Chapitre 18
J'entends des sons autour de moi. Ils deviennent de plus en plus audibles. Distincts.
Une voix. Non. Trois. Peut-être quatre. Je ne sais pas et je m'en fiche, j'ai trop mal au crâne. Mes lèvres sont sèches, ma gorge me fait souffrir au point de me tirer des larmes et ma tête tourne tellement que j'en ai la nausée.
Des disputes éclatent non loin de là. J'essaye d'entrouvrir les yeux, mais cet effort est si intense que mes forces m'abandonnent à nouveau. Je sombre, sans même essayer de lutter.
Lorsque je me réveille à nouveau, le visage d'une fille flotte près de moi. Il me faut un moment pour comprendre qu'il y a aussi un tronc, des bras et des jambes. Une coupe au carré et une frange. Cette brune... C'est ma proie de l'arrêt de bus ! Une villageoise ! Elle m'attrape aussitôt une main, doucement, comme si elle craignait de me briser les os. Ses doigts sont moites. C'est désagréable. Je veux qu'elle me lâche. Je veux qu'elle s'éloigne de moi ! Je veux...
Je n'arrive pas à bouger ! J'ai beau vouloir me débattre, tenter de me relever, je n'arrive à rien sauf à paniquer. En face de moi, la fille me parle dans un flot ininterrompu de mots qui n'ont pas le moindre sens. Des larmes coulent sur ses joues. J'aimerais lui dire de se taire, de me laisser tranquille. Tout se bouscule dans ma tête et je ne sais pas par quoi commencer : me défendre, fuir ou bien crier. La réalité me rattrape vite. Je n'ai plus de voix et je découvre que je suis allongée dans mon lit et non plus pendue au bout d'une corde.
Je n'y comprends plus rien. Qu'est-ce qui s'est passé ?
Une tasse chaude effleure ma bouche, je refuse de boire son contenu en serrant les lèvres le plus possible. La lumière du jour filtre à travers les rideaux. J'ai beau essayer de me concentrer, je ne me souviens de rien. Juste de la corde autour de mon cou, de ma terreur. De mes pieds décollant du sol. De mon impuissance et de cette douleur épouvantable.
Est-ce que je suis morte ? Non. Impossible. Il n'y a rien après la mort. Rien d'autre qu'un corps sans vie. Pierre me l'a assez répété après la mort de nos parents. Nous disparaissons, c'est tout. Les Veilleurs emportent nos corps et les brûlent. Il n'y a pas assez de place en ville pour en perdre avec des lieux de recueillement. Même si à la campagne c'est différent en terme d'espace, je doute que les Veilleurs acceptent la moindre entorse au règlement.
Il ne reste des morts que leurs souvenirs, qui s'effacent inévitablement avec le temps.
Cette réflexion a puisé dans mes ultimes forces, le sommeil m'emporte une nouvelle fois.
Mes cauchemars s'enchaînent, plus terribles les uns que les autres. J'ai beau m'échapper, courir aussi vite que si une harde de Veilleurs me poursuivait, je finis toujours irrémédiablement pendue. À un arbre, une poutre, sur le toit d'un immeuble. Ou sur la terrasse d'une énorme demeure aux pierres blanches. Une silhouette se faufile parmi la foule haineuse, courbée, le visage à découvert. C'est Pierre. Il me sourit et me conjure d'accepter mon sort. Pour Emma. J'essaye de l'appeler, de le supplier de m'aider, mais je n'arrive déjà presque plus à respirer.
Un liquide coule entre mes cuisses. Je me suis fait dessus. Des rires s'élèvent, on m'insulte. L'instant suivant, Pierre est près de moi, tirant sur mes chevilles pour que la corde m'étrangle plus vite. Pour que nos secrets ne soient jamais dévoilés. Il veut que je le comprenne : si quelqu'un doit mourir, il vaut mieux que ce soit moi. Emma a besoin de lui. Il me promet de ne pas m'oublier, de penser à moi tous les jours. Il pleure, me demande mon pardon, me jure qu'il m'aime, mais il tire mes chevilles vers le bas de tout son poids. De plus en plus fort. Tu dois mourir, Mélanie, il le faut ! Sa voix fait écho dans ma tête. Encore et encore.
N... Non ! Je... je... ne veux pas mourir !
Je...
