Je frémis à l'ouverture de la porte et me recule le plus loin possible dans la chambre. Si je pouvais disparaître, je le ferais. Mais ce n'est que l'infirmière qui vient effectuer une prise de sang. Je me rue vers la sortie. Je n'ai pas le courage de rester plus longtemps.

- Harmonie, attends-moi !

Je n'écoute pas mon frère et quitte la chambre, je cours dans le couloir. Je me fiche du regard des infirmières, je me fiche de tout. Dans ma précipitation, je me perds. Je tourne sur moi-même mais je ne sais plus d'où je viens.

- Mademoiselle, vous allez bien ?

La voix inquiète me sort de ma torpeur. Un médecin se tient devant moi. Il me fait un sourire rassurant et me demande ce que je cherche. Je l'observe, sa blouse blanche cache un corps sans doute musclé et bien bâti. Il est grand, très grand. Ses yeux marron me scrutent dans l'attente d'une réponse. Il fait jeune et, dans son regard, je dénote une teinte de tristesse.

- Je... ça va, oui. Je me suis perdue. Je cherche la sortie.

Il m'accompagne d'un geste de la main et me désigne les escaliers devant lesquels je suis passée en trombe.

- Vous êtes la sœur de Clara Juhel, n'est-ce pas ? Harmonie ?

Je me tourne vers lui, surprise. Comment sait-il ? Le médecin semble lire dans mes pensées car il me rassure rapidement.

- Je m'occupe de votre sœur avec le docteur Morvan. Et la ressemblance entre vous est frappante. D'ailleurs, si ça ne suffit pas, votre famille n'arrête pas de parler de vous. La question principale à votre sujet concerne votre venue.

Il me sourit à nouveau et je sens la colère poindre le bout de son nez. Je me dégage de sa main et me dirige vers les escaliers sans un regard pour lui. Son sourire semblait faux à mes yeux. La question principale à votre sujet concerne votre venue.

Et bien, je suis là. Je suis venue. Seront-ils satisfaits pour autant ? Je rejoins le hall d'entrée où je retrouve Julia endormie dans un fauteuil. Je la secoue brutalement. Je suis énervée. Il faut que je me calme.

Mon assistante ouvre les yeux et semble avoir des difficultés à faire la mise au point.

- Allez Julia, on se tire.

- Mais, et ta sœur ? Comment va-t-elle ?

- Mal.

Je ne tiens plus en place, il faut vraiment que je sorte d'ici.

- Harmonie ! Attends, s'il te plaît !

Mon frère arrive en courant jusqu'à nous. Il reprend son souffle.

- Où vas-tu aller ? Tu as une voiture ? Des vêtements ?

Je ne sais que répondre. Un autre mensonge ? Je me laisse tomber dans le fauteuil à côté de Julia. Elle répond à ma place.

- Nous allons prendre une chambre dans un hôtel. Un taxi fera l'affaire. Et pour les vêtements, à vrai dire, nous sommes parties sans rien. Pas même une brosse à dents.

Elle a un petit sourire à l'encontre de Melvyn. Celui-ci fronce les sourcils et fouille dans les poches de sa veste. Il en sort un trousseau de clés.

- Prenez ma voiture, je me débrouillerai. J'ai un petit appartement chez nous. 10, rue du port. Il y a de la place pour vous deux. J'irai chez les parents. Et ne refuse pas. Je ne vais pas te laisser repartir comme ça.

Il me lance un regard qui me dissuade de négocier. De toute manière, en voyant Julia et ses cernes, je ne peux qu'accepter.

- Et n'hésitez pas à prendre des fringues dans la penderie. Je pense que ceux de ma femme devraient vous aller.

Sa phrase me laisse sans voix. Je déglutis et l'observe plus attentivement.

- Tu t'es marié ?

Melvyn a un petit rire sans joie.

- Tu en as loupé des choses en sept ans. Je ne suis pas encore marié, juste fiancé. Le mariage aura lieu le 11 juillet. Tu es la bienvenue.

C'est incroyable ! Mon frère, fiancé. C'est vrai qu'il a trente ans maintenant, mais je n'arrive pas à l'imaginer marié.

- On a pas mal d'années à rattraper, ajoute-t-il. J'ai vraiment envie que tu restes. Juste une semaine pour commencer. Après libre à toi de repartir.

- Je ne peux pas. Je... J'ai un concert dans trois jours, à Londres.

Il hausse les épaules. Il ne sait rien de cette vie là. Pour lui, je suis toujours sa petite sœur de dix-huit ans. Pas la star Luna Wild de vingt-cinq ans, connue à l'international. Il sait que je chante sur des scènes d'un bout à l'autre du monde. C'est sûr : ces trois dernières années, je suis passée dans tous les médias. Ce qu'il ignore, c'est l'envers du décor.

Je ne peux pas annuler ce concert. Ma réputation n'est déjà pas au meilleur de sa forme depuis quelque temps. Puis, je prends conscience de ce que je viens de penser. Je fais passer Clara après ma réputation. La honte me fait rougir. Heureusement que mon teint naturellement hâlé ne laisse rien paraître. Je remercie une fois encore le côté espagnol de la famille.

- Je vais voir ce que je peux faire, mais je ne promets rien.

Melvyn me lance un sourire éclatant. Pas de doute, son sourire est toujours le même.

- Mais votre fiancée n'est pas là ? demande Julia.

- Tu peux me tutoyer, tu sais. Les amies de ma sœur ont toujours été mes amies aussi. Et non, elle est à Paris pour tenter de décrocher un gros contrat pour sa boîte de décoration. Elle doit revenir dans cinq jours. Elle sera heureuse de vous rencontrer toutes les deux.

Mon estomac fait encore le yo-yo. Rencontrer la femme de mon frère. Dans quoi je me suis embarquée ? Melvyn me lance son trousseau et je l'attrape au vol. J'observe sa clé de voiture. C'est celle de la Twingo de mes parents, je la reconnais au petit porte-clés en forme d'encre marine à ses côtés. Il l'a donc récupérée. Je lui fais un petit sourire car au fond de moi, je suis heureuse de le revoir.

Je me lève et vais pour partir avec Julia lorsque Melvyn me retient par la main.

- Tu ne pars pas, n'est-ce pas ?

Impossible de lui mentir, impossible de lui dire la vérité.

- Je ne sais pas. Sincèrement, je ne sais pas.

Et je pars sans me retourner, suivie de Julia.