Chapitre 4 (partie 1)

Hôpital régional de Havre-Hébert


     Harry Parizeau m'accueille à la morgue de l'hôpital local en début d'après-midi. Il a déjà procédé à l'autopsie et pour une raison qui lui appartient, a préféré m'inviter à le rejoindre plutôt que de m'envoyer les résultats par courriel.

     — Salut, détective Marchenko, me lance-t-il, souriant. Comment trouves-tu ton nouvel emploi jusqu'à maintenant?

     — Salut, doc Parizeau, réponds-je. Disons qu'avec tous ces cas incroyables de crimes mineurs que Tardif m'a raconté, je ne m'attendais pas à ce qu'on retrouve un cadavre dès mon retour.

     — Sincèrement, moi non plus! Et bien que je sois très satisfaits de gérer des vieillards et des accidentés, la non-noyée du fleuve rep...

     Les mots s'estompent, je n'entends plus ce qu'Harry m'explique. Mon regard se perd, captivé par les formes derrière le pathologiste. On dirait que son ombre se mue, devenant plus grande que nature. Des silhouettes me faisant penser à un yéti ou un kodiak dansent derrière lui. Je suis tellement fascinée par le phénomène que j'en oublie tout le reste. J'ai la nette impression, bien que celle-ci soit carrément invraisemblable, que cet animal ombrageux appartient à Harry. Je dois être beaucoup plus fatiguée que je le pensais après ma rencontre étrange du chantier naval et voilà maintenant que j'hallucine des bêtes partout. Dahlia m'aurait-elle manquée plus que je le croyais pendant mon séjour à l'extérieur?

     — ... vide... Je... ne peux pas te dire ce qui a fait ça, Sara, tu comprends? Sara? Que se passe-t-il?

     Le regard affuté de Harry est fixé sur moi. Il a bien compris que je ne suis plus avec lui. Lorsqu'il tend la main, le kodiak derrière lui tend également la patte et j'ai l'impression que cette ombre me salue.

     — Je ne sais pas... J'ai dû manger un plus gros coup que je croyais hier soir, éludé-je. J'ai un peu de mal à me concentrer.

     Aussitôt, mon ami se transforme. Il passe en mode médical, retire ses gants usagers et en enfile de nouveaux. Sans plus attendre, il m'attrape par les hanches et me soulève d'un coup. Je ne suis pas très grande et pas très costaude, certes, mais lorsqu'il me manipule, j'ai l'impression de ne pas être plus lourde que ses filles. En moins de temps qu'il faut pour dire «cadavre», je me retrouve assise sur la deuxième table métallique avec un tensiomètre autour du bras.

     — Je n'examine pas beaucoup de vivants, mais j'ai quand même dû faire ma médecine générale avant de me spécialiser, commente-t-il.

     Je ne sais pas ce qu'il fait avec un tensiomètre à la morgue, mais Harry débute un examen rapide. Mesure de mon pouls, observation de mes réflexes, sondage de mes yeux... tout y passe.

     — Tu as de belles éraflures, qu'est-il arrivé hier?

     Je suis encore assez alerte pour mentir. Je n'ai pas envie qu'il découvre que j'ai croisé des suspects au chantier. Il en parlerait à Vince, qui ferait une scène, ce qui obligerait Morel à intervenir. Et si le chef doit s'en mêler, tout ça ne peut que mal se terminer pour moi.

     — J'ai trébuché et je me suis retrouvée à embrasser le stationnement, réponds-je.

     — T'es-tu cognée la tête?

     — Pas que je sache.

     Malgré l'examen qu'Harry me fait subir, je vois toujours l'ombre étrange derrière lui. Elle se précise et je réalise que ce que j'avais pris pour un ours ou un yeti est plutôt une sorte de loup ou de chien énorme aux traits lupins. Cette ombre ne suit pas tout à fait ce que fait mon ami et je la vois qui frotte sa tête contre le tibia de la mienne comme le ferait Dahlia.

     C'est quoi le trip? Je deviens folle ou quoi?

     Quand as-tu mangé pour la dernière fois?

     — Je ne sais plus... je suis passée au garage avant de me rendre au poste.

     Harry envoie un rayon de lumière au fond de mes yeux, une intensité presque fanatique dans le regard.

     — À prime abord, tu n'as rien de grave, mais je préférerais que tu montes voir un de mes collègues avant de partir. Je vais appeler à l'accueil, Bernardine te trouvera une place.

     Sur ce, il me fourre ma gourde d'eau dans une main et un muffin dans l'autre et se dirige vers le téléphone.

     — Mange. C'est un muffin jambon-cheddar fait par Vince. Ça devrait te redonner un peu de carburant.

     Puisqu'il ne me sert à rien de m'obstiner et que l'odeur salée du muffin envoûte mes papilles, j'entreprends d'obéir aux ordres de Harry. Je peux l'entendre résumer mon état à quelqu'un avant de rompre la communication.

     — Lorsque tu remonteras, passe par le bureau de Bernardine; elle aura une place pour toi. En attendant, pour ta victime, comme je te disais, la cause de la mort est l'insuffisance sanguine. Elle est, pour ainsi dire, sèche. En tout et partout, je n'ai pu récolter que quatre décilitres de sang. Rien de plus. Quelqu'un l'a drainée aux fémorales et à la jugulaire en même temps. J'ai également trouvé des traces de tubulures à l'intérieur des différentes artères.

     — Pourquoi ferait-on une chose pareille, demandé-je, interloquée.

     — Pour consommer le sang, répond Harry avant de se plaquer une main sur la bouche, le regard effaré.

     Suspicieuse, je plisse les yeux. Il ne me ment pas, j'en suis certaine. Par contre, pourquoi regrette-il d'avoir suggéré la consommation du sang?

     — Je suis désolé, dit-il. Ce n'est pas mon rôle de poser des hypothèses. Je devrais te laisser faire ton travail.

     Il est agité, nerveux. Il me plaque la chemise contenant son rapport sur les genoux et recouvre le cadavre avant de le retourner dans son rangement. Je termine de dévorer mon muffin, songeuse.

     — As-tu remarqué autre chose, osé-je demander.

     — Rien d'aussi marquant. Tout est dans le rapport. L'Assomption m'a envoyé un accident de la route, si tu permets... j'ai du travail.

     Je sais lire entre les lignes. « Sara, tu déranges. Va voir ailleurs si tu n'y trouverais pas les réponses à tes questions. »

     Très bien. Je descends de la table et me dirige à la porte, dossier en main. Je ne suis pas certaine de ce qui vient d'arriver, mais quelque chose me dit que ça n'a rien à voir avec ma chute de la veille ou mon oublie de déjeuner.

     Je ne vais donc pas voir Bernardine et décide de plutôt me diriger directement au poste.

     En prenant place dans la voiture de patrouille, je reçois un message texte de Vince.


     « J'ai peut-être une piste pour notre victime de ce matin. L'équipe de tournage qui est descendu dans le coin pour enregistrer un reportage sur les pêcheries de la région cherche sa réalisatrice, Madeleine Barbeau. Je vais envoyer Minh avec eux pour l'identification du corps juste au cas où ce serait elle... »

     « Merci. Je suis sur le chemin du retour. »


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