11. Chapitre 11
An 1632
Il s'en voulait. Dieu qu'il s'en voulait. Il n'aurait jamais dû faire ça. Même s'il savait que s'il ne l'avait pas fait, les garçons seraient morts quand même. Et lui aussi. Mais quand même. Ils n'étaient que des enfants. Jungkook avait seulement quatorze ! Et Yoongi, le plus âgé, en avait dix-huit. C'était beaucoup trop jeune pour mourir. Mais il ne pouvait pas revenir en arrière. Il ne pouvait pas effacer le mal qu'il avait fait. C'était trop tard. Rien ne pouvait annuler la mort. Pas même Dieu.
Il soupira tout en jetant le grain dans la cour, pour nourrir les quelques poules encore vivantes. Les patrons étaient partis en racheter d'autres, non sans hurler que c'était un scandale et que ces gamins avaient eu ce qu'ils méritaient. S'il avait peur d'eux avant, c'était encore pire depuis qu'ils avaient fait de lui un meurtrier. Il savait que tôt ou tard, il ferait aussi un faux pas. Et il finirait comme eux. Il espérait que ça n'arrive jamais, mais avec eux, il fallait s'attendre à tout. Il souffla après avoir terminé sa tâche. Il n'en pouvait plus.
Le domestique aurait voulu s'enfuir. Mais il n'avait nulle part où aller. Il n'avait pas d'argent pour vivre. Et il avait vraiment peur de l'inconnu. Dehors, c'était tout autant dangereux que dedans.
- Toi ! Au lieu de rêvasser, va chercher du bois !
Le domestique se retourna en entendant les aboiements du fermier. Il s'inclina et sortit rapidement du domaine, tirant une petite charrette. Il entra dans la petite forêt et se dirigea immédiatement en son centre. Là où les garçons avaient été enterrés. Il se souvenait exactement de l'endroit. C'était inscrit de manière permanente dans son esprit. C'était la première fois qu'il y retournait. Il avait bien pensé y aller la nuit, mais tous les domestiques étaient enfermés à clef quand ils dormaient. Il tomba à genoux devant la butte de terre. Puis il se mit à sangloter.
- Pardon. Pardon ... Je vous jure que je ne savais pas qu'il allait faire ça. Sinon ... Sinon, je vous aurais dit de vous cacher. Je voulais pas vous tuer mais ... j'avais tellement peur ! Je voulais pas mourir.
Le domestique éclata alors complètement en pleurs. Il se jeta par terre, presque sur la butte.
- Si je pouvais revenir en arrière, je vous promets que je le ferais. Mais c'est impossible. Je vous demande pardon ... Vous étiez si jeunes ... Vous ne méritiez pas ça !
Effondré, le jeune homme continua de pleurer pendant quelques minutes. Puis il se releva calmement et reprit son travail. Il en eut pour trois heures, à coups de hache, et à la sueur de son front. Quand il revint, la nuit commençait à tomber. Il prit néanmoins le temps de déposer toutes les bûches dans le tas de celles qui devaient encore sécher un peu. Quand il rentra, un bouillon froid l'attendait. Personne ne lui dit rien sur le fait qu'il était sale, ses vêtements tachés de boue. En même temps, il avait coupé du bois, c'était presque normal. Puis il alla se coucher en silence quand les fermiers lui dirent d'aller le faire.
Le lendemain, il ne se sentait pas très bien. Mais il travailla quand même du mieux possible pour ne pas prendre des coups de fouet au soir venu. Alors qu'il était en train de donner du foin aux vaches, il crut entendre un rire derrière lui. Il se retourna mais il ne vit rien. Puis le rire retentit de nouveau derrière lui. Il sentit clairement une main heurter son omoplate.
- Chat ! C'est toi qui y es !
Il se retourna encore mais ne vit rien. Il aurait pourtant juré ... C'était la voix d'un de ses gamins. Il en était certain. C'était le rire de Jimin. Mais Jimin était mort. C'était lui-même qui l'avait tué. C'était impossible ... Le domestique entendit encore des rires puis il s'évanouit.
Quand il se réveilla, le fermier était en train de lui donner des coups de pied pour le ramener. Il se protégea rapidement en hurlant qu'il avait perdu connaissance et qu'il allait se remettre au boulot. Il se releva malgré la douleur et termina ce qu'il était en train de faire. Cette nuit-là, il dormit vraiment mal. Il crut voir Jungkook flotter au-dessus de lui et pointer un doigt accusateur dans sa direction.
Dans les jours qui suivirent, le domestique eut d'autres apparitions dans ce genre. Tantôt c'était l'un, tantôt c'était l'autre. Parfois, c'était tous les adolescents en même temps. Parfois aussi il les entendait jouer comme ça arrivait dans les rues du village. Mais souvent, ils se tournaient vers lui et l'accusaient. Après tout, il les avait tués. C'était de sa faute. Ils avaient raison. Le pauvre jeune homme commença à s'affaiblir à cause de la fatigue. Il développa une fièvre assez forte. Puis les fermiers l'envoyèrent dans le village pour aller chercher des semances. Quand il fut dans les rues animées par le marché, il comprit qu'il se passait quelque chose. Un petit groupe était formé près d'un homme debout sur un tonneau. Il parlait à voix haute. Le domestique le reconnaissait. C'était le père d'Hoseok. Il tendit l'oreille.
