Chapitre 1. (partie 1)
AU CHANTIER NAVAL
— T'es pas bien, Marchenko, sermonne Vince dans mon oreillette. T'es la nouvelle détective, pas Super Girl! Tu ne patrouillais jamais seule avant, tu n'as pas à le faire maintenant que tu n'es plus obligée de porter l'uniforme.
— T'as vu comme moi la face de Morel, soupiré-je, il voulait que quelqu'un aille voir et tous les patrouilleurs sont occupés.
— Minh...
— Est en vacances, l'interromps-je. Elle a doublé ses shifts pendant que j'étais en Ville, je ne peux pas lui demander ça.
— Tu sais bien qu'elle t'aurait accompagnée quand même. Merde, Sara, moi-même je l'aurais fait si tu me l'avais demandé.
— Pas question que je risque de me faire assassiner par Harry s'il t'arrive quelque chose.
— Et comment vais-je me sentir, moi, s'il t'arrive quelque chose?, demande-t-il, le ton grave. Je suis peut-être un scientifique, mais j'ai suivi le cour comme tous les autres, tu te souviens? C'est pour ça que nous nous sommes rencontrés, Minh, toi et moi.
— Il ne m'arrivera rien. Il s'agit certainement de nouveaux sans abris qui ont décidé de s'installer dans les vieux entrepôts du chantier naval ou quelques ados en manque de divertissement. Tu n'as pas idée de combien on peut s'ennuyer à Havre-Hébert.
— Oui, j'ai idée. C'est exactement pour ça qu'Harry et moi avons décidé de nous installer ici.
— Ah bon, tenté-je de blaguer pour le distraire de son obstination, je pensais que c'était parce que je vous ai présenté Judith et qu'elle fait les meilleures pâtisseries de toute la province.
— Sara!... je suis sérieux.
— Il ne m'arrivera rien, Vince, promis. Je t'appelle après pour te rassurer.
— Si tu ne m'as pas appelé dans une heure, Marchenko, j'appelle la police!
Je ris parce que la police, c'est nous, mais je prends également note de son inquiétude. Vince et moi avons cliqué dès notre première rencontre à l'école de police. Il est vite devenu un de mes meilleurs amis et avec son époux, Harry, ils ont décidé de venir s'installer à Havre-Hébert à la fin des études de Vince. Ils voulaient un lieu tranquille et sécuritaire, près de la nature pour élever leurs enfants. Ils n'auraient certainement pas pu mieux tomber.
Je souris encore lorsque je sors de ma voiture après ma conversation avec Vincenzo. Je vérifie mon arme de service, ma bonbonne de poivre de Cayenne et ma lampe de poche et me dirige vers l'ancien chantier naval. Je marche d'un pas assuré mais silencieux, me glissant précautionneusement sous les chaînes qui interdisent l'accès aux hangars désaffectés.
Depuis la deuxième moitié du 19e siècle jusque dans les années quatre-vingt, ce chantier naval construisait des navires pour tout l'est du continent, ce qui rendit la région et la ville de Havre-Hébert prospère et florissante. Depuis, la compétition du marché international a fini par ruiner ce fleuron de notre société. Heureusement, les habitants de la côte ont tôt eu fait de se recycler dans le tourisme nous laissant avec ces énormes bâtiments en souvenir du passé. Du printemps à l'automne, la population de la région triple de taille, laissant les habitants épuisés et heureux de retrouver leur petite ville tranquille à chaque hiver.
Le ciel est d'une limpidité velouté et un fin croissant de lune se reflète dans les eaux tranquilles du port. Je n'entends que le gentil clapotis sous les quais. Tout me semble parfaitement calme et à l'exception de quelques déchets laissés par des aventuriers en manque de solitude et d'excitation, je ne trouve rien de bien exceptionnel à mon arrivée. Je décide de faire un tour à l'intérieur des cale sèches juste au cas où quelqu'un aurait investi les lieux.
Je suis sur le point de pousser la porte de côté d'un des immenses hangars lorsqu'elle vole devant moi, s'arrache de ses gonds et s'écroule au fond de la cale dans un fracas assourdissant.
Je n'ai pas le temps de réagir que je sens qu'on me pousse avec brutalité. Je trébuche et me rattrape sur le mur de brique. Ma lampe de poche fait un vol plané et je grimace en entendant sa lentille se fracasser sur le béton.
Que vient-il de m'arriver? Des silhouettes se profilent dans l'obscurité et j'entends des grondements bestiaux provenant du fond de la cour où j'ai laissée ma voiture.
Je ne comprends pas comment c'est possible. Il y a à peine trois secondes j'étais seule et tout d'un coup, je repère trois silhouettes qui me font dos ainsi que des mouvements et des grondements derrière ma voiture. L'incompréhension et la peur s'insinuent en moi et j'approche la main de mon arme de service.
Garder mon calme, il faut que je reste calme. J'ai été formée pour réagir de façon intelligente et sécuritaire, je peux me sortir de cette situation. Je prends position, dos au mur afin de protéger mes arrières et je dégaine mon arme. Je sais que normalement, le protocole nous interdit de sortir une arme sans être certain que les suspects soient armés, mais bon. Je suis seule et ils sont au moins trois, alors...
— Police, ne bougez plus!, ordonné-je, satisfaite de réaliser que ma voix ne trahit nullement ma crainte.
