... Chapitre Deux...
Bonsoir à tous, me voici pour le deuxième chapitre. Suite au problème persistant des mots collés, je vous prierai de recharger votre page avant la lecture de ce chapitre pour que les mots soient tous décollés :) Je vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre Deux.
Elle allait lui répondre affirmativement lorsque la femme d'âge mûr mit ses mains sur les avant-bras de la jeune femme et les pressa avec chaleur.
« - Je vais aller prévenir, Badi Malikin, que vous êtes là. Elle sautera de joie lorsque je lui annoncerai cette bonne nouvelle !»
Sur ces paroles, elle la relâcha pour traverser la grande cour et rejoindre une chambre à l'arrière de la maison. Séraphine pivota vers l'endroit où se tenait son chauffeur et c'est avec surprise qu'elle découvrit qu'il avait disparu. Elle se retourna pour l'appeler avant qu'il ne franchisse la porte, mais il n'y avait plus personne, seulement le rideau qui continuait de flotter. Il était parti.
Elle refit face à la maison et son regard mordoré glissa sur les chaises longues et plantes entreposées dans la cour. Des pots de lilas des indes à la floraison abondante aux tons flamboyants étaient posés devant les quatre colonnes de pierre qui portaient la terrasse de toit et qui donnaient directement sur le large corridor.Un grand tilleul argenté apportait un charme indéniable. Son dense feuillage argenté apportant ombre et fraîcheur apaisante durant les après-midi chauds. Une fontaine en pierre qui donnait un caractère enfantin et féerique apprécié face à la construction stricte et symétrique du lieu ainsi qu'à l'impression de suspension du temps avec la froideur et la rigidité de la pierre et du marbre,omniprésent. La demeure ressemblait à Tahir Abraham. Elle semblait être faite pour recueillir des hommes aussi impénétrable , imperturbable et inflexible que lui.
Elle reporta son regard sur le petit enfant en bronze noir de la fontaine, aux cheveux bouclés et au sourire moqueur, qui tenait un plat dont l'eau était censé couler. Ce n'était plus le cas, désormais. Ses pas la dirigèrent d'eux-mêmes vers la construction et elle posa une main sur le bronze chaud. Au même moment, une main se posa sur la sienne, et elle releva les yeux pour croiser un regard ambre, brillant. Une femme, aux alentours de quarante ans , la couvait d'un regard maternel bienveillant. Kiran. Ses yeux mordorés, emplis d'affection, étaient cernés de longs cil noirs,joliment courbés, et son front était caché par une mèche molle qui était coincée derrière son oreille droite. Un haut chignon maintenait son châle bleu clair sur le haut de sa tête, un pan de ce dernier retombait en avant du côté gauche, tandis que le pan droit reposait sur sa poitrine et glissait à l'arrière sur son épaule gauche.
« - Ma Séraphine, la nomma-t-elle d'une voix chaude. Je suis heureuse de te revoir, ma fille. »
Elle brisa la distance qui les séparait et prit sa bru dans ses bras, en une étreinte affectueuse et protectrice. Séraphine perçut l'amitié que lui portait sa belle-mère, des ondes de chaleur caressèrent sa peau, laissant une marque indélébile sur leur passage. Elles pénétrèrent l'épiderme et se propagèrent dans tout son corps, ne faisant plus qu'un avec son sang, dorénavant fortifié par cet amour qui vint s'ajouter à celui de ses parents. La belle-fille se laissa aller contre l'épaule de Kiran, en espérant y retrouver le soulagement et la paix dont elle avait besoin pour calmer cette tension qui se propageait dans tout son être, le rendant sensible et douloureux. Mais rien n'y fit, et rien ne vint.Le nœud semblait durcir et se développer à mesure que le temps passait. Elle cacha néanmoins son malaise et mit une main dans le dos de Kiran.
« - Je suis également heureuse, Ammi, articula-t-elle, la bouche sèche.
- Que le Seigneur te protège ma fille, et qu'il te garde souriante à tout jamais. »
Kiran se sépara de Séraphine et les deux femmes se dirigèrent vers le corridor, dont l'entrée était gardée par un imposant pilier en pierre. Sur la façade en pierre, au milieu de la deuxième colonne,trônait une Croix du Christ. Elle scintillait, embrassée par les rayons du Soleil.
Aidez-moi, Seigneur, implora-t-elle silencieusement.
Elles arrivèrent devant la chambre qu'avait occupé la jeune femme pendant sa venue, tandis qu'elle disait à sa belle-mère que le vol s'était bien déroulé. La porte avait été ouverte et sa valise avait été posée à côté de la table de chevet qui délimitait le lit. Kiran l'invita à s'asseoir et Séraphine obéit. Elle prit la main fine dans les siennes et lui transmit d'avance le courage dont elle aurait besoin pour le sujet abordé, tandis que Tasnim apportait un pichet d'eau et deux verres
«- Je m'attendais à ta venue, Séraphine, même si Jullian ne m'arien dit. Je suis vraiment heureuse de te revoir, ma fille, et à la fois très triste pour Imran, confia-t-elle, le regard s'assombrissant. Tout comme ta mère, il est parti bien trop tôt. Son état s'est aggravé si vite, après le diagnostic ... Je n'ai rien compris, avoua-t-elle, la voix s'affaiblissant. Mais je pense qu'on ne peut rien face au Destin, aussi triste soit-il. Alors, ma Séra, sois courageuse. Je suis là pour t'aider et pour t'accompagner dans le chemin de la reconstruction. Jullian, Sonia et ton beau-père sont là. Notre sang est le tien et ta douleur la nôtre. »
Elle accueillit ses dernières paroles avec un hochement de tête, ne comprenant pas leur ampleur pour le moment. Kiran dut remarquer son état et sa fatigue, parce qu'elle pressa avec chaleur sa paume contre les mains retenues.
