... Chapitre Un...

Bonsoir à toutes et à tous ! :) Je poste le premier chapitre de Havre de Paix. J'y livre pas mal d'informations à connaître pour le passé de Séraphine. J'essaye de vous présenter un Pakistan comme celui que j'ai quitté il y a quelques semaines, maintenant. :) J'essaye de faire appel à plusieurs sens pour bien vous immerger dans l'ambiance et faire en sorte que vous vous retrouviez avec elle dans la belle ville de Muzzafarabad. C'était un travail assez difficile pour moi, mais j'espère que ce premier chapitre vous plaira. Tant que j'y pense, vous trouverez tout au long du texte des mots ourdou en italiques dont je donnerai une traduction en fin de chapitre. Si vous ne comprenez pas d'autres mots, n'hésitez pas à me demander d'éclaircir.

Enfin, je tiens à remercier pour le prologue et ce premier chapitre @mangarore et @Serinde33 pour l'aide qu'elles m'ont apportée, ainsi que les divers commentaires et relectures. Donc les filles, merci beaucoup pour tout ! Vous êtes des bêtas-lectrices géniales !

Bonne lecture :)



Chapitre 1.

La pièce baignait dans la pénombre, faiblement éclairée par les maigres filets de lumière qui s'infiltraient par les volets blancs.Avec le mouvement des voitures à l'extérieur, des formes naissaient sur les murs beiges de l'appartement. Le balancement des branches naturellement arrondies du fier chêne planté devant sa fenêtre,esquissait d'intéressantes et effrayantes ombres sur le plafond nu.Elles se mouvaient au gré du vent, se transformant en bras qui essayaient de se rejoindre. Lorsque les feuilles les recouvrant parvenaient à se retrouver, le vent joueur et calculateur les séparait de nouveau. Empêchant ainsi la réunion qui était souhaitée. Cette danse, au caractère inerte, continuait sans cesse,ôtant tout moyen aux branches de contrer ce souffle de Dieu.

La jeune femme se retourna une dernière fois, pour balayer le salon de son regard mordoré. Il se posa sur son fauteuil rond de Vénus au velour gris. D'apparence mignonne et conviviale, il semblait l'appeler. Elle secoua la tête, lentement, un sourire effleurant ses lèvres. Son regard se posa ensuite sur la commode en pin massif qui ornait la pièce, accolée au mur sur sa gauche. Sur le meuble reposaient fièrement trois anciennes photographies. Leur cadre éveillait le souvenir de la passion de son père pour le bois. Elle dut reconnaître que cette matière avait mêlé avec délicatesse le travail et la sculpture, faisant ainsi la joie des maîtres sculpteurs au gré des siècles.

Le premier cadre aux diverses nuances de dorure, représentait un couple. Imran Tyane tenait son épouse, Elisa Tyane par la taille.Tous les deux souriaient chaleureusement à l'objectif qui tentait d'immortaliser le bonheur et ses quelques instants. Leurs iris brillaient d'un éclat de félicité sans pareil. Elisa Tyane avait posé une main protectrice sur son ventre arrondi de plusieurs mois,attendant leur petite fille avec hâte. Le deuxième cadre dont les bordures étaient agrémentées de décors en forme de nids d'abeille, chéris sous le règne de Louis XIV, présentait seulement Imran, quelques années plus tard, accompagné de sa petite fille qu'il portait dans ses bras. Le rendu communiquait l'amour et la tendresse qu'il éprouvait pour sa fille, seul souvenir de la femme qu'il avait épousé. Elisa Tyane ne faisait plus partie du monde des vivants.

La jeune femme ancra son regard, confiant et aimant, dans celui de son père, défunt désormais. Il semblait l'encourager avec ce même regard qu'elle lui connaissait depuis son enfance. Lui procurant la force de vivre comme si il n'y avait de lendemain. Elle pouvait de nouveau sentir son affection la caresser et l'envelopper tel un cocon indestructible. Elle le revoyait lui répéter sans cesse, avec cette même ardeur qui brûlait dans ses pupilles, de s'aimer et de puiser la confiance nécessaire au plus profond d'elle et dans l'amour que lui portait ses parents. Il lui priait de chérir chaque instant que le Seigneur lui offrait de vivre. Elle eut l'impression que la pièce se remplissait des vibrations produites par sa voix grave, riche et chaude, qui avait rythmé son enfance et sa jeunesse. Malgré la perte de ces deux êtres chers, elle était loin de se sentir seule,encore moins abandonnée.

