Chapitre 1 (partie 2). En laissant faire le hasard.
« Prouve que tu existes. Cherche ton bonheur partout, va. Refuse ce monde égoïste. » - Résiste, France Gall.
Je n'arrive pas à croire que j'ai cédé, je suis si facile à amadouer que ça en devient scandaleux. Un jour ou l'autre, le rhum causera ma perte.
Main, dans la main, nous arrivons aux abords de là fameuse boîte de nuit déjà peuplée de noctambules enivrés et enthousiastes. Le videur - un certain Titi - nous accueille d'un chaleureux sourire, avant d'offrir une poignée de main à mon jumeau. C'est une armoire à glace, je n'ose même pas imaginer l'état des phalanges de mon frère après cette poigne vigoureuse. Derrière lui, la porte tremble sous les éclats de la musique assourdissante, tandis qu'il nous l'ouvre en nous souhaitant une bonne soirée.
En se dandinant sur un rythme techno datant du début du siècle, Oscar m'entraîne avec lui, au milieu de la foule. Il est dans son élément. Le monde de la nuit, le strass et les paillettes, c'est son univers.
Les puissantes basses des enceintes résonnent dans mes entrailles et font sauter mon cœur à chaque pulsation. La chaleur est étouffante, et additionnée à l'épais brouillard provoqué par les machines à fumée, l'atmosphère devient irrespirable. Ma jupe en cuir me colle aux cuisses. Qu'est-ce qu'il m'a pris au juste de vouloir jouer les divas ? Heureusement que je n'ai pas dégainé la paire de talons. Mes Dr. Martens font très bien l'affaire, même si Oscar a encore déploré le fait que je ne porte que des « pompes de marginaux », selon lui. Il n'est pas friand de mon style, je ne raffole pas du sien, disons que nous sommes quittes.
Bousculée par les corps trémoussés, je progresse tant bien que mal entre les fêtards, sans lâcher la main de mon frère. Il connaît du monde, beaucoup trop de monde. Tous les cinq mètres, il s'immobilise pour saluer une nouvelle connaissance. Pour ne pas avoir l'air d'une insociable ou d'une cruche, je déploie un sourire crispé et fais mine d'être enchantée. Même si, soyons honnêtes, je ne suis pas crédible.
Après une marche plus que périlleuse, nous rejoignons l'immense comptoir en marbre du bar. Il s'en est fallu de peu pour que je perde Oscar dans la marée, mais j'ai tenu bon. Sans même me laisser le temps de me remettre de mes émotions, il nous commande deux cocktails auprès de la charmante serveuse blonde qu'il semble également connaître. Cette dernière se déhanche sans vergogne sur la musique, avant de nous lancer un « C'est comme si c'était fait ! » typique de la parfaite barmaid par excellence.
Dans des mouvements contrôlés, elle jongle avec le shaker, faisant frétiller sa poitrine généreuse que j'imagine fraîchement remodelée par un chirurgien. Ou peut-être a-t-elle juste été très bien gâtée par Dame Nature. La garce.
Comme sorti de nulle part, un jeune homme s'immisce entre mon corps et celui de mon jumeau.
— C'est à cette heure-là que tu arrives, Oscarito ? On a déjà commencé sans toi, nous ! s'exclame-t-il en lui frictionnant les cheveux.
— Hey, j'ai pas votre temps les gars. J'avais plein de trucs à faire, figure-toi. Mais sois rassuré, je suis là, la fête peut enfin commencer.
L'inconnu me dévisage en mordillant un pic à cocktail fluorescent. Non, en fait, il est carrément en train de me reluquer des pieds à la tête. Ce genre de regards graveleux ne trompent pas, tout comme cette façon qu'il a de tournoyer sa langue autour de cette espèce de cure-dent. Je me sens comme une confiserie face à un boulimique, prête à être engloutie. Pour jouer le playboy irrésistible, il passe sa main dans sa tignasse dorée, affichant un sourire en coin.
Bien essayé, coco, mais ça ne prend pas.
— C'est ma sœur, annonce Oscar, témoin des yeux baladeurs de son ami. Elle vient d'emménager dans l'immeuble. Je l'emmène ici pour qu'elle se change un peu les idées.
— Se changer les idées, tu dis ? Ah, je suis ton homme alors ! Enchanté, moi c'est Léon, l'un des supers colocs de ton frangin.
Le blondinet me tend la joue et je m'empresse de répondre à son invitation en lui faisant la bise.
— Et moi, c'est Romy, ravie de te connaître.