— Eh merde, marmonne une voix provenant de la gauche.
Dans la faible lumière que projette encore ma lampe de poche, je fais de mon mieux pour détailler les trois silhouettes. Deux hommes et une femme, je crois. L'un d'eux doit bien faire près de deux mètres et me semble fait tout en jambes. Il me fait penser à un joueur de basket. Le deuxième, plus petit, environ un mètre quatre vingt cinq, cheveux clairs et bâtit comme une armoire à glace tourne la tête vers moi. En ce qui concerne la femme, elle fait environ ma taille mais me paraît beaucoup plus musclée que je le suis.
— Rattrapez votre chien, m'écrie-je, agacée par les coups et grondements provenant de derrière ma Mazda.
À mon grand étonnement, ma commande ne provoque qu'un ricanement discret, la femme, je crois.
— Saunie va être content, s'amuse-t-elle, confirmant mon intuition.
— Ta gueule, dit cheveux clairs, d'une voix grave et maîtriser.
Je suis sur le point de l'envoyer promener lorsqu'il me fait face et s'adresse à moi:
— Baisse ton arme et va-t'en.
Mais pour qui se prend-t-il, celui-là! Sans que je vois vraiment ses yeux, toujours dans la pénombre, j'ai l'impression qu'il me vrille jusqu'au fond de l'âme et je suis soudainement prise d'une envie de rengainer mon pistolet et de repartir.
Après tout, Vince a certainement raison, je n'ai rien à faire ici, je serai bien mieux chez moi à prendre un bon bain chaud en écoutant de la musique.
Je vois ma main qui s'abaisse en direction de mon holster comme dans un rêve... je ne sais plus pourquoi j'ai décidé de venir ici, c'était vraiment stupide.
Un bain... un thé... du chocolat...
...
NON!
Je suis là, chez moi et ce sont eux qui n'ont rien à faire ici. Je ne vais pas laisser ces voyous semer la terreur dans ma ville. Je me braque et relève mon pistolet vers eux.
— Non, m'oppose-je. Arrêtez votre bête, sinon je l'abat. C'est mon dernier avertissement. Et si vous faites un pas vers moi, c'est vous que je tire.
J'abaisse le canon de mon fusil jusqu'à viser ses jambes. On verra bien qui fera le malin. De ce que je peux en percevoir, aucun des trois n'a sortis d'armes. Je serai certainement dans le tort si je passe devant un comité de déontologie, mais seule contre eux tous, et avec cette bête rugissante derrière ma voiture, je suis plus rassurée. J'ai toujours eu la main sûre. Je ne suis pas fan de la chasse, mais je me débrouille bien alors j'ai confiance en mes capacités. Et en ce qui concerne les enquêtes internes, je préfère me faire réprimander que de mourir dans un vieux chantier naval abandonné.
— Tien, on dirait qu'elle est sérieuse, s'amuse à nouveau la femme.
— Shhhhh, fait Basket boy, tentant d'assagir sa compagne.
— Cela ne te regarde pas, reprend Cheveux Clairs, cachant mal son irritation. Va-t'en.
Non mais il commence vraiment à m'énerver celui-là à se prendre pour le boss des bécosses! J'allais lui ordonner de prendre son trou, de ramener sa foutu bête et de mettre ses mains sur sa tête lorsque, aussi subitement que si on avait changé de chaîne sur un téléviseur, tout bascule.
Tout se déroule en même temps. On fracasse une vitre de ma voiture, une silhouette se rue vers moi en grondant et je tire deux coups, atteignant mes deux cibles. L'instant d'après, je me retrouve au sol, une masse molle tombe sur moi, fleurant le parfum d'homme et l'après-rasage. Énervée et sentant la colère m'envahir, je repousse le manteau et je hurle:
— STOP!!!
Dans un moment semblable à une photo grotesque, tout s'arrête. Je peux voir la silhouette de la femme, une jambe en l'air immobilisée en pleine course. Cheveux-Clairs, tordu dans une position étrange au-dessus d'une autre silhouette qui s'accroche à ma voiture, tandis qu'un autre homme que je n'ai pas repéré avant, son vêtement blanc noirci par ce que je devine être du sang pend à la clôture, accroché d'une main, la jambe en l'air tel un funambule désarticulé. Basket boy est immobile devant moi, je ne peux qu'entrevoir ses chaussures de randonnée.
Je n'ai pas le temps de faire plus que je suis assaillie d'un mal de tête titanesque, comme si mon cerveau venais d'entrer en ébullition. Je perçois d'étranges effluves, similaires à de l'encens ou une sorte de parfum capiteux, j'ai l'impression que cet odeur brûle tout l'air autour de moi, immole mon cerveau, fait exploser mes yeux. Ça ne vient pas du manteau, c'est beaucoup plus puissant, écœurant.
Ensuite, aussi soudainement que tout s'est interrompu, l'action reprend. Tout le monde se remet à bouger. J'entends Cheveux Clairs pousser un cri avant qu'une autre voix, venant de loin, parvienne jusqu'à ma conscience de plus en plus vulnérable.
— Elle est Éveillée!
Hein, quoi? Bien sûr que je suis éveillée! C'est quoi cette histoire stupide? Je ne dors pas, j'en suis certaine.
Malheureusement, je n'aurai pas de réponses, car c'est cet instant que l'obscurité choisit pour m'entraîner dans ses ténèbres bienfaisantes.
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