« - Le vol a dû te fatiguer. Je vais te laisser te reposer et nous nous retrouverons à ton réveil, Beti.»
Elle posa une main sur l'arrière de la tête de Séraphine et lui embrassa tendrement la tempe, avant de quitter la pièce et de refermer la porte derrière elle.
La jeune femme retira doucement son châle entourant son cou, et le posa sur le drap blanc recouvert d'un édredon beige, le regard figé sur le sol en marbre blanc, l'esprit ailleurs. L'angoisse ne cessait de grandir en elle, alourdissant son corps et endolorissant ses membres. Elle avait la désagréable impression qu'un poids se posait lentement sur ses épaules, renforçant la prise de conscience sur cette tension qui l'habitait. La rencontre avec Kiran avait consolidé ce ressenti, au lieu de le faire disparaître tout comme l'espérait Séraphine. Même sa présence, son étreinte et ses mots chaleureux et bienveillants n'y étaient pas parvenus. Elle s'était sentie raidir lorsqu'elle avait senti la main de Kiran dans son dos. Son toucher ne lui semblait plus être le même que la dernière fois, ni son visage, ni ses mots. Ils apportaient du changement. Un nouveau souffle, une nouvelle vie.
Elle défit les fins lacets qui enserraient ses pieds et se déchaussa avant de les poser sur le sol frais. Elle fut heureuse qu'une partie de son corps soit en contact avec de la fraîcheur, car toutes les autres semblaient s'échauffer ; son cerveau se concentrant sur ce trouble, et son ventre, noué.
Elle se promena dans la chambre, ne pouvant plus rester assise après quatorze heures de voyage. Elle revint faire face au grand lit en bois sombre, frôlant le noir. La tête de lit était représentée par deux vagues qui se rejoignaient en une boucle inversée. L'édredon blanc cassé faisait ressortir la sombreur et la sévérité de la sculpture du bois, tentant également de l'adoucir.
Elle porta son regard sur l'armoire en chêne ancien qui reposait à la droite du lit, épousant le mur immaculé, et tentant de frôler le plafond d'un blanc figé. De fins ornements étaient gravés dans les angles des deux portes, qui se rejoignaient, fermées par une petite clé en fer. La tige de cette dernière se terminait par trois petits anneaux qui étaient surmontés de deux arcs s'ouvrant à l'extérieur, eux-mêmes surmontés de deux arcs plus grands se rejoignant vers l'intérieur, et portant à leur tour, deux arcs similaires aux premiers. Elle referma ses doigts sur la clé et la tourna une fois. La serrure céder.
L'intérieur était découpée en deux compartiments, l'un divisé en deux cases, et l'autre servant de penderie. Quelques shalwar kameez étaient d'ores et déjà venus embellir l'armoire. Il y avait deux blancs, un noir, un rose clair et un bleu clair, similaire à celui que portait Kiran. Elle caressa ce dernier qui reposait sur un cintre noir, attendant d'être porté. Elle sourit face à cette attention, qui tentait de lui prouver qu'elle avait sa place dans cette demeure, et dans cette famille. La belle-mère et la belle-fille portant les mêmes couleurs, signifiait qu'elles étaient toutes les deux des épouses Abraham, à tout jamais.
Elle referma l'armoire et se retourna vers les deux yeux gris qui semblaient la fixer depuis qu'elle avait posé les pieds dans cette chambre. Elle se rapprocha du grand cadre qui suspendait au mur une photographie de son mariage. Les dimensions étaient impressionnantes. Il recouvrait une surface importante du mur. La photographie faisait partie des quelques clichés pris à la suite du mariage religieux, célébré dans la cour même de la demeure, où une vingtaine de convives avaient été conviés. Le prêtre avait été prié de venir célébrer cette union dans cette contrée perdue, et il avait accepté, honoré de célébrer le mariage de l'unique fils de l'illustre homme qu'était Tahir Abraham.
Le cliché avait été pris après l'échange et la bénédiction des alliances, devant le tilleul argenté dont les feuilles semblaient scintiller d'un nouvel éclat. Séraphine embrassa du regard sa robe de mariée en dentelle blanche. Le col arrondi était recouvert d'un collier de perles tandis que tout le bas de la robe, partant de la taille à la traîne, était orné de petites fleurs qui reposaient sur une couche brumeuse. Ses cheveux, abritant des perles, avaient étaient coiffés en un chignon haut, dont quelques mèches retombaient sur son front et sur sa nuque. Ses bras étaient également habillés par les motifs floraux qui drapaient l'habit immaculé. Son bras gauche reposait sur l'épaule droite de Jullian, révélant ainsi l'alliance bénie.
La blancheur de la robe établissait un contraste saisissant avec le costume noir de Jullian. La posture rapprochait les deux époux tandis que les couleurs semblaient les opposer et les confronter. Le blanc se liait au noir tout comme il le rejetait. Le rendu était d'une beauté à couper le souffle, immortalisant un instant de vie pour l'éternité.
