     Nous parlons depuis des heures. Personne n'est venu nous déranger et Luka répond à toutes mes questions sans exception. J'ai bien compris qu'il n'a jamais souhaité me cacher quoi que ce soit. Je connais maintenant la nature du criminel recherché par ma mère et son équipe. Yvon Dorion est un vampire et soudainement, les victimes vidées de leur sang font beaucoup plus de sens. Je n'ai pas peur, j'ai confiance que la meute me protégera quoi que le Bureau tente de faire.

     — Il s'agit du Bureau des Affaires Surnaturelles, débute Luka. C'est encore plus secret que les services secrets. Ses agents s'occupent de faire respecter les lois et les traités, gèrent les surnaturels criminels et s'assure que le Secret est préservé. Je ne sais pas comment Victoria en est venue à travailler pour eux et ma mère ne semble pas au courant non plus. Elle a travaillé avec ton père, comme tu sais, mais il était comme toi, enfin, c'est ce que ma mère dit, tu devras lui parler si tu veux en apprendre plus.

     — Lorsque tu dis « comme moi », demandé-je, que veux-tu dire par là?

     — De toutes les questions que tu m'as posées aujourd'hui, je crois que c'est la plus compliquée. Je n'ai pas de bonne réponse à t'offrir. Le mieux que je peux dire, c'est « sorcière », mais ce n'est pas tout à fait ça. Les sorcières viennent de lignées matriarcales et il n'existe aucun sorcier de sexe masculin. Pour l'identité de genre, c'est fort possible, mais ce que je veux dire par là, c'est que le chromosome Y est incompatible avec la sorcellerie. Évidemment, les individus de sexe masculin ont d'autres manières d'avoir accès à la magie, comme par exemple la magie lunaire des garous, mais chez les humains, c'est impossible. Puisque tes pouvoirs te viennent de ton père, il y a certainement une meilleure explication, mais malheureusement, je ne l'ai pas.

     — Tout revient toujours à lui, n'est-ce pas?

     — J'en ai bien peur.

     Nous restons silencieux un moment. Je ne suis pas certaine de comment je réagirai lorsque je reverrai les agents du bureau. Luka a bien essayé de plaider en leur faveur, me laissant néanmoins indécise à leur égard.

     — Je ne peux pas deviner la position de la sorcière et je crois qu'Örtensson penche du côté de Victoria, mais ne soies pas trop dure avec Nick. Je sais qu'il éprouve un véritable malaise à devoir te cacher la vérité. Nous avons quand même eu la chance de parler tous les deux depuis son arrivée et il est plutôt cool. Je n'aurais jamais cru dire ça d'un ex Fangs of Fury, mais j'imagine qu'il n'a pas quitté sa meute sans bonne raison. Ce n'est pas le genre de truc qu'on fait à la légère, surtout pas pour se retrouver sans meute.

     — Ah bon?

     Et la discussion reprend. Luka me raconte que la raison pour laquelle les loups-garous sont les surnaturels les plus nombreux est cet esprit de meute, justement. Non seulement les loups et autres canidés sont plus fréquents au sein de l'espèce garou, mais ils surpassent de loin les autres surnaturels.

     — Certains autres sont difficiles à dénombrer, comme les sorcières par exemple qui ont longtemps été victimes du patriarcat, mais le dicton qui raconte que l'union fait la force n'a pas été inventé pour rien. La meute devient une entité, une force qui défend ses membres sans que personne n'ait à y penser. Ce n'est vraiment pas simple à expliquer, c'est un concept abstrait même pour ceux d'entre nous qui ne sont pas porté vers l'occulte. C'est comme si le concept de meute avait son esprit propre, sa volonté et ses pouvoirs.

     Je crois que je comprends. Je hoche la tête, néanmoins pensive. Je me sens bien, comme ça, chez Luka à discuter et à réfléchir. Je me sens hors du temps, à l'abri de tous les danger.

     Je décide de passer la nuit avec lui encore une fois. Je reprendrai mon cellulaire demain et suivrai mon instinct quand viendra le temps de revoir les agents du Bureau et de poursuivre l'enquête.

Un dernier détail me vient à l'esprit alors je demande :

     — Et Ju?

     — Ju! Ah, Ju... oui, c'est une surnaturelle, mais tu lui demanderas de t'en dire plus, ce n'est pas à moi de te dévoiler son secret. En plus, je crois que ça lui fera vraiment plaisir de pouvoir tout te raconter.

     Bon, ça y est, il vient de piquer ma curiosité plus que jamais.

     — Je vais passer le message à la meute que je t'ai tout raconté, ils se révèleront à toi au fur et à mesure.

     Je lui souris; les prochains jours risquent d'être intéressants.

     Nous n'avons fait que parler toute la journée et pourtant, je suis épuisée. Je réprime difficilement un bâillement auquel Luka répond.

     — Je vais changer les draps et laisser les chiens sortir, annonce-t-il. Je pense qu'il est temps qu'on aille dormir.

     — Tu as raison.

     Il se lève et va porter la vaisselle à la cuisine. Je me roule en boule dans les couvertures en attendant que le lit soit près. Bien sûr, mon cerveau veut se rebeller, il tente de trouver des explications logiques pour contrer ce que j'ai appris aujourd'hui, mais la joie évidente de Luka, son aisance et sa sérénité m'atteignent jusqu'au fond de l'âme et les dernières ronces obscurcissant mon esprit se flétrissent, cèdent la place à la lumineuse vérité. Je sombre dans le sommeil bien avant que mon ami ait terminé les préparatifs de la nuit et j'ai à peine conscience du moment où il me soulève dans ses bras pour m'emmener au lit.