L'amour inconditionnel de ses parents était ancré en elle, à l'image du chêne aux racines solides et inébranlables; soudé à son âme et cuirassant son cœur pour le protéger du Mal qui régnait en ce monde. Leur affection portait chacun de ses pas et leur nom retentissait dans chaque battement de son cœur.

Ses iris parcoururent le dernier cadre qui reposait fièrement. La couleur mauve fade donnait l'impression d'avoir prédit le futur d'Imran Tyane. La photographie datait d'il y a deux ans, lorsque la maladie n'avait pas encore été diagnostiquée. Tout avait semblé parfait dans la calme et paisible existence qu'avaient mené le père et son unique fille. Mais la bulle de bonheur n'avait pas ni n'aurait pu échapper au Destin qui lui incombait. Deux années plus tard, il rendait l'âme, sa fille à son chevet, fortement préparée à cette perte par le patriarche.

Les paupières se refermèrent sur les pupilles ambres, et des souvenirs récents au goût de larmes salées, remontèrent à la surface, réveillant les plaies qui tentaient de se cicatriser. Elle revivait les derniers instants de son père dans cette chambre isolée de l'hôpital, à la faible lumière tamisée et aux odeurs de médicaments en tous genres, le spectre de la mort rodant autour d'eux. Elle le revoyait, les traits fatigués, usés par la maladie qui avait achevé son travail. Cette dernière avait creusé des rides d'affaiblissement, d'épuisement physique et moral, qui était venu s'ajouter à celles qui s'étaient gravées sur lui avec le fil du temps et le poids du passé. Ses yeux noirs brillaient de tristesse et de douleur, mais une légère pointe de soulagement s'y faisait lire. Il était désolé de quitter sa fille et de la laisser aux mains de ce monde néanmoins elle voyait bien qu'il se consolait par ses retrouvailles prochaines avec sa femme, qu'il allait retrouver dix-neuf années plus tard.

Il n'avait cessé de rassurer sa fille et de lui insuffler le courage, tandis que la vie et le souffle commençaient à lui manquer. Il lui murmurait, de sa voix apaisante aux sonorités graves, qu'il serait toujours avec elle, malgré la distance qui les séparerait. Unis pour toujours et à jamais par ces cœurs qui battaient à l'unisson.

Les ultimes paroles prononcées par son père, résonnèrent en elle avant de s'imbriquer à sa volonté.

« - Je te propose ceci ma douce Séraphine, parce que j'ai confiance en Kiran. Elle t'offrira l'affection , l'amour d'une Mère et la famille que tu mérites, avec chaque figure qui se doit d'être présente. »

Elle rouvrit les yeux et ses iris scintillèrent d'un éclat de détermination, dévoilant un pan de la force intérieure qui avait bâti la jeune femme. C'était cette confiance de son père et un souhait de son existence qu'allaient accomplir Séraphine. Elles'empara de sa valise qui attendait patiemment au pied de la porte de l'appartement et franchit l'embrasure, prête à affronter cette nouvelle vie qui s'offrait à elle.

* * * * *

Assise sur son siège, elle patientait calmement, malgré la nervosité qui la tenaillait depuis deux bonnes heures. Ses pieds allaient de nouveau embrasser le sol de ce pays à la terre aride et au ciel d'un bleu pur, avec un tout autre titre cette fois-ci. Le pilote prévint les 140 passagers de s'assurer de l'état de leur ceinture et de cesser tout déplacement dans l'avion, en raison de l' attérissage en cours. Lorsqu'elle sentit l'avion diminuer d'altitude, son premier réflexe fut de fermer les yeux et de se concentrer sur sa respiration pour éviter tout mal de l'air et douleurs auditives non souhaitées.

Quand les roues de l'engin rencontrèrent le goudron de la piste d'attérrissage et que le moteur se mit à vrombir, une joyeuse voix masculine se fit entendre dans un ourdou parfait.

« - Salam Aleykoum, passagers du vol 499H2 à destination de. Muzzaffarabad, capitale du Azad-Kashmir. Nous vous souhaitons la bienvenue sur le sol Cachemirien. La Pakistan International Airlines a été heureuse de vous accompagner durant ce trajet, qui nous l'espérons vous aura plu. Nous vous souhaitons un agréable séjour dans cette belle contrée, et nourrissons l'espoir de vous revoir très prochainement sur nos lignes. Que Dieu veille sur vous. Khuda Hafeez. Pilote Adil Khan. »