Séraphine souriait légèrement sur la photographie, ses lèvres timidement étirées et ses yeux inexpressifs. Jullian, quant à lui, avait les traits fermés, impénétrables comme ceux de son Père. Ni son visage, ni ses yeux gris n'étaient communicatifs. Il fixait l'objectif, indifférent. Seuls les habits attestaient de la célébration, les visages n'étant guère démonstratifs. Elle reporta son regard sur le visage de Jullian. Il avait une mâchoire virile et de hautes pommettes saillantes qui mettaient en valeur ses traits caractérisés par un nez droit et fin et des lèvres pleines. Son front aristocratique était caché par quelques mèches de cheveux qui venaient amoureusement se poser près des yeux qui détenaient tout le pouvoir de l'homme.
Lorsque les iris mordorés de Séraphine entrèrent en contact avec les iris orageux, son cœur rata un battement. Elle eut l'impression que le cadre n'existait plus, le cliché lui-même avait disparu et Jullian se trouvait maintenant dans la chambre, lui faisant face. L'armoire et le lit furent engloutis tandis que la pièce s'effaçait petit à petit. Le temps lui-même sembla se figer, laissant ces deux être se retrouver. Elle percevait sa présence, l'aura qui se dégageait de sa carrure d'homme et la chaleur qui émanait de son corps. Son costume noir laissait entrevoir une chemise aussi clair que l'était la robe de sa compagne. Cette dernière venait illuminer son teint halé, et accentuer la profondeur des prunelles argentés qui attiraient chaque être vivant tel un aimant. Le Prince du Cachemire portait bien son nom, mettant chaque individu à ses pieds, avant même qu'ils n'aient eu le temps de ciller.
Tandis que l'ambre et l'azote liquide entraient en fusion, le nœud d'angoisse se durcit, tordant son estomac et éveillant une douleur qu'elle ne pouvait plus ignorer. Elle s'arracha à la vision, et le charme se rompit aussitôt. Le blanc se dissipa instantanément et la chambre se recréa. Elle marcha jusqu'au lit et s'assit dessus, ayant l'impression d'étouffer. Tout se mettait en place, tout se mettait en ordre dans son esprit. Et elle réalisa l'ampleur de tout ce qui avait changé, apportant une réalité dont elle ne pouvait plus faire fi.
Elle enleva le couvercle du pichet en verre et versa de l'eau dans le verre à pied bullé en teinte bleue. Elle le but d'une traite,voulant apaiser son corps et son esprit. Quelques minutes plus tard, elle releva la tête, les doigts serrant l'édredon, et parcourut les lieux d'un regard teinté de peur.
L'armoire qui lui faisait face, le matelas sur lequel elle était assise lui faisaient prendre conscience de la nature de la chambre, de son but et de son aboutissement. A ce moment là, elle eut l'impression que la pièce se mettait à tourner, rapprochant les quatre murs du lit avec l'intention de l'encercler. Elle se sentit prise au piège, privée de tout échappatoire. La douleur s'intensifia et c'est alors qu'elle vit l'impact et le poids de cette décision.
Depuis qu'elle avait acheté son billet, elle percevait seulement le besoin et l'enthousiasme de retrouver cet état et les individus dont elle avait fait la connaissance. Elle avait sous-estimé ce trouble bien ancré, qu'elle avait rattaché à la crainte du déroulement du vol, étant seulement consciente du fait qu'elle allait revoir Jullian et Kiran. Elle découvrait à présent la racine de cette angoisse qui la tenaillait depuis son départ de Paris et pouvait maintenant lui donner un nom et se l'expliquer.
Depuis son enfance, son père lui avait enseigné les règles à suivre pour être une bonne fille, une bonne élève et une bonne étudiante, mais la vie ne lui avait pas accordé le temps nécessaire pour lui qu'il lui fasse part de l'étape qu'était le mariage, du poids qui le caractérisait et des conséquences qui en résultaient. Il n'avait pas eu le temps de lui expliquer en quoi consistait l'union pakistanaise, quels étaient ses piliers de même que ses avantages et inconvénients.
Elle prit conscience de l'ampleur et des conséquences irréversibles de ce consentement qu'elle avait donné à son père et à Jullian durant la période la plus malheureuse de son existence.
Le Soleil les avait définitivement privés de sa présence et de sa chaleur, deux années auparavant. Le nuage sombre de la peur et du danger les avait recouverts jusqu'à les engloutir complètement en ôtant le souffle de son père. Elle se souvenait des après-midi et soirées passées à son chevet, après ses cours en faculté de droit. Le temps filant à un rythme effréné était compté et elle passait toutes ses heures libres au pied du lit de son père, accueillant ses paroles et ses sourires avec un besoin criant. C'était durant ces jours dénués de lumière et de répit qu'il lui avait rappelée après des années, Kiran et son fils. Elle n'avait plus entendu parler d'eux depuis ses douze ans, époque à laquelle elle s'était rendue au Pendjab, région d'origine de ses parents. Il avait réveillé les souvenirs auditifs qu'elle avait d'eux, et avait mentionné pour la première fois le mariage.
