Chapitre 5 (partie 1)

Saunders


     Je comprends la décision d'Axel de m'envoyer avec la détective. Premièrement, mes capacités surnaturelles me permettent de résister un peu mieux à ses Mots de Pouvoirs. Cela me donnera, si quelque chose tourne mal, la possibilité de réagir. Mais surtout, au besoin, je pourrai utiliser les Ombres pour la mettre en sécurité, ce qui n'est certainement pas négligeable.

     — Sar... euh, détective, interrompt un gamin tout juste sorti de l'adolescence.

     — Oui, Jimmy?

     — Marois est venu porter ça tantôt, fait le kid en brandissant un trousseau de clés.

     — Yes! s'écrie Sara en agrippant l'objet. Merci!

     — Tu voyez, hein, Sar... euh, Détective, j'ai fait le message!

     Sara-Sue Marchenko soupire et lève les yeux au ciel. L'autre n'a d'yeux que pour elle, s'en est déprimant.

     — Oui, Jimmy, tu as bien fait ça. Mais continue à juste m'appeler Sara, ce sera plus simple.

     — Mon père dit...

     — Ton père n'est pas ici. Et promis, je ne lui dirai rien.

     Pendant que l'autre reste planté là, la bouche ouverte à tenter de déchiffrer ce message, Sara me fait signe et nous rejoignons le stationnement, là où attend la Dompe-mobile.

     Sara ouvre la portière arrière et la golden saute sur la banquette. Ensuite, elle fait le tour du véhicule d'un air satisfait. Je dois admettre que le mécanicien a fait de l'excellent travail, l'empreinte de ma tête ne parait presque plus.

     Sara s'installe derrière le volant et démarre pendant que je prends place côté passager. Les enceintes crachent du punk rock à un volume où personne n'a certainement jamais écouté ce genre musical auparavant. La qualité sonore me laisse croire que le système de son du véhicule vaut au moins trois fois plus que toute la bagnole. Sara me jette un coup d'œil, tourne le regard vers sa sono et décide de laisser le fond musical. Je me demande si elle est au courant qu'elle écoute le même genre de musique que son père. Combien de fois suis-je tombé sur Galaad, dans le gym du QG du Bureau alors qu'il était occupé à taper sur des sacs de sable en écoutant sa musique à tue-tête.

     — Lucien est un ex détenu, m'explique-t-elle tandis qu'elle prend la route vers l'est. Il a été accusé de contrebande d'armes, entre autre. Il a longtemps passé des drogues entre l'Europe et le Canada, aussi.

     — L'Europe?

     Tout dans cette voiture est manuel. Les fenêtres, les verrous, la transmission... J'ai l'impression d'être dans un véhicule des années 80 ou 90. Les seules nouveautés sont la sono et la radio satellite. Mais je suppose que dans une région aussi éloignée, il n'y a que peu d'alternatives. Sara indique le large d'un doigt, là où l'on ne voit que de la brume.

     — Tu sais, pour quelqu'un qui connaît bien la mer, l'Europe n'est pas si loin. Il y a le Danemark juste à côté et l'Irlande vraiment pas loin non plus. Sans compter la France, bien sûr.

     — Le Groenland n'est quand même pas la porte à côté, dis-je.

     — Pas tant que ¸a, en avion.

     Elle a l'air tellement paisible, conduisant sa petite voiture impossible qui ne devrait pas rouler dans de telles conditions. Cette fille a indubitablement des pouvoirs qu'elle ne soupçonne pas. Elle a suffisamment investi sur sa voiture que celle-ci ne quitte pas la route, n'est pas bousculée par le vent et passe par-dessus les nids de ptérodactyles qui défigurent tout. Avec le fleuve sur notre droite et la forêt sauvage à notre gauche, on se croirait vraiment au bout du monde.

Je peux le sentir maintenant que nous traversons des kilomètres de terre isolée; la région est peuplée de surnaturels. Pratiquement déserte, avec ses vastes espaces à peine habités en fait certainement l'endroit idéal pour avoir la paix.

     J'en veux à Victoria. Les cachettes qu'elle a fait à sa fille nous mènent sur des pistes ridicules. Nous savons que c'est Dorion qui a tué l'humaine, faire cet entrevue au bout du monde ne mènera à rien. Mais sans dévoiler la vérité à Sara, je ne peux pas tout lui expliquer. Si je lui parle de Dorion, elle posera des questions auxquelles je ne pourrai pas répondre.