Un sourire de soulagement et de gratitude illumina les traits fatigués de la jeune femme. Elle remercia intérieurement le Seigneur pour avoir veillé sur eux durant les treize dernières heures passées dans les airs ainsi que pour leur avoir permis de retrouver le sol pakistanais, sains et saufs. Elle alla récupérer ses valises, après avoir été contrôlée lors du passage du portique et fouillée par des femmes au poste d'immigration. Les agents étaient scrutateurs, méfiants et peu chaleureux, passant au peigne fin chaque voyageur. L'atmosphère froide et les tons secs laissaient entrevoir la zone de tension politique et militaire qu'était le Cachemire. Aucun vœu de bienvenue ne fût souhaité à la jeune femme tout comme aux autres passagers. Les militaires qui patrouillaient dans l'enceinte de l'aéroport, perforaient de leur yeux noirs les individus, avec l'intention non feinte, de lire en eux et d'abattre les plans qui visaient à ébranler la paix déjà fragile de cette région.

Lorsqu'elle retrouva l'air libre, elle salua les femmes qui l'avaient accompagnée durant le voyage, partageant la même rangée,leur souhaitant un bon séjour. La dame âgée assise à ses côtés durant tout le vol, avec laquelle elle avait longuement échangé, posa une main maternelle sur sa joue. Elle était vêtue d'un salwar kameez blanc, et châle blanc brumeux couvrait ses cheveux gris. Elle ancra son regard bleu fatigué dans celui de Séraphine et lui offrit la prière qu'accorderait une mère à sa fille.

« - Allah Khair Kare, ma fille, pria-t-elle en lui caressant le visage. Le Kashmir est une terre difficile à dompter pour les femmes comme nous. C'est un pays dans un pays qui cherche encore les fondations sur lesquelles se bâtir. Une contrée dominée par les hommes qui eux-même se plient devant la nature et la force de Dieu.

- Ne vous en faîtes pas, Ammi. Tout se passera bien, la rassura-t-elle en recouvrant la main tremblante de la sienne.

- J'ai confiance en toi, beti. J'ai vu ton cœur. J'y ai ressenti l'amour et la bonté qui grandissent en toi. Tu parviendras, et qu'Allah t'aide, à apprivoiser et à survivre dans ce Paradis sur Terre. »

Lorsque la foule commença à se dissiper, elle parvint à traverser le hall où patientaient les familles et amis des arrivants.Certaines attendaient avec des pancartes sur lesquelles étaient inscrits des noms de famille en ourdou, d'autres avec des colliers de pétales de rose qui distillaient leur parfum dans les lieux. Ce rituel était une marque de respect et d'affection profonde, révélant l'impatience de ceux qui recevaient et démontrant la joie qui les animait.

Emue, elle regardait ces familles se recomposer, embrassant,étreignant ceux qui les avaient quittés. Les mères enlaçaient leur fils rentrés dans la Terre Mère, les sœurs remerciaient Dieu de leur avoir retourné leurs frères. L'intensité de l'amour était perceptible dans l'air, contrastant brutalement avec la froideur et la méfiance de l'armée.

Les retrouvailles étaient émouvantes, poignantes, et Séraphine espéra au plus profond d'elle-même, que les siennes seraient un peu similaires.

Elle continua son avancée dans cet océan d'hommes et de femmes, jusqu'à l'apercevoir. Alors, malgré les centaines de regards masculins et féminins qui la dévisageaient, elle posa sa valise au sol et leva les yeux pour saluer comme il se le devait le Ciel pur et gigantesque du Cachemire. Aucun nuage ne venait obscurcir l'infini azur qui tenait définitivement ses promesses depuis des siècles. La voûte céleste de cette région forçait les nouveaux arrivants à s'arrêter et à admirer cette étendue bleue qui veillait sur eux. L'amour du Tout-Puissant et l'art avec lequel il avait façonné la Terre prenaient tout leur sens dans cette contrée d'une beauté sauvage. La flamme de la fascination éternelle s'alluma en la jeune femme, accélérant ses battements et la faisant frissonner. Un léger vent frais balaya la ville et c'est avec l'excitation de l'inconnu et l'impatience retrouvailles, que Séraphine sentit que ce séjour au Cachemire allait changer le cours de son existence.

En un battement de cils, Séraphine Abraham avait été conquise parce territoire méfiant et accueillant lors de sa première venue, elle qui était originaire du noble et riche Pendjab. Elle n'avait pas eu le temps d'acquiescer que déjà le Cachemire s'imposait à elle, fier et impitoyable.

Elle allait se mettre en marche pour rejoindre le parking bondé, lorsqu'une main effleura son épaule.

