Chapitre 3 (partie 3)
Je rentre avec l'aube, encore incertain de ce que je suis allé chercher près de chez Sara. Bien sûr, mon escapade nocturne m'a permis de mieux connaître le lieux où elle habite et de constater que son environnement est passablement sécurisé. Tout ce bois est à la fois un avantage et un désavantage, mais au nombre de garous qui passent autour de chez elle et avec cette drôle d'impression qui m'encourageait à quitter les lieux, il ne devrait pas y avoir de problèmes.
Nick est parti rencontrer les loups de la région comme prévu. Il est le seul d'entre nous qui a besoin de prendre de telles précautions diplomatiques. En tant que sorcière, Fabiola est pour ainsi dire humaine et les êtres comme Axel et moi ne sont pas aussi organisés. Cependant, chez les loups, ne traverse pas le territoire d'une meute qui veut.
J'entends le ronflement de chaton de Fab et un silence absolu venant de chez Axel. Je m'installe dans la cuisine – le seul endroit aéré de cette bicoque – et occupe mes mains avec un couteau et un bout de bois. Je n'ai aucun souvenir de ma vie avant le Bureau, avant d'être assigné à l'équipe d'Axel. Je ne cherche pas trop à fouiller dans ce sens, me disant que j'ai certainement tout oublié pour une bonne raison. Je ne sais donc pas pourquoi ni comment j'ai appris à sculpter le bois et la pierre, mais les mouvements familiers, presque inconscients de mes mains ont quelque chose de rassurant. Et des fois, il en résulte des objets intéressants. Ce matin, je laisse le bois s'exprimer, l'esprit ailleurs, bien trop occupé à résoudre l'énigme Marchenko.
Je me demande quels genre de force pourraient avoir ses protections si elle était entraînée correctement. Parce que si elle sait faire tout ça inconsciemment, ça signifie que son potentiel est énorme.
— Tu sais que tu fais une tête de merde? demande Fabiola en arrivant dans la cuisine.
Merde, je ne suis pas d'humeur à me faire taquiner ce matin. Je vais passer une longue journée et lorsque l'énergie garou aura terminé son party dans mon système, j'aurai grandement besoin de sommeil. C'est plus fort que moi, ça sort tout seul et je l'envoie promener.
— Oui, merci de t'en informer. J'ai dormi comme un loir, répond la sorcière, ignorant mon humeur et ma réplique.
Lorsque je lève les yeux vers l'horloge, je constate qu'une heure trente est passée sans que je ne m'en aperçoive. Fabiola se prépare un café et glisse deux tranches de pain dans le grille-pain. Pendant que ça cuit, elle sort le beurre d'arachide et la confiture de fraises. Comme toujours, elle rayonne d'optimisme et d'énergie.
— Sens comme l'automne a un parfum délicieux dans ce coin de pays!
D'un coup vif, la sorcière ouvre la fenêtre et respire un bon coup. Ses élans ne me sortent pas de mon humeur sombre et je fais de mon mieux pour l'ignorer. Je coupe une pomme en fines tranches et les dépose en pétales sur une assiette. Avec un peu de fromage, ce sera parfait. L'odeur du café envahi la pièce tandis que la machine gronde et que Fab chantonne en préparant son déjeuner. Cette ferme est toujours aussi laide et glauque, mais l'humeur de Fabiola me rassure. Si mon amie et collègue est radieuse et égale à elle-même, c'est signe que tout va bien, non?
— Tu sais que ça ne peut qu'être la fille d'une seule personne? demande enfin Fab, me sortant de mes pensées.
— De quoi parles-tu?
— Côté, elle n'a pas fait cet enfant toute seule! Je n'ai pas besoin de t'apprendre ça.
C'est cet instant que choisi Axel pour faire son entrée dans la cuisine. Sans dire bonjour, comme à son habitude, il se dirige droit sur la machine à café. Fabiola, café et assiette de toasts en main, prend place devant moi.
— Fab, nous n'allons pas discuter de ça, prévient le chef de notre division.