     Après une bonne demi-heure de conduite silencieuse, Sara s'engage sur une route étroite. Le paysage aride est magnifique. Nous remontons le long d'une rivière au débit rapide qui se jette dans l'estuaire tandis que nous roulons vers l'habitation de ce Lucien. De grands arbres de nombreuses essences coupent l'horizon et je repère des animaux sauvages camouflés dans la nature. Les odeurs des pins, de la terre humide et du givre éminent filtrent au travers de la ventilation du véhicule et le calme qui règne dans l'habitacle me plaît. Je pourrais certainement m'habituer à collaborer avec Marchenko, surtout si elle continue à ne pas tenir à occuper le silence avec des conversations inutiles.

     Nous arrivons enfin à une petite maison balayée par les vents. Un ponton composé de planche épaisses et de barils de plastique bleus attend près d'une jetée privée. Sur le terrain, plusieurs bateaux sur leurs supports et couverts de bâches pour l'hiver me laissent croire que Sara a raison, ce Lucien Roberge connaît bien la mer.

     Dès que Sara engage son tas de ferraille sur une allée de gravier, deux immenses terre-neuve se précipitent vers nous en aboyant et en agitant la queue. Sur la banquette arrière, la golden répond en battant son propre rythme frénétique.

     — Molson, Labatt, calmez-vous, dit Sara en sortant du véhicule.

     Elle me parait minuscule entre les immenses chiens. Cependant, je ne bronche pas, il est plus qu'évident que ces deux-là lui vouent un culte.

     — Assis, ordonne Sara et les chiens, impuissants à lui résister, obéissent, balayant le sol de leurs queues touffues.

     Dès que j'ouvre ma portière, la golden se faufile entre les sièges, me piétine et se catapulte dehors. Les deux monstres l'ignorent, bien trop occupés à adorer Sara. Je sors à mon tour de la voiture et la rejoint. Un des chiens essaie de fouiller la poche de son pantalon, puis l'autre aligne ma pomme. Sara gratte l'oreille poilue et extirpe tant bien que mal un sachet de plastique de son vêtement.

     — Enlève ton gros nez dégoûtant de là, Labatt. C'est le sac de bacon de Dahlia.

     — Ces chiens ont faim, constaté-je.

     — Vraiment, hein, réalise Sara. Où est Lucien?

     Elle écarte le trio de chiens. Pendant que ceux-ci se regroupent en un amoncellement de fourrure, elle se dirige vers la maisonnette de tôle située derrière les bateaux. Nous n'avons pas mis le pieds sur la première marche de la galerie que l'odeur du sang me frappe. Nous allons trouver une autre victime. Mais bien sûr, je ne peux rien dire, je ne peux pas l'empêcher de pénétrer dans cette maison sans lui expliquer comment je sais que le type est mort. Les énormes canidés couinent sans nous suivre, lui jetant des regards inquiets. Ils ont, de toute évidence, été de braves bêtes bien sages et sont restés cachés dans leur niche pendant le drame.

     — Tu devrais peut-être aller voir pour leur donner à manger, suggéré-je, espérant avoir un moment pour sonder les lieux avant qu'elle entre.

     Elle observe les chiens, puis me jette un coup d'œil et je vois qu'elle veut m'envoyer promener, mais le fauve et noir couine de plus belle et essaie d'enfoncer le nez dans ses vêtements une fois de plus.

     — D'accord, sinon, ils ne nous lâcheront pas. Attends-moi ici. Dahlia, retourne dans l'auto. Labatt, Molson! À la bouffe.

     Une fois Sara partie en direction de la niche, j'enfile une paire de gants et ouvre la porte. Celle-ci n'est pas verrouillée et, à mon grand soulagement, n'émet aucun grincement. Sur la banquette arrière de la Mazda 2, Dahlia émet un léger aboiement. Je me retourne et lui fais signe de se taire.

     — Tu auras droit à une pomme si tu ne me trahis pas, lui dis-je tout bas.

     Je n'ai pas la moindre idée si les chiens aiment les pommes mais ça fonctionne. La golden me regarde, mais ne bouge pas, sa langue pendant sur le côté. Il est temps de faire mon travail en vitesse, avant que Sara ne revienne.


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