Elle se retourna pour être frappée par deux yeux gris qui la dévisagèrent avec insistance. Un frisson lui parcourut l'échine tandis qu'elle essayait de reconnaître la personne en vain. L'homme était vêtu d'un salwar kameez noir et un keffieh noir et blanc camouflait le bas de son visage. Seuls ses yeux d'un gris hypnotisant, ourlés de cils épais et rendus fous par les mèches molles qui retombaient sur son front, étaient offerts à l'admiration. Elle fût troublée par ce regard qui semblait percer son âme et lui reprocher quelque chose.

« - Oui ? questionna-t-elle, confuse. »

Il tendit son bras et elle baissa les yeux pour découvrir ce qu'il avait à lui montrer. Dans sa paume, elle crut reconnaître un pan de son châle vert brumeux. Elle avança sa main pour le récupérer, et frôla par inadvertance les doigts de l'homme. Les siens tremblèrent légèrement tandis qu'elle détendait son bras.

« - Shukriya, remercia-t-elle en croisant de nouveau les pupilles noires aussi tranchantes que l'acier.

- Le dupatta d'une femme est fait pour être porté sur la tête et les épaules, non pour être délaissé au sol, lui reprocha-t-il d'une voix dure. C'est la pièce maîtresse de l'honneur et de la modestie de la femme pakistanaise. »

Elle fut soufflée par ses paroles, qui la faisaient sèchement et rudement passer pour une ignorante et une femme irrespectueuse de la culture de ce pays. Elle essaya de lui dire qu'il n'en était rien,que son châle avait glissé sans qu'elle s'en aperçoive... Mais il ne lui en laissa guère le temps.

« - Ce n'est pas ce que vous croyez, il est tombé et je ne ...

- Honneur dont, décidément, vous les étrangères, ne vous préoccupez pas, rétorqua-t-il, impitoyable. »

Elle se pétrifia à l'entente de cette critique, qui devait certainement être partagée par bon nombre d'hommes et de femmes pakistanais. Elle allait lui répondre lorsqu'il tourna les talons et s'en alla, ses pieds arpentant les dalles en pierre. Elle fut abasourdie par la scène à laquelle elle avait pris part malgré elle. Il l'avait quittée aussi brutalement qu'il l'avait interpellée, et s'en allait fièrement, sa démarche et sa carrure le détachant du paysage.

Secouant la tête, Séraphine s'en alla rejoindre les allées de parking, où Jullian devait l'attendre et s'inquiéter de son retard.Elle avait envie de le revoir tout comme de retrouver la douce et aimante Kiran. Seul Jullian était au courant de sa venue, Kiran ne l'apprendrait que lorsqu'elle se trouverait devant elle. Lorsqu'elle atteignit le lieu où la rencontre était convenue, elle fut suprise de ne pas trouver l'homme qu'elle cherchait. Son regard parcourut les minibus surchargés, taxis loués et auto-rickshaw colorés qui faisaient la joie du Pakistan.

Décidant de ne pas s'inquiéter de ce retard, elle alla s'asseoir sur les bancs en bois blancs implantés dans l'herbe au milieu des jardins qui faisaient face au parking. Des arbustes de nanho blue et d'oranger du Mexique embellissaient les lieux. Les fleurs blanches du Buddleia Davidi attiraient les papillons aux couleurs riches et variés, tandis que le Choisya Ternata à la remarquable floraison blanche distillait son parfum de fleur d'oranger.

Elle essaya d'oublier les paroles dures de l'inconnu au keffier palestinien en entamant la nimko offerte par les hôtesses. C'était un encas riche en couleurs, et procurant une explosion de saveurs qui faisaient la joie des papilles. Le sachet multicolore contenait des petites vermicelles de farine de pois chiches, des lentilles séchées et des cacahuètes grillées, le tout accompagné de raisins secs.C'était un goûter salé et pimenté, comme les aimaient les pakistanais. A la première bouchée, sa langue se souvint immédiatement de ces saveurs qui avaient façonné son enfance. Malgré les piments qui avait allumé un feu en elle, c'est en riant et respirant fort qu'elle but une gorgée du populaire jus de mangue Sheezan.

Elle observa le monde autour, et vit que la plupart des femmes âgés se promenaient la tête recouverte de leur châle tandis que les plus jeunes le portaient seulement sur les épaules, cachant leur poitrine et leur dos. Certaines étaient entièrement vêtues de noir, cachant leur corps et leur visage du regard appréciateur des hommes. Sa tenue était plus décontractée que les leurs tout en camouflant ce qui se devait de l'être dans un état islamique. Son kurta d'un vert pomme très clair retombait à la mi-cuisse et ses jambes étaient moulées dans un pantalon noir. Elle avait réajusté son dupatta autour de son cou à l'image d'une épaisse écharpe, en laissant entrevoir de la peau.