- Mon fils a disparu il y a deux semaines. Et il n'a pas disparu seul. Ils sont cinq enfants à ne pas être rentrés chez eux le même soir. Quelqu'un leur a fait du mal. Et je réclame justice ! Que ceux qui sont avec moi me suivent et m'aident à les trouver. Des gens doivent être punis !
Le domestique, horrifié, rentra immédiatement à la ferme. Il devait informer les fermiers. Sans même se soucier de sa première mission, il courut jusqu'à l'endroit où il survivait plus qu'il ne vivait.
- Monsieur ! Il se passe quelque chose dans le village ! S'écria-t-il, essoufflé, en arrivant vers son employeur.
- C'est quoi tout ce raffut ?
- Ils les cherchent ! Les villageois sont à la recherche des gamins que vous ... que j'ai ... S'ils les trouvent, ils finiront par comprendre ...
- Tu es certain de ce que tu dis ?
- Je les ai entendus ...
- Très bien. Retourne faire ce que je t'ai demandé, je m'en occupe. Allez ! On a pas que ça à faire !
Le jeune homme s'exécuta malgré la fièvre. Il ne se sentait vraiment pas bien. Il se sentait encore plus coupable d'avoir prévenu les fermiers. Mais il avait peur d'être attrapé lui aussi et de finir sur le bûcher. Il était coupable, il le savait, mais il n'était pas le seul. On l'y avait poussé. Cette nuit-là, il fit encore plus de cauchemars qu'à son habitude.
Puis quelques jours passèrent tranquillement. Il put surprendre plusieurs fois des conversations entre le couple de fermiers, mais il ne comprit à aucun moment ce qu'ils disaient. Il était présent quand les villageois allèrent demander aux agriculteurs s'ils avaient vu les adolescents. Ils leur avaient répondu qu'ils les avaient vus sortir du village côté ouest avec des sacs sur les épaules. Ils n'étaient pas intervenus, pensant que leurs parents étaient au courant de leur voyage. Le domestique réalisa qu'ils les avaient envoyés sur une fausse piste, complètement à l'opposé de la forêt où les adolescents reposaient. Il s'en voulait encore plus. Leurs parents allaient les chercher toute leur vie. Quand il fut interrogé, il ne répondit pas, indiquant simplement qu'il n'avait rien vu.
Le soir-même, le domestique commença à se sentir encore plus mal. Au-delà de la fatigue et de la fièvre, il avait des crampes d'estomac terribles. Il vomit plusieurs fois dans la nuit. Et pour la première fois de sa vie, quand il tituba et chuta avant d'aller travailler, la fermière qu'il connaissait si bien pour être sans aucune pitié, lui demanda de se reposer. Elle voyait bien qu'il n'était pas en forme et qu'il avait besoin de repos. Elle lui servit même une copieuse soupe pour le midi, lui qui n'avait jamais droit à un repas le midi. Il ne mangeait que le soir, et souvent pas très bien.
Dans l'après-midi, il se sentait toujours très mal. Alors qu'il somnolait, il entendit des voix peu discrètes. Cette fois, il entendit tout sans vraiment comprendre, vu son état.
- Comment il va ? Demanda une voix masculine.
- Très mal. J'ai doublé la dose ce midi et je vais recommencer ce soir. Ce n'est plus qu'une question de temps.
- Tu es sûre que ça va marcher ?
- Oui. Je suis allée le voir tout à l'heure, il a vomi du sang. Fais-moi confiance, c'est bientôt terminé.
- Ce petit bâtard ne nous mettra plus en danger. Tu sais que Sooyoung m'a avoué qu'il murmurait leurs prénoms toutes les nuits ?
- Elle me l'a dit aussi. Les autres m'ont dit qu'il avait l'impression de les voir apparaître devant lui. Ce lâche se sent coupable.
- De toute façon, il va bientôt finir comme eux. On a plus de soucis à se faire.
- Et c'est très bien comme ça.
Le domestique perçut un ricanement et cligna des yeux. Il tenta de réfléchir à ce qu'il avait entendu. Le soir, il mangea sa soupe, presque forcé par la fermière qui lui faisait avaler chaque goutte. Le lendemain matin, il n'entendit pas les autres se lever et il ne fut réveillé que par une crampe extrêmement douloureuse à l'estomac. Il tenta de se lever, tituba encore, faible. Puis il vomit et se rendit compte que ce n'était que du sang. Quand il s'écroula au sol, il comprit enfin la conversation de la veille. Il n'était pas malade. On était en train de le tuer.
Malheureusement, il ne se releva pas. Une dizaine de minutes plus tard, il était mort. Deux domestiques, sur les ordres des fermiers, allèrent l'enterrer dans la forêt, non loin des cinq garçons qu'il avait abattus.
Dans le fond, il n'était aussi lui-même qu'un gamin, à peine plus âgé que la plus vieille de ses victimes.
Seokjin avait dix-neuf ans.
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