— Et comment! Comprendre d'où elle vient nous aidera à mieux la protéger. Il faut bien commencer quelque part.
Tandis que le Néphilim se prépare un sandwich, Nick pousse la porte de la cuisine, charriant avec lui les odeurs du large. Il nous salue en retirant son blouson.
— Oh, je meure de faim! dit-il.
— Et puis, demande Axel.
D'une main, il remplit la bouilloire. Nick ne boit jamais de café. Il remercie Axel d'un signe de tête et plonge dans le frigo en débutant son rapport.
— Elle est la protégée de la Meute locale. Une amie d'enfance du neveu de leur leader, Luka Sévigny, un type vraiment bien. Selon ce que j'en ai compris, il est pressenti pour devenir le prochain Alpha. Selon Sévigny, elle n'est au courant de rien et n'a jamais manifesté de talents en sa présence ou en celle d'autres membres de la meute.
Nick ressort la tête du frigo, un plat de pâté chinois en main et prend une fourchette dans le tiroir. Il nous fixe tour à tour et ajoute :
— Et ça, c'est le plus gros mensonge que j'ai jamais entendu. De toute évidence, ils ne tiennent pas à ce que des étrangers connaissent son secret. Quoi qu'il en soit, ils la surveillent déjà de près; j'ai eu la conviction que Sévigny la tient en très haute estime.
Ça explique pourquoi les garous rôdent autant autour de chez toi, Miss Marchenko.
— Pourquoi tiennent-ils à te cacher la vérité, demande Axel, un peu énervé.
Pour lui, le simple fait que Nick soit membre du Bureau des Affaires Surnaturelles devrait être suffisant pour qu'on lui offre toute l'information sur un plateau d'argent. Nick vide une quantité horrifiante de ketchup sur son plat, mélange et avale une première bouchée.
— Ce n'est pas ainsi que ça fonctionne, dit-il, et tu le sais très bien. Les chefs de meutes doivent protéger les leurs, c'est normal qu'ils ne me disent pas tout. Je dois d'abord gagner leur confiance, me montrer digne de respect.
— Mais voyons, réplique Fabiola. T'es encore plus angélique qu'Axou ici présent. Comment peut-on ne pas te faire confiance?
— Je suis aussi puissant et étranger. Pour un chef de territoire, c'est suspect et menaçant. Mon nom de famille n'est pas inconnu dans ma communauté et il n'évoque pas toujours de bons souvenirs.
Thé et repas en main, il se tourne vers moi, son sourire avenant s'estompant légèrement.
— D'ailleurs, t'as failli tout foutre en l'air. Qu'est-ce que t'es allé faire à rôder autour de chez elle?
Je le foudroie du regard. Mais puisque c'est Nick et que je l'aime bien, je lui répond:
— Je suis retourner aux cales sèches. J'ai suivi sa piste pour être certain que Dorion n'était pas parti à ses trousses.
— Il avait déjà quitté la scène lorsque nous avons décidé de rentrer, défend Axel.
— Il a des jambes, lui aussi. Si moi, je suis capable de revenir sur les lieux, explique-moi ce qui l'aurait empêché de rebrousser chemin après notre départ?
Le pistage et le travail discret ne sont pas les forces d'Axel. Bien que nous sommes d'origines similaires, nos talents sont diamétralement opposés. Il sait que j'ai raison, mais refuse carrément de céder du terrain.
— Anyway, rien de grave n'est arrivé, poursuit Nick. Je leur ai dit que tu fais parti de notre équipe et le mot s'est passé. En vérité, le fait que je t'ai soigné hier soir t'a probablement sauvé. Ils ont reconnu les traces du talent d'un des leurs et ont attendu des explications avant d'attaquer.
Je ne dis rien. Il n'y a rien à dire de toute manière. Exaspéré, Axel consulte sa montre de manière ostentatoire avant de nous fixer tour à tour.