Séraphine se souvenait parfaitement de cette soirée. Elle était rentrée dans la chambre, épuisée par sa journée chargée, mais toute cette fatigue s'était dissipée à la vue d'un Imran, reposé au regard illuminé d'un éclat qu'elle craignait être éteint. Elle s'était rapprochée de lui et avait déposé un tendre baiser sur sa tempe, avant de s'asseoir sur le fauteuil qu'ils avaient pris l'habitude de déplacer jusqu'au côté droit du lit causant le mécontentement des infirmières.
Elle lui avait raconté sa journée de cours, parlant des différentes études de cas effectuées et des derniers arrêts du Conseil Constitutionnel. Il l'avait écoutée attentivement, hochant la tête et questionnant çà et là. Puis, lorsqu'elle avait sorti de son sac les pêches achetées en chemin, il avait abordé le sujet, les yeux brillants de tendresse et de félicité. Il avait communiqué une telle allégresse et une telle chaleur dans les mots qu'il employait pour raviver le souvenir de Kiran, de leur enfance et de leur jeunesse. Elle avait été une voisine, une confidente puis une meilleure amie pour son père. Leur mariage respectif, le temps et la distance les avaient éloignés, mais rien n'avait pu venir à bout de l'amitié qui les liait. Il lui avait parlé des enfants de Kiran, Jullian et Sonia les présentant de nouveau à sa fille, en lui décrivant les lieux où ils avaient vécu et la région qu'ils habitaient maintenant. Il n'avait pas vraiment connu Tahir Abraham et ce dernier n'avait pas exprimé le souhait de faire la rencontre du meilleur ami de son épouse.
Il lui avait dit avoir eu Kiran au téléphone durant les derniers jours, et lui avait fait part de l'envie de cette dernière de rencontrer Séraphine et de les aider pendant cette douloureuse étape. La jeune femme avait été touchée par cette femme et par l'affection qu'elle avait fait naître en son père. Elle avait donc écouté en tenant la main de son paternel dans les siennes. Lorsqu'il lui avait fait part de son souhait d'unir les deux familles, pour le bien et le futur de sa fille unique, ses doigts avaient tressailli. Elle n'avait pas eu peur de ces paroles, elle n'avait pas non plus été choquée par cette pensée, mais seulement surprise, parce qu'elle ne s'y attendait pas, n'en ayant jamais parlé auparavant. Elle s'était vite reprise et avait masqué le sentiment naissant, toutefois ce dernier n'avait pas échappé au père qui connaissait sa fille, la chair de sa chair. Il avait remonté le dossier de son lit et s'était appuyé contre les épais oreillers qui soutenaient son corps, affaibli par la maladie, puis il avait posé une main affectueuse et réconfortante sur sa joue. En ancrant ses iris dans leur semblables, il avait perçu l'incompréhension qui s'y était logée. Un sourire avait ourlé ses lèvres, dépeignant une tendresse infini sur ses traits. Il l'avait alors rassurée par ces paroles.
« - N'aies pas peur, mon Ange. C'est une étape de la vie. Elles'est présentée certes un peu tôt dans ton cas, mais j'ai confiance en Kiran. J'ai confiance en mon amie, en cette sœur qui saura t'accueillir et t'aimer plus comme sa propre fille qu'une épouse. »
Elle lui avait alors dit qu'elle n'éprouvait pas le besoin d'avoir
une mère, un mari, ou même une sœur. La seule chose qui l'importait c'était qu'il reste avec elle, pour l'éternité. Ses derniers mots ne formaient pas de sens, son père étant atteint d'une maladie incurable, mais elle avait tenu à le lui dire, encore et encore. Il avait accueilli sa pensée avec un hochement de tête et il avait affectueusement caressé ses cheveux.
« - Je sais que tu pourrais passer ta vie toute seule, tu es une grande fille, maintenant, avait-il confié en souriant. Mais, Séra, la vie se doit d'être vécu à deux, et non tout seul. Même si tu es mon petit garçon, mon bras droit, et tu le resteras toujours, tôt ou tard, tu t'uniras forcément à un homme. Parce que la femme a besoin de l'homme tout comme l'homme a besoin d'elle. Ils se complètent lorsqu'ils se retrouvent. »
Elle lui avait alors répondu qu'il n'avait aimé aucune femme après la mort de sa mère, il n'avait donc plus eu besoin d'amour ou de présence féminine à ses côtés. Elle pourrait donc s'en passer et y réfléchir plus tard, lorsqu'elle en aurait le temps et l'envie. Il avait ri en reconnaissant le flegme qui la caractérisait.
« - Je n'ai pas eu besoin de femme, parce que tu avais tout mon amour et mon attention, Séra. Je n'ai pas eu besoin de femme parce que je ne vivais que pour l'enfant que j'ai conçu avec Elisa. Et je n'ai pas eu besoin d'amour, car celui de ta mère vit en moi, accompagnant chacun de mes souffles. Mais ton cas est différent, ma fille. Les circonstances sont accablantes, je suis affligé de te laisser seule, dans ce monde rude et malsain, c'est pourquoi je te parle d'union avec Jullian Abraham. En tant que père, et vis-à-vis de ta mère, ma Séra, je pourrais te quitter, en ayant aucun regret, te sachant entre de bonnes mains. C'est un devoir de père que je veux accomplir avant de mourir, ainsi, je pourrais retrouver ta mère, la tête haute et le cœur serein. Elle ne me reprochera pas de t'avoir laissée seule. »
Elle l'avait écouté lui révéler ses peurs et ses devoirs de père pakistanais. Même s'ils avaient vécu en France, il lui avait appris les valeurs et coutumes de son pays d'origine. C'est pourquoi elle avait reconnu dans ces propos des idéaux du pays. Les parents étaient préoccupés par le mariage de leur enfants, qu'ils soient filles ou garçons. Certains n'avaient que ce but ultime pour leur descendance, imaginant que leur lien prenaient fin à cette étape. Ils établissaient donc le mariage en devoir paternel, comme dans les temps anciens. C'était une pensée archaïque pour les européens, mais fondamentale dans la culture asiatique. Lorsque la descendance était en âge de se marier, les parents se mettaient à la recherche d'un époux ou d'une épouse potentielle si l'enfant n'avait pas déjà une préférence. Lorsqu'un parent disparaissait, l'autre s'imposait le devoir de marier tous ses enfants avant de rejoindre son compagnon.