Quinze minutes s'écoulèrent ainsi, puis elle se releva pour rejoindre les places de parkings qui semblaient se vider. Elle chercha du regard une carrure similaire à celle de Jullian et des yeux gris mais rien ne vint à elle. D'autres minutes s'épuisèrent de la sorte, tandis qu'elle se faufilait entre les allées déclinant les offres de taxis, mais les recherches furent vaines. Lentement une once de doute et d'inquiétude s'immisça en elle. Jullian était-il vraiment en retard ? Ou avait-il tout simplement oublié sa venue ?

La seconde hypothèse l'effraya quelque peu. Comment cela était-il possible seulement deux mois après leur union? Elle aurait bien tenté de l'appeler si son téléphone ne l'avait pas lâchement abandonnée, dès qu'elle avait franchi les portes de l'aéroport.

Elle décida d'attendre encore un moment. Une autre demi-heure défila ainsi, mais il ne montra aucun signe de vie. La peur finit par monter d'un cran et lorsque la boule d'angoisse fut complètement formée elle se releva du banc sur lequel elle s'était rassise. Ellese dirigea vers un taxi . A dix mètres de la portière qui était déjà ouverte, une voix retentit derrière elle.

« - Séraphine Tyane ? »

Elle se retourna vivement pour découvrir l'identité de celui qui l'apostrophait par son nom de jeune fille. C'était un homme d'âge mûr au teint halé et aux yeux verts, portant une chemise noire et un pantalon aussi sombre, qui se tenait en face d'elle, l'air un peu gêné.

« - Je suis Sameer, un subalterne de Monsieur Jullian. Je vous demande pardon pour l'attente causée. Mais, Julllian Sir, m'a mis au courant de votre arrivée seulement quarante minutes avant. De plus, j'ai essayé de vous joindre à plusieurs reprises mais il me semble que votre téléphone est éteint. Je vous prie d'excuser mon retard, Miss. »

La jeune femme accueillit la présence avec soulagement et bût lesparoles avec déception. Jullian ne s'était pas déplacé pour elle comme elle s'y attendait, et comme il le lui avait dit, il y avait seulement quarante-huit heures. Ajouté à cela, il prévenait tardivement son subalterne, qui, il le savait allait arriver avec du retard. Comment cette information avait-elle pu lui échapper ? Elle ne parvenait pas à se l'expliquer. Avaient-ils des problèmes àla maison ? Une dispute avait-elle éclaté ? Quelqu'un était-il tombé malade ? Seules ces hypothèses auraient pu accaparer son attention, elle en était certaine. Il ne pouvait pasavoir délibérément oublié la date et l'heure de son vol. Elle refusait d'y croire.

« - Est-ce-que tout va bien, à la maison ? Demanda-t-elle en dévisageant Sameer qui se dandinait sur place, visiblement mal à l'aise.

- Oui. »

A cette confirmation, elle se permit un sourire, prit sur elle et rassura le chauffeur, qui la regardait, honteux, tandis que l'incompréhension s'enracinait.

« - Ne vous en faîtes plus, Sameer-Ji. Je suis contente que vous soyez venu me chercher, le rassura-t-elle. »

Il se rapprocha d'elle, prit la valise qu'il fit rouler jusqu'à la Toyotta Corrola noire qui les attendait garée non loin. Il lui ouvrit la portière et elle s'installa à l'arrière tandis qu'il posait son bagage dans le coffre. Elle avait pu remarqué que cette voiture était très prisée dans le pays et c'était également celle que l'on apercevait le plus dans le parking de l'aéroport. Elle fut heureuse de voir que l'intérieur était aussi agréable et confortable que le laissait supposer la carrosserie du véhicule. Le cuir beige accueillit son corps fatigué et elle se laissa aller contre le dossier. Les nœuds d'angoisse formés, se dénouaient et elle put souffler, maintenant détendue. La voiture quitta rapidement la zone isolée et aborda l'entrée de la ville.

« - Comment m'avez-vous reconnue, Sameer-Ji. Aviez-vous une photo ou Jullian vous a-t-il fait une rapide description ?Questionna-t-elle, la curiosité lui brûlant les lèvres. »

Elle le vit sourire dans le rétroviseur, en secouant la tête.