— Dix heures! Ça fait à peine dix heures que nous sommes débarqué dans le coin et c'est déjà le bordel. Alors la prochaine fois qu'il vous prend des envies de brûler de l'énergie sans me consulter, faites le ménage.
— Quoi? Et pourquoi est-ce ma faute tout d'un coup? demandé-je.
La tension dans l'air est si dense qu'on pourrait l'étaler sur des toasts. Avoir raté notre capture nous rend tous nerveux.
— OK, OK, tente de tempérer Fabiola. Calmez-vous la testostérone les gars... Il n'est rien arrivé de mal, Sara est saine et sauve chez elle, Saunie a fait un repérage qui nous sera certainement utile et la meute du coin est au courant de sa présence, ce qu'ils auraient appris tôt ou tard. Et, selon mon expérience, c'est toujours mieux plus tôt que tard.
Axel se tait et tente de ravaler sa mauvaise humeur. Puis soudain, il se tourne à nouveau vers Nick:
— Que dis la Meute locale à propos de notre cible?
— Qu'il masque bien ses traces. Il est presque impossible de le détecter. Ils ne sont pas au courant de grand chose sur la disparition de Mercedes Arcand. Ils n'ont aucun membres au sein de l'équipe policière de la région. Sévigny et Marchenko ont beau être intimes, ils ne parlent pas vraiment des cas ensemble, à moins qu'on ait besoin des pompiers, évidemment, ce qui n'est pas le cas dans les histoires de disparitions. Mercedes Arcand est certainement la dernière cible de Dorion, mais comme elle n'est pas de la région, le poste local n'est pas impliqué.
— Ce qui me taraude, fait Fabiola, c'est qu'auparavant, Dorion ne s'est jamais approché d'une deuxième cible pendant qu'il en avait une en sa possession.
J'ai passé la nuit à réfléchir à cette question. Fabiola a raison, ce n'est pas dans les habitudes de Dorion de convoiter deux victimes en même temps.
— Il y a deux explications possibles, ajouté-je. La première, il s'est débarrassé d'Arcand et cherche un moyen d'acquérir Marchenko.
— Mais il n'y a de traces de Mercedes nulle part, renchérit Nick.
— Ce foutu coin de pays est entouré d'eau et de forêt dense, rétorqué-je. Le corps peut être enterré n'importe où, voire en train de dériver glorieusement vers l'Irlande pour ce qu'on en sait. Bref, il est impossible d'assumer que puisque nous n'avons pas de corps, la victime de Dorion est toujours vivante.
— Quelle est ta deuxième explication, demande Axel, calmé.
— Il est plus près d'atteindre son but que nous le supposons alors il souhaite collecter un maximum de victimes avant qu'elles ne soient hors de sa portée.
Nous échangeons des regards lourds de sens. Même Nick, d'humeur toujours égale commence à montrer des signes d'impatience.
— Ça pose une question, ne croyez-vous pas, verbalise Fabiola.
— Fab, avertit Axel.
La sorcière l'ignore joliment. Bien sûr que ça posait une question. J'ai d'ailleurs passé la nuit à y réfléchir.
Je me revois, installé sur le toit de l'immeuble qui abrite Sara-Sue Marchenko, le regard posé sur les bois sombres et grouillants de vie. Il aurait été simple, en dépit de cette espèce de pouvoir répulsif, de m'introduire dans son appartement. En pleine nuit, comme ça, j'aurais pu l'enlever de chez elle et la transporter en lieu sûr sans problèmes, là où Dorion ne saurait jamais l'atteindre. Et pourtant, je n'en ai rien fait et ne le ferais pas tant que ce ne sera pas nécessaire. Certes, je ne comprends pas pourquoi on lui cache la réalité et pourquoi on refuse de lui offrir un entraînement décent, mais jusqu'à maintenant, ça a fonctionné.
Je ne suis pas suicidaire. Même moi ne risquerais pas de déplacer la fille de Côté sans son consentement. Et, pour une raison connue d'elle seule, Côté refuse que sa fille connaisse la vérité.
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