Soudain, une voix forte lui somme de me lâcher. Même si ma vision est devenue floue, je reconnais ce timbre. Vivien fait signe à mon frère de reculer. Pierre me relâche sans chercher à justifier son but. Le visage brûlé de Vivien me terrifie moins que son sourire de dément. Il veut sa part, lui aussi. Le vent se lève pour me murmurer au creux de l'oreille les mots que je redoute tant.Tu pensais vraiment que je ne le saurai jamais ?
Il tire si fort que ma nuque se brise.
Je m'arrache brutalement du sommeil, le souffle rapide et le cœur en miettes.
— Comment te sens-tu ? s'enquit Pauline, à mon chevet.
Je contemple, un peu hagard, la lampe allumée. Les dernières images de mon cauchemar s'envolent en laissant derrière elle un terrible sentiment de gâchis. Il me trouble et j'ai besoin d'un temps supplémentaire pour comprendre que je suis vivante.
Dehors, il fait nuit noire. Pauline n'a pas fermé les volets.
— Mélanie ? Est-ce que tu m'entends ?
Je tente de parler, en vain. Je n'arrive à émettre qu'un vague grognement rauque. Elle s'en contente avec un hochement de tête. Elle aussi veut me forcer à ingurgiter une mixture. Je renouvelle mon refus. Depuis que je suis dans ce village, on m'a droguée, battue, insultée... et même pendue ! J'ai tellement de rage en moi et de colère que je serais capable de mordre tous ceux qui tenteraient de me regarder de travers.
Pauline n'abandonne pas pour autant.
— Ce n'est que du miel et du lait. Tu n'en mourras pas, m'assure-t-elle, en comprenant que je n'ai pas la moindre idée de ce dont elle me parle. Cela va adoucir ta gorge. Pour ta voix.
Avale-ça, toi-même ! Je détourne la tête. Je n'ai pas assez de force pour faire semblant que tout va bien. Je me fiche bien que mon attitude puisse lui déplaire.
— Thérèse, Ombeline !
La sœur de Pauline et ma proie de l'arrêt de bus s'empressent de nous rejoindre. Elles s'y mettent à trois pour me redresser de force dans le lit et ouvrir ma bouche. Je serre les dents et je lutte. Malheureusement, le liquide finit par couler dans ma gorge, sur mon menton. Doux, chaud. Délicieux. La mort ne vient pas. Peut-être plus tard. Pauline ne fait aucun commentaire sur mon attitude, elle se contente de boire à son tour une gorgée pour me signifier que ce n'est pas un piège de sa part, puis me tend à nouveau la tasse, que je ne refuse pas. Je tousse, puis me laisse faire. Ombeline est sur le point de parler quand Thérèse lui intime de se taire et de rester en retrait. La jeune fille obtempère à contrecœur.
— Est-ce que tu arrives à bouger les pieds ? me demande Pauline, après avoir nettoyé mon visage et mon cou.
Elle n'attend pas ma réponse. Elle soulève la couverture pour me frictionner une jambe et un bras, tandis que sa sœur fait de même de l'autre côté du lit, non sans montrer au préalable une certaine réticence. Toute tentative d'Ombeline pour m'approcher est repoussée par les deux femmes, au point qu'elles finissent par la menacer de lui faire quitter les lieux si elle ne se calme pas. Cela a le mérite de lui clouer le bec.
Les gestes des deux sœurs me réchauffent puis me brûlent les membres. La sensation de fourmillements disparaît et je retrouve le plaisir de remuer mes doigts et mes orteils. Ce n'est pas une solution miracle, mais je dois bien avouer que je suis rassurée de constater que je ne suis pas paralysée.
— Tu vas te sentir faible un moment, mais ça ira mieux.
Pauline échange un long regard avec Thérèse, puis elle s'empare du miroir posé sur la table de chevet. Je suis choquée de découvrir une trace violacée autour de mon cou, là où la corde m'a étranglée. Et encore plus de voir l'état de mon visage. A mon retour, je n'étais déjà pas belle à voir, désormais c'est pire... Ma joue droite est tellement gonflée qu'on dirait une boule, sans compter les marques de griffures.
— Mélanie... Je t'ai retrouvée morte.
💜💙🧡 Note de l'autrice 💜💙🧡
Coucou les amis !
De retour après deux semaines de vacances ! Les aventures de Mélanie reprennent donc dès aujourd'hui. J'espère que la suite vous plaira autant. Je vous réserve quelques surprises. ^^
Le chapitre 19 arrive ce midi, c'est la suite directe. Le chapitre étant trop long, je l'ai coupé en deux.
Des bisous.
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