« - Rien de cela, Miss. Monsieur était trop occupé à la caserne et il n'avait décidément pas le temps de me faire une description ou de me passer une photo de vous. Il m'a seulement demandé d'aller récupérer une certaine Séraphine Tyane à l'aéroport, qui avait des allures de Blanches, rapporta-t-il en croisant son regard dans le miroir. »

Elle accueillit son explication avec une mine soucieuse. Ressemblait-elle tant que cela à une européenne ? Le terme «blanc » dans la langue pakistanaise renvoyait plutôt aux britanniques qui avait colonisé l'Empire Indien, mais l'on pouvait aisément intégrer le reste des européens et les américains dans cette expression. L'éducation française et le souffle européen émanait-il tant que ça de son corps ? Perdue, elle fut contrainte de le questionner, de nouveau.

« - Et quelle était mon allure ? »

Sa réponse lui parvint rapidement.

« - Je dirais plutôt posture, parce que c'est avec elle que je vous ai reconnu comme étant la femme dont parlait Jullian Sir. Vous ne vous tenez pas comme les femmes d'ici. Et votre dupatta prouve définitivement que vous n'êtes pas du pays. Vous l'avez enroulé comme une Anglaise. »

Elle sourit à l'entente de cette liste. Là où la culture pakistanaise appelait à un certain effacement et retenue chez la femme, la France lui avait donné la la mentalité et le courage nécessaire pour s'affirmer et se faire entendre. Toutefois, le vent du changement soufflait sur le pays et des femmes commençaient à se détacher des pensées traditionnelles. Elles élevaient leur voix, avec l'espoir que leurs revendications seraient un jour prises en compte.

C'était donc avec une double culture, qui se rejoignait et parfois s'affrontait, que Séraphine revenait au Pakistan, renouer avec les racines de ses parents.

Elle retrouva ce même monde où cohabitaient modernité et l'ancien Pakistan. Les bus nationaux surchargés, transportaient des passagers internes et ceux assis sur le toit, tandis que les camions roulaient à une vitesse folle, le soleil ardent faisant scintiller leur carrosserie aux motifs colorés. Des couleurs vives et chatoyantes embellissaient les routes. Les œuvres peintes représentaient divers talismans, des passages de contes, parfois des vers de poèmes. Cet art national avait été également transposé aux scooters qui envahissaient les routes et aux rickshaws.

Séraphine reconnut qu'il était impossible de ne pas être subjugué par ces motifs riches en couleurs autant que de messages. Aux côtés de ces moyens de transport modernes, subsistaient les charrettes de bœuf, de cheval et d'ânes. Beaucoup de pakistanais se servaient encore de ces animaux de trait. Parmi tous ces moyens de locomotion,circulaient les bus du Kohistan et ceux sophistiqués et confortables du groupe sud-coréen Daewoo. Les petits se dressaient face aux grands, et chacun essayait de s'imposer à l'autre, bravant avec fierté sa propriété. Le spectacle était amusant et fascinant. Les siècles se mélangeaient et paraissaient se confondre dans ce vacarme de klaxons incessants, de bruits de sabots et de coups de fouet sur fond de chaleur naturelle combinée aux innombrables tandoor longeant les rues.

A côté et en face des quelques grattes-ciels défiant le Ciel et des bâtiments contemporains, résistaient encore les anciennes constructions et les étals des petits commerçants vendant des légumes, du mais grillé ou cuit à la vapeur, des samossas et des légumes au yaourt. Il n'y avait plus que l'embarras du choix, face aux odeurs alléchantes qui émanaient de ces mets appréciés.

Séraphine, colla presque son nez à la vitre et discerna, amusée, les différents fruits proposés sur la charrette d'un vieil homme,attelé à un âne. Il y avait des mangues et des goyaves appétissantes, qui paraissaient si juteuses que la jeune femme se mit à saliver. Elle repéra rapidement les meilleures. Les mangues prêtes à consommer avaient la peau bien jaune, parfois orange déviant vers le rouge, et les goyaves avaient la peau verte, d'apparence fine et fragile, piquetée de noir, parfois de rose ou de rouge. C'est avec un sourire qu'elle imagina son père la féliciter de son oeil avisé.

Le véritable Pakistan demeurait et il perdurerait encore longtemps pour contrer l'avancée de la culture européenne qui essayait de se faire une place dans le sous-continent indien.

Sameer parut percevoir son envie, car il gara la voiture sur le bas côté, et sortit pour revenir quelques minutes plus tard avec des mangues et des samossas, sans qu'elle n'ait eu le temps de le retenir. Il se rassit et les lui tendit en se retournant. Elle le regarda, bouche bée, partagée entre la gêne et l'appétit qui devait sans doute se lire sur ses traits. Il reporta son attention sur le volant et démarra le moteur.

