Chapitre 21
Avec toutes ces émotions, je retourne dans ma chambre, épuisée. Autant physiquement que mentalement.
Je n'ai presque rien avalé au dîner. Pauline m'a soignée et m'a invitée à prendre place à table pendant qu'elle s'affairait à tout réchauffer. Nazaire et Vivien n'ont fait aucun commentaire sur ce qu'il s'est passé. Pas en ma présence en tout cas. Si Pauline est de mèche avec son mari et si Vivien est leur complice dans leur trafic de je ne sais quoi, je suis convaincue qu'ils sont tous les trois en ce moment même en train de comploter à voix basses dans la cuisine.
Ma main me fait un mal de chien. Je n'ai eu aucune excuse de Vivien, même pas une grimace compatissante. J'ai bien cru qu'il allait me demander d'arrêter de me comporter comme un bébé quand je me suis sentie mal en voyant ma blessure à la lumière.
Je tente une nouvelle fois de plier ma main pour abandonner aussi vite dans un gémissement douloureux. Comme si cela ne suffisait pas, mes jambes peinent à me soulever.
Je m'appuie contre le mur de pierres du couloir, loin des yeux inquisiteurs de ma nouvelle famille. Je dois montrer que je suis capable de marcher seule, que je n'ai besoin de l'appui ni de Vivien ni de quiconque.
Allez, Mélanie, tu peux le faire ! Encore quelques pas.
Je veux être seule. Afin de réfléchir, de ne plus avoir personne qui m'observe, me juge ou me condamne. À raison ou à tort. Je veux juste m'allonger, maudire Pierre, Aubry, les Veilleurs, les villageois, ma nouvelle famille. Même mes ancêtres qui m'ont condamnée à survivre dans ce Quartier pourri jusqu'à l'os. Et aussi, mes parents, pour m'avoir donné la vie avant de mourir en traîtres et nous abandonnés à une vie misérable, mon frère et moi. Je vous déteste !
Je vous déteste tous !
Je renifle en essayant de faire le moins de bruit possible.
Je ne dois pas pleurer. Il faut que je sois forte !
Je vais surmonter cette épreuve comme j'ai surmonté toutes les autres.
Sauf que Pierre n'est plus là pour me rassurer et trouver des solutions pour nous tirer d'affaires. La faiblesse, c'est pour les lâches et les imbéciles. Il a raison. Il n'est pas question que je m'apitoie sur mon sort. Pas maintenant.
Je dois...
Je dois...
Ma vue s'est brouillée. J'ai beau fermer les yeux, serrer les dents et me jurer que tout va bien – que je vais bien ! –, j'ai toutes les peines du monde à retenir mes larmes. J'étouffe un sanglot, puis un autre. Je titube au point de m'écraser contre le mur.
J'ai mal à la tête, à l'estomac. Ma main bandée me brûle, ainsi que ma gorge.
Tu es vivante, Mélanie. C'est tout ce qui compte. Allez, ressaisis-toi !
J'atteins la chambre avec difficulté, mais je suis fière de moi. Mes jambes doivent estimer qu'elles ont fait leur part de travail car elles me trahissent à leur tour, sans crier gare. Je m'écroule au pied du lit en manquant de me cogner la tête contre le bois du sommier. Mon mouvement pour me rattraper me rappelle aussitôt que ma main gauche est blessée. La douleur est épouvantable ! Je m'effondre sur le sol sans réussir à amortir ma chute. Mes larmes montent et, cette fois, je ne fais rien pour les ravaler. Je pleure dans le noir, roulée en boule.
J'ai perdu la notion du temps quand la lumière éclaire la pièce. Quelqu'un me repousse délicatement les mèches de cheveux tombés sur mon visage.
Pierre...
— Pierre, emmène-moi, loin d'ici, je t'en prie..., j'articule avec tant d'effort que mes larmes redoublent.
— Ton frère n'est pas là, Mélanie. Est-ce que tu te souviens où tu te trouves ?
L'image de Pierre s'efface progressivement tandis que je lutte contre mes maux de tête.
Nazaire est accroupi devant moi, inquiet. Il me faut un instant pour me rappeler de ne pas le fixer.