— C'est dingue ce que vous vous ressemblez ! remarque-t-il en haussant la voix pour mieux se faire entendre. Vous avez exactement les mêmes yeux, le même nez et le même sourire !
J'ai envie de lui répondre qu'il s'agit en effet de l'un des principes de base de la gémellité, mais je ravale mon sarcasme.
— On nous le dit souvent, oui, déclaré-je en sirotant mon Mojito.
Un silence gênant s'installe et pour me donner un peu de contenance, je secoue les épaules en rythme avec la musique.
Soudain, Léon pousse un aboiement semblable à un cri de ralliement, vite imité par mon frère.
C'est quoi ce délire ? Un bizutage ?
Surprise, je sursaute et fronce les sourcils, sans comprendre à quoi cela rime. Visiblement, cela n'a rien d'inhabituel puisque personne ne prête attention à leurs hurlements. Du bout de leur index, les garçons me désignent un jeune homme qui fait mine d'être acclamé par la foule.
— Voilà mon Moretti préféré ! s'enchante le blond, le pic à cocktail toujours coincé dans sa bouche. Regardez-le, il est frais comme un gardon celui-ci !
Dans un moonwalk plus hasardeux que celui du roi de la pop, le dénommé Moretti nous rejoint, raillé par ses amis.
— Putain, mec, t'étais où ? s'étonne Léon. Ça fait une demi-heure que je te cherche partout.
— J'ai été pris dans une embuscade, se justifie-t-il, les mains en l'air. Une terrible embuscade.
Ils se mettent à rire, tandis qu'Oscar attire le dernier arrivant vers lui, en le tirant par son tee-shirt marinière.
— Eh, faut que je te présente ma sœur, Romy.
Des faisceaux de lumières colorés mitraillent son visage. La bouche du grand brun s'arrondit, avant qu'il ne pose son regard sur moi.
— Oh, enchanté ! Je sais que c'est cliché de dire ça, mais ton frère nous a beaucoup parlé de toi.
En déposant sa main sur mon épaule, il me claque un baiser sur chaque joue. Il sent l'alcool à plein nez. À en voir ses yeux vitreux, j'imagine qu'il a dû profiter de la fameuse offre de shots à prix réduit annoncée sur la devanture du bar.
— Je suis Gabriel, Gab, Gaby, Gaboche, Moretti, comme tu veux. Du coup, je vis avec ces deux énergumènes.
— Gaboche ? m'étonné-je en arquant un sourcil.
— Bon, en fait non, personne ne m'appelle comme ça. Mais tu peux être la première si tu veux !
— Ouais, carrément ! m'écrié-je sur un ton faussement enjoué.
S'il y a bien une chose que j'ai assimilée à force de côtoyer des piliers de bar, c'est qu'il faut toujours se réjouir de leurs idées aussi affligeantes soient-elles.
— Elle vient d'emménager au trente et un, précise Oscar.
— Oh merde, s'alarme-t-il en claquant sa main sur son front. Là où la givrée a clamsé ?
— Dit comme ça, c'est un peu glauque, mais ouais, c'est précisément là.
Il se frotte le visage, comme s'il venait d'encaisser la nouvelle la plus tragique du millénaire.
— Mais ça ne fait rien, je ferais l'impasse sur la baignoire pendant quelques jours, le temps de m'en remettre. En attendant, je viendrais squatter votre douche. Enfin quand elle sera vide j'veux dire. Pas quand tu seras dedans, j'attendrais mon tour, ça va sans dire. Va pas croire que je suis une voyeuse, j'veux juste me laver.
Bordel, je n'arrive pas à croire que je viens de sortir un truc pareil. Il va sérieusement falloir que j'apprenne à me taire, surtout devant des inconnus. Fort heureusement, Gabriel est trop ivre pour rebondir sur mes maladresses.
— Alba ! hurle-t-il vers un groupe de fêtards. Viens, il faut que tu rencontres Romane, la jumelle d'Oscar !
— Romy, rectifié-je poliment. M'enfin, ça ne fait rien. Les gens se trompent souvent.
Le bouclé ne m'écoute pas, trop occupé à exécuter des gestes de la main et des sifflements pour faire venir ladite Alba.
Après avoir manqué de chuter de la banquette sur laquelle elle était installée, une jeune femme aux cheveux ondulés se lève. Son corps tangue, pendant qu'elle avance avec nonchalance. J'imagine que sa petite voix intérieure vient de lui souffler une blague vraiment cocasse puisqu'elle se met à rire sans raison apparente. Arrivée à notre hauteur, elle replace ses innombrables bouclettes derrière ses oreilles ornées de piercing.