« - Shukriya, Sameer-Ji, le remercia-t-elle chaleureusement en défaisant le morceau de journal dans lequel avaient été posés les samossas fumants. »

Lorsqu'elle considéra qu'ils étaient prêts à être manger, elle tendit l'assiette dans sa direction, mais il secoua la tête et refusa sa proposition.

« - Nous en mangeons très souvent à la caserne, surtout lorsque Abraham Sir organise des buffets pour nous féliciter de nos efforts et de notre combativité. »

Elle fut heureuse d'avoir des nouvelles. Tahir Abraham était major dans l'Armée Pakistanaise et un homme d'envergure et de prestance.Il avait gravi les échelons en travaillant avec acharnement, mettant de côté sa vie familiale, pour pouvoir être un jour muté au Cachemire. Jullian travaillait sous les ordres de son père et était lui-même promis à un brillant avenir.

Lorsque la voiture quitta l'effervescence de la ville, et qu'ils empruntèrent une route vertigineuse qui était accrochée au versant de la gorge de la montagne, elle put enfin revoir de près la grandeur de la Nature qui se déployait devant eux. La partie occidentale de l'Himalaya se dressait fièrement, défiant les hommes et les marques du temps. Des vallées vertes s'étendaient à perte de vue, serpentées par des routes goudronnées et de terre, sous un immense ciel azur. Plus bas, l'eau claire et limpide du fleuve suivait son cours avec un rythme effréné. Fascinée, elle fut parcourue d'un frisson qui hérissa le duvet de sa nuque et de son dos. Elle se sentait minuscule face à ce paysage rude, âpre et époustouflant.

« - C'est beau, n'est-ce-pas ? affirma Sameer en jetant un coup d'oeil dans le rétroviseur.

- A couper le souffle, avoua-t-elle en discernant au loin les majestueux pics qui frôlaient l'infini.»

La Toyota quitta la grande route et bifurqua dans un chemin goudronné où stationnaient des Jeeps appartenant à l'armée. Les hommes armés présents saluèrent d'un signe de tête Sameer qui fit de même. Ils étaient tous vêtus de tenue ternes, allant du beige au vert foncé. Le ciel disparut, caché par les hautes branches des arbres qui apportaient ombre et fraîcheur. L'obscurité se fit, seul quelques filets de lumière pénétrant ce feuillage épais. Quelques minutes s'écoulèrent avant qu'un tout autre monde n'apparaisse à l'issue de la route. La nature avait laissé à l'Homme et à son imagination l'opportunité de la métamorphoser. Un grand portail en acier noir incrusté dans deux piliers en béton, gardait l'entrée du quartier résidentiel des familles militaires.

Lorsque les gardes aperçurent Sameer, ils actionnèrent le système d'ouverture et les deux battants s'écartèrent. Le subalterne de Jullian les remercia d'un signe de tête, et ces derniers baissèrent la tête lorsque la voiture passa le portail. Marque de respect vis-à-vis des Abraham.

Le véhicule pénétra dans la zone qui avait des allures de ville au beau milieu des plaines perdues. Des épiceries, des boutiques d'habits traditionnels et européens, des instituts de beauté côtoyaient les maisons de style occidental louées aux familles. Ces dernières étaient attribuées en fonction des membres composant le foyer et des ressources du soldat. Ainsi, le Gate Two abritait appartements et pavillons à prix raisonnable tandis que le Gate One proposait des résidences plus spacieuses où le confort était le mot maître pour oublier la rudesse du milieu.

Lorsqu'ils franchirent le portail du Gate One, un monde qu'elle reconnaissait s'offrit à elle. Elle retrouvait, comme à sa première visite, un pan de l'Europe au beau milieu du Cachemire. Cette petite ville, cachée au cœur des montagnes, n'avait rien à envier à l'Occident. De grandes routes propres longeaient les trottoirs, mettant les villas en pierre les unes face aux autres. Des réverbères fleuris habillaient les rues, et des haies minutieusement taillées séparaient les résidences.

La voiture traversa les diverses allées qui composaient la seconde partie de la zone et finit par s'arrêter devant la dernière demeure. Des murs en brique rouge hauts de dix mètres se dressaient en remparts, et la vue à elle-même était suffisante pour décourager les plus courageux. Un imposant et épais portail était entrouvert, tapissé de l'intérieur par un fin rideau marron qui flottait au gré du souffle de la vallée. Une plaque noire surplombait la porte, sur laquelle était gravé en anglais et en ourdou Tahir Abraham's Residence.