— Tu as survécu à une pendaison, tu ne vas quand même pas mourir bêtement gelée par terre ? Notre plan de sauvetage tomberait à l'eau.
Mon corps me le rappelle aussitôt et se met à trembler. Je m'essuie le nez et les yeux, comme si cela allait me redonner l'image d'une jeune fille parfaite, discrète et obéissante.
J'ai juste l'air pathétique.
Il me relève en prenant garde de ne pas me faire mal. Il va même jusqu'à m'aider à m'asseoir, puis déposer une couverture sur mes épaules. Je ne comprends pas son attitude prévenante et encore moins toutes ses attentions. Je suis mal à l'aise, je guette chaque bruit qui me renseignera sur ce qu'il fait derrière mon dos ou autour de moi. Enfin, il prend place à mes côtés en me tendant un mouchoir plié en quatre. Un vieux morceau de tissu recouvert de taches qui ne s'en vont plus.
Il le pose entre nous. Je ne fais pas un geste pour le prendre. Il attend avant de renoncer. Mon masque est tombé pour ce soir, je veux juste qu'on me laisse tranquille.
— Je comprends. Tu as toutes les raisons du monde de te montrer méfiante envers moi, ou les miens. Après tout, je n'ai pas été des plus agréables avec toi depuis notre rencontre. Vivien a son caractère et Pauline n'est pas du genre à accueillir les bras ouverts quelqu'un qui nous a été imposé aussi brutalement. Même si ce quelqu'un est encore une enfant. Cependant, Mélanie, crois-moi, cela n'a rien de personnel. La vie est dure, je ne t'apprends rien. Nous essayons tous de protéger ceux qui nous sont chers, même si parfois nous prenons des décisions difficiles ou qui paraissent incompréhensibles sur le moment.
Je me concentre sur les moindres défauts du sol pour ne pas trahir ma nervosité. À quelques mots près, ils pourraient être ceux de Pierre.
— Vivien n'a que dix-sept ans. Je savais que l'année prochaine son nom sortirait dans les fichiers. Quant au tien... Forcément, n'importe qui se serait interrogé. À ton avis, qu'est-ce qui pousserait des Veilleurs à vouloir absolument que deux enfants s'unissent avant l'heure ?
Il n'y a qu'une seule raison à cela.
— Mélanie, tu n'as jamais rêvé d'une autre vie ou tout serait différent ?
Je ne peux m'empêcher de songer au Premier Quartier, à l'image que je m'en fais. Au fond, je ne sais pas grand-chose de sa population si ce n'est que chacun y mange à sa faim et que personne ne craint de finir à la rue. Le Premier quartier est un véritable trésor pour tous les habitants du Deuxième. Quiconque prétend le contraire est un menteur. Personne ne veut mourir de faim ou être tué pour des suspicions ridicules. Dans le Deuxième, les Veilleurs sont armés jusqu'aux dents et sont tellement nombreux qu'on peut juste s'estimer heureux si on a la chance de voir se lever un nouveau soleil. Sans compter les traîtres anonymes qui pullulent.
— Mélanie, regarde-moi.
Je ne lui appartiens pas, il n'a pas d'ordre à me donner. J'ai peut-être autant de valeur qu'un pot en terre cuite, mais les règles sont strictes. Il semble s'en souvenir car il a un petit rire moqueur en se traitant d'idiot.
— Je pourrais appeler Vivien, toutefois je ne suis pas certain qu'il soit d'agréable compagnie ce soir. Il n'a jamais vraiment su apprécier Daniel et, avec ce que sa femme a osé te faire ce soir, il rumine sa colère.
Je ne me fais aucune illusion. Vivien est fâché contre cet homme, comme Pierre s'est fâché, l'an dernier, contre un garçon de notre immeuble le jour où celui-ci a tenté de voler un baiser à Perronne. Il n'y a aucun sentiment affectueux là-dedans. C'est juste de la fierté masculine et le besoin de rappeler que personne n'a le droit de toucher à leurs affaires.
