Chapitre 4 (partie 3)

     Mon bureau est quand même spacieux, mais maintenant que nous sommes six dedans, il me semble particulièrement petit.

     — Sara, laisse-moi te présenter mes agents. Axel Örtensson, Nicholas Gleason, Fabiola Malenfant et Saunders.

     — Salut, fait la femme, Fabiola, son visage s'illuminant d'un large sourire.

     Elle attrape ma main entre les siennes et la serre, radieuse. À peine plus grande que moi, peut-être un mètre soixante, vêtue d'une robe à fleurs de style bohème et coiffée d'une longue tresse brune, je suis immédiatement séduite. Tout chez elle m'est sympathique, de la pointe de ses ballerines à ses énormes boucles d'oreilles colorées en passant par ses bracelets clinquants.

     — J'ai très hâte de travailler avec toi, ce sera super!

     Fabiola cède sa place à un géant de presque deux mètres vêtu d'un pantalon de sport et d'un pull couleur caramel, chaussé, comme moi de chaussures de randonnée. Le qualificatif qui me vient immédiatement en tête est «ambré». Cheveux châtains, yeux mordorés, peau délicieusement gorgée de soleil, cet homme respire la douceur et le calme.

     Lorsqu'il serre ma main, je suis traversée d'un frisson étrange. Une sensation de fourrure parcoure ma peau, comme si, subitement et sans que personne ne l'ait vue entrer, Dahlia est venue frotter sa tête contre moi.

     — Nick sera suffisant. Je suis ravi de faire ta connaissance, Sara... on peut se tutoyer, n'est-ce pas?

     — Bien sûr, répond-je, sentant le rouge me monter aux joues.

     -Pas aussi grand que son collègue mais certainement au moins aussi musclé, Axel Örtensson a la vibe d'un ex-militaire. Cheveux blonds rasés courts, yeux couleur glacier, pas un poils ni un fil qui dépasse, il jette un regard froid vers moi sans sourire ni sourciller. Si Fabiola et Nick ont l'air d'avoir environ mon âge, je ne peux estimer le sien. Il pourrait se situer n'importe où entre Victoria et moi que je ne serais pas surprise.

     — Axel est le commandant de mon unité, présente ma mère avec une fierté mal dissimulée. Mais nous nous sommes mis d'accord que c'est toi qui dirige cette enquête.

     À l'air du gars, «être d'accord» équivaut à Victoria lui a imposé sa volonté en lui enfonçant dans la gorge. Cet homme, malgré sa froideur et sa blondeur, malgré ses bras gros comme des troncs d'arbre et sa mâchoire carrée rayonne carrément. Pas comme Fabiola, avec son sourire avenant et ses yeux pétillants de malice, non. Il me fait un effet similaire aux feux de Saint-Elme aperçu en mer après une tempête. Je suis convaincue, juste à voir son air, qu'il ne me rendra pas la vie facile.

     — Victoria nous a beaucoup chanté vos louanges, dit-il et je comprends: «j'espère que vous serez à la hauteur».

     Quelque chose d'autre me frappe dès qu'il ouvre la bouche. Je suis certaine d'avoir entendu cette voix quelque part.


Saunders


     J'observe la fille de Galaad. Même en personne, j'arrive à peine à croire qu'elle a été enfantée par Côté. Cependant, c'est incontestable, Ivan Marchenko, dit Galaad au sein du Bureau est le père de cette femme. Non seulement, il y a cette épaisse crinière bouclée, d'un brun foncé riche et chaud tirant sur le roux, mais aussi cet œil, d'un vert sombre de forêt profonde, couleur quasi irréelle chez l'humain. Si mes souvenirs sont bons, chez Ivan, il s'agissait du droit, mais chez Sara, son œil vert est à gauche. Et si Ivan possédait, à gauche, un œil du doux brun des noisettes grillées, celui de sa fille est du bleu de ceux de Victoria. Le ciel et la profondeur des forêts se partagent donc le visage de la détective, rendant son regard hypnotique et déconcertant.

     "T'as bien merdé, Côté», pensé-je en prenant place dans le coin du bureau. «Ta fille irradie de Pouvoirs, au moins autant que son père.»

     Je n'avais déjà pas tellement d'estime pour la commandante, la découverte de cette enfant maintenant adulte et la réalisation qu'elle possède au moins un talent, voire plus, ne font que raffermir ma piètre opinion de l'humaine.

     Je vois Sara-Sue frotter sa main contre son pantalon après avoir échangé avec Nick. Le Loup-garou n'en fait aucun cas, cédant sa place à Axel qui lui sert une de ses phrases insupportable dont il a le secret.

     — Je reconnais votre voix, où nous sommes-nous rencontré? demande-t-elle directement.

     « Intéressant », songé-je. «Que vas-tu répondre maintenant, Néphilim?»

     À ma grande surprise, Axel amorce une réponse puis se ravise. Je remarque l'instant de panique qui traverse son visage avant qu'une explication satisfaisante fasse son chemin.

     — J'étais présent lors des funérailles de votre père.

     « Pas mal... Bien rattrapé. »

     Mais la fille plisse ses yeux de sorcière, suspicieuse. Heureusement, Fabiola sauve le chef en plaisantant:

     — Cette rencontre a beaucoup «frappée» Axel.

     Sourire moqueur, regard en direction du genou droit, maintenant intact du chef.

     — Je ne m'en souviens pas vraiment, fait Sara en croisant les bras, j'étais très petite.

     Tout son être crie qu'elle n'avale pas la bullshit d'Örtensson. Je m'en serais bien délecté encore un peu, mais le regard hétérochrome de la détective se pose sur moi.

     Un frisson me traverse le corps lorsque nos regards se croisent. Elle est si forte, Victoria doit être dans le dénie, il n'y a pas d'autres explications. La fille de Galaad nous causera des ennuies, j'en suis certain. Et le pire dans tout ça, c'est que ce sera certainement à cause de Victoria. Parce qu'elle a eu l'idée stupide de tenir sa fille dans l'ignorance.

     — On va pas passer la journée à se dire bonjour, grommelé-je, troublé par le poids de son attention sur moi.

     Son œil bleu possède quelques éclairs mordorés, rappelant l'écho de l'œil de Galaad. Comme lui, elle est plus coriace que ce que j'avais imaginé. Elle ne se démonte pas, n'est pas rebutée par mon ton hostile. Je peux apprécier ça.

     Les autres nous observent, Victoria et Nick modérément inquiets, Fabiola aussi curieuse qu'un chat et Axel, impatient d'en finir.

     — Très bien, dit-elle.

     Avec une nonchalance qui me la rend aussitôt plus sympathique, elle prend place derrière son bureau et prend le contrôle de la conversation avec une facilité déconcertante.

     — Bon, je vous laisse travailler, fait Victoria en se levant. Tenez-moi au courant de vos progrès!

     Dans un geste maternel arrivé au moins quinze ans trop tard, Victoria tend la main vers sa fille qui lui jette un regard cynique. Côté abandonne et quitte le bureau.

     Nous sommes encore trop nombreux à mon goût dans la pièce, mais le malaise évident entre la mère et la fille rendait l'atmosphère étouffante. Ce n'est plus le cas désormais et je dois admettre que je suis plutôt curieux de découvrir de quoi est faite la jolie détective Marchenko.

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