Sameer sortit le premier de la voiture, et ouvrit la portière de Séraphine avant de se diriger vers le coffre. Il retira la valise et se dirigea vers la porte d'entrée, la jeune femme sur ses pas.

Elle éprouvait de nombreux sentiments. L'excitation de retrouver le Cachemire qui la fascinait, le désir de retrouver Jullian, le soulagement de revoir Kiran, mais aussi un vague pressentiment qui ne l'avait quittée depuis qu'elle avait mis les pieds dans l'avion de Paris. Elle n'aurait su se l'expliquer, la perception étant faible mais tout de même perceptible. Malgré la fatigue envolée et l'angoisse dissipée, cette désagréable sensation ne disparaissait pas entièrement. Elle avait essayé durant le vol de penser de manière positive, de se rappeler de souvenirs joyeux liés à son père et aux deux semaines passées avec Kiran. Mais rien n'avait pu la déraciner et elle persistait encore. Plus elle approchait de la porte et plus ce nœud s'endurcissait, éveillant des douleurs abdominales et asséchant petit à petit sa gorge. Elle avait l'impression de percevoir le poids de son sac à main et de chaque vêtement porté.

Sameer retint le rideau pour qu'elle puisse passer et c'était lorsqu'elle posa un pied dans la cour intérieure de la maison que son corps se tendit douloureusement, des gouttes de sueur froide perlèrent sur son front et descendirent le long de sa colonne vertébrale. Son cœur battit à toute allure. Sameer posa sa valise sur le sol marbré gris et se retourna vers elle. Elle baissa la tête et se mit à regarder ses manches brodées en dentelle blanche, espérant masquer son trouble et l'état dans lequel elle était. Il la regarda un moment, muet, tentant sans doute de lire en elle.

« - Est-ce que tout va bien, Ma'am ? Questionna-t-il en posant une main rassurante sur son épaule. »

Elle releva la tête, et rapidement, étira ses lèvres en un léger sourire trompeur.

« - Oui, tout va bien, souffla-t-elle en hochant la tête. Merci pour tout.

- Très bien. Je vais vous laisser ici, alors. C'était un plaisir de faire votre rencontre, Ma'am. Khuda Hafeez. »

Au même moment, une femme vint à leur rencontre, un sourire aux lèvres, rayonnante.

« - Choti Malikin, dit-elle joyeusement en venant prendre les mains de Séraphine, qui la regarda surprise, mais finit par sourire. Que Dieu protège et bénisse notre Séraphine et notre Jullian. Allah Khair Kare. »

Au même moment, elle aperçut Sameer se retourner vivement vers elle, et la toiser, l'air bouleversé.

Il la regarda de haut en bas, comme si il la découvrait pour la première fois, oubliant l'heure qu'ils venaient de passer ensemble,son regard vert s'attarda sur l'alliance qui ornait son annulaire gauche. Il releva la tête et croisa son regard ambre. Elle vit son trouble comme il vit le sien.

« - Vous êtes l'épouse de Jullian Sir ? Demanda-t-il d'une voix blanche, les yeux verts exprimant son choc. »



Voici la liste des mots en italique :

Khuda Hafeez : Adieu.

Allah Hafeez: Adieu.

Allah Khair Kare : Qu'Allah nous aide.

Ammi : Mère et appellation polie pour une vieille dame à qui on donne la place d'une mère.

Beti : ma fille.

Bhai Sahib : littéralement ça veut dire grand-frère. c'est surtout une formule de politesse pour appeler un homme qui a son âge ou un peu plus grand que soi. Plus âgé c'est uncle.

Shukriya : Merci

Dupatta : c'est le châle qui va avec la tenue traditionnelle qui est le salwar kameez ( litt. pantalon et chemise )

Sameer-Ji : le ji c'est pour la politesse.

Tandoor : four en pierre ou en terre.

Choti Malikin : Petite maîtresse de maison ( pour différencier Séraphine de Kiran )

Badi Malikin : Grande maîtresse de maison ( Kiran )

Samossa : beignet en forme de triangle qui contiennent de la viande et/ou des légumes.

Merci à ceux qui auront lu ces pages, j'espère que cela vous aura plu:) N'hésitez pas à commenter le fond et la forme, à me poser des questions si vous en avez, à me dire si vous avez aimé, si vous avez détesté et me dire pourquoi. Bref, à vos claviers ;)

Fidèlement vôtre,

Miss-Key.












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