— Tu n'es pas obligée de me croire, Mélanie, mais tu n'es pas seule. Qu'on se fasse confiance ou non, nous avons désormais l'obligation de se protéger les uns les autres. Nous formons une famille. Nous te protégerons et il t'appartient également de faire de même. C'est ainsi que la confiance naît au sein d'un groupe. Sans confiance, on se restreint à l'isolement et à la solitude et, dans ce monde, personne ne survit seul.
Le matelas remue lorsqu'il se lève. Je me sens petite - presque insignifiante - face à sa taille et sa carrure. Je continue de fixer le sol en espérant qu'il va vite quitter la pièce.
— Tu es une jeune fille intelligente. Je suis convaincu que tu sauras reconnaître tes alliés de tes ennemis.
Au moment de franchir la porte, il se retourne vers moi. Je baisse vite les yeux avant que nos regards ne se croisent.
— Et, pendant que j'y pense... N'utilise plus les toilettes extérieures. S'il te venait à l'idée de tomber dans le trou, tu pourrais ne jamais en remonter. Les miracles ne se produisent jamais deux fois de suite. Pour ton information, ce n'est rien d'autre qu'un vieux tunnel pour quitter le village. Mon grand-père avait tendance à se méfier de tout le monde. J'ai cloué la planche, histoire d'éviter tout problème comme finir bêtement ensevelie.
Je suis pétrifiée.
— Une dernière chose... Tu as évité ce soir à une famille de pleurer la perte de l'un de ses membres, et par la même occasion d'apaiser la situation et de ramener la paix dans ce village. Le pardon n'est pas facile à donner, mais il peut apporter bien plus que la vengeance. Je suis content que tu aies fait ce choix. On peut guérir du mal, mais pas de la peur. Si les gens apprenaient à s'entraider les uns les autres au lieu de se dénoncer pour des miettes, peut-être qu'un jour nous n'aurions plus besoin de ces murs. Je te souhaite une bonne nuit, Mélanie, on se voit demain.
Je n'arrive plus à bouger et cela n'a rien à voir avec mes jambes.
— Qu'est-ce que tu fiches encore debout ? me demande Vivien en me rejoignant peu de temps après. Couche-toi et essaye de te faire oublier jusqu'à demain. Si tu en es capable, ajoute-t-il dans sa barbe.
Je suis terrifiée. Pourtant, il ne se jette pas sur moi pour me dire qu'il est au courant de tout, il ne me bouscule pas, il ne me menace pas non plus. Il se contente de patienter sans rien dire pendant que je me glisse avec difficulté sous la couverture, encore revêtue de la robe de Pauline. Je crispe les paupières quand l'obscurité envahit la chambre. Le matelas s'affaisse sous le poids de Vivien et je prends garde de me tenir le plus loin possible de lui.
— Que ce soit clair, si je croise à nouveau ton frère, je lui déchire ton dossier sous le nez.
Ce ne sont que des paroles en l'air car plus jamais il n'aura mon dossier entre les mains, celui-ci est sous bonne sécurité entre celles du gouvernement. Toutefois, cela me confirme ce que je soupçonne : Nazaire ne lui a rien dit sur sa découverte à mon sujet. Vivien sait se maîtriser devant des Veilleurs, mais j'ai pu constater qu'avec moi c'est très différent. Il ne cache ni ce qu'il pense ni ses sentiments.
Le pardon n'est pas facile à donner, mais il peut apporter bien plus que la vengeance.
Nazaire sait que les Veilleurs chercheront à rentrer en contact avec moi pour récolter des informations tôt ou tard, sur lui et sur son trafic. Comme Pauline, même si cela le démange, il ne peut pas m'emprisonner dans la maison ou me faire disparaître.
Au loin, le beffroi sonne une fois. Puis deux fois.
Demain, le délai donné par Aubry sera écoulé.
💙💚💛🧡💜
Bonjour à tous ! 😀
J'espère que ce chapitre vous a plu ! Nous nous rapprochons inexorablement de la fin de la première partie (le tome 1 en compte deux).
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Enfin, en fin de chaque mois, je publie un bilan de mon activité (du mois) sur mon blog. 👩💻
A mercredi prochain ou à très bientôt sur les RS ! 😘
Des bisous.❤
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