Vince sera content, il a une jolie scène de crime à travailler.

     Tout le personnel rémunéré du poste est formé pour inspecter les scènes de crimes. Il est souvent trop coûteux et complexe de faire venir les équipes techniques de la Grande Ville alors l'équipe s'arrange comme elle peut. Nous sommes d'ailleurs généralement appelés en renfort lorsque des crimes se produisent dans d'autres parties de la région. Il faut dire que dans le coin, très peu de municipalités peuvent se permettre d'employer de réelles forces policières.

     Minh et Fabiola sont les premières à nous rejoindre. Cela n'a rien d'étonnant, il est vrai que le secteur de la cours à scrap de Ben Dubé est très peu fréquentée. Ici, autour de Havre-Hébert, les voisins sont rares.

     — Et Émilie, demandé-je à ma collègue.

     Du haut de son mètre soixante-dix-huit, Minh me sourit. Elle est certainement l'exception qui confirme la règle. Si en général, les femmes d'origines asiatique sont petites, ce n'est certainement pas le cas de mon amie et elle nous mange d'une bonne tête, Fabiola et moi.

     — Madame Bérard la garde. Figure-toi que Madame Turgeon et elles se sont engueulées et qu'elles ne se parlent plus. Madame Bérard m'a dit qu'elle ne mettrait plus les pieds au bingo tant que « cette chipie mal lavée en manque de sexe » – ses mots, pas les miens! – serait en vie.

     Je ne peux m'empêcher d'éclater de rire et Minh esquisse un sourire. Nos voisines de palier sont amies depuis la maternelle. Elles sont si proches qu'elles ont même épousé des frères jumeaux. Elles sont un peu devenues nos grand-mères, à Minh, Émilie et moi lorsque nous avons emménagé dans les appartements 32 et 33.

     Minh a eu l'idée fabuleuse de passer au poste chercher ma trousse d'investigation. Je m'empresse donc de disposer le matériel dont nous aurons besoin sur la vieille table à pique-nique de Lucien. Molson et Labatt sont enfermés dans leur enclos et aboient leurs protestations à plein poumons tandis que Dahlia leur chante sa sollicitude, bien au chaud dans ma Mazda. Je me sens observée alors je lève la tête et croise le regard de Saunders posé sur moi. Appuyé contre le capot de ma voiture, il glisse en douce des quartiers de pommes à Dahlia à travers la fenêtre ouverte.

     — Il y a des noix dans le coffre à gant si t'as si faim que ça, lui dis-je. Du chocolat noir, aussi.

     — Ne perds pas ton temps avec lui, rigole Fabiola. Saunie ne se nourrit pratiquement que de pommes et de fromage.

     « Saunie? Comme la bête féroce du chantier naval? »

     L'agent en question se décolle de ma voiture, ouvre la portière passager et se lance à la recherche de mes provisions. Il s'avance ensuite vers nous d'un pas détendu et dépose le sac sur la table. Le parfum de sa pomme entamée me torture l'estomac et je réalise que je n'ai pas eu le temps de m'arrêter pour manger aujourd'hui. Je me jette sur la dernière tablette de chocolat avant que quelqu'un d'autre ne la voit et ne se l'approprie.

     — Minh, va donc voir si la génératrice de Lucien est fonctionnelle, décidé-je. On aura besoin de jus lorsque les gars arriveront avec les spots.

     — Tout de suite!

     — Beau morceau, apprécie Fabiola dès qu'elle aperçoit mon appareil photo. Je ne savais pas que les postes de région avaient de tels budgets.

     — C'est à moi, répond-je. Je l'utilise principalement pour mes passe-temps. Sauf qu'il est fort pratique dans des cas comme celui-ci. J'ai pris des photos avec mon téléphone, mais celui-là est nettement meilleur.

     Je baisse les yeux vers ma tablette de chocolat et constate qu'un des carrés est disparu. Il a mystérieusement été remplacé par une délicate tranche de pomme. Aussitôt, je cherche le coupable du regard mais il ne se trouve plus nulle part. De l'autre côté de la table à pique-nique, Fabiola me lance un sourire espiègle avant de lancer d'un ton joyeux :

     — Ne t'en fait pas. Saunie est un peu difficile à apprivoiser, mais il n'est pas la « bête sauvage » qu'on pourrait imaginer.