— Salut Romane.
— Romy, corrigé-je de nouveau.
— Alors, elle c'est ma petite sœur, déclare Gabriel en enroulant son bras autour des épaules de la brunette. Bordel, t'as quel âge déjà ? Enfin bref, on s'en fiche. C'est un amour, mais faut pas lui marcher sur les pieds, elle mord un peu.
— Il ment ! s'offusque-t-elle le poussant. La plupart du temps, je suis inoffensive.
— Me voilà rassurée, plaisanté-je. Enchantée de te connaître, Alba.
Le moins discrètement du monde, son grand frère se dresse entre nous et dépose sa main sur le coin de sa bouche.
— Un conseil : caresse-la dans le sens du poil.
— C'est noté.
— Bon, je vous aime bien, mais j'ai ma revanche à prendre sur une certaine Emma qui me devait une danse endiablée, annonce-t-il en titubant pour rejoindre la piste.
— Attends-moi ! s'écrit Léon. Elle m'avait promis la même chose !
Tout comme Oscar et Alba, je reste muette à observer les garçons en pleine tentative de drague auprès d'une jolie blonde qui n'en espérait pas tant. Déterminés à en découdre, les deux compères dégainent leurs meilleurs arguments, allant du collé-serré charnels, aux regards ravageurs qui ne laissent place à aucun sous-entendu. En voilà une qui ne va pas terminer sa soirée en solitaire. Honnêtement, je ne sais pas si je dois l'envier ou la plaindre.
— Dis, toi qui connais tout sur tout, tu n'aurais pas une piste pour Romy ? Elle cherche un job pour mettre un peu de sous de côté, explique Oscar en direction de la petite brune.
— Bah, il y a bien le cinéma où je bosse pendant le week-end et les vacances, mais le travail n'est pas folichon.
— Peu importe, assuré-je. J'ai vraiment besoin d'argent.
— Apporte-leur ton CV, ils recherchent tout le temps du monde. Bon, le responsable est un vrai connard, mais si tu lui fais les yeux doux, ça devrait rouler.
J'ai à peine le temps de la remercier qu'Alba s'est déjà fait la malle. Dans une vertigineuse ondulation des hanches, elle rejoint son frère et Léon au milieu de la piste de danse, renversant la moitié de son verre sur la chemise d'un type outré.
— Tu les as dégotés où, ceux-là ? m'amusé-je en observant le trio en pleine chorégraphie.
— Léon est dans ma promotion, c'est lui qui m'a proposé de rejoindre la coloc qu'il partageait avec son meilleur pote. Avoue qu'ils sont cools, hein ?
— C'est vrai qu'ils ont l'air plutôt cools, en espérant qu'ils le soient aussi lorsqu'ils sont sobres.
— Ils le sont !
Tout à coup, une musique bien trop familière retentit dans les enceintes. Les yeux d'Oscar s'arrondissent et un sourire malicieux étire ses lèvres.
— N'y compte même pas, refusé-je sans lui laisser le temps d'ouvrir la bouche.
— Mais, Romy ! C'est MA chanson !
— Toutes les chansons de Shakira sont TES chansons justement, me moqué-je.
— Sois pas rabat-joie, t'es la première à te déhancher là-dessus d'habitude ! Viens, on va fêter ta nouvelle vie comme il se doit, fais pas ta timide, insiste-t-il en tirant sur mon poignet.
Ai-je vraiment le choix ? Convaincue par les arguments de mon frère et par son effervescence communicative, je capitule. Il pourrait m'entraîner dans n'importe quel plan foireux que j'y plongerai tête baissée. Après avoir terminé mon verre cul sec, nous bravons la foule pour rejoindre le centre de la piste de danse, acclamés par les colocataires d'Oscar.
Allez, Romy. Relâche la pression, profite. C'est pas ce que tu voulais ?
Les bras au-dessus de ma tête, j'ondule mon corps sur le rythme latino, provoquant des cris enjoués de mon jumeau qui semble apprécier mon lâché prise. La lumière des stroboscopes m'aveugle. À cet instant précis, j'ai le sentiment d'être heureuse. Oui, voilà, je suis vraiment heureuse ! Alors c'est ça le bonheur ? Cette folle sensation d'être libre, le tout agrémenté d'un délicieux goût de Mojito ? Bon sang, mon frère avait raison : c'est le meilleur que je n'aie jamais bu.
Bạn đang đọc truyện trên: AzTruyen.Top