S'il n'avait pu le faire, les membres de la communauté le pleuraient en rappelant cette triste situation. Ainsi, pour éviter ce malheureux constat, les parents préféraient rapidement marier leurs enfants, craignant ce que l'avenir leur réservait. Elle comprenait donc la peur du jugement de sa mère, et la volonté de son père de la savoir accompagnée.
« - Ne pense pas une seule seconde, ma Séra, que je t'oblige ou que je t'impose cette union. Oh grand jamais, je ne t'imposerai quoique ce soit, ma fille. Je t'en parle, je te propose cette famille,qui je le sais te chérira comme il se doit. Mais la décision ne revient qu'à toi. »
Elle n'avait pas été surprise par ces paroles. Elle connaissait son père, tout comme il la connaissait. Ils avaient toujours été présents l'un pour l'autre, s'accompagnant et se comprenant à chaque étape de la vie. Elle savait d'avance qu'il ne la forcerait jamais et ne lui imposerait aucun homme. Il l'avait soutenue dans chaque décision qu'elle avait prise au cours des dernières années et pour sa scolarité, la réconfortant et lui apportant le courage lorsqu'elle doutait.
« - Je souhaiterais que tu ailles leur rendre visite avant de me donner une réponse, Séraphine. Tu rencontreras ainsi cette femme qui m'est chère et son entourage. Passe quelques temps avec eux, chez eux et donne-moi une réponse ensuite. Et sois certaine que je ne t'en voudrais jamais, ma chérie, si tu refuses. Ton bonheur nous importe beaucoup plus, à Kiran et moi, que cette union. »
Après avoir entendu de tels mots, comment aurait-elle pu refuser à son père cette visite, cette immersion dans le monde des Abraham ? D'où aurait-elle pu trouver le courage ou l'audace de lui refuser ce souhait, tandis qu'il lui léguait dès le départ, la décision finale ? En un regard, elle lui avait témoigné tout l'amour qu'elle lui portait et il avait acquiescé. Elle avait alors posé sa tête sur son épaule et pendant qu'il lui caressait les cheveux, elle lui avait annoncé qu'elle irait à la rencontre des Abraham.
Elle émergea de ses souvenirs, le ventre noué et les larmes aux yeux. Malgré sa visite, malgré le consentement de Jullian et l'affection de Kiran, elle ne se sentait pas prête pour cette vie de belle-fille et d'épouse. Elle avait agi pour son père, en pensant à sa sérénité, et non en étudiant la situation à venir. Elle s'était rendue au Cachemire, quelques semaines plus tard à l'approche de vacances et elle avait aimé le temps qu'elle avait passé avec Jullian et Kiran, Sonia n'ayant pas été là. Jullian n'avait pas été très présent, occupé par ses tâches militaires, mais elle avait apprécié sa présence et les dires des habitants. Elle s'était par contre, rapidement liée d'amitié avec la douce Kiran.
Alors, s'étant rappelé des paroles de son père et du souhait qu'il avait formulé, elle avait accepté et avait été surprise et soulagée d'apprendre que Jullian acceptait également. Le mariage avait été rapidement célébré et au regard de l'état d'Imran, une petite cérémonie avait été donnée avec la présence d'une vingtaine de convives. Elle n'avait souhaité de mariage grandiose et Jullian avait partagé son avis. Après la célébration et la mise au courant de l'ambassade de France au Pakistan, elle avait regagné le sol français, Jullian étant déjà parti enmission avec Tahir.
En prenant du recul, elle reconnaissait s'être fiée à ses premières impressions et à la confiance que son père avait placé en Kiran et Jullian. Elle avait étudié la situation et avait honoré le souhait de son paternel qui se trouvait aux portes de la mort, parce qu'elle voulait qu'il parte sans regret, et serein, comme il méritait de l'être. Elle aurait pu considérer son consentement comme un sacrifice, mais il n'en avait pas l'étoffe, car elle l'avait elle-même formulé, au regard de ses analyses et de son ressenti.
Mais, aujourd'hui, elle réalisait qu'elle n'était pas préparée à cette vie d'épouse. Son père ne l'avait pas formée, ne lui avait laissé aucun conseil, aucune règle à suivre et aucun comportement à adopter. Les familles françaises divergeaient des familles pakistanaises. Le mariage n'avait pour elles pas la même signification ni la même portée. Elle aurait pu se faire à une union française, car elle se serait accommodée et puis elle aurait davantage connu son compagnon. Mais dans l'union pakistanaise, on n'épousait pas seulement l'époux, mais également la famille et ses pensées. Elle ne s'était pas seulement liée à Julllian, mais à chaque personne portant le nom Abraham. Elle s'était unie à leur histoire, mêlant son souffle et son sang au leur.
Ce trouble qui enflait en elle était une peur. La peur d'être seule face à tout ce qui allait lui arriver, tout ce qu'elle allait traverser. La peur de ne pas comprendre ces coutumes, celle de ne pas réussir à les porter, à les honorer. Elle les connaissait sans les connaître, n'ayant jamais vécu dans une famille pakistanaise. Elle ignorait ce qu'était une vraie famille par ailleurs, ayant seulement donné ce titre à son père. Elle ne savait pas non plus ce qu'était une mère, un frère ou une sœur. Et comprenait encore moins ce qu'était un époux.
Elle se rendit compte qu'il lui aurait fallu du temps pour apprendre,pour s'y faire et pour se préparer à cette nouvelle vie. Mais ce dernier lui manquait cruellement. Encore aujourd'hui. Tout n'allait pas se dérouler comme durant son séjour. Celui-ci était différent. Elle n'était plus Séraphine Tyane, mais Séraphine Abraham. Elle n'était plus une convive, une invitée, mais bel et bien une épouse Abraham. Elle n'avait idée du comportement d'une épouse, et d'autant plus l'épouse qui devait s'en remettre à cette culture.
Elle était seule. Perdue, apeurée et angoissée. Elle souhaitait parler à son père, désirant qu'il soit là, qu'il lui dise comment agir, qu'il lui explique comment être une épouse. Toutefois elle ne se sentait pas capable d'aller exposer ses craintes à Kiran, ne voulant pas lui donner une mauvaise image d'elle.
De nouveau, elle prit conscience que dorénavant il ne lui restait plus que l'amour de ses parents, le réconfort s'en était allé avec eux. Ce rappel douloureux lui arracha une larme qui vint mourir au coin de ses lèvres. Elle ressentait la chaleur de leur affection, mais ne sentait plus leur présence. Elle se sentait abandonnée, délaissée, alors qu'elle ne le devait pas. La force d'accepter et d'affronter chaque étape de la vie coulait dans ses veines, résidait dans son cœur qui battait au nom de son père.
Elle se souvint de ses paroles et se sentit caressée et enveloppée par un souffle chaud. Elle reconnut cet air comme étant la force de l'amour et espéra qu'il parviendrait à l'apaiser. Elle essuya ses joues, camouflant ainsi la crainte et la douleur. Puis, relevant la tête, ses yeux rencontrèrent les prunelles grises qui semblaient veiller sur elle.
Son père avait toujours eu confiance en elle, accueillant avec fierté les décisions qu'elle prenait. Elle espérait qu'il comprendrait ses doutes et la soutiendrait de l'endroit où il se trouvait maintenant, avec sa mère. Elle se corrigea mentalement. Son père comprenait ses doutes et la soutenait, à chaque instant, dans chaque situation. C'était ainsi qu'elle se devait de réfléchir et d'avancer.
Elle ne devait pas être la seule dans cette situation, Jullian partageait sans doute ces craintes et devait se poser les même questions. Il n'avait pas disposé de plus de temps pour se faire aux circonstances, et n'était pas donc pas préparé. Il était peut-être perdu et déboussolé.
Alors, ils devraient apprendre ensemble. A se connaître davantage et à former un couple, qui elle l'espérait durerait pour l'éternité. Comme attirée par la photographie, elle se releva du lit et avança jusqu'au cadre. Elle posa sa main gauche sur le bois doré et murmura, les yeux plein d'espoir.
« - Tu m'aideras, n'est-ce-pas ? Et nous avancerons ensemble. »
Au plus profond d'elle, elle avait l'intime conviction qu'il l'aiderait, la comprenant et la soutenant dans cette nouvelle vie. Etant le fils de Kiran, il serait sans doute un mari bon et aimant, malgré l'air indifférent qui ne l'avait pas quitté lors de son précédent séjour. A cette pensée et face à la vue qu'elle avait en face d'elle, un rire naquit sur ses lèvres, illuminant un instant ce visage qui s'était assombri.
Les souvenirs de leur première rencontre remontèrent à la surface de sa mémoire, apportant la certitude qui venait renforcer ses pensées et leur dose d'apaisement.
Elle venait d'arriver au Cachemire et avait voulu visiter par elle-même la grande ville de Muzzafarabad, devant retrouver Kiran et Jullian, deux heures plus tard devant la banque nationale. Elle se promenait, allant de rue en rue, découvrant le Cachemire de Kiran. Elle avait été surprise par le nombre de restaurants de rue que comportait la ville. Tous les dix mètres, un petit commerçant proposait toutes sortes de mets, froids ou chauds. La ville grouillait de monde et à l'odeur des prés et d'herbe emportée par le vent, s'ajoutait celle des plats, le tout formant un mélange enivrant. Elle avait dépensé ses premières roupies en achetant des brochettes de poulet cuites au tandoor et marchait dans le grand Bazaar de la ville. Un nombre incalculable de magasins de prêt-à-porter féminin ornaient les rues, proposant chacune leurs spécialités. Des salwar kameez venus tout droit de Faisalabad, réputée pour la qualité de son tissu, des kurtas venus de Lahore, célèbre pour sa mode, des lehenga choli et des saris importés d'Inde. Elle était ébahie par les nuances de couleurs portées au Pakistan, tandis que les européens s'habillaient toujours des mêmes teintes.
Elle allait rentrer dans une boutique qui proposait des saris, lorsqu'un cri avait attiré son attention. Elle s'était retournée et avait vu qu'un attroupement s'était formé sur la route. Voyant des individus se rapprocher, elle en avait fait de même. Après avoir questionné un vieil homme à la barbe blanche frôlant son torse sur la cause du rassemblement, elle avait appris qu'une enfant était tombée dans l'égout dont la bouche n'avait pas été refermée depuis un moment. Le cri de la mère avaient attiré les passants, qui s'étaient empressés et un homme était descendu par l'échelle qui menait à l'égout pour la ramener. Il y avait eu du remous et deux hommes s'étant déplacés, elle avait pu s'avancer avec le vieil homme pour se rapprocher de la scène.
C'était la première fois qu'elle assistait à un sauvetage effectué par un civil. Elle avait vu deux mains s'accrocher à la dernière barre de l'échelle, puis des hommes étaient venus récupérer la petite fille qui pleurait et qui saignait de la tête. Un homme avait tendu la main au sauveur et l'avait relevé.
Alors qu'elle observait l'enfant retrouver sa mère, qui remerciait l'homme, ce dernier s'était retourné pour lui faire face, et avec stupéfaction, elle avait reconnu Jullian. Il était à quelques pas d'elle, un filet de sang s'échappant d'une plaie au front, et le T-shirt imbibé de sang au niveau de l'épaule. Elle avait écarquillé les yeux, soudainement inquiète pour lui, tandis qu'à ses côtés, le vieil homme avait remercié le Ciel et prié pour une longue vie au sauveur. Comme s'il avait entendu la prière, il s'était retourné vers l'homme âgé, mais son regard s'était arrêté sur Séraphine et elle avait vu la même stupéfaction se peindre sur ses traits. Il avait hoché la tête face aux paroles de la mère et s'était avancé vers Séraphine. Face à la force de son regard et à la marche qu'il avait entamé, elle avait tremblé et avait senti son cœur s'animer à son approche. Il s'était posté face à elle, tandis que les personnes autour le dévisageait lui et ses blessures.
« - Bonjour, avait-il salué dans un français parfait. »
Malgré la surprise de l'utilisation du français, les mots avaient franchi ses lèvres d'eux-même, sans qu'elle puisse opérer de contrôle et elle l'avait à son tour salué. Elle lui avait demandé s'il avait mal et ce dernier lui avait répondu négativement en levant son bras pour essuyer le sang qui collait ses mèches à sa tempe. Mais elle l'avait retenu et lui avait tendu une serviette. Il l'avait fixée un moment avant de l'accepter et de la remercier d'un signe de tête. Ils s'étaient rendus dans un centre pharmaceutique pour désinfecter les plaies puis ils avaient pris le chemin de la maison. Elle l'avait dévisagé un moment durant le trajet, détaillant chaque trait de son visage et de sa carrure, les imprimant dans un coin de son esprit. Il avait une mâchoire marquée, qui formait un bel angle droit. Chaque fois qu'elle avait posé son regard ambre sur lui, elle avait était frappée par la saisissante harmonie de son visage ainsi que par ses yeux froids, qui fixaient la route, imperturbables. Même avec le pansement qui barrait une partie de son front et sa tempe, il lui avait paru aussi beau et aussi robuste qu'une panthère.
Ils n'avaient pas beaucoup échangé, mais elle avait pu apprendre comment il avait maîtrisé la langue française. Son père l'avait inscrit à des cours de français par correspondance avec l'Alliance Française d'Islamabad. Elle avait été étonnée qu'il ait montré de l'intérêt pour ce pays et il lui avait répondu en français, que seul son père en avait montré. Elle avait été charmée par le très léger accent qui se faisait ressentir lorsqu'il s'exprimait et en avait déduit qu'il avait tout de même appris cette langue en étant très jeune. Sur les routes menant au quartier militaire, l'idée que Jullian était véritablement un homme de ce paysage rude et époustouflant avait germé en elle. Son visage était aussi fermé que ce milieu et il paraissait aussi solide que les roches qui les entouraient. Lorsqu'il avait garé la Jeep Commander noire devant la résidence, Séraphine avait ouvert le coffre pour récupérer sa valise, mais il l'avait écartée et l'avait prise à sa place. Elle avait été touchée par cette marque d'attention et de respect et tandis qu'ils s'étaient dirigés vers le portail noir, une voix au fond d'elle lui avait soufflé d'accepter.
C'était avec un sourire naissant sur les lèvres qu'elle revint à elle. Elle devait le reconnaître, cette première rencontre avait joué en faveur de son consentement. Elle avait été admirative et fière de son initiative pour l'aide apportée. Il n'avait pas hésité une seconde avant de se porter au secours, tandis que les autres hommes s'amassaient autour de l'égout. Alors face à cette pensée et à ce comportement valeureux, elle avait compris qu'il pourrait aussi la protéger du monde si elle en venait à être son épouse. S'il était capable d'intervenir pour une véritable inconnue, de quoi serait-il capable pour sa femme ? Après cette rencontre, elle lui avait aussitôt accordé son amitié et espérait qu'il l'accepterait en retour. Le consentement au mariage lui avait apporté un écho d'accord et de partage.
Elle posa une main sur la photographie, à l'endroit même du cœur de Jullian et en plongeant son regard dans le sien, elle se confia à lui.
« - J'ai hâte de te voir, Jullian. »
Elle défit sa valise et rangea ses habits dans le compartiment du bas, laissant celui du haut à Jullian. Elle plaça ses chaussures sur la surface plate de la penderie, en-dessous des costumes suspendus. Après avoir posé un cadre représentant ses parents sur sa table de chevet, elle eût l'impression qu'elle s'était appropriée la pièce en y apportant ses éléments.
Elle se rendit ensuite dans la salle de bain qui avait été construite à la fin du corridor pour eux. C'était une salle d'eau assez vaste, dont la partie haute des murs était peinte d'un gris clair, tandis que le bas était recouvert de carrelage gris.. Au sol figuraient des grandes dalles de la même teinte. Le grand lavabo accroché au mur était d'un blanc éclatant. Le mélange entre le sombre et le blanc amplifiait la beauté de la pièce et la rendait élégante à sa manière. Elle se lava longuement, laissant l'eau chaude couler et emporter avec elle, dans la rosace d'évacuation, la fatigue qu'elle ressentait ainsi que les nœuds de tension qui s'étaient logés dans son cou et ses épaules.
Une demi-heure plus tard, elle rejoignait sa chambre, vêtue d'un peignoir rose clair. Elle s'habilla du salwar kameez blanc qui attendait sagement, plié sur l'étagère. Une fois revêtu, elle examina le rendu dans le miroir que renfermait la porte droite de l'armoire. Il lui seyait, épousant la minceur de sa taille, et ses hanches marquées. La couleur de l'habit s'accordait avec ses joues rosées par la chaleur qui régnait dans la salle d'eau. Elle ramena ses cheveux humides vers l'avant, les plaçant de chaque côté de son cou et coiffa sa frange qui retombait mollement sur ses yeux. Elle appliqua légèrement un baume à lèvres rouge sur ses lèvres et recouvrit sa poitrine de son châle brumeux. Elle allait refermer le battant lorsqu'on toqua à la porte. Elle se retourna et découvrit dans l'embrasure la même femme qui l'avait accueillie.
« - Entrez donc, aunty, invita-t-elle en souriant.
- Vous êtes ravissante, choti malikin. Et appelez-moi, Tasnim, je suis la seule servante des Abraham.
- Enchantée, Tasnim-Ji.
- Egalement, Sahiba. Je tenais à vous prévenir que Jullian Sir vient tout juste d'arriver. »
Avec un sourire amusé, elle quitta la pièce. Séraphine réajusta son châle et lorsqu'elle fut prête aussi bien physiquement que mentalement sortit à son tour. Elle longea le corridor tout en se rappelant de lui demander pourquoi est-ce qu'il n'avait pas été présent à l'aéroport. Lorsqu'elle atteignit le milieu de l'allée qui donnait directement sur la cour intérieure, elle se stoppa lorsqu'elle l'aperçut. Il passait le portail en retenant le rideau, vêtu d'un T-shirt noir et de son pantalon militaire. Un sourire effleura les lèvres de Séraphine tandis qu'il avançait vers elle, le regard baissé. Elle fut heureuse de constater qu'il ne restait plus aucune trace de son ancienne blessure à la tempe.
Elle entreprit de le rejoindre, sentant l'angoisse diminuer à sa vue. Il parut percevoir sa présence et se stoppa lorsqu'il réalisa qu'elle se trouvait devant lui. Elle franchit les pas qui les séparaient, l'ambre fusionnant avec l'azote liquide. Elle s'arrêta à deux pas de lui pour l'observer de plus près. Des mèches retombaient sur ses yeux, accentuant la profondeur de son regard gris. Il la toisait, de marbre. Mais derrière cette façade, elle comprit qu'il essayait de lire en elle. De son précédent séjour, elle avait retenu quelques traits de caractère de Jullian Abraham. Elle réalisa que son désir de le voir avait rapidement été exaucé.
Alors, mû par une volonté propre, son corps agit de lui-même. Il brisa la distance entre eux et ses bras se refermèrent autour du dos de Jullian. Elle-même était surprise de son initiative, mais elle n'avait pas peur. Jullian ne l'effrayait pas. Elle comprenait son acte, de part l'angoisse ressentie et de part l'envie de retrouver quelqu'un qui vivait ce qu'elle était en train de vivre. Mais, le mot envie n'était pas le plus adapté; besoin l'était plus. Elle nécessitait ce contact physique pour savoir qu'il l'aiderait dans son apprentissage et qu'il l'accompagnerait à chaque étape. Il ne répondit pas à son étreinte, mais elle n'était pas surprise par cette retenue. Jullian n'était pas des plus démonstratifs. Elle se pressa légèrement contre lui et murmura, la joue collée à son torse.
« - Je suis heureuse de te revoir, Jullian, même si tu n'es pas venu me chercher à l'aéroport, confia-t-elle, les lèvres s'étirant légèrement. »
Il marqua un temps de pause, tandis qu'un vent chaud balayait la cour. Puis il brisa le silence.
« - Tyane, dit-il seulement en guise de salutation. »
Son ton était dénué de toute émotion et elle prit conscience que son nom de jeune fille était revenue à deux reprises. La première par son chauffeur et la seconde par son époux.
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