Chapitre 9
En arrivant au lycée ce matin, je le cherche partout aux abords parmi les petits groupes d'élèves qui fument une dernière clope, puis je me dirige dans la cour de récréation. Ma casquette sur la tête, les mains dans les poches, je suis déterminé. J'ai toujours cette envie débordante de le fracasser pour ce qu'il a tenté de faire à Clémence. Je n'en ai pas dormi de la nuit, je me suis imaginé tout un tas de scénarios qui virent au drame à son sujet. Comme si je sentais que ce gars est un psychopathe violeur sur le point de harceler Clem avant de passer à l'acte. Ce souhait de la protéger n'a rien à voir avec des sentiments quelconques, il s'agit simplement de respect. Il n'a pas à forcer mon amie ni qui que ce soit d'ailleurs...
Je vérifie tous les endroits où il pourrait bien traîner, des toilettes au foyer, des tables de ping-pong au terrain de basket, il n'est nulle part. Ce connard ne me fait pas peur et il va payer. Plus je mettrai de temps à le croiser, plus ma haine va se renforcer.
Lorsque la cloche retentit, je fais un rapide tour d'horizon du grand hall d'entrée pour examiner chaque tête, avant de prendre la direction de ma classe.
Benjamin n'est pas là, il a chopé une gastro et Clémence vient s'asseoir à côté de moi à 8 heures pour le cours de maths.
— Ça va ? lui demandé-je inquiet par son comportement.
— Non !
Elle n'est pas sereine et ce n'est pas son habitude. Comme hier, pas de tenue sexy non plus, elle a enfilé un vieux jogging et ne s'est pas maquillée. Ses grands yeux noirs sont tristes et ses cheveux blonds emmêlés.
— Il a recommencé ? la questionné-je en balayant la classe du regard toujours à sa recherche.
Je suis au dernier rang, à côté de la fenêtre. Devant moi, Apollon et Maxence discutent avec des joueurs de mon équipe au sujet de la rencontre qui aura lieu dimanche. De l'autre côté de l'allée, deux pipelettes échangent des messes basses tandis que leur copine est en train de sortir ses affaires de cours. Assis sur le bureau de l'estrade, trois gars ont détaché du mur une carte de la France pour en faire un avion en papier. Le boxeur et le prof ne sont pas encore arrivés et il règne un vrai foutoir, on s'entend à peine parler. Clem est obligée d'élever la voix et de s'approcher de moi pour me répondre :
— Non, mais j'ai reçu un truc bizarre, ce matin.
— Quoi ? Fais voir !
Lorsque Clémence me tend son portable, je comprends rapidement ce dont il s'agit. Elle a réceptionné « son invitation ».
— Putain, le con ! dis-je en écarquillant les yeux.
— Quoi ?
Clémence, pendue à mes lèvres et surprise de ma réaction, me dévisage.
— J'ai la même chose ! J'ai cru que c'était Benji qui m'avait envoyé ça !
— Mais c'est quoi ce truc ?
Tandis que le prof entre et s'installe, elle pose son téléphone entre nous, sur le bureau, l'invitation affichée en plein écran sur son smartphone.
— C'est l'autre connard qui s'amuse !
— Ken ?
— Ça paraît évident, non ?
Et si, ces invitations étaient effectivement envoyées par un sadique ? Cela signifie que quelqu'un dans ma classe est en train de monter un mauvais plan sur nos têtes. Un de ces gars qui a trop regardé de films d'horreur ou de thrillers. Un putain de con qui s'éclate avec nous !
Je fais le tour des élèves présents à la recherche d'un suspect lorsque la porte s'ouvre bruyamment et Ken entre en cours avec assurance. Il tend son carnet contenant probablement un billet d'excuse pour son retard au prof et s'installe sur le dernier bureau libre, au premier rang. Clémence se ronge les ongles en le détaillant, elle me transmet sa nervosité et j'ai juste envie de lui sauter à la gorge. Il retire délicatement son blouson en cuir noir, râpé au niveau des coudes, pour le poser sur le dossier de sa chaise. En ultime provocation, il me sourit avec dédain en relevant la mèche de cheveux gras qui lui tombe sur le front.
Je réfléchis durant tout le cours à la façon dont je vais le niquer.
La cloche sonne et tout le monde se précipite bruyamment vers la sortie. Moi, je ne bouge pas. Lorsque Clémence se lève pour ranger ses affaires, je lui saisis le poignet pour l'obliger à se rasseoir.
— Tu vas faire quoi ? s'inquiète-t-elle.
Il est dans les derniers à quitter la classe. Je le suis comme son ombre, je marche dans ses pas, suivi par Clem. Il téléphone et rigole bruyamment dans le couloir chargé de lycéens.
— Reste là !
Clem ne tente pas de me retenir, elle me fait confiance et souhaite probablement que je règle une bonne fois pour toutes cette histoire.
Quand il arrive à hauteur des casiers, je lui mets un coup d'épaule qui le déstabilise et l'oblige à lâcher son portable. Je m'interromps pour le dévisager. Alors que sa mèche brune de cheveux sales retombe sur son visage, il sort de sa poche un couteau à cran d'arrêt. Son regard assassin et son arme ne m'effraient pas et pourtant, je devrais avoir peur. Il a mauvaise réputation, des rumeurs circulent à son sujet : il viendrait d'une maison de correction pour avoir planté un gars dans son ancien lycée. Je ne sais pas si c'est lui qui s'amuse à faire courir ces bruits pour impressionner la galerie ou si c'est vrai.
Peu m'importe, l'adrénaline monte en moi, et ce merdeux avec son poignard me donne envie de rire. Il compte sérieusement me saigner, au sein même de l'établissement ? Je chasse la peur qui pointe le bout de son nez et baisse simplement les yeux sur son portable toujours au sol. La vitre de l'écran est cassée. Ken le ramasse et le met dans sa poche. Au moment où il se relève, l'image des blessures de Clémence traverse mon esprit. Je lui décoche un coup de poing dans la mâchoire qui le projette dans son casier. Il se tient le visage avec la main et se rend vite compte qu'il saigne. Je lui ai explosé les lèvres. Il émet alors une grimace à la vue de ses doigts maculés de sang. Rapidement, un attroupement se forme dans le couloir. Un brouhaha bourdonne autour de nous. Les lycéens se sont rassemblés pour assister au spectacle, un Seconde crie dans mes oreilles :
— Bagarre ! Bagarre !
Mon attention demeure concentrée sur mon adversaire, dont je me méfie comme la peste. Pas un mot ne sort de sa bouche et je ne lui adresse pas non plus la parole. Nous savons exactement l'un et l'autre pourquoi nous en sommes là. Je domine Ken par la hauteur, mais j'ai toujours appris à rester sur mes gardes avec les plus petits, qui sont souvent plus agiles et plus nerveux. Je ne quitte pas des yeux son couteau qu'il pointe de nouveau vers moi.
— Vas-y Arand, défonce-le ! me soutiennent mes collègues du rugby.
Le boxeur se courbe légèrement en avant, le bras armé tendu vers moi qu'il agite au niveau de ma taille. D'un mouvement de bassin, je recule à chacun de ses gestes pour éviter d'être blessé. Je cherche où le frapper, sans être touché, pour le déstabiliser. Je tente une claque puis un coup de pied tandis que la lame du couteau suit chacune de mes actions.
Derrière moi, j'entends mon nom plusieurs fois parmi les cris d'encouragement. Je finis par choisir de m'attaquer directement au bras armé que je saisis d'une main, tandis que je lui matraque le ventre, pour le contraindre à lâcher prise. La tête baissée pendant que je le frappe, il me pousse avec force et je m'éclate le dos dans les casiers. Je ne le lâche pas pour autant et continue à lui assener des pains, il est coriace, ce con ! Je l'achève avec un coup de boule qui le déstabilise et l'oblige enfin à abandonner son couteau qui tombe par terre, aux pieds du CPE...
— Arrêtez ça immédiatement ! nous ordonne-t-il furieux en ramassant l'arme. Non, mais où vous croyez-vous ?
Droit dans son costard gris, il nous jauge à travers ses lunettes pour vérifier que nous n'allons pas nous ressauter dessus. J'en profite pour reprendre mon souffle et essuyer les perles de transpiration qui coulent sur mon front. Sidoine enfourne le couteau dans sa poche, remet sa cravate en place, et satisfait de voir que nous nous calmons, conclut :
— Quand vous aurez terminé votre étreinte, vous me rejoindrez dans mon bureau !
C'était à prévoir... Une altercation au lycée ne passe jamais inaperçue ! Je ne sais pas trop comment je vais me tirer de cette merde.
Le CPE reçoit dans un premier temps mon rival pendant que je patiente dans la salle d'attente qu'il ait fini son entretien. Puis c'est mon tour de tenter de justifier mon agression.
Sidoine n'est pas dupe, il connaît par cœur mon côté bagarreur et m'écoute d'un air dubitatif. Il sort le couteau à cran d'arrêt plié et le pose devant lui.
— Donc il n'est pas à vous ?
— Non, comme je viens de vous l'expliquer...
Le fait que Ken ait emmené un objet dangereux et interdit dans l'établissement, et qu'il s'en soit servi pour me menacer, va certainement lui porter tort.
Dans le couloir, les gars de mon équipe de rugby insistent auprès de la secrétaire pour donner leurs versions de l'affrontement, ils me font passer pour le héros du lycée qui a désarmé un psychopathe.
Pendant ce temps, le CPE me déblatère son monologue moralisateur sur la violence et me prodigue une multitude de conseils ridicules pour garder le contrôle. Je ne l'écoute pas, j'essaie d'entendre ce qu'il se trame derrière la porte quand la secrétaire frappe et entre pour annoncer :
— La mère de Ken est là !
— Merci, j'arrive ! répond le principal en quittant son fauteuil.
Je me retrouve seul dans la pièce. J'ai mal au dos à cause de ma projection dans les casiers. Tandis que je repense à tout cela, mon regard tombe sur un dossier posé sur le bureau au nom de Ken VIRENNE.
Je jette un coup d'œil vers la porte vitrée, tout semble calme dans le couloir, alors je décide d'ouvrir la chemise cartonnée...
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