Chapitre 6 (partie 2: Fabiola)
« C'est vraiment le bout du monde, ici! » songe Fabiola tandis qu'elle se prélasse sur le banc râpeux de la table à pique-nique. « Au moins, le paysage est charmant! Et je ne pense pas qu'au territoire... avec la tête que fait Saunie, cette nouvelle manche contre Dorion sera divertissante. »
Axel, Nick et le scientifique de service arrivent une dizaine de minutes plus tard avec l'éclairage. Ils installent tout ça pendant que Sara montre les photos qu'elle a prises à ses collègues.
Le chef est plus qu'en colère, il est furieux. Il foudroie tout le monde du regard et son ton trahi son énervement. Fabiola reste assise bien tranquille, car en présence de neutres – sa façon personnelle de désigner les malchanceux qui n'ont pas été dotés de pouvoirs magiques – elle a les mains liées. Elle croit cependant en l'espèce humaine bien davantage que ses collègues et sait qu'avec de la douceur et de la patience, on peut emmener les neutres à comprendre et à accepter la réalité.
— Vous êtes certains qu'il y a encore des routes dans ce trou perdu? grommelle Axel. On perd notre temps!
— L'endroit me plaît bien, répond Nick.
— On peut toujours compter sur toi pour s'ennuyer, soupire Fabiola. Il n'y a rien à des miles à la ronde!
Mais son commentaire passe dans le beure car Saunders revient vers eux, l'air plus que mécontent.
— Ce qu'on fait ici, on joue le jeu du secret que Côté nous a imposé en cachant la vérité à sa fille, crache-t-il. Pour les humains, cette scène est cruciale pour tenter de découvrir qui a tué ces femmes.
— Pour une fois, je suis d'accord avec Saunie, intervient Fabiola. Ce serait bien plus facile si Sara savait tout.
— Verdi est le conjoint d'un des loups de la meute locale, précise tristement Nick. Il dissimule des preuves et des éléments qui pourraient paraître suspects à Sara et Minh depuis longtemps, mais selon son mari, sa conscience le travail. Surtout qu'il n'est pas con, il a compris que Sara a des talents.
— Des talents, s'enquiert Fabiola.
Elle ne considère pas que les mots de pouvoirs sont des talents. Certes, ils sont utiles, mais ils sont limités par leur signification et la volonté de la personne qui les prononce.
— Faut être complètement débile pour ne pas avoir remarqué que Marchenko a des « talents », comme tu dis.
Le sarcasme de Saunders est si prononcé que personne ne peut douter de sa colère. Les trois autres ne comprennent pas pourquoi ce sujet suscite un tel tourment chez lui. Axel hausse un sourcil interrogateur en sa direction tandis que Nick et Fabiola lui lancent des regards inquiets. En réponse, l'agent spécial leur fait signe de le suivre.
— Grouillez-vous, avant que les humains comprennent qu'on complotent dans leur dos.
Il les guide jusqu'à un endroit plein de fougères en bordure du terrain de Roberge. Fabiola regarde autour d'eux, intriguée. Il n'y a rien à voir, c'est décevant. Pour sa part, Nick renifle l'air et Axel commence à s'irriter.
— Quel point essaies-tu de prouver, Saunders, demande-t-il, impatient.
— Je sens qu'il est passé par ici, constate Nick. Il y a des traces de son odeur partout.
— Oui, ça c'est clair, rétorque Saunders. Pour nous. Dans ce cas, comment a-t-elle pu le deviner, sans « talents »?
Encore une fois, ils peuvent entendre les guillemets sarcastiques de Saunders tandis qu'il attend une réponse de leur part.
Les trois autres se concentrent, faisant de leur mieux pour résoudre cette énigme.
— A-t-elle un talent de pisteur, demande Fabiola, à court d'idées.
— Je ne crois pas, non, dit Saunders. Car mes capacités ne m'auraient jamais permis de trouver ça.
Saunders soulève doucement une branche et éclaire une belle empreinte de pas bien définie. Les trois autres s'approchent et observent la trace, incrédules.
— C'est impossible! Personne ne peut voir à travers les fougères, proteste Nick.
— Si c'est une blague, gronde Axel, elle n'est pas drôle.
— Oui, c'est vraiment mon genre de niaiser avec ces affaires-là, murmure Saunders. J'ai détecté la piste lorsque je me suis approché, mais Sara a vu la trace tout de suite.
Il prend le temps de bien détacher ses mots en les fixant tour à tour. Fab n'aime pas ce que son collègue dégage, cela n'augure jamais rien de bon lorsqu'il a cet air-là. Subitement, elle se demande ce que la détective et lui ont fait lorsqu'ils étaient seuls.
— Je peux peut-être éclairer vos lanternes, dit un homme de l'âge de Sara, sortant de derrières les arbres.
Fabiola ne s'est pas aperçue de son approche, mais elle n'est pas le moins du monde étonnée. Elle n'a jamais été très douée en pleine nature. Saunders se redresse d'un bond, laisse retomber la branche et fixe le nouveau venu presque aussi froidement qu'Axel. L'agent spécial et le Néphel n'apprécient pas être pris par surprise. D'eux quatre, seul Nick est parfaitement à l'aise avec l'arrivée du nouveau.
— Axel, Fabiola, Saunders, je vous présente Luka Sévigny, annonce-t-il paisiblement. Luka, mes collègues.
Luka Sévigny possède la même taille et le même genre de silhouette que Saunders mais les comparatifs s'arrêtent là. Vêtu d'un jeans, d'un t-shirt et d'un coupe-vent, il paraît immédiatement amical et sympathique. Il pourrait passer inaperçu n'importe où si ce n'était de sa chevelure d'un gris argenté rappelant le pelage d'un loup. Fabiola admire sa silhouette athlétique et la souplesse de ses mouvements qui dénotent une puissance évidente. Il les observent tour à tour sans laisser paraître ses pensées. Visiblement, il peut expliquer, mais il n'est pas non plus pressé de le faire.
— Sara a toujours été unique, débute-t-il.
— Luka! s'écrie l'intéressée en apercevant son ami avec les quatre agents. Viens ici, j'ai besoin de toi!
Avec un haussement d'épaule qui signifie: « débrouillez-vous, finalement, j'ai mieux à faire » le loup-garou traverse la cour en quelques enjambées.
Ce n'est que lorsqu'ils se retrouvent l'un près de l'autre que Fabiola voit et comprend. Elle a toujours été douée pour percevoir les liens entre les gens. Elle peut non seulement lire les auras, mais également comprendre ce qui unit les gens entre eux. C'est donc pourquoi, au moment où Luka et Sara se retrouvent l'un près de l'autre, elle peut observer la force de ce lien. Autour d'eux, l'énergie d'émeraude et d'argent du loup-garou s'emmêle à celle, violine et grenat de Sara pour former une sphère opalescente de force indestructible.
« Étrange, tout de même, qu'une humaine ait une aura aussi sanglante », pense Fabiola en reportant son attention sur le monde physique.
Elle sait, sans le moindre doute désormais que de travailler avec Sara-Sue Marchenko impliquera également Luka Sévigny. La sorcière cherchera à comprendre plus tard l'aura étrange de la détective; pour l'instant, elle n'a besoin